B. LES LIMITES D'UNE PROCÉDURE HASARDEUSE

Cet amendement sur le travail de nuit avait déjà été déposé lors de l'examen de ce texte en première lecture par le Sénat.

Votre commission avait alors exprimé sa réticence à légiférer dans la hâte sur ce sujet important.

Elle avait ainsi formulé des réserves sur la procédure retenue par le Gouvernement.

D'une part, il aurait été souhaitable de mieux associer les partenaires sociaux à la préparation d'une réforme dont les implications les concernent très directement et pour laquelle ils auraient pu faire valoir des expériences concrètes, des solutions adaptées étant fréquemment trouvées dans les conventions de branche. Or, le Gouvernement a préféré légiférer à la hussarde, se contentant, semble-t-il, d'une simple consultation de pure forme des partenaires sociaux alors que trois organisations syndicales sur les cinq représentatives au niveau national ont marqué leur opposition au projet gouvernemental.

D'autre part, il aurait été préférable de respecter le calendrier législatif initialement annoncé. Les dispositions relatives au travail de nuit figurent en effet dans le projet de loi de modernisation sociale. Ce projet de loi, annoncé depuis de longs mois, n'a été déposé en définitive que le 24 mai 2000 et son inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale différée. Le choix de procéder, dans la précipitation, par amendement du Gouvernement, au cours de la navette d'une proposition de loi, dénote une maîtrise pour le moins imparfaite de l'ordre du jour des travaux parlementaires, d'autant que la présente proposition de loi ne sera guère promulguée avant le printemps prochain et que le Gouvernement s'est enfin résolu à inscrire le projet de loi de modernisation sociale à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale début janvier 2001.

Votre commission avait également formulé des réserves sur le fond. Considérant que cette réforme de la législation sur le travail de nuit ne constituait pas un progrès social, mais était rendue nécessaire par le droit européen, elle aurait préféré un cadre législatif plus respectueux des prérogatives des partenaires sociaux. Il aurait en effet été possible de se contenter d'une transposition a minima des directives européennes et de renvoyer très largement la définition du cadre juridique du travail de nuit à la négociation collective.

Votre commission avait choisi en première lecture, sans enthousiasme, de ne pas s'opposer à l'adoption de l'amendement du Gouvernement, en dépit des conditions désastreuses dans lesquelles il était examiné -dépôt tardif, rectifications multiples- sous réserve de l'adoption de plusieurs sous-amendements. Ces sous-amendements visaient à apporter un certain nombre de garanties à la fois pour la protection des salariés -et notamment des femmes enceintes- et pour le bon fonctionnement des entreprises dans l'obligation de recourir au travail de nuit. Il s'agissait pour votre commission de trouver un équilibre acceptable pour une réforme qu'elle n'avait pas souhaitée.

Le Sénat décidait, en définitive, après avoir adopté ces sous-amendements, de ne pas voter l'amendement du Gouvernement. Il est probable que la majorité du Sénat, à laquelle il aurait incombé de voter, seule, la levée de l'interdiction du travail de nuit des femmes, a considéré que la primeur que lui réservait ainsi le Gouvernement n'était pas, de la part de ce dernier, totalement dépourvue d'ambiguïté voire d'arrière-pensées.

Votre commission considère toutefois qu'il est important, en deuxième lecture, d'examiner en détail le dispositif voté à l'Assemblée nationale.

L'examen de l'amendement du Gouvernement à l'Assemblée nationale n'a, en effet, permis de dissiper ni la confusion, ni les ambiguïtés du dispositif, le Gouvernement donnant singulièrement l'impression de " piloter à vue " cette réforme importante mais mal préparée comme en témoigne son inquiétant mutisme au cours des débats.

Car la rédaction issue de l'Assemblée nationale est loin d'être satisfaisante. Elle ne permet en effet ni d'assurer une réelle protection pour les salariés travaillant la nuit, ni de garantir aux entreprises la possibilité de recourir au travail de nuit dans de bonnes conditions, lorsque cela est nécessaire.

Un exemple parmi d'autres : la garantie de rémunération accordée à la salariée enceinte qui ne peut être reclassée sur un poste de jour. L'Assemblée nationale a souhaité que celle-ci soit intégralement à la charge de l'employeur et non plus pour partie à celle de la sécurité sociale. Or, cela peut se traduire soit par un frein à l'embauche de femmes en âge d'avoir des enfants dans les entreprises travaillant parfois la nuit, soit par une charge financière importante pénalisant les entreprises ayant recruté des femmes. Les effets pervers du dispositif sont alors évidents.

Un autre exemple : l'obligation de renégocier la majorité des accords sur le temps de travail. La rédaction retenue oblige les entreprises, qui ont introduit le travail de nuit sur le fondement d'un accord collectif sans pour autant prévoir de repos supplémentaire, à renégocier l'intégralité des accords qu'elles ont pu conduire sur ce sujet, notamment à l'occasion des trente-cinq heures. Le texte adopté par l'Assemblée nationale revient donc à désavouer les partenaires sociaux et à introduire une nouvelle insécurité juridique dans notre droit du travail.

Dès lors, pour les salariés travaillant la nuit et pour les entreprises qui les emploient, le texte adopté par l'Assemblée nationale comporte en définitive plus d'interrogations, voire d'effets pervers qu'il n'apporte de réponses.

Votre commission a donc souhaité présenter des amendements assurant une protection effective -au-delà des seules pétitions de principe- des salariés travaillant la nuit, mais garantissant également le bon fonctionnement de nos entreprises, sans les pénaliser trop lourdement.

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