B. L'IMPORTANCE DES TRANSFERTS FINANCIERS
La plupart des régimes de retraite sont solvabilisés par des transferts financiers devenus avec le temps particulièrement complexes. La bonne conjoncture améliore l'autofinancement de certaines caisses mais ne peut redresser significativement les conséquences de leurs courbes démographiques défavorables.
L'équilibre financier courant des caisses est maintenu par trois types de ressources.
1. Le lissage des disparités démographiques et économiques entre caisses : le système des compensations
Le système français de sécurité sociale est caractérisé par un grand nombre de régimes organisés sur le principe de la répartition au sein d'un groupe socioprofessionnel. Ces groupes, qui ont créé leurs régimes à des époques différentes, avec chacun leurs spécificités. Leur démographie varie sensiblement, leurs moyens financiers également. Ces moyens sont d'autant plus élevés que le nombre de cotisants est supérieur au nombre de retraités et que le salaire moyen du groupe sur lequel sont assises les cotisations est important.
La loi du 24 décembre 1974 a donc instauré un système de compensation généralisé. Son objet est d'empêcher que certains régimes n'encourent la faillite ou ne soient dans l'obligation de mettre en oeuvre des mesures d'économie sévères pour atteindre un équilibre interne manifestement hors de leur portée.
A ce " jeu " de compensation entre régimes -qui est établie au titre des trois risques 5 ( * ) - certains sont contributeurs nets et d'autres bénéficiaires nets.
Ces compensations sont dans l'ensemble bien acceptées. Elles participent de la solidarité entre régimes. Elles évitent ainsi que des efforts de redressement trop brutaux ne conduisent à des situations inéquitables.
I - Compensation démographique vieillesse (36,4 MdF)
Régimes financeurs Régimes bénéficiaires
En revanche, le système de la " surcompensation " apparaît plus contestable . Pour corriger l'insuffisance de transferts de compensation généralisée vis-à-vis des régimes spéciaux, la loi du 30 décembre 1985 a institué une compensation supplémentaire spécifique aux régimes spéciaux qui s'ajoute à la compensation généralisée.
Cette " surcompensation " a le mérite de contribuer à l'équilibre de certains régimes mais il frappe durement l'un d'entre eux : la CNRACL.
II - Compensation entre régimes spéciaux (17,3 MdF)
Régimes financeurs Régimes bénéficiaires
La Caisse nationale de retraite des agents des
collectivités locales (CNRACL)
La CNRACL a été instituée par un décret du 19 septembre 1947. Cet établissement public géré par la Caisse des dépôts et consignations verse des pensions de retraite et d'invalidité aux agents titulaires permanents des collectivités locales et de leurs établissements publics administratifs et hospitaliers. La caisse bénéficie encore d'un ratio démographique favorable par rapport aux autres régimes généraux. La montée en charge du régime n'est pas achevée. En conséquence, la CNRACL dégage chaque année des excédents importants avant transferts (17 milliards de francs en 1999). Ces excédents sont utilisés quasi intégralement dans le cadre des compensations générale et spéciale. Depuis 1974, la caisse a versé près de 250 milliards de francs au titre des deux, dont 137 milliards de francs pour la première et 112 au titre de la seconde. En 2001, elle prévoit deux versements de 9 milliards de francs chacun. Si la compensation générale est bien acceptée par les partenaires sociaux représentés au sein du conseil d'administration, les sommes versées dans le cadre de la compensation spéciale appellent de fortes réserves. Car, si hors compensation, la caisse génère entre 15 et 20 milliards de francs d'excédents, il lui faut recourir à des emprunts de trésorerie dont le plafond est fixé dans la loi de financement de la sécurité sociale pour assurer le paiement des prestations au long de l'année. Ces emprunts engendrent des frais financiers et donnent une fausse impression de déficit latent. La démographie du régime évolue sensiblement. A partir de 2005, où il sera encore de 2,5 cotisants pour un retraité, une forte dégradation de ce rapport est prévue. La caisse entrera dans cette période moins favorable sans avoir pu constituer de réserves. Aussi, le Gouvernement s'est-il engagé à diminuer légèrement le taux de surcompensation. |
2. La contribution fiscale de l'Etat aux régimes non salariés
L'Etat est contributeur net des compensations générales et spéciales.
Il assure par ailleurs l'équilibre des régimes de non-salariés (commerçants et artisans) en leur transférant, au prorata de leurs déficits comptables, une part de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S).
Cette taxe, instituée par la loi du 3 janvier 1970, a fait l'objet d'une réforme destinée à accroître son rendement en 1995.
La C3S a contribué à l'équilibre de l'ORGANIC pour 6,7 milliards de francs en 1999 et à hauteur de 2,9 milliards de francs en 2000. La CANCAVA se voit attribuer respectivement 4 milliards de francs et 2 milliards de francs en 1999 et 2000. Grâce à ce mécanisme, le solde de ces régimes fluctue autour de l'équilibre.
En outre, la C3S abonde le BAPSA et, pour une plus petite part, la Caisse maladie des professions non agricoles (CANAM).
Ces modalités de répartition ont été modifiées par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, les excédents de C3S sont répartis, sur arrêté ministériel, entre le FSV et le fonds de réserve des retraites.
Votre rapporteur s'interroge si cet abondement se fera au détriment des caisses de retraite ou si, au contraire, le versement au fonds de réserve sera subordonné à l'équilibre courant des régimes non salariés . Cette hypothèse soulève des interrogations sur la crédibilité de cette ressource du fonds de réserve.
3. La contribution de la branche famille : l'étrange cas de l'Assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF)
Dans son rapport sur la sécurité sociale de septembre 2000, la Cour des comptes a consacré un développement particulier à l'assurance vieillesse des parents au foyer.
Pour certains parents, cette assurance vieillesse prend en charge les années passées au foyer. Elle leur permet de compléter d'éventuelles années validées au titre de leur activité professionnelle. Créée en 1972, réservée alors aux seules mères de famille, elle fut étendue aux pères en 1979. Elle est soumise à des critères d'attribution restrictifs : conditions de ressources, nombre d'enfants.
La Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) est, en quelque sorte, l'employeur fictif des ayants droit. La branche famille verse donc une somme qui atteint 21,6 milliards de francs en 1999 au titre de ces " cotisations ". Cette somme a fortement augmenté depuis la mise en oeuvre du mécanisme.
Comme le relève la Cour des comptes, les prestations servies sont aujourd'hui sans commune mesure avec le montant des " cotisations " réglées par la CNAF, qui atteignent environ 3 milliards de francs.
En revanche, elles devraient, selon un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) de 1997, atteindre au moment des pics démographiques (2015-2040) 30 milliards de francs, puis 50 milliards de francs.
Or, les cotisations versées par la CNAF sont aujourd'hui comptabilisées comme des cotisations courantes et dépensées dans le cadre de l'exercice. Elles ne sont pas mises en réserve pour procéder à la liquidation des droits le moment venu.
Ce mécanisme n'aboutit finalement qu'à transférer une partie du financement de la branche vieillesse sur la branche famille. Celle-ci a financé, pendant trente ans, le système de retraite avec des " cotisations fictives " d'un montant annuel qui atteint aujourd'hui 20 milliards de francs, c'est-à-dire deux fois le montant annuel de la compensation démographique versée par la CNAVTS.
Sommes annuelles et cumulées versées par
la CNAF à la CNAVTS
au titre de l'AVPF.
En 2000, la CNAVTS perçoit ainsi 22 milliards de francs de cotisations et verse 3 milliards de francs de prestations. L'AVPF permet une amélioration du solde de la branche vieillesse de 19 milliards de francs. Autrement dit, en l'absence d'un tel mécanisme, la branche vieillesse serait aujourd'hui déficitaire.
En 2040, le coût des prestations sera de l'ordre de 57 milliards de francs, le montant des cotisations restant par définition constant. L'AVPF aura alors pour effet de dégrader le solde de la branche vieillesse de 35 milliards de francs.
Entre 2000 et 2040, l'effet de l'AVPF passera d'un allégement de 19 milliards de francs à une charge nette de 35 milliards de francs. L'effet de dégradation sur les comptes sera de 54 milliards de francs.
Cette redoutable dégradation des comptes ne manquera pas de poser la question du maintien de cet avantage. Devant les difficultés considérables de financement des retraites, certains poseront immanquablement la question de la suppression des avantages familiaux en matière de retraites.
Déjà, la ministre déléguée à la famille et à l'enfance considère que la prise en compte du fait familial dans les systèmes de retraite était menacée et que le transfert de leur financement à la branche famille était la solution préconisée pour leur survie.
Ainsi, déclarait-elle lors du débat à l'Assemblée nationale portant sur le transfert à la charge de la branche famille de la majoration de pension pour enfant : " Nous clarifions les comptes de la branche famille, mais qui peut nier que les avantages liés au fait d'avoir élevé des enfants font partie intégrante des comptes de la famille. J'assume totalement cette décision, sachant que, dans le débat sur l'avenir de la branche vieillesse, ces avantages ont été un moment menacés. " 6 ( * )
Votre rapporteur émet la vive crainte que ce raisonnement spécieux puisse s'appliquer un jour à l'AVPF.
Pour maintenir cette prestation qui sera certainement " menacée " au sein de la branche vieillesse -dont on sait aujourd'hui qu'elle rencontrera de grandes difficultés à compter de 2020-, il y a un fort risque que la branche famille soit appelée une nouvelle fois à la rescousse.
Une telle démarche, qui ne serait pas -hélas- incohérente avec celle conduite aujourd'hui par le Gouvernement, présenterait toutefois la particularité de conduire la branche famille à prendre deux fois l'AVPF à sa charge, une première fois au titre ses " cotisations " qu'elle paye depuis 1975 et une deuxième fois en versant les prestations lorsque celles-ci deviendront significatives.
Votre rapporteur constate à nouveau que l'absence d'orientation courageuse permettant de garantir l'avenir des retraites, conduit aujourd'hui et risque fort de conduire demain à des mesures présentées en urgence dont les familles apparaîtront comme les premières victimes.
* 5 Risques maladie, vieillesse et famille.
* 6 Compte rendu analytique Assemblée nationale, 1 ère séance du jeudi 26 octobre 2000, p. 23.