N° 63

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001

Annexe au procès-verbal de la séance du 31 octobre 2000

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE APRÈS DÉCLARATION D'URGENCE , sur l' épargne salariale ,

Par M. Joseph OSTERMANN,

Sénateur.

(1) . Cette commission est composée de : MM. Alain Lambert, président ; Jacques Oudin, Claude Belot, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Roland du Luart, Bernard Angels, André Vallet, vice-présidents ; Jacques-Richard Delong, Marc Massion, Michel Sergent, François Trucy, secrétaires ; Philippe Marini, rapporteur général ; Philippe Adnot, Denis Badré, René Ballayer, Jacques Baudot, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Gérard Braun, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Jean Clouet, Yvon Collin, Jean-Pierre Demerliat, Thierry Foucaud, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Claude Haut, Alain Joyandet, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Michel Mercier, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Pelletier,
Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Henri Torre, René Trégouët.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 11 ème législ.) : 2560 , 2589, 2594 et T.A. 559 .

Sénat : 11 et 61 (2000-2001).

Entreprises .

INTRODUCTION

Mesdames,

Messieurs,

Grande ambition, principe économique élevé au rang de philosophie politique, troisième voie vers la réconciliation des intérêts, contradictoires aux yeux de certains, des deux principaux facteurs de production que sont le capital et le travail, outil de modernisation sociale et économique, facteur de croissance économique, élément central d'un nouveau contrat social, l'épargne salariale et, au-delà, l'ensemble des dispositifs propres à assurer un véritable partenariat social aura mobilisé les énergies et nourri les espérances.

Annoncé à grand renfort de tambours et trompettes, maintes fois reporté, précédé de longues consultations et études, le présent projet de loi se veut la pierre angulaire d'un renouveau, l'apport de la majorité plurielle à cette grande oeuvre de la participation ouverte par le général de Gaulle.

Les objectifs affichés ne manquent pas et sont tous ô combien justifiés : inciter davantage les entreprises à mettre en place des accords proposant les outils de l'intéressement, de la participation et de l'épargne salariale à leurs salariés ; revoir les mécanismes d'implication des salariés actionnaires ; ouvrir l'épargne salariale vers des placements solidaires ; créer un nouvel outil d'épargne longue, le plan partenarial d'épargne salariale volontaire.

Votre commission a souhaité adopter une position pragmatique, animée par le double souci de perfectionner et de simplifier les propositions du gouvernement modifiées par l'Assemblée nationale, et de renouveler les différentes propositions que le Sénat avait été conduit à formuler l'année dernière sur le même thème.

Ainsi, n'entend-elle pas entrer dans les débats assez peu significatifs portant sur l'assimilation ou non du PPESV à un produit de retraite. Elle considère que la question de la retraite est à la fois trop grave et trop urgente pour être traitée par le biais d'un instrument imparfait, fruit d'un compromis, qui, à hésiter entre des objectifs inconciliables, n'en atteindrait aucun.

Votre commission invitera donc le Sénat à prendre toutes ses responsabilités et, conformément à ses précédents votes, à intégrer à ce projet de loi un nouveau titre proposant la mise en place de véritables plans d'épargne retraite.

De la participation à la retraite, en passant par l'épargne salariale et l'intéressement, le Sénat pourra ainsi embrasser de manière cohérente, simplifiée et, exhaustive l'ensemble du champ des relations nouées entre le capital et le travail au delà du rapport salarial, et tenter d'extraire ce texte des contingences plurielles contradictoires qui l'ont affecté.

I. L'AMBITION PARTAGÉE : REDONNER UN NOUVEL ÉLAN À L'ÉPARGNE SALARIALE

Domaine où la France est en pointe en Europe, la participation des salariés constitue réellement une ambition partagée par tous. De ce point de vue, cette idée ancienne qui puise ses racines dans une tradition ouvrière née des débuts de la société industrielle, a abouti, notamment grâce à l'impulsion décisive du général de Gaulle et à la relance significative des ordonnances de 1986 préparées par le gouvernement de M. Jacques Chirac, à un dispositif extrêmement complet mais qui commence à rencontrer un certain nombre de limites. L'ambition reste la même, associer travail et capital, depuis 1959. Il s'agit seulement d'en assurer à nouveau la promotion et le développement.

A. L'EXEMPLE FRANÇAIS

1. Une idée ancienne

Le XIXème siècle français voit fleurir, au fur et à mesure du développement de la société industrielle, à la fois les théories et les expérimentations destinées à unir salariés et chefs d'entreprise, à " substituer à cette relation conflictuelle une relation de solidarité dans l'entreprise dans le but de transformer les travailleurs, de salariés qu'ils sont, en partenaires ou en associés qu'ils doivent devenir " 1 ( * ) .

Le temps des théories

Initialement, l'actionnariat salarié est apparu comme une réponse théorique aux contradictions de l'économie capitaliste naissante. Mais, paradoxalement, c'est également le point de rencontre de différentes doctrines aux orientations politiques divergentes même si l'ampleur de l'association entre capital et travail reste variable selon ces différentes doctrines. Schématiquement, on peut en effet distinguer trois courants théoriques :

- le courant " utopiste " est sans doute le plus radical. Il propose de dépasser l'opposition entre capital et travail par une nouvelle organisation de la relation salariale fondée sur l'association. Ainsi, Charles Fourier avait préconisé le partage des revenus en quatre douzièmes pour le capital, trois pour les talents et cinq pour le travail. Louis Blanc dans son ouvrage L'organisation du travail en 1840 , propose la création d'ateliers sociaux financés par l'Etat et par le capital privé dans lesquels les bénéfices seraient répartis en trois parts : l'une pour les membres de l'association, l'autre à vocation sociale, la dernière pour la rémunération des capitaux privés. Pierre-Joseph Proudhon a sans doute poussé le plus loin l'idée d'association dans sa théorie mutualiste et fédéraliste de la propriété. Ainsi, dans son Idée générale de la révolution au XIX ème siècle , il écrit : " De deux choses l'une : ou le travailleur, nécessairement parcellaire, sera simplement le salarié du propriétaire capitaliste-entrepreneur ; ou bien il participera aux chances de perte et de gain de l'établissement, il aura voix délibérative au conseil, en un mot, il deviendra associé ".

- le courant " humaniste " exprime l'idée que la participation permet d'assurer la dignité de l'homme au travail. Il est proche de la doctrine sociale de l'Eglise qui a recommandé l'association des salariés dans l'entreprise dès l'Encylique Rerum novarum de Léon XIII en 1891.

- le courant " productiviste " fait de la participation aux résultats, voire de l'association au capital un facteur d'amélioration quantitative et qualitative des résultats de l'entreprise par la motivation des salariés et est illustré notamment par les saint-simoniens comme Michel Chevalier, Armand Bazard ou Prosper Enfantin.

La richesse du débat théorique ne doit cependant pas cacher la virulence de l'opposition à l'idée d'association. A Proudhon qui affirme, dans son Manuel d'un spéculateur à la Bourse , que " rendre l'ouvrier copropriétaire de l'engin industriel et participant aux bénéfices au lieu de l'y enchaîner comme un esclave, qui oserait dire que telle ne soit pas la tendance du siècle ? ", Paul Leroy-Beaulieu répond, dans La question ouvrière au XIX ème siècle , que " le régime des primes est infiniment supérieur au régime de la participation. Il en offre tous les avantages et en repousse tous les inconvénients ; il stimule l'ouvrier par la perspective d'un gain assuré, il ne lui fournit aucun prétexte d'immixtion dans la gestion de l'entreprise ".

Aussi, ce sont ces oppositions qui permettent de mieux comprendre le faible nombre et la lenteur des expériences d'actionnariat des salariés.

Source : Jean Chérioux, L'actionnariat salarié : vers un véritable partenariat dans l'entreprise , rapport au nom de la commission des affaires sociales, Sénat, n° 500, 1998-1999

Cependant, si l'on met à part la loi du 18 décembre 1915 sur les coopératives ouvrières de production et celle du 26 avril 1917 sur les sociétés anonymes de participation ouvrière, le législateur intervint peu dans ce débat et le début du XXème siècle marque un recul des idées comme des réalisations visant à une meilleure association du capital et du travail. Il faut dire que ces idées souffraient de la violente opposition des théories marxistes et du caractère par trop utopiste ou paternaliste des premières expérimentations.

Le discours du général de Gaulle aux mineurs de Saint-Etienne le 4 janvier 1948 relance le débat en lançant la grande idée de l'association : " La rénovation économique de la France et, en même temps, la promotion ouvrière, c'est dans l'Association que nous devons les trouver ". Elle portait essentiellement sur les rémunérations, en déterminant un mode de fixation de celles-ci, unique du plus bas au plus haut de l'échelle, et lié de la même manière aux résultats de l'entreprise. Cela permettait aussi, dans l'esprit gaulliste, de renouveler les rapports sociaux et de redonner aux travailleurs toute leur dignité. La participation était alors surtout une association du salarié, à la fois au capital, à la gestion et aux résultats. Dans ce cadre, l'association, devenue participation par la suite, devenait une véritable troisième voie, ainsi que l'exprimait le général de Gaulle le 7 juin 1968 : entre le communisme et le capitalisme, " il y a une troisième voie : c'est la participation qui, elle, change la condition de l'homme au milieu de la civilisation moderne ".

Le retour au pouvoir du général de Gaulle en 1958 permet une concrétisation législative et juridique de ces idées. Depuis, le législateur n'a cessé de se pencher sur le thème de la participation.

Principaux textes législatifs intervenus depuis quarante ans

Ordonnance du 7 janvier 1959

Création de l'intéressement (1)

Ordonnance du 17 août 1967

Création de la participation

Loi n° 73-1197 du 27 décembre 1973

Harmonisation des dispositifs

Loi de finances pour 1974

Réforme de la PPI

Loi de finances pour 1985

Réforme de la PPI

Loi n° 73-1196 du 27 décembre 1973

Plans d'actionnariat

Loi du 24 octobre 1980

Distribution de 3 % du capital

Loi de finances pour 1984

Création de fonds salariaux

Ordonnance du 21 octobre 1986

Simplification, harmonisation et incitation

Loi du 7 novembre 1990

Correction de l'ordonnance de 1986

Loi du 25 juillet 1995

Correction de l'ordonnance de 1986

(1) Instauré pour la première fois par le décret du 20 mai 1955.

Source : Jean-Pierre Balligand / Jean-Baptiste de Foucauld : rapport au Premier ministre sur l'épargne salariale, janvier 2000.

Ces principaux textes ont mis en place un dispositif extrêmement complet bâti autour de sept grands dispositifs.

* 1 Jean Chérioux, L'actionnariat salarié : vers un véritable partenariat dans l'entreprise , rapport au nom de la commission des affaires sociales, Sénat, n° 500, 1998-1999.

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