B. L'ENJEU STRATÉGIQUE DES TÉLÉCOMMUNICATIONS SPATIALES

1. Le développement considérable des technologies spatiales constitue un enjeu géopolitique majeur

De profondes mutations ont touché le secteur spatial au cours des dernières années qui en modifient les enjeux stratégiques.

Le développement des télécommunications

Alors qu'il était perçu à l'origine comme un mode d'expression de la puissance stratégique et militaire, l'espace est devenu aujourd'hui un instrument de domination économique et culturelle.

L'élément déterminant de cette évolution est le recours de plus en plus fréquent à l'espace pour les télécommunications et l'audiovisuel grâce aux nouvelles possibilités techniques offertes par les satellites.

Des progrès technologiques déterminants ont, en effet, amélioré les performances des satellites, leur permettant de prendre une place considérable dans les télécommunications mondiales.

Ces évolutions technologiques ont porté tant sur les satellites eux-mêmes, dont la masse a été allégée et la puissance augmentée, que les modes d'acheminement des données grâce à la numérisation de l'information.

En effet, en matière de diffusion directe de programmes de télévision, les satellites -en particulier les satellites géostationnaires- prennent une importance croissante à côté des moyens de diffusion terrestre, réseaux hertziens ou réseaux câblés.

Dans le domaine de la téléphonie mobile, les satellites offrent des multiples services d'ampleur croissante. Ces systèmes, capables d'offrir des services de téléphonie et transmissions de données à bas débit, sont proposés par les premières constellations de satellites à orbite basse ou moyenne, à l'image de celles mises en oeuvre par Motorola (système Iridium) et Loral (système Globalstar).

Les difficultés du système IRIDIUM, bien que fortement financé par le département américain de la défense, sont connues. Pour Globalstar, la situation reste encore indécise.

Enfin, les constellations de satellites de la seconde génération permettant d'acheminer des communications interactives multimédia répondent aux importants besoins liés à l'entrée dans la société de l'information, avant que les câbles à fibre optique ne puissent remplacer partout et dans tous les pays les câbles téléphoniques classiques.

L'ouverture à la concurrence du marché mondial des télécommunications confère à ces progrès technologiques une importance économique déterminante, dans un contexte d'explosion des nouveaux services qui a conduit entre 1990 et 1995 à un doublement des opérations de télécommunications dans le monde, et d'émergence de nouveaux marchés, en particulier en Asie et en Amérique latine.

Le marché des télécommunications spatiales devrait en effet connaître, au cours des années à venir, un développement considérable.

Selon les estimations de la banque Meryll Lynch, le secteur qui connaîtra l'augmentation la plus forte sera celui de la diffusion audiovisuelle.

Les abonnés à des services de télévision devraient en effet être, dans dix ans, 62 millions contre 37 millions aujourd'hui et le chiffre d'affaires dégagé par ce secteur devrait passer de 60 milliards à 150 milliards.

Les services multimédia (infrastructure Internet et accès à Internet), qui n'en sont qu'à leur début, devraient avoisiner un chiffre d'affaires de 7 milliards de francs d'ici 2002, contre 600 millions de francs aujourd'hui. La demande en ce domaine est en très forte croissance, les analyses de marché indiquant que 200 millions d'utilisateurs pourraient en bénéficier dès 2000, et leur nombre pourrait atteindre 400 à 500 millions en 2005.

Les télécommunications mobiles, secteur encore assez modeste, représenteraient un chiffre d'affaires de 84 milliards de francs.

Il importe de souligner que, pour ces deux derniers secteurs, l'accroissement de l'activité résultera, pour partie, de la mise en service des systèmes satellitaires en orbite basse et, pour autre partie, du grand développement des services liés aux satellites géo-stationnaires.

Votre rapporteur estime que ces chiffres sont sous-évalués car les évolutions seront plus rapides pour les services multimédia interactifs. A cet égard, il s'inquiète des conséquences entraînées par le fait que les systèmes de satellites existants, de caractère international (INMARSAT, EUTELSAT, etc.), risquent d'être privatisés au profit de groupes qui pourraient avoir des centres de décision extraeuropéens.

Une relative faiblesse des projets français et européens, à l'exception de Skybridge

Si les européens conservent une position relativement satisfaisante dans le domaine des satellites géostationnaires, (sous réserve de la remarque liée à la précarisation possible de certains d'entre eux) celle-ci apparaît nettement plus fragile en ce qui concerne les systèmes satellitaires multimédia en orbite basse.

En effet, à côté du projet américain Teledesic, fortement appuyé par Motorola, Boeing et les programmes de recherche duale aidés financièrement par le Pentagone, il n'existe qu'un seul projet européen, le programme Skybridge. La mise en place de ce programme représente un investissement de l'ordre de 4,2 milliards de francs, pour un nombre estimé de 20 millions d'utilisateurs.

Ce projet a eu de grandes difficultés à obtenir l'affectation des fréquences nécessaires lors des débats internationaux au sein de l'UIT, agence spécialisée chargée de gérer la répartition des fréquences, du fait de la pression exercée par les Etats-Unis.

Par ailleurs, son financement, comme sa réalisation technique, comportent encore de nombreuses incertitudes.

Or, la concurrence est en ce domaine particulièrement vive. Si seul le projet américain Teledesic subsistait, une menace de monopole mondial se préciserait cette perspective serait inadmissible et l'OMC devrait y veiller.

En effet, ayant vocation à couvrir l'ensemble du globe, cette constellation est composée de 196 satellites qui se caractérisent par un accès direct à Internet sans passer par une quelconque station terrestre. Ce programme, du fait de ses caractéristiques techniques, permettrait de construire un réseau mondial autonome totalement indépendant des opérateurs nationaux.

Il s'agit d'un domaine qui concerne à terme 50 % du PIB mondial. L'Europe doit prendre en ce domaine des initiatives alors qu'une stratégie efficace et déterminée est soutenue par la puissance publique américaine. En effet, l'essentiel des dépenses liées aux logiciels du projet Télédesic est financé par des retombées des programmes militaires, comme ceux liés au projet de " guerre des étoiles ", même s'il n'existe pas de financement public direct.

Face à de tels projets, une politique d'expérimentation et de veille technologique ne peut suffire et une initiative politique forte de la France au Conseil européen s'impose pour qu'un programme stratégique doté d'un budget adapté soit mis en place. Il semble même qu'un programme de recherche stratégique militaire européen doive être mis en place, puisque l'intégration des industries d'armement est en cours en Europe.

2. L'effort de recherche consenti en ce domaine reste très insuffisant

Le rapporteur partage l'avis du ministre sur la nécessaire réorientation de la politique spatiale française, qui doit concentrer les moyens budgétaires sur les applications terrestres ; mais l'effort de recherche français, et surtout européen, demeure encore notoirement insuffisant.

La mise en oeuvre des nouveaux systèmes de télécommunications spatiales exige d'importants programmes de recherche , notamment dans le domaine des logiciels, dont le financement ne peut être assuré par les seuls opérateurs privés.

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