II. LA RÉFORME DES RETRAITES EN RESTE À DE LA POUDRE AUX YEUX
La
branche vieillesse connaît depuis 1998 un très fort redressement
de son solde qui est passé d'un déficit de 5,4 milliards de
francs en 1997 à une prévision d'excédent de
6,5 milliards de francs en 2000. Ce redressement résulte de la
conjugaison de plusieurs phénomènes :
• les réformes entreprises en 1993 de mode de calcul et de
revalorisation des pensions commencent à porter leurs fruits ;
• les évolutions démographiques contiennent les
dépenses sur des rythmes décroissants (3,8 % de hausse en
1998, 2,3 % en 2000) même s'ils restent élevés ;
• la branche a bénéficié de très fortes
recettes dues notamment au mode de calcul de la CSG et aux bonnes
rentrées des ressources tirées des revenus du patrimoine (5 % de
hausse en 1999).
Les deux derniers facteurs sont cependant purement conjoncturels et le projet
de loi de financement utilise d'ores et déjà ces marges de
manoeuvre passagères pour augmenter les dépenses
(revalorisations) et diminuer les recettes (financement des 35 heures) sans
engager la réforme en profondeur des régimes de retraite tant
attendue et annoncée.
A. L'AFFECTATION DES EXCÉDENTS DE LA CNAVTS À LA COQUILLE VIDE ET ERRANTE DU FONDS DE RESERVE POUR LES RETRAITES
L'article 10 du projet de loi de financement prévoit l'affectation au fonds de réserve pour les retraites des excédents à venir de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés et en organise le versement.
1. Le fonds de réserve : une coquille vide sans mission ni ressources
a) Un fonds à l'existence virtuelle
Créé au sein du Fonds de solidarité
vieillesse
par l'article 2 de la loi de financement de la sécurité sociale
pour 1999 (deuxième alinéa de l'article L. 135-1 du code de la
sécurité sociale) sous la forme d'une deuxième section, le
fonds de réserve devait permettre de préparer l'avenir des
régimes de retraite par répartition. Cependant, dix mois
après sa naissance, il ne dispose ni de ressources précises, ni
de missions déterminées. Sa création a fait l'objet de
commentaires critiques de la part de vos commissions des affaires sociales et
des finances.
Les missions du fonds de réserve ne sont pas indiquées dans la
loi. Celle-ci dispose seulement que le fonds est créé au
bénéfice de la branche vieillesse du régime
général et des régime alignés. Deux options sont
théoriquement possibles : le fonds de réserve peut avoir
pour but, soit de lisser simplement l'augmentation future des cotisations
d'assurance vieillesse, soit d'engendrer des revenus suffisants pour minorer
durablement le niveau futur des cotisations. Dans le premier cas, le montant
visé s'exprime en centaines de milliards de francs. Dans le second cas,
il s'exprime en milliers de milliards de francs.
Par ailleurs, rien n'est aujourd'hui connu des modalités de gestion du
fonds. Or les sommes en cause seront considérables et leur gestion devra
faire l'objet à la fois d'un professionnalisme à toute
épreuve mais aussi de garanties strictes pour limiter les effets pervers
de ce qui sera le premier fonds de pension français : un fonds de
pension aux mains de l'Etat. La parution fin octobre d'un décret
élargissant le comité de surveillance pour tenir compte des
nouvelles missions ne permet pas de donner une existence effective au fonds.
b) Un fonds aux vraies ressources encore inconnues
Ont par
ailleurs été mises en cause les modalités de financement
particulièrement complexes du fonds et les incertitudes qui
pèsent sur les sommes effectivement disponibles. La loi de financement
pour 1999 a en effet prévu d'affecter au fonds de réserve une
fraction du produit de la contribution de solidarité sur les
sociétés (C3S), tout ou partie des excédents
éventuels du FSV et toute autre ressource affectée en vertu de
dispositions législatives. Lors des débats, la possibilité
d'une affectation du produit des privatisations et celle d'une surcotisation
ont été aussi évoquées par le Gouvernement.
Le Gouvernement avait indiqué qu'il affecterait au fonds 2 milliards de
francs en 1999 au titre des excédents de la C3S. Cependant, du fait de
la non parution des décrets d'application, rien n'est encore
réalisé.
A ces deux milliards de francs d'excédent de la C3S pourraient s'ajouter
trois à quatre milliards de francs provenant toujours de la C3S ainsi
que 4 milliards de francs issus du produit de la souscription des parts
sociales des caisses d'épargne et l'excédent de la branche
vieillesse du régime général, soit environ trois milliards
de francs.
Ce fonds devrait donc atteindre en 2000 un montant d'une quinzaine de milliards
de francs, soit à peine 0,16 % du PIB. Le Programme pluriannuel de
finances publiques de décembre 1998 prévoyait qu'à
l'horizon 2002 l'actif du fonds de réserve des retraites
s`établirait à 0,8 % du PIB avec une hypothèse de
croissance économique à 2,5 % et à 1,6 % avec
une hypothèse de croissance économique à 3 %.
Or, Jean-Michel Charpin évalue les sommes nécessaires à
" au moins trois points de PIB " en cas de fonds de lissage et
à " au moins dix points de PIB " pour un apport permanent de
revenus. Il faudrait donc une dotation entre 18 et 62 fois plus importante que
celle qui nous est proposée pour 2000. A plus long terme, l'OCDE estime
que les pensions de la période 1994-2070 ne sont pas financées
à hauteur de 100 % du PIB de 1994 et pour l'ensemble du siècle
prochain on peut évaluer l'impasse financière des retraites
à une somme comprise entre 50 et 300 % du PIB de 1998. L'actif du fonds
est manifestement hors de proportion avec les montants nécessaires.
Votre commission des finances estime toujours que plutôt que de
créer un fonds de réserve pour provisionner ces engagements de
hors-bilan de l'Etat, le Gouvernement aurait été mieux
inspiré de procéder directement à un désendettement
de l'Etat et de la sécuritésociale (CADES) : cette solution
aurait été équivalente d'un point de vue économique
et aurait évité l'étatisme qui préside à
l'instauration de ce fonds.
Ainsi, appelé à se prononcer dans l'urgence, le Parlement a
adopté la création d'un fonds dont, dix mois après, il ne
connaît ni la mission exacte (lisser ou se substituer), ni le mode de
fonctionnement (qui le gérera), ni les moyens qui lui seront
affectés. Il relève d'une volonté d'affichage qui ne
débouche aujourd'hui rien : le fonds de réserve est purement
virtuel.
Les problèmes des retraites, eux, ne le sont pas.
2. Un fonds de réserve déjà privé de ses réserves (article 10)
a) Le dispositif proposé...
L'article 10 du projet de loi de financement de la
sécuritésociale organise l'affectation des excédents de la
CNAVTS au fonds de réserve à partir de 1999.
Il indique que seront transférés au fonds les excédents de
tous les régimes dont la CNAVTS a la gestion, sauf celui des agents de
chemin de fer secondaires car il s'agit d'un régime spécial donc
situé hors du champ du fonds de réserve. L'article prévoit
la possibilité d'une provision en cours d'exercice pour ne pas attendre
la clôture des comptes. Un arrêté interministériel en
fixe alors le montant.
Pour l'an prochain, le fonds de réserve devrait donc recevoir aux termes
de l'article 10 du projet de loi de financement :
• les excédents de l'exercice comptable de la CNAVTS pour 1999,
soit 4,396 milliards de francs ;
• une provision de 2,9 milliards de francs à valoir sur les
excédents de l'exercice 2000.
b) ... reste bien en deçà des possibilités d'abondement
Les
ressources du fonds de réserve seront constituées à partir
de cette année de quatre catégories de recettes :
• une fraction des excédents disponibles de la contribution
sociale de solidarité à la charge des sociétés
(C3S) ;
• une partie des excédents de la section de solidarité du
fonds de solidarité vieillesse ;
• les excédents de la CNAVTS ;
• toute autre ressource déterminée par voie
législative.
Or pour 2000, ne viendront pour l'instant s'ajouter aux 2 milliards de francs
de solde de la C3S qui devraient être affectés en 1999 :
58(
*
)
• 6,996 milliards au titres des excédents de la CNAVTS pour 1999
et de la provision pour ceux de 2000 (2,9 + 4,096) ;
• 4 milliards de francs au titre de la vente des parts de caisse
d'épargne ;
• 5,6 milliards prélevés sur les régimes sociaux par
le biais du prélèvement social.
Cependant, le Gouvernement disposait de bien plus de catégories de
ressources, pour se conformer aux principes énoncés par le
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie lors de la
discussion sur le projet de loi sur l'épargne te la
sécurité financière au Sénat le 6 mai 1999 :
" Nous commençons à alimenter le fonds d'épargne
et nous continuerons avec des excédents de sécurité
sociale qui ne manqueront pas d'apparaître l'année
prochaine. "
En réalité, le Gouvernement fait l'impasse sur plus de 19
milliards de francs de recettes potentielles :
Les recettes sociales du fonds de réserve pour les retraites en 2000 : théorie et pratique
(en milliards de francs)
|
Montants prévus par les prévisions de la Csion des Comptes (1) |
Montants prévus après déduction des mesures contenues dans le PLFSS |
Montant versé au fonds de réserve
|
Ecart
|
Perte des revenus occasionnés par le PLFSS et le PLF |
- Au titre de la C3S |
4,1 |
3,1 * |
- |
- 4,1 |
1 * |
- Au titre de l'excèdent de la première partie du FSV |
8,4 |
2,8 |
- |
- 8,4 |
5,6 |
- Au titre de l'excèdent de la CNAVTS |
6,5 |
5,55 |
2,9 |
- 3,6 |
0,095 |
- Au titre de l'excèdent de la CNAF |
2,55 |
1,4 |
- |
- 2,55 |
1,15 |
- Au titre de l'ensemble des régime sociaux |
5,6 |
5,6 |
5,6 |
- |
- |
- Au titre de l'excédent des accidents de travail |
0,65 |
0,59 |
- |
- 0,65 |
0,06 |
Total 2000 annoncé |
27,8 |
25,64 |
8,5 |
- 19,3 |
8,66 |
*
prélèvement de un milliard de francs au profit du BAPSA
prévu en loi de finances.
Plus grave encore, le Gouvernement prive le fonds de réserve de
plusieurs sources de son financement pour un montant total en 2000 de 6,6
milliards de francs, et pour 12 milliards de francs par an à partir de
2001.
Dans le projet de loi de finances, il a décidé de prélever
un milliard sur les produits de la C3S en faveur du BAPSA, alors que le solde
de C3S sert justement à abonder le fonds de réserve.
De plus, pour financer le passage aux 35 heures, il prélève
5,6 milliards de francs de recettes du FSV au titre des droits sur les
alcools. Or ce prélèvement viendra diminuer d'autant
l'excédent du FSV et donc le montant affecté au fonds de
réserve sur les retraites. Le financement des 35 heures viendra
donc en partie fragiliser davantage le système mis en place pour venir
en aide aux régimes par répartition.
Pour 2000, le Gouvernement propose de geler les conséquences de cette
affectation sur le fonds de réserve par celle des 5,6 milliards de
francs qui devaient être prélevés sur les organismes de
sécurité sociale. Cette solution provisoire n'est pas
satisfaisante. D'une part l'affectation au fonds de réserve devrait
être cumulative : les 5,6 milliards de francs des organismes de
sécurité sociale comme ceux du FSV devaient se retrouver dans le
fonds de réserve ; il n'y en aura bien que la moitié.
D'autre part, cela ne règle rien pour l'avenir . En effet, la
dynamique des 35 heures devrait exiger, de l'aveu même du Gouvernement,
un prélèvement de 12 milliards de francs sur le FSV qui viendra
minorer d'autant l'affectation au fonds de réserve.
Le Gouvernement fait donc le choix des 35 heures plutôt que celui du
fonds de réserve qui, décidément, relève du voeu
pieux, de l'affichage politique, de la poudre aux yeux.
Au total, le projet de loi de financement et le projet de loi de finances
affecteront 12,5 milliards de francs (4 + 2,9 + 5,6) au fonds de
réserve, tout en le privant de 6,6 milliards de francs de recettes
: le solde paraît bien maigre par rapport aux annonces et aux
besoins.