N°
324
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Annexe au procès-verbal de la séance du 28 avril 1999
AVIS
PRÉSENTÉ
au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur le projet de loi portant réglementation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques ,
Par M.
Yann GAILLARD,
Sénateur.
(1)
Cette commission est composée de :
MM. Alain Lambert,
président
; Jacques Oudin, Claude Belot, Mme Marie-Claude
Beaudeau, MM. Roland du Luart, Bernard Angels, André Vallet,
vice-présidents
; Jacques-Richard Delong, Marc Massion,
Michel Sergent, François Trucy,
secrétaires
; Philippe
Marini,
rapporteur général
; Philippe Adnot, Denis
Badré, René Ballayer, Jacques Baudot, Mme Maryse
Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin,
Gérard Braun, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Jean
Clouet, Yvon Collin, Jean-Pierre Demerliat, Thierry Foucaud, Yann Gaillard,
Hubert Haenel, Claude Haut, Alain Joyandet, Jean-Philippe Lachenaud, Claude
Lise, Paul Loridant, Michel Mercier, Gérard Miquel, Michel Moreigne,
Joseph Ostermann, Jacques Pelletier, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Henri
Torre, René Trégouët.
Voir les numéros :
Sénat : 555
(1997-1998) et
319
(1998-1999).
Vente aux enchères. |
LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION DES FINANCES
A l'initiative de M. Yann Gaillard, rapporteur pour avis, la commission des finances a adopté, en liaison avec le rapporteur de la commission des lois, une série d'amendements relatifs aux aspects fiscaux et budgétaires du projet de loi portant réglementation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques.
• Indemnisation :
La
commission a souhaité mettre en place de nouvelles modalités
d'indemnisation, prévoyant, dans les limites des possibilités
d'initiative du Parlement en matière financière, un
système à la fois plus juste et plus rapide de
détermination et de versement de l'indemnité.
Les commissaires-priseurs pourront demander d'être indemnisé soit
au " "réel ",
en fonction du préjudice
effectivement subi, compte tenu de la valeur des actifs restant en leur
possession, soit
au " forfait ",
en retirant dans ce cas 50 %
de la valeur de l'étude, calculée suivant la méthode du
projet de loi.
• Accompagnement fiscal des restructurations
Soucieuse d'assurer la neutralité fiscale de la réforme, la commission a préconisé une série de mesures comportant des possibilités de report d'imposition en vue de faciliter les opérations de restructurations imposées par le projet de loi et, en particulier, celle de l'Hôtel Drouot , plate-forme indispensable à la vitalité du marché parisien .
• Régime fiscal de l'indemnité :
Dans un
souci de clarification et d'encouragement à l'adaptation des
professionnels aux nouvelles conditions de concurrence, la commission des
finances a proposé de
soumettre l'indemnité à
l'impôt au taux des plus-values professionnelles à long
terme
; ce régime est assorti de possibilités de report
pour les commissaires-priseurs qui investissent ou d'exonération pour
ceux qui sont encore endettés, ce qui devrait
améliorer la
situation des commissaires-priseurs, récemment installés
.
•
Suppression de la taxe sur les ventes
:
Enfin, dans la perspective de la relance du marché de l'art en France et
notamment en vue de rendre à Paris sa place sur le marché
mondial, il est prévu la suppression de la taxe sur les ventes, qui est
apparue inutile dans la mesure où les crédits budgétaires
sont déjà réservés, et préjudiciable
à la compétitivité des sociétés de ventes
aux enchères.
La commission a également souligné l'importance du contexte
fiscal et juridique du point de vue de la compétitivité des
opérateurs, tout en indiquant que l'installation des grandes maisons de
vente anglo-saxonnes allait sans doute accentuer la tendance à la sortie
des oeuvres et qu'il fallait prendre d'urgence des mesures fiscales pour
endiguer l'hémorragie que constituent des exportations d'oeuvres d'art
d'un montant de l'ordre de 3 milliards de francs par an.
INTRODUCTION
Le
présent projet de loi portant réglementation des ventes
volontaires de meubles aux enchères
publiques prend la suite de
celui déposé le 9 avril 1997 (n° 3495
Xème législature), rendu caduc par la dissolution de
l'Assemblée nationale.
Bien que l'objet soit identique, l'état d'esprit apparaît
sensiblement différent entre les deux textes. S'il s'agit toujours bien
d'adapter l'organisation de ventes publiques aux exigences du Traité de
Rome relatives à la libre prestation de services et à la
liberté d'établissement et donc de supprimer le monopole dont
bénéficient les commissaires-priseurs, le volet indemnisation est
modifié de façon très sensible avec l'abandon de toute
ambition véritable en matière de modernisation.
La commission des finances a décidé de se saisir pour avis de
l'aspect financier de ce texte (articles 35 à 43), dont elle avait
déjà eu à connaître lors de la loi de finances
rectificative pour 1998, où sont inscrits 450 millions de francs de
crédits pour l'indemnisation des professions concernées par la
réforme des ventes publiques. Une telle inscription par anticipation
était alors apparue contestable sur le plan de l'annualité
budgétaire dans la mesure où il était évident que
ces crédits ne pourraient pas être dépensés en 1998
et ne le seront sans doute pas en 1999.
Le présent texte ne fait pas partie des priorités du
Gouvernement. Celui-ci n'a pas cru bon de reprendre les ambitions
affichées par le texte de 1997.
Et pourtant, le marché de l'art est, au-delà des chiffres, qu'il
s'agisse de l'emploi ou du chiffre d'affaires, important pour un pays qui, par
ailleurs, investit autant d'argent public dans le fonctionnement de ses
musées et l'aide à la création contemporaine.
Beaucoup de temps a déjà été perdu, ce qui
compromet la capacité des commissaires-priseurs à faire face
à la concurrence très rude qu'ils vont subir avec
l'arrivée sur le marché français des grandes maisons de
vente anglo-saxonnes.
Limitée dans ses initiatives financières par les textes à
valeur constitutionnelle, la commission des finances a voulu, d'une part,
proposer un système de nature à simplifier et donc à
accélérer le paiement des indemnités et, d'autre part,
encourager, sur le plan fiscal, des restructurations, à la fois
indispensables économiquement et nécessaires juridiquement.
Enfin, par cohérence avec son analyse juridique qui fait de
l'indemnité la conséquence d'une expropriation et non de la
nécessité de compenser la dépréciation d'un droit
maintenu, par cohérence, également, avec son diagnostic
économique, qui souligne le différentiel de charges dont
pâtit le marché de l'art français, votre commission des
finances vous propose de supprimer la taxe sur le ventes qui doit financer
l'indemnisation des commissaires-priseurs.
I. LES DONNÉES INSTITUTIONNELLES ET ÉCONOMIQUES
A en
juger par les statistiques et au delà des individualités
auxquelles l'euphorie de la fin des années 80 a permis de se mettre en
valeur, la profession de commissaires-priseurs est restée globalement
figée dans l'attente d'une réforme sans cesse repoussée.
Il a fallu que l'Union européenne vienne, à l'initiative des
grandes sociétés de ventes aux enchères anglo-saxonnes,
accentuer sa pression pour obliger la France à mettre ses structures
à l'heure internationale.
A. UNE PROFESSION EN ORDRE DISPERSÉ
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offices, dont 68 à Paris, ces seuls chiffres sont significatifs de la
dispersion de la profession. Le secteur paraît encore plus
atomisé, lorsque l'on prend en considération des chiffres de
l'emploi : on y compterait
environ 2 000 personnes
;
hormis quelques rares exceptions à Paris, les offices n'emploient que
peu de salariés, nombre d'entre eux étant même sans
salariés.
Cette stabilité est d'autant plus surprenante qu'elle a figé une
profession aux structures héritées du siècle dernier, au
moment où les règles du jeu du marché de l'art changeaient
de façon évidente pour tous.
En dépit de quelques " coups " savamment orchestrés il
y a une dizaine d'années, pendant des années de folle
spéculation, la profession apparaît distancée par ses
concurrents.
Pendant que les entreprises anglo-saxonnes étendaient leur réseau
et donc leur pouvoir sur le marché mondial, les commissaires-priseurs
ont eu plutôt tendance à se faire concurrence entre eux, sans voir
que cette compétence nationale qu'ils se disputaient, était
déjà passée, en sous-main, sur le territoire national
à leurs deux grands concurrents.
1. L'évolution des structures freinée par l'attente de la réforme
Une évolution des structures n'est perceptible que pour trois régions : Paris, l'Île-de-France et la région Rhône-Alpes.
Sociétés d'exercice libéral à responsabilité limitée de la loi du 31 décembre 1990
Bien
que, très tôt, le statut d'officier ministériel ait
été perçu, par nombre d'observateurs
1(
*
)
, comme un carcan, on a longtemps cru
que l'on pouvait se contenter d'aménagements limités des
règles d'exercice de la profession, et, notamment, qu'il suffisait de
trouver des statuts permettant de lever des capitaux.
La profession apparaît victime, en définitive, de la confortable
protection que lui assurait un monopole légal, que, dans l'ensemble,
elle a plus cherché à prolonger qu'à faire évoluer.
Une fois de plus, un privilège s'est progressivement transformé
en handicap.
2. Un marché en croissance plus rapide pour la province que pour Paris
La concurrence est surtout franco-française. Le tableau ci-dessous montre que la croissance du marché français des ventes publiques qui a connu un taux d'accroissement de presque 6 % depuis 1987 - mais une relative stagnation depuis 1991 - a plus profité à la province qu'à la capitale.
Le
tableau témoigne d'un certain tassement de la place de Paris depuis
1987. La compagnie des commissaires-priseurs de Paris perd plus de 6% en termes
de part de marché, passant de 46,76 % en 1987 à 40,47 % en 1997.
Le taux de croissance du chiffre d'affaires de Paris est d'ailleurs
inférieur de moitié à celui de la compagnie de la
région Lyon Sud-Est et plus nettement encore à celui de la
compagnie Anjou-Bretagne, dont le taux de croissance dépasse 12,5 % par
an.
L'examen des chiffres globaux confirme cette tendance. Ainsi, les ventes des
commissaires-priseurs parisiens sont passées en dix ans, de 1987
à 1997, de l'indice 100 à l'indice 155, contre l'indice 200 pour
les ventes dans le reste de la France, qui ont atteint plus de 5 milliards de
francs, soit un point haut historique, supérieur de 400 millions au
niveau de 1990.
La province a donc mieux résisté que Paris
à la crise.
Comment expliquer cette différence ? Il faut d'abord souligner que
le marché parisien est sans doute assez différent de celui du
reste de la France. D'un côté, il y a un marché
concentré géographiquement, ouvert sur l'extérieur,
naturellement plus spéculatif ; de l'autre, un ensemble de petits
marchés locaux, qui sont restés relativement à l'abri de
la vague spéculative de la fin des années 80, mais qui se sont
trouvés, également, épargnés par le reflux brutal
qui a suivi.
Il faut souligner - et cette remarque est également importante, lorsque
l'on analyse la place du marché français sur le plan mondial -
que les chiffres d'affaires publiés par les commissaires-priseurs
français sont sans doute plus hétérogènes du point
de vue de la nature des lots vendus.
Il n'y a pas que des oeuvres d'art dans le chiffre d'affaires ; cette
proportion serait de 80% pour Paris et 60% pour la province, pourcentages
sensiblement inférieurs à ceux du début de la
décennie, qui était de l'ordre de 90% pour Paris et 75% pour la
Province.
Eu égard au caractère arbitraire de la frontière entre
meuble meublant et oeuvre d'art et à la conjoncture exceptionnelle de
ces années, il faut accueillir ces données avec une certaine
prudence, mais elles témoignent de la part plus importante des oeuvres
et objets d'art dans le chiffre d'affaires des commissaires-priseurs
parisiens
2(
*
)
.
Ces précautions étant prises, on peut néanmoins avancer
des éléments pour expliquer cette meilleure résistance des
commissaires-priseurs de province à la crise.
D'abord, il y a, au delà des différences de marchés, un
phénomène de rattrapage : la profession s'est
rajeunie ; ensuite, elle a manifestement importé les
méthodes " commerciales " plus agressives des
commissaires-priseurs parisiens, au point, à certains égards, de
tirer, à l'échelle de leurs affaires, un meilleur parti de la
globalisation du marché : il n'est plus nécessaire de faire
monter à Paris les oeuvres " saines ". Une bonne photographie dans la Gazette de l'Hôtel Drouot assortie parfois de l'envoi de l'oeuvre aux fins d'exposition dans les cabinets d'experts parisiens, suffit à assurer un prix au moins aussi élevé qu'à Paris. Les clients des commissaires-priseurs le savent et ont vu qu'il était bien souvent de leur intérêt de confier leur bien à une étude décidée à concentrer ses efforts sur lui, plutôt que de s'en remettre à une vente parisienne où l'objet, certes placé dans une vente spécialisée et donc visible, pourrait faire l'objet d'un traitement moins attentif.