B. LA PROLIFÉRATION : UNE MENACE PERSISTANTE
Les essais nucléaires indiens et pakistanais jettent une ombre sur les relatifs succès enregistrés depuis le début de la décennie par le régime international de non-prolifération. De manière plus générale, ils font resurgir la crainte d'un renforcement des moyens liés à la prolifération dans un proche avenir.
1. Les essais nucléaires indiens et pakistanais : un affaiblissement du régime international de non-prolifération
Alors
que les cinq puissances nucléaires reconnues ont mis un terme à
leurs essais nucléaires depuis le début des années 1990
-et en dernier lieu la France et la Chine en 1996- et qu'elles ont signé
le traité d'interdiction complète des essais nucléaires,
la réalisation de plusieurs séries d'essais par l'Inde et le
Pakistan au mois de mai 1998 a porté un
coup sévère au
processus de non-prolifération.
On rappellera que les autorités indiennes ont déclaré
avoir procédé à trois essais nucléaires souterrains
le 11 mai et à deux autres le 13 mai, qui correspondraient à
l'explosion d'un engin thermonucléaire, d'une arme à fission et
de trois systèmes de faible puissance, inférieure au kilotonne.
Le Pakistan a pour sa part déclaré avoir effectué cinq
tirs le 28 mai et un sixième le 30 mai ; ils concerneraient des armes
à fission et à uranium enrichi.
Sur un plan strictement technique, ces essais ne font que confirmer une
réalité connue depuis longtemps, à savoir le
développement par l'Inde et le Pakistan de programmes nucléaires
militaires leur permettant de détenir des capacités
nucléaires, à la fois par la réalisation d'armes et par la
production de matières nucléaires. De ce point de vue, l'analyse
de ces essais ne semble pas révéler d'augmentation significative
des capacités indiennes et pakistanaises.
Sur un plan politique, les essais indiens s'intègrent dans un contexte
régional particulier et constituent un signal en direction du Pakistan
tout d'abord et surtout de la Chine ensuite.
Sur un plan plus général, votre rapporteur retiendra de ces
essais qu'ils ont surtout montré à l'opinion internationale qu'en
dépit des efforts de désarmement et de l'élaboration de
textes internationaux contraignants en matière de prolifération,
l'Inde et le Pakistan, puissances nucléaires non officiellement
reconnues, n'entendaient en rien renoncer à l'option nucléaire.
De ce point de vue, ces essais ne peuvent apparaître que comme un signal
négatif en direction des pays qui s'étaient ralliés au
régime international de non-prolifération et qui avaient
renoncé à se doter de capacités nucléaires
militaires.
2. Les risques liés à la non-prolifération
Au cours
de la dernière décennie, d'importants progrès ont
été réalisés dans le domaine de la
non-prolifération.
Le traité de non-prolifération (TNP) a été
conforté par des adhésions nouvelles et par sa prorogation
indéfinie décidée en 1995. Le ralliement des quinze
républiques ex-soviétiques au TNP a permis de relever le
défi que constituait, pour la non-prolifération,
l'éclatement de l'ex-URSS.
Le renforcement des contrôles et des vérifications menés
sous l'égide de l'Agence internationale de l'énergie atomique, a
amélioré la détection des activités
nucléaires clandestines. Il en va notamment ainsi pour l'Irak, dont bon
nombre d'installations ont été détruites durant la guerre
du Golfe. Les activités nucléaires de l'Iran et de
l'Algérie sont étroitement surveillées et l'accord
intervenu en 1994 avec les Etats-Unis a permis de geler le programme
nucléaire nord-coréen, sur lequel subsistent cependant de
sérieux doutes.
En dépit de ces évolutions positives,
de nombreux facteurs de
risques persistent.
Tout d'abord, la surveillance des installations, voire leur destruction dans
certains cas, n'ont pas fait disparaître les
compétences
techniques dont disposent de nombreux pays potentiellement
proliférateurs
. A cet égard, la poursuite de programmes
civils permet d'entretenir la maîtrise de technologies pouvant être
utilisées à des fins militaires.
Les progrès de la coopération internationale dans le
contrôle des exportations ont été réels mais ils
butent sur le
développement d'équipements à double
usage, civil ou militaire
, qui sont particulièrement prisés
par les pays tentés par le développement d'un programme
nucléaire et militaire. D'autre part, si le Groupe des fournisseurs
nucléaires a renforcé ses règles de conduite, certains
pays détenteurs de technologies agissent en dehors de ces règles
et continuent d'entretenir le risque de prolifération.
Enfin,
la prolifération balistique
, beaucoup moins
contrôlée,
accroît considérablement les risques
liés à la prolifération nucléaire
. De ce point
de vue, il faut observer que tant l'Inde que le Pakistan, avec une aide
extérieure pour ce dernier, se sont lancés dans le
développement de programmes balistiques. Il en va de même de la
Corée du nord qui a lancé un missile de 1 500 à 2 000
km de portée le 31 août dernier. On observera que la Corée
du nord entrave les inspections sur les combustibles issus du
déchargement des réacteurs nucléaires de recherche et que
par ailleurs, elle n'a pas signé le CTBT alors qu'elle figure parmi les
pays dont la ratification est requise pour permettre son entrée en
vigueur.
D'une manière plus générale, les évolutions les
plus récentes intervenues dans le domaine de l'armement nucléaire
et de la prolifération confirment aux yeux de votre rapporteur que
le
nucléaire est appelé à demeurer un élément
fondamental des politiques de sécurité
, ce qui renforce pour
notre pays l'impératif de modernisation et de pérennisation de la
force de dissuasion.