CHAPITRE III -
L'ESPACE ET LE RENSEIGNEMENT MILITAIRES
La
maîtrise de l'information et de la communication est aujourd'hui reconnue
comme un objectif majeur de la modernisation de l'outil de défense et
son rôle a été affirmé tant dans le livre blanc que
dans la loi de programmation.
Deux axes principaux ont été retenus :
- le développement des moyens spatiaux militaires dans les domaines de
la communication et de l'observation stratégique,
- le renforcement des moyens humains et financiers du renseignement.
Le projet de budget pour 1999 confirme la priorité reconnue au
renseignement, qui voit les crédits et les effectifs des
différents services notablement augmentés. Beaucoup moins
satisfaisante est la situation du programme spatial militaire, qui subit le
contrecoup de la défection de plusieurs de nos partenaires
européens.
I. L'ESPACE MILITAIRE : DES AMBITIONS CONTRARIÉES PAR LES ÉCHECS DE LA COOPÉRATION EUROPÉENNE
Votre
rapporteur ne reviendra pas sur les raisons qui militent en faveur de
l'acquisition de moyens spatiaux militaires permettant de garantir l'autonomie
et la fiabilité des décisions et l'efficacité des actions
de combat.
Toute la réflexion stratégique française de ces
dernières années a conduit à considérer
l'équipement spatial militaire comme un
enjeu majeur de
souveraineté
pour tout pays soucieux de préserver une
capacité d'action autonome.
C'est dans ce but que la loi de programmation avait défini pour le
budget spatial militaire une enveloppe annuelle moyenne de 3,5 milliards de
francs qui devait permettre de réaliser un double objectif :
- la poursuite et le perfectionnement du programme de
télécommunications par satellite Syracuse,
- le développement en coopération d'un système
d'observation spatiale global et cohérent, efficace de jour comme de
nuit et par tous temps, grâce à l'association d'un satellite
d'observation optique plus performant (Hélios II) et d'un satellite
d'observation radar (Horus).
D'ores et déjà, il apparaît que
la réalisation
à moyen terme de ces objectifs est en partie compromise
,
essentiellement du fait de l'officialisation de l'absence de participation
allemande au projet Horus. Le retrait des Britanniques du programme successeur
de Syracuse II est venu renforcer le sentiment que la France demeurait
très isolée dans son ambition de développer une
réelle politique spatiale militaire européenne.
Les difficultés rencontrées par les programmes spatiaux
français trouvent leur traduction dans un budget dont les moyens restent
très inférieurs aux prévisions de la loi de
programmation.
A. LE DÉROULEMENT DU PROGRAMME SPATIAL MILITAIRE : DES OBJECTIFS AMBITIEUX, UN AVANCEMENT LABORIEUX, UN AVENIR INCERTAIN
Les objectifs ambitieux assignés à notre programme spatial militaire se heurtent à d'importantes difficultés, qu'il s'agisse des programmes de télécommunications ou d'observation.
1. Le programme de télécommunications : la difficile mise au point de la succession de Syracuse II
Le
programme Syracuse II avait pour mission de prendre le relais du système
Syracuse I, entré en service en 1984 et qui avait doté les
armées de capacités de télécommunications par
satellites, tout en étendant le réseau à de nouveaux types
de stations et en augmentant la protection d'un certain nombre de liaisons.
Les deux premiers satellites ont été lancés en 1991 et
1992, le relais ayant été définitivement assuré par
les lancements du 3e et du 4e satellite, intervenus respectivement en
décembre 1995 et en août 1996. Parallèlement, le parc de
stations qui se limitait à 23 stations a été porté
à 100 stations de 1992 à 1997.
Le coût total du programme, y compris les compléments, est
évalué à près de 14 milliards de francs (au
coût des facteurs de 1998), sur lesquels près de 11 milliards de
francs auront été consommés à la fin 1998.
Le 4e satellite fait l'objet d'actions de complément afin de prolonger
sa durée de vie jusqu'à la mi-2005, date à laquelle
devrait entrer en service un système successeur.
C'est précisément
la mise au point de ce système
successeur qui rencontre de sérieuses difficultés .
L'objectif assigné à ce système -Syracuse III-
était, outre d'assurer la continuité du service, d'étendre
le parc en nombre et type de stations (environ 400 stations), d'accroître
la capacité de résistance aux mesures de guerre
électronique d'un nombre important de liaisons et d'assurer une zone de
couverture plus étendue.
Ce programme devrait entrer en phase de définition au début de
1999 afin de pouvoir mettre en orbite le premier satellite en 2005.
Un certain nombre d'hypothèses de coopération européenne
avaient été étudiées, l'option
privilégiée étant une coopération
trilatérale avec l'Allemagne et le Royaume-Uni, ce dernier étant
confronté, à une échéance voisine, à la
nécessité de renouveler son système Skynet.
Votre rapporteur avait évoqué l'an passé les perspectives
favorables qui s'ouvraient pour cette coopération et, effectivement, un
mémorandum d'entente pour la phase de définition avait
été signé en décembre 1997 par la France,
l'Allemagne et le Royaume-Uni qui décidaient ainsi de démarrer en
commun le programme baptisé
Trimilsatcom
.
Déjà affecté par un certain retard, ce programme a
été remis en cause en août dernier,
le Royaume-Uni ayant
décidé de se retirer de la coopération
pour se replier
sur une solution nationale.
Le retrait britannique, même s'il préserve la possibilité
d'une coopération franco-allemande, remet bien entendu en cause les
hypothèses financières du programme qui tablaient sur un
coût pour la France de 13 milliards de francs dans le cas d'une
coopération trilatérale.
Cet aléa est d'autant plus regrettable que la durée de vie du
système Syracuse II a déjà été
prolongée de 6 mois et que les marges de manoeuvre permettant de
supporter un nouveau retard se sont considérablement
réduites.
2. Les programmes d'observation : l'isolement de la France après l'échec de la coopération franco-allemande
Le
système d'observation optique Hélios I est opérationnel
depuis octobre 1995. Il permet déjà d'assurer les fonctions de
base du renseignement spatial mais ses capacités sont limitées
à l'observation de jour et par temps clair.
Ce programme a été lancé par la France en 1986 mais
l'Italie en 1987, puis l'Espagne en 1988 s'y sont associées à
hauteur respectivement de 14,1 % et 7 % et disposent d'un droit d'utilisation
potentielle des images à due concurrence. Le système inclut un
module expérimental d'écoute électromagnétique
(EURACOM) qui est exclusivement réalisé par la France.
Ce programme a été mené en liaison avec le programme civil
SPOT, les deux satellites utilisant une plate-forme commune.
Le premier satellite, Hélios IA, est entré en phase
opérationnelle en octobre 1995. Le second, Hélios IB, est
disponible et stocké depuis fin 1996 en vue de la relève
d'Hélios IA, qui doit normalement intervenir en 1999.
Le coût total du programme Hélios I s'élève à
9,6 milliards de francs. Près de 8 milliards de francs auront
déjà été consommés à la fin de
l'année 1998.
La poursuite du programme d'observation spatiale doit s'effectuer dans deux
directions :
- assurer la continuité du service à la suite d'Hélios I
avec un système d'observation optique doté d'une capacité
infrarouge, facilitant l'observation de nuit,
- compléter les capacités d'observation optique par un
système d'observation radar permettant d'obtenir des images par tous les
temps.
Ce double objectif doit permettre de
construire un système
d'observation spatiale militaire complet et cohérent
, fondé
sur la très forte complémentarité entre observation
optique visible ou infrarouge et observation radar. En effet, la fusion de ces
trois types d'images enrichit considérablement l'information et doit
permettre le recueil des renseignements quelles que soient les conditions sur
le terrain.
Le
principe d'une coopération franco-allemande
sur ces deux
programmes d'observation spatiale a été arrêté lors
du sommet de Baden Baden le 7 décembre 1995. Si la France devait assurer
80 % du financement d'Hélios II, l'Allemagne prenant en charge 10 % et
l'Espagne et l'Italie le restant, c'est en revanche l'Allemagne qui devrait
assurer la plus large part du financement d'Horus (60 % contre 40 %
à la France).
L'absence de volonté allemande de mettre en place les financements
correspondants a fortement perturbé la mise au point des deux programmes
et a conduit la France à abandonner finalement le programme Horus.
En ce qui concerne le
système Hélios II
, qui doit
normalement
permettre d'assurer la continuité du service fin
2002
, en remplacement du système Hélios I, sa phase de
définition a débuté en 1994 avec les objectifs suivants :
.
permettre l'observation de nuit grâce à une
capacité infrarouge
,
.
améliorer les capacités de prise de vue et de
transmission des images afin d'en augmenter le nombre et de réduire les
délais d'acquisition de l'information,
.
améliorer la résolution des images pour mieux
détecter les objectifs d'intérêt militaire.
Le système comporterait
deux satellites
dont le premier devait
normalement pouvoir être lancé fin 2002.
A l'heure actuelle, seule la coopération avec l'Espagne, à
hauteur de 3 %, paraît en bonne voie. Des négociations ont
également été engagées avec la Belgique pour une
participation qui ne pourra sans doute pas être du même ordre.
L'Italie n'a pas confirmé sa participation, quant à l'Allemagne,
elle n'a pas donné de suite concrète à l'accord de Baden
Baden en refusant de dégager les financements correspondants.
La décision allemande a imposé à la France de
décaler de six mois la date d'entrée en service
d'Hélios II
et d'accroître son effort budgétaire
puisqu'elle assumera pratiquement seule la réalisation du programme.
Quant au
programme Horus
, il se trouve purement et simplement
abandonné si bien qu'
il faudra renoncer
,
à l'horizon
envisagé (2005) à la capacité d'observation "tous
temps"
qui aurait permis de surmonter les difficultés de
surveillance de certaines zones géographiques fréquemment
recouvertes de nuages.
Toute perspective d'acquisition de capacités d'observations radar n'est
cependant pas définitivement compromise. Si la France ne peut à
l'évidence supporter seule le coût d'un programme lourd tel que
Horus, l'évolution technologique permet aujourd'hui de s'orienter vers
l'étude de
constellations à base de petits satellites
d'un
coût très inférieur, dont l'acquisition pourrait être
raisonnablement envisagée à partir de 2008.
Quoi qu'il en soit, votre rapporteur retient des difficultés
rencontrées dans la mise au point d'une coopération
européenne dans le domaine spatial militaire que la vision
française faisant de la possession de moyens européens propres
une priorité permettant de garantir l'autonomie stratégique,
n'est que peu partagée et comprise par nos principaux partenaires, qui
semblent se satisfaire des informations fournies par les Etats-Unis.