C. UNE INDISPENSABLE RÉFLEXION SUR LES MISSIONS DES POSTES DIPLOMATIQUES ET CONSULAIRES

Compte tenu de la contrainte majeure que constitue le déclin des effectifs du Ministère des Affaires étrangères, il paraît difficilement concevable de préserver la densité de notre réseau diplomatique et consulaire sans revoir les missions remplies par ces postes. Les difficultés d'organisation soulevées, dans les postes diplomatiques et consulaires, par la baisse des effectifs posent deux questions distinctes :

- dans quelle mesure un redéploiement géographique des personnels peut-il atténuer ces difficultés ?

- ne convient-il pas en priorité de rendre les missions des postes diplomatiques et consulaires compatibles avec le déclin des moyens en personnels ?

1. Un redéploiement géographique des effectifs à accentuer

On observe actuellement un certain redéploiement géographique des effectifs des postes diplomatiques et consulaires , dont les tableaux ci-après retracent l'évolution pour les années 1996-1997. Ainsi les effectifs (expatriés, CSN et recrutés locaux) affectés aux postes diplomatiques et consulaires dans les pays de l' Union européenne ont-il baissé entre 1996 et 1997, passant de 1 496 à 1 378. La même observation vaut pour les Etats-Unis (403 postes en 1996, 369 en 1997). Les effectifs affectés aux postes diplomatiques et consulaires d' Asie (hors Océanie) ont, quant à eux, augmenté ( 1 294 postes en 1996, 1 304 en 1997). En revanche, les effectifs de la CEI (325 en 1996, 285 en 1997) ont diminué entre 1996 et 1997. Il serait intéressant d'observer si les statistiques de 1998 confirment ces évolutions.

On relève cependant en 1997 la persistance d'effectifs encore très importants aujourd'hui dans certains pays de l'Union européenne (263 postes en Allemagne, 198 en Espagne, 166 en Italie, 182 au Royaume-Uni, 76 au Portugal, 87 en Grèce, 82 aux Pays-Bas) et aux Etats-Unis (369 postes en 1997). Les effectifs affectés en Allemagne représentent à eux seuls plus du double des effectifs en Russie (106 postes) et en Chine (104 postes), et équivalent aux effectifs de la CEI dans son ensemble (285 postes).

Cette constatation vaut pour les effectifs des postes diplomatiques et consulaires en Italie, en Espagne et au Royaume-Uni.

Votre rapporteur soulignait déjà, à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 1997, combien est désormais moins importante que par le passé la présence d'effectifs substantiels dans les ambassades des pays de l'Union européenne , où les progrès de la construction de l'Union européenne peuvent aller de pair avec un allégement des fonctions diplomatiques traditionnelles et, partant, de la dimension des ambassades. Ces remarques peuvent également s'appliquer à notre ambassade aux Etats-Unis , dont le format pourrait probablement être réduit sans préjudice pour la qualité des relations bilatérales franco-américaines.

Les consulats ne sauraient néanmoins se voir appliquer le même traitement, sans préjudice pour l'aptitude des postes consulaires à remplir l'ensemble de leurs missions .

2. Vers une redéfinition des missions des postes

La difficile question de la définition des missions susceptibles d'être confiées aux différents services de l'Etat à l'étranger se pose en termes différents selon que l'on considère le cas des postes diplomatiques ou des postes consulaires.

a) Le cas des postes diplomatiques

Comme l'a souligné le chef de l'Etat lors de la VIe conférence des ambassadeurs, les relations internationales engagent aujourd'hui dans des proportions croissantes des acteurs non étatiques (associations, collectivités locales, entreprises...). Il ne paraît donc plus nécessairement pertinent de préserver des effectifs nécessairement substantiels dans nos ambassades bilatérales. Le cas précédemment évoqué des ambassades françaises dans les pays de l'Union européenne conduit a fortiori à s'interroger sur la compatibilité entre, d'une part, les progrès de la construction européenne et, d'autre part, le maintien d'effectifs substantiels (voir supra) et des fonctions traditionnelles dans les ambassades de ces pays.

Par ailleurs, il existe probablement encore des postes où certains diplomates sont affectés à des tâches redondantes par rapport à celles qu'effectuent les postes d'expansion économique, voire les agences financières, comme par exemple l'observation de la situation économique du pays. Dans le même esprit, on compte probablement dans certaines ambassades des diplomates affectés à l'observation de la politique de défense, en "doublon" avec le travail effectué par les services des attachés de défense.

b) Le cas particulier de la charge de travail des postes consulaires

Comme votre rapporteur le faisait observer ci-dessus à l'occasion des commentaires relatifs à l'évolution du réseau diplomatique et consulaire français, les missions des consulats français sont sans équivalent dans le monde. Elles permettent aux Français établis à l'étranger un accès de proximité (même si cette proximité devient, avec les fermetures de poste, de plus en plus relative) aux services offerts sur le territoire national par les mairies (état-civil, pièces d'identité, recensement), ainsi qu'aux prestations offertes par les préfectures (visas...) et par certains ministères (aide sociale, bourses...).

Or la charge de travail des postes consulaires n'a pas vocation à diminuer , les statistiques le montrent. Cette remarque vaut aussi pour les postes consulaires en Europe communautaire, où l'on aurait pu croire que l'intégration croissante des Français expatriés, et que les progrès de la construction européenne, auraient pu conduire à un allégement sensible des tâches consulaires.

(1) Un phénomène général : une charge de travail au moins continue sinon croissante

Si les effectifs de Français immatriculés n'ont augmenté que de 3 % environ entre 1990 et 1997, jusqu'à atteindre, à cette date, un effectif de 960 939 Français immatriculés (soit un total de 1,7 million de francs compte tenu du nombre estimé de non-immatriculés), on a observé, pendant la même période :

- une augmentation très importante des procédures liées à la délivrance de cartes d'identité (+ 14 %) ou de passeports (+ 40 %) ;

- une augmentation rapide, dans certaines régions, du nombre de bourses accordées (cette évolution pourrait être dûe à l'importance croissante des effectifs de double nationaux parmi les Français immatriculés, dans certains pays comme le Liban, les Comores et Israël) ;

- une augmentation régulière du nombre d' écritures comptables (+ 7 %), liée notamment à l'ouverture de nouvelles ambassades et de nouvelles représentations permanentes auprès d'organisations internationales, et à la multiplication des échanges de services payants entre organismes publics et parapublics (comme par exemple l'échange de publications à titre payant entre universités). Or ces échanges empruntent, pour des raisons juridiques, le circuit de la comptabilité publique qui passe par les paieries des postes consulaires, au lieu de s'effectuer par virements bancaires ;

- une augmentation des actes de notariat dans certaines régions (+ 80 % dans le Maghreb entre 1990 et 1997), liée notamment, dans une certaine mesure, au nombre de mariages et de successions ; la baisse du volume de ces actes constatée, en revanche, dans d'autres zones géographiques (Europe et Etats-Unis) tient à la conclusion d'accords entre la chambre des notaires de France et les organismes étrangers équivalents pour la reconnaissance mutuelle des actes ;

- l'augmentation du nombre des pensionnés en Europe, dont le cas est géré par les postes consulaires (+ 19 % entre 1990 et 1997) contraste avec la diminution observée pour l'ensemble du monde (- 10 %) du fait du transfert du paiement de certaines retraites aux agences du Trésor ;

- une baisse du nombre de jeunes gens recensés (- 5,5 % entre 1990 et 1997), malgré l'augmentation de la population immatriculée (+ 2,7 % pendant la même période). Pourtant, la charge de travail liée au recensement est susceptible d'augmenter à partir de 2000, quand cette obligation sera effectivement étendue aux jeunes filles. L' incidence de la réforme du service national sur cet aspect du travail consulaire pourrait néanmoins être atténuée par l' assimilation de l'immatriculation consulaire en cours de validité à l'accomplissement de l'obligation de recensement (cf. l'arrêté interministériel du 17 juin 1998 relatif aux modalités d'application de la loi n° 97-1019 portant réforme du service national) ;

- une baisse sensible du nombre de demandes de visas instruites (incluant les demandes de visa refusées) entre 1990 et 1997 (- 38 % pour l'ensemble du monde en moyenne, - 60 % pour l'Union européenne). Ces statistiques tiennent, d'une part, à la suppression de l'obligation de visa pour certains pays, notamment d'Amérique Latine (Mexique, Brésil, Chili, Argentine, Paraguay, Uruguay, Salvador, Costa-Rica). D'autre part, l'incidence des engagements souscrits dans le cadre de Schengen se traduit par une diminution importante des demandes de visa instruites dans les pays de l'Union européenne. Les statistiques relatives aux visas évolueront probablement encore en 1998 du fait de la suppression de l'obligation de visa pour l' Australie , premier pays dans la demande de visas en France.

En revanche, on peut considérer que le travail consulaire lié à la délivrance des visas sera probablement caractérisé à l'avenir par une complexité croissante , du fait de l'obligation récente -et opportune- de motiver les refus de visa , et du fait de la réorientation de la politique des visas conduite par l'actuel gouvernement. Cette politique, en effet, conçue comme un "instrument au service de notre influence et de notre rayonnement" 7( * ) , ne doit pas s'appuyer sur des "procédures anonymes gérées sans distinction" 8( * ) . L'objectif est de mettre en place une politique ciblée , fondée sur l'allégement des procédures et la simplification des démarches au profit des élites étrangères. L'introduction d'éléments subjectifs dans l'appréciation des demandes de visas pourrait donc rendre plus complexe le travail consulaire dans ce domaine particulièrement sensible de la politique étrangère.

La charge de travail des postes consulaires n'est donc pas appelée à décroître. Or on constate que les fermetures de postes consulaires opérées depuis 1990, notamment en Europe, se sont traduites par une augmentation souvent sensible de la charge de travail des postes maintenus, sans que les redéploiements de personnels aient permis de compenser intégralement cette augmentation. On peut concevoir, au moins dans l'espace européen, que ne soit maintenu qu'un consulat général par pays -les fermetures de postes comme Mons et Charleroi paraissent, en effet, justifiées- à condition que les consulats généraux disposent d'effectifs leur permettant de remplir leurs missions dans de bonnes conditions.

(2) Une augmentation de la charge de travail qui n'épargne pas les postes consulaires en Europe

Les développements ci-dessus montrent l'importance souvent croissante de la charge de travail dans les postes consulaires français. Les postes consulaires dans les pays de l'Union européenne n'échappent pas à cette évolution, malgré les progrès de la construction européenne et l'intégration croissante des communautés expatriées dans leur pays de résidence.

En réalité, on observe aujourd'hui d'importants mouvements de personnes au sein de l'Union (échanges touristiques, scolaires, stages...) impliquant de fréquentes interventions des postes consulaires. Certains postes sont d'ailleurs plus particulièrement sollicités. Ainsi, une forte population de jeunes Français tentent une première expérience à Londres (et, de plus en plus, en Ecosse, où des laboratoires de haute technologie paraissent attirer de jeunes chercheurs français), ce qui aura d'inévitables conséquences sur les consulats de Londres et d'Edinburgh .

De même, au Portugal , on observe un fort mouvement de binationaux qui conservent des liens étroits (économiques et familiaux) avec la France, et qui s'adressent de ce fait très fréquemment aux consulats français du Portugal.

(3) Des solutions diversifiées

- Une première formule pourrait consister à redéfinir les missions des postes consulaires , en mettant un terme à la plupart des prestations offertes aux Français expatriés. Une telle solution est malaisément acceptable, car elle est en contradiction avec la nécessité actuelle d' encourager l'expatriation pour contribuer au rayonnement, notamment économique, de la France à l'étranger.

- Une autre solution résiderait dans la poursuite de l'expérience des postes mixtes consulats-postes d'expansion économique , actuellement conduite à titre expérimental à Miami, Atlanta, Houston et Osaka. Cette solution permet d'accroître la polyvalence des personnels, et de rationaliser la gestion des postes en mettant en commun les moyens de fonctionnement (standards téléphoniques, salles de réunion, équipements de bureaux, parcs automobiles...). A ce jour, la formule des postes mixtes s'est traduite par l'accueil, au Ministère des Affaires étrangères, de deux agents de la DREE détachés sur des emplois de consul général. Les postes mixtes sont susceptibles de mettre à contribution les effectifs souvent importants des postes d'expansion économique (PEE). On peut, en effet, s'interroger sur la nécessité de maintenir 91 agents dans les postes d'expansion d'Allemagne 9( * ) , soit plus qu'en Chine (73 agents) et que dans la totalité des PEE de CEI (59). Le commerce franco-allemand est-il réellement encore dépendant de ces structures ? La même interrogation vaut pour les PEE d'Espagne (52 personnes), d'Italie (46 personnes), du Royaume-Uni (44 personnes), qui emploient plus d'agents que la Russie (41 personnes).

- D'autres solutions pourraient venir des progrès de la construction européenne. Ainsi la création de l' euro pourrait-elle permettre de simplifier certaines procédures comptables, comme le versement des pensions.

Dans le même esprit, la création d' actes d'état civil plurilingues , qui concernent à ce jour les six pays européens signataires de la convention relative à la commission internationale de l'état civil, pourrait contribuer à simplifier le travail des postes dans les pays concernés. D'autres progrès pourraient résulter de l'introduction d'une carte d'immatriculation à puce , permettant au titulaire d'effectuer sans délai la plupart des formalités administratives courantes, indépendamment du poste où ils sont immatriculés.

- De manière générale, il paraît primordial de compenser les fermetures de postes consulaires , qui contribuent à l'adaptation de notre réseau diplomatique, par l'attribution de moyens suffisants au(x) poste(s) consulaire(s) maintenu(s) . Au contraire, les fermetures de postes consulaires décidées entre 1995 et 1997 se sont traduites par une charge de travail accrue dans les postes consulaires maintenus, sans réévaluation équilibrée de leurs moyens.

La conséquence en a été, dans certains postes, l'interruption de certaines prestations pendant une période donnée. Rappelons, comme votre rapporteur l'a relevé précédemment, que le consulat général de Rome a, en 1996-1997, fermé son bureau de l'état-civil pendant plusieurs mois. L'écueil à éviter absolument est de poursuivre le redimensionnement du réseau consulaire sans réflexion préalable sur les moyens des postes.

- Un axe de réflexion à envisager concerne la place du travail consulaire dans le cursus diplomatique. Il paraît, en effet, regrettable qu'un temps de service en consulat ne soit pas obligatoire dans le cursus des secrétaires des affaires étrangères. Au nom de la "culture de gestion" que le ministre des Affaires étrangères souhaite aujourd'hui fort opportunément développer, il paraît très important que les cadres du Quai d'Orsay soient avertis des conditions du travail consulaire, même si ces postes "de terrain" ne sont pas nécessairement les plus prestigieux de la carrière diplomatique.

- Enfin, il est urgent de mettre un terme à la déflation des postes de catégorie C , qui jouent un rôle particulier dans les consulats. Or c'est sur cette catégorie qu'a pesé, comme votre rapporteur le soulignait plus haut, l'essentiel de l'effort accompli dans le cadre du schéma quinquennal d'adaptation des réseaux.

Page mise à jour le

Partager cette page