N° 69
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Annexe au procès-verbal de la séance du 19 novembre 1998.
AVIS
PRÉSENTÉ
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi de finances pour 1999 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,
TOME I
AFFAIRES ÉTRANGÈRES
Par M. André DULAIT,
Sénateur.
(1)
Cette commission est composée de :
MM. Xavier de Villepin,
président
; Serge Vinçon, Guy Penne, André Dulait,
Charles-Henri de Cossé-Brissac, André Boyer, Mme Danielle
Bidard-Reydet,
vice-présidents
; MM. Michel Caldaguès,
Daniel Goulet, Bertrand Delanoë, Pierre Biarnès,
secrétaires
; Bertrand Auban, Michel Barnier, Jean-Michel Baylet,
Jean-Luc Bécart, Daniel Bernardet, Didier Borotra, Jean-Guy
Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Robert Calmejane, Mme Monique
Cerisier-ben Guiga, MM. Marcel Debarge, Robert Del Picchia, Hubert
Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert Falco, Jean
Faure, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Emmanuel Hamel,
Roger Husson, Christian de La Malène, Philippe Madrelle,
René Marquès, Paul Masson, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Jean-Luc
Mélenchon, René Monory, Aymeri de Montesquiou, Paul d'Ornano,
Charles Pasqua, Michel Pelchat, Alain Peyrefitte, Xavier Pintat, Bernard
Plasait, Jean-Marie Poirier, Jean Puech, Yves Rispat, Gérard Roujas,
André Rouvière.
Voir les numéros
:
Assemblée nationale
(
11
ème législ.) :
1078
,
1111
à
1116
et T.A.
193
.
Sénat
:
65
et
66
(annexe n°
1
)
(1998-1999).
Lois de finances.
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Le projet de budget des Affaires étrangères pour 1999 tire pour
la première fois les conséquences de la fusion des Affaires
étrangères et de la Coopération décidée en
février 1998. Il s'agit donc d'un budget unique, fondé sur une
nouvelle nomenclature, qui traduit l'intégration des crédits de
la rue Monsieur à ceux du Quai d'Orsay.
Le budget des Affaires étrangères recomposé
s'élèvera, en 1999, à 20,77 milliards de francs. On
constate donc une légère baisse (- 0,7 % en francs courants) par
rapport à la somme des deux dotations de 1998 (14,43 milliards de
francs pour les affaires étrangères et 6,48 pour la
coopération, soit 20,92 milliards de francs pour l'ensemble des deux
départements). Il s'agit là d'une contraction moins sensible des
crédits que les diminutions constatées depuis plusieurs
années.
Il n'en demeure pas moins que le projet de budget des Affaires
étrangères pour 1999 est caractérisé par une
diminution importante des crédits destinés à la
coopération (- 7 % en francs courants). Celle-ci tient, pour
l'essentiel, à une baisse sensible des moyens consacrés à
l'ajustement structurel qui appelle quelques interrogations, compte tenu de la
sévérité de la crise africaine.
Votre commission des Affaires étrangères, de la Défense et
des Forces armées est par tradition attachée à une
présentation des crédits relevant de l'action extérieure
de la France qui permette d'isoler les moyens consacrés, d'une part,
à la coopération avec les pays ACP (Afrique, Caraïbes,
Pacifique)
1(
*
)
et, d'autre part,
les moyens affectés aux relations culturelles extérieures
2(
*
)
. En conséquence, le
présent rapport pour avis portera sur la dotation des Affaires
étrangères
stricto sensu,
hors coopération, et hors
crédits relevant de l'action culturelle extérieure, et
s'efforcera, dans la mesure du possible, de raisonner à structures
budgétaires constantes.
Avant d'aborder l'analyse des crédits inscrits, pour le Quai d'Orsay,
dans le projet de loi de finances pour 1999, votre rapporteur commentera le
contexte dans lequel s'inscrira ce budget en 1999. Cette analyse conduit
à s'interroger sur les dimensions du réseau diplomatique et
consulaire français : il paraît en effet de plus en plus difficile
de prétendre préserver le deuxième réseau du monde
par le nombre de ses postes diplomatiques et consulaires, alors même que
les effectifs du ministère des Affaires étrangères
diminuent régulièrement depuis 1994, et qu'aucune
redéfinition des missions confiées à ces postes n'est,
à ce jour, intervenue pour compenser les difficultés
causées par les déflations d'effectifs.
*
* *
I. LA RÉFORME DU MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES AU SERVICE D'UNE POLITIQUE ÉTRANGÈRE AMBITIEUSE
Les moyens affectés au Ministères des affaires étrangères visent à servir une diplomatie ambitieuse, destinée à promouvoir les intérêts et les valeurs de la France dans un monde soumis aux tensions nées de la mondialisation.
A. LES GRANDES ORIENTATIONS DE LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE DE LA FRANCE
Le Chef de l'Etat a, lors de la sixième conférence des ambassadeurs d'août 1998, défini les principes et les objectifs dans lesquels s'inscrit la diplomatie française.
1. Contribuer à l'édification d'un "monde multipolaire harmonieux, pacifique et sûr"
La
diplomatie française, dont la liberté d'initiative est sortie
renforcée de la fin de l'ordre bipolaire, doit "encourager le mouvement
irrésistible vers un monde multipolaire", en s'appuyant sur des
relations harmonieuses entre "puissances installées et puissances
émergentes". Dans cet esprit, il est important de renforcer les
organisations internationales où s'incarnent les solidarités
régionales", car ces institutions sont "gages de paix et de
stabilité".
L'objectif assigné à la politique étrangère
française est de mobiliser la "forte capacité d'influence" dont
dispose aujourd'hui notre pays pour lutter contre les
menaces nouvelles
que sont le
terrorisme
et les risques de
prolifération
. Sur le premier point, la France a
contribué, au sein de l'ONU, à l'élaboration de la
convention sur la répression des aces terroristes à l'explosif,
examinée par le Sénat en séance publique le
12 novembre 1998, et dont la France pourrait être le premier
signataire à déposer ses instruments de ratification. Le
dispositif créé par cette convention devrait être
prochainement complété de manière à traiter
d'autres aspects du terrorisme international et, plus particulièrement,
son financement.
En ce qui concerne les
risques de prolifération
, relancés
par les essais nucléaires de l'Inde et du Pakistan, la diplomatie
française a pour but de contribuer activement, notamment à partir
d'un "dialogue intense et confiant" avec l'Inde et le Pakistan, à la
création d'une organisation de sécurité à
l'échelle de l'Asie, à la négociation de l'arrêt de
la production de matière fissile à usage militaire et des
programmes nucléaires indien et pakistanais, ainsi qu'à la
signature du traité de non prolifération nucléaire par
l'Inde et le Pakistan sans conditions. L'engagement français sera
également poursuivi dans la lutte contre les proliférations
balistique, chimique et biologique.
. L'engagement de la France autour des autres grandes causes
que sont la
lutte pour la protection de l'environnement, la lutte contre le sida et la
mobilisation contre la drogue et la criminalité organisée,
relève aussi de la volonté de promouvoir un ordre mondial
harmonieux. S'inscrit dans la même perspective l'engagement
réaffirmé de la France en faveur des Droits de l'homme. Ainsi, le
Cinquantième anniversaire de l'adoption de la Déclaration
universelle de 1948 sera-t-il l'occasion de plaider pour la définition
des "
droits du XXIe siècle
", qui doivent tirer les
conséquences des grands enjeux, notamment scientifiques et culturels, de
notre époque.
.
Par ailleurs, la multiplication des
conflits locaux
, tout
particulièrement sur
le continent européen
, impose une
réflexion sur l'identité européenne de défense,
comme nous y invite précisément le prochain
Sommet de
l'Alliance atlantique à Washington.
A cette occasion pourrait
être définie une répartition plus satisfaisante des
responsabilités entre Européens et autres membres de l'OTAN.
.
Afin de
maîtriser les mécanismes irréversibles
de mondialisation
des technologies et des marchés, il importe de
parvenir à l'adoption de règles communes et de donner de
meilleures capacités d'intervention aux organisations internationales
chargées de faire appliquer celles-ci. Dans cette perspective,
inspirée par les chocs dûs aux crises asiatique et russe, le
renforcement du FMI pourrait s'appuyer, selon la proposition du chef de l'Etat,
notamment sur la transformation du Comité intérimaire du FMI en
véritable organe de décision au niveau ministériel, ce qui
contribuerait probablement à accroître la légitimité
du FMI.
Le renforcement des capacités d'influence de la France doit permettre de
contrebalancer certaines des mutations causées par la mondialisation,
sur les plans économique et culturel. La défense des valeurs, de
la langue, de la culture et des intérêts économiques de la
France trouve sa place dans un monde "où les frontières
s'effacent, où l'économie pèse de plus en plus lourd,
où les normes se définissent à l'échelle de la
planète", et où l'influence des États-Unis -linguistique,
audiovisuelle, économique, militaire- est présente sur tous les
fronts.
2. L'Europe, "acteur majeur du XXIe siècle"
L'"aventure européenne" dans laquelle la France est
engagée vise à constituer, non pas les Etats-Unis d'Europe, mais
l'"
Europe Unie des Etats
".
L'effet intégrateur qu'aura l'
euro
sur le plan économique
ne doit toutefois pas faire oublier, selon le chef de l'Etat, les
spécificités
du modèle social européen
.
Celle-ci constitue, en effet, l'une des
réponses
européennes à "certains effets pervers de la mondialisation".
Quant à l'
élargissement
, il s'agit d'un "devoir moral" et
d'une "chance" pour l'Europe, car il conduira à la constitution d'un
"ensemble démocratique, pacifique, puissant, prospère de
500 millions de femmes et d'hommes", sans équivalent à ce
jour dans le monde actuel. Ainsi les négociations sur la
réforme des institutions
, pour nécessaires qu'elles
soient, "ne doivent en aucun cas servir de prétexte" à retarder
l'élargissement. Celui-ci souligne également la
nécessité de parvenir à plus de concertation dans le
domaine de la politique étrangère et de la
sécurité. Il impose en outre la prise en compte de la
dimension culturelle
de la construction européenne, afin
notamment d'harmoniser les diplômes à l'échelle de l'Union.
L'importance des dossiers en cours dans l'Union européenne justifie
qu'une certaine priorité soit attachée au renforcement de
"rapports étroits et confiants" avec les autres membres de l'Union et,
plus particulièrement, avec l'Allemagne, afin que la
coopération franco-allemande
en cours de rénovation
s'inscrive dans un projet "plus ambitieux encore".
3. Le renforcement des "solidarités créées par l'Histoire"
Le
rayonnement de la France passe par le maintien de relations
privilégiées avec "deux cercles de solidarité qui se
recoupent en partie" : l'Afrique et la francophonie.
Le prochain
sommet des chefs d'Etat français et africains
de
Paris, en novembre 1998, constituera ainsi l'occasion de confirmer
l'
engagement de la France pour le développement et la
sécurité d'un continent auquel elle est liée par des liens
uniques.
L'effort accompli en matière d'aide au développement
par la France, deuxième donateur d'aide publique après le Japon
selon les statistiques de l'OCDE, devrait donc être maintenu dans le
cadre de la réforme de la coopération, qui vise à
intégrer au Ministère des affaires étrangères la
coopération franco-africaine.
La
réforme de la coopération
tire les conséquences
du fait que, ainsi que l'a souligné M. Charles Josselin, ministre
délégué à la coopération et à la
francophonie, lors de la sixième conférence des ambassadeurs,
"nos relations avec les pays africains ne peuvent être définies
indépendamment de nos relations avec nos autres partenaires".
Quant à la
francophonie
, elle répond à un
"véritable besoin : préserver la diversité des langues et
des cultures de notre planète face aux risques évidents de
l'uniformisation culturelle". Elle est créatrice de liens particuliers,
fondés sur une solidarité spécifique, susceptible de
conduire à la mise en oeuvre d'"actions pour la paix, la
démocratie et pour le développement".
Dans le cadre des priorités ainsi définies,
la mission
confiée aux ambassadeurs
est de transformer "ce message en action et
cette action en résultat". L'objectif est de faire connaître la
France à l'étranger en étant "à l'écoute"
non plus seulement des Etats et des gouvernements, mais aussi des peuples.
Cette tâche impose d'aller "au devant de tous les acteurs de la
société civile", en privilégiant désormais le
"terrain". Cette orientation serait justifiée par le fait que, les
relations entre les nations dépassant aujourd'hui les relations entre
Etats pour engager les sociétés tout entières, il ne
saurait désormais y avoir de grande politique étrangère
sans "connaissance politique, sociologique, psychologique" indispensable au
développement de relations d'amitié et de solidarité avec
nos différents partenaires.
*
* *