III. LES FONDS STRUCTURELS EUROPÉENS : UNE RÉFORME IMMINENTE, LOURDE DE CONSÉQUENCES POUR L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE
A. UN APPORT ESSENTIEL À LA POLITIQUE D'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE
1. Les fonds structurels européens
a) Les instruments
La
politique communautaire des fonds structurels, qui représentent le tiers
environ du budget de la communauté, joue, dans un certain nombre de
régions françaises, un rôle essentiel en matière
d'aménagement du territoire.
L'action dite " structurelle ", de l'Union européenne, qui
vise à renforcer sa cohésion économique et sociale,
s'incarne dans plusieurs fonds :
- le fonds social européen (FSE) ;
- le fonds d'orientation et de garantie agricole (FEOGA) ;
- le fonds européen de développement régional (FEDER)
;
- l'instrument financier d'orientation pour la pêche
(IFOP).
b) Les objectifs
La
politique structurelle européenne cible son action sur 7
" objectifs prioritaires ".
Parmi ces objectifs, trois concourent plus spécialement à
l'aménagement du territoire :
l'objectif 1
, destiné au développement des
régions en retard de développement ;
l'objectif 2
, consacré à la reconversion des
régions affectées par le déclin industriel ou les
restructurations de la pêche ;
l'objectif 5b
, pour le développement et l'ajustement
structurel des zones rurales.
2. Un enjeu important pour de nombreuses régions
Les aides européennes concernent, au moins partiellement, la quasi-intégralité des régions françaises, comme le montre l'encadré suivant :
LES RÉGIONS FRANÇAISES ÉLIGIBLES AUX OBJECTIFS EUROPÉENS
Objectif 1
: les zones
bénéficiaires de
cet objectif ont été arrêtées par le Conseil des
ministres de l'Union en juillet 1993. Pour la France, il s'agit essentiellement
des
DOM, de la Corse et des trois arrondissements du Nord-Pas-de-Calais
: Douai, Avesnes et Valenciennes. Sur la période 1994-1999 ces zones
bénéficieront de
14.235 millions de francs
.
Objectif 2
:
19 régions françaises
ont
été déclarées éligibles par la Commission
Européenne en janvier 1994 à la première phase (1994-1996)
de cet objectif : Alsace, Aquitaine, Auvergne, Bretagne, Franche-Comté,
Haute-Normandie, Basse-Normandie, Bourgogne, Champagne-Ardenne,
Languedoc-Roussillon, Lorraine, Midi-Pyrénées, Pays de la Loire,
Picardie, Rhône-Alpes, Centre, Poitou-Charentes, Nord-Pas-de-Calais,
Provence-Alpes-Côte d'Azur, ce qui représente une population de
14,7 millions d'habitants
.
Le 8 mai 1996 la Commission européenne a approuvé le
zonage se rapportant à la deuxième phase de cet objectif
(1997-1999). Les zones françaises déjà éligibles
ont été reconduites sans modification.
Les principaux domaines d'intervention sont les investissements dans les PME,
la recherche et développement, l'environnement des entreprises, la
réhabilitation des friches industrielles, la requalification urbaine et
les actions de formation.
La France, qui bénéficiait de 11.472 millions de francs pour
les programmes de première phase, disposerait de 13.377 millions de
francs au cours de la seconde (25,3 % de l'enveloppe totale).
Objectif 5b
: La France est le pays qui bénéficie le
plus de cet objectif (36 % de sa dotation totale). Sur la période
1994-1999, elle recevra à ce titre 14.547 millions de francs.
Les zones concernées sont caractérisées par un bas niveau
de développement économique, un taux élevé d'emploi
agricole, un bas niveau de revenu agricole et une faible densité. Le
zonage a été arrêté par la Commission en
février 1994 pour 6 ans.
Mis à part la Picardie, l'Ile-de-France, le Nord-Pas-de-Calais, la Corse
et les DOM,
les 18 autres régions françaises
bénéficient de cet objectif pour une partie plus ou moins
étendue de leur territoire.
Source
: " Jaune " budgétaire sur
l'aménagement du territoire.
Sept programmes d'initiative communautaire
(ou PIC), ont en outre
été mis en place par la Commission européenne, pour
soutenir, au niveau régional, des actions qu'elle juge
intéressantes pour la communauté, dans ou hors les zones
prioritaires.
La France bénéficie de chacun de ces programmes :
LES PROGRAMMES D'INITIATIVE COMMUNAUTAIRE (PIC)
- "
INTERREG
" est dédié
à la
coopération transfrontalière. Il se compose de 15 programmes
concernant notamment l'aménagement du territoire européen.
- "
REGIS
" vise l'intégration des DOM dans la
Communauté.
- "
LEADER
" soutient des projets innovants de
développement local.
- "
Emploi et Développement des Ressources
Humaines
" est doté de 190 millions d'Ecus.
- "
Mutations industrielles
" regroupe les programmes
ADAPT, RECHAR, RESIDER, KONVER, RETEX et PME, qui sont relatifs aux
reconversions industrielles et militaires.
- "
URBAN
" est destiné aux quartiers en
difficulté. 13 villes françaises en ont
bénéficié : Valenciennes, Roubaix/Tourcoing, Mulhouse,
Amiens, Marseille, Les Mureaux, Aulnay-sous-Bois, Mantes-la-Jolie,
Clichy-Montfermeil, Châlon-Sur-Saône, Saint-Etienne, Bastia, le
Grand Est Lyonnais.
- "
PESCA
" est dédié à la
restructuration du secteur de la pêche.
Source : " Jaune " budgétaire sur l'aménagement du
territoire
3. Des crédits significatifs
Comme l'indique le fascicule budgétaire " jaune " déposé avec le projet de loi de finances pour 1999, les crédits en provenance du budget communautaire représentent des montants considérables :
CRÉDITS D'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE EN
PROVENANCE
DES FONDS ET PROGRAMMES EUROPÉENS
(en millions de
francs)
|
1998 |
1999 |
Objectif 1 |
2 372,5 |
2 372,5 |
Objectif 2 |
4 459,0 |
4 459,0 |
Objectif 5b |
2 424,5 |
2 424,5 |
PIC |
966,7 |
1 762,5 |
TOTAL |
10 222,7 |
11 018,5 |
Source
: " jaunes budgétaires " de
1998
et 1999.
Le total des crédits européens représente plus de x fois
le budget de l'aménagement du territoire (au sens strict), et
près de x % du total de l'effort financier (au sens large) en
faveur de l'aménagement du territoire.
Dans ces conditions, votre commission des affaires économiques
appelle le Gouvernement à la plus grande vigilance pour la
réforme en cours de la politique structurelle communautaire.
Elle déplore, en outre, très vivement la lourdeur et la
complexité des circuits administratifs et financiers de consommation des
crédits européens, qui tendent à accréditer
l'idée, auprès de ses partenaires européens, que la France
n'a pas besoin des crédits des fonds structurels.
B. UNE RÉFORME PROGRAMMÉE PAR " AGENDA 2000 " DANS LE CADRE DE L'ÉLARGISSEMENT DE L'UNION EUROPÉENNE
La
Commission européenne a publié, en Juillet 1997, dans une
série de documents dénommés "
Agenda 2000 :
pour une Union plus forte et plus large
", ses propositions pour le
futur cadre financier de l'Union européenne, valable pour la
période de 2000-2006.
Ce programme présente une proposition de réforme de la Politique
agricole commune, remarquablement analysée par la mission d'information
sur l'avenir de la PAC constituée au sein de votre commission, dans son
rapport d'information : "
Quelle réforme pour la politique
agricole commune ?
"
9(
*
)
.
" Agenda 2000 " propose également une
réforme
de la politique structurelle
de l'Union européenne, qui
représente un tiers du budget communautaire. Répondant à
un objectif de " concentration " et de " simplification ",
cette réforme s'inscrit aussi dans le cadre de l'élargissement
prochain de l'Union européenne aux pays d'Europe centrale et orientale.
Elle laisse donc présager à moyen terme un déplacement
vers l'Est européen des transferts financiers communautaires
en
matière de politique structurelle.
1. Un contexte déterminant : l'élargissement de l'Union à l'Est européen
Comme le
fait judicieusement observer le rapport précité de la mission
d'information de votre Haute Assemblée, l'élargissement à
l'Est de l'Union européenne lance un défi sans
précédent aux politiques communautaires.
Les dix pays candidats présentent en effet, d'après les chiffres
de la Commission européenne
10(
*
)
,
un produit intérieur brut
par habitant égal à seulement un tiers de la moyenne
communautaire actuelle
.
Au sein des pays candidats eux-mêmes, l'écart est important : il
va de 1 à 3,2 entre les deux candidats " extrêmes ",
disparité plus importante que les écarts de développement
existant entre le plus riche et le moins riche par habitant des 15 membres
actuels (rapport de 1 à 2,6 entre la Grèce et le Luxembourg).
Dans " Agenda 2000 ", la Commission fait observer que du fait de
l'élargissement, la baisse du PIB par habitant communautaire moyen sera
supérieure à la somme des baisses successivement intervenues lors
des précédents élargissements.
Or le
principe de cohésion et de réduction des écarts
de développement
est l'un des fondements de la construction
européenne, inscrit à l'article 130 A du Traité sur
l'Union européenne.
Faibles contributeurs au budget communautaire, les pays candidats d'Europe
centrale et orientale risquent donc d'être fortement consommateurs de
crédits des politiques structurelles européennes.
Dans ce contexte, et malgré la décision du Conseil
européen d'Édimbourg de porter le budget des fonds structurels
à 275 millions d'Ecus pour 2000-2006, l'actuelle politique
structurelle communautaire est-elle soutenable dans le moyen terme ? La mission
d'information du Sénat sur l'avenir de la PAC faisait d'ailleurs
observer à cet égard que :
" En application des critères actuels,
tous les PECO seraient
éligibles
à l'objectif 1
des fonds structurels. Si
rien n'est changé, le nombre d'habitants pouvant
bénéficier de cette aide passerait alors de 94 à
200 millions, soit près des 2/3 de l'Union (60,4 %).
Ces chiffres montrent le caractère difficilement soutenable de la
politique structurelle actuelle. Ils posent ainsi le problème du
transfert de la solidarité intra-communautaire.
Ils hypothèquent à terme la capacité de l'Union
Européenne à venir en aide aux zones rurales des pays les moins
défavorisés de la Communauté ".
2. Les propositions de la commission européenne
a) Les principes de la réforme proposée
Les
propositions de règlements
11(
*
)
européens relatifs à
la réforme des fonds structurels ont été
transmis
12(
*
)
, par le
Gouvernement, en vertu de l'article 88-4 de la Constitution, à
l'Assemblée nationale et au Sénat, dans le cadre de la
proposition d'acte communautaire n° E-1061.
Cette proposition d'acte communautaire E 1061 comporte
quatre propositions
de règlements
du Conseil relatives :
- aux
dispositions générales sur les fonds
structurels
;
- au
fonds européen de développement régional ;
-
au
fonds social européen ;
-
aux
actions structurelles dans le secteur de la pêche.
Elle définit le cadre dans lequel quinze Etats membres actuels recevront
218,7 milliards d'écus au titre des fonds structurels
sur un
total de
275 milliards d'écus
pour la période
2000-2006.
Deux principes gouverneraient désormais la politique des fonds
structurels : la concentration et la décentralisation
La
concentration géographique
conduirait à resserrer le
périmètre des régions éligibles aux fonds
structurels.
Actuellement
, ces régions correspondent à
51 %
de la population européenne.
En 2006
et
moyennant des mesures de transition (réduction des aides " en
sifflet "), la population des régions éligibles serait de
35 à 40 %
de la population communautaire.
La
décentralisation des aides
implique qu'une fois celles-ci
accordées, les Etats membres et les régions seraient responsables
de leur gestion.
Trois objectifs remplaceraient les sept objectifs actuels
:
L'objectif 1
serait consacré aux régions en retard de
développement dont le PIB par habitant est inférieur au seuil de
75 % de la moyenne communautaire
. Les régions actuellement
éligibles et qui ne répondraient pas au nouveau critère
(notamment la Corse et le Hainaut en France
) bénéficieraient
d'un soutien progressivement réduit jusqu'au 31 décembre 2005.
L'objectif 2
serait destiné aux
régions en reconversion
économique et sociale
, qu'elles soient
rurales, urbaines ou
dépendantes de la pêche
. La population résidant dans
les zones éligibles à l'objectif 2 ne devrait pas dépasser
18 % du total de l'Union en 2006. Les zones qui bénéficient
actuellement des objectifs 2 et 5b, qui ne seront plus éligibles au
nouvel objectif 2 bénéficieraient d'un appui dégressif du
FEDER jusqu'au 31 décembre 2003.
L'objectif 3
tendrait au
développement des ressources
humaines
.
La Commission propose enfin une simplification
de la gestion
financière et un accroissement de l'évaluation des
résultats
La transparence de l'attribution des financement serait accrue par
l'établissement de rapports annuels, la collecte
d'éléments statistiques et le suivi des programmes par
l'autorité locale chargée de leur gestion, les Etats membres et
la commission.
Le paiement des aides serait facilité (octroi d'avances).
b) Le calendrier
Alors
que la Commission a présenté ses premières propositions de
réforme le 15 juillet 1997 dans
" Agenda 2000 ", le Conseil européen de Cardiff,
réuni le 15 juin 1998, a fixé une date butoir pour
l'adoption de la réforme des fonds structurels :
fin mars 1999,
pour une application au 1er janvier 2000.
C'est donc dans les toutes prochaines semaines que vont se dérouler les
négociations sur la réforme des fonds structurels.
c) La position de la Délégation du Sénat pour l'Union européenne
Attentive à cet enjeu d'importance pour notre pays, la
Délégation du Sénat pour l'Union européenne a
présenté, en décembre dernier, un rapport d'information
sur l'avenir des fonds structurels européens dans le cadre
d'Agenda 2000, intitulé : "
Agenda 2000, quelle
politique régionale pour une Europe élargie
? "
13(
*
)
.
La Délégation a, en outre, décidé, lors de la
réunion du mardi 16 juin 1998, le dépôt
d'une proposition de résolution
14(
*
)
sur la proposition d'acte
communautaire E 106 relative à la réforme des fonds structurels,
faisant suite à une communication de M. Yann Gaillard.
Cette proposition de résolution soutient le principe d'une
réforme des fonds structurels, et formule des propositions quant aux
modalités de cette réforme :
BREFS
EXTRAITS DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION N° 174
DE LA
DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE
(...)
2. Répartition des fonds disponibles
Considérant (...) qu'il est proposé d'affecter à la
réalisation de l'objectif 1 les deux tiers des crédits des Fonds
structurels, soit une augmentation en valeur d'environ 20 % par rapport
à l'actuelle période de programmation ; que, dans le même
temps, la diminution des zonages conduira à réduire d'environ
vingt millions le nombre d'habitants couverts par cet objectif ; (...)
Considérant qu'il est essentiel d'établir une politique durable
d'action structurelle dans une Europe destinée à
l'élargissement ; que cette politique doit être conduite dans le
souci de contenir les dépenses budgétaires ; que les
nouveaux adhérents pourraient légitimement prétendre, dans
l'avenir, à un niveau d'aide équivalent à celui
accordé aux actuels membres de l'Union :
-
souhaite qu'un rééquilibrage des dotations entre
l'objectif 1 d'une part, et les objectifs 2 et 3, d'autre part, soit
effectué au profit de ces derniers. (...)
7. Dispositif transitoire
Considérant que les mesures prévues au titre du dispositif
transitoire ne sont pas suffisamment claires, alors même qu'il s'agit
d'un élément essentiel de la réforme envisagée :
-
demande au Gouvernement d'obtenir une estimation chiffrée des
fonds disponibles au seul titre du dispositif transitoire de sortie,
- souhaite une clarification de la nature des opérations qui seront
envisageables en période transitoire,
- demande l'uniformisation des dates d'achèvement des
périodes transitoires. (...)
d) Les inquiétudes de votre commission
Votre
commission exprime ses vives inquiétudes sur deux points :
- la réduction de la taille des zones éligibles.
Concernant notamment l'objectif 1, la " concentration " des fonds
aura pour effet de faire sortir du dispositif communautaire certaines zones
françaises jusqu'alors éligibles, tandis qu'à objectif
sera consacrée une part plus importante du total de l'enveloppe
communautaire ;
-
la " préservation " de la spécificité
rurale
. La fusion des objectifs proposée et leur nouvelle
définition au sein de l'objectif 2 " nouvelle formule "
laissent présager une dilution de la priorité accordée au
monde rural au profit d'objectifs plus larges, " fourre-tout ",
englobant
à la fois les zones rurales et les zones urbaines
.
Votre commission demande au Gouvernement d'être très attentif
à ces deux écueils pour la négociation à venir.