IV. LES PERSPECTIVES DE RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SCOLAIRE
L'école de la République ne joue plus
aujourd'hui le
rôle d'ascenseur social qu'elle exerçait dans un passé
encore récent et tend même, selon certains, à reproduire,
voire à aggraver les inégalités.
Le nombre de sorties sans qualification du système éducatif ne
traduit pas à lui seul la gravité du
phénomène : les formations inadaptées à
l'emploi, les apprentissages fondamentaux mal assimilés, les
orientations hasardeuses dans des filières qui conduisent trop
d'élèves à l'échec scolaire, à des
filières de relégation ou à des impasses sur le plan
professionnel traduisent ainsi les principaux dysfonctionnements de notre
système scolaire.
La conception de l'école unique a vraisemblablement vécu et
chaque niveau d'enseignement devra sans doute être profondément
revu et aménagé pour répondre aux besoins d'une population
scolaire de plus en plus hétérogène.
Si notre enseignement scolaire a répondu sur le plan quantitatif de
manière satisfaisante au défi de la démocratisation, il
lui faut désormais répondre à celui de la qualité
en s'adaptant et en se diversifiant, qu'il s'agisse de l'école primaire,
du collège et du lycée.
A. UNE NÉCESSAIRE RÉFORME DE L'ÉCOLE PRIMAIRE
1. Les propositions de réforme
a) La charte pour l'école du XXIe siècle
Présenté le 28 août dernier et sous un
intitulé qui se veut ambitieux, ce document s'articule autour de trois
thèmes : adapter les programmes en les centrant sur les apprentissages
fondamentaux du langage, de la lecture, de l'écriture et du calcul, en
les articulant avec les programmes de collège, mettre en place de
nouveaux rythmes scolaires afin de tenir compte des conditions sociales de
l'enfant dans une perspective d'égalité des chances, repenser le
métier de professeur des écoles en lui donnant une plus grande
autonomie pédagogique et en favorisant le travail en équipes.
S'agissant des programmes, il convient de rappeler que la dernière
réforme en ce domaine ne remonte qu'à 1995.
Une expérimentation devait être engagée début 1999
auprès de 2 000 écoles volontaires dont la moitié en
ZEP, mais ce projet semble aujourd'hui remis en cause. Avec le concours de
l'Institut national de recherche pédagogique, un débat national
sur l'école devrait être organisé et un bilan des
réformes engagées depuis dix ans sera établi.
Si cette charte a été plutôt bien accueillie par les
organisations syndicales et les parents d'élèves, il est
vraisemblable que la mise en oeuvre de cette réforme nécessitera
de recruter des personnels supplémentaires, notamment pour les
activités sportives, de recourir davantage aux emplois-jeunes, voire de
redéfinir à terme le service des enseignants. Elle pose
également le problème de la gratuité des activités
proposées.
b) Le rapport Pair
Ce
rapport qui a été remis au ministre en février 1998
propose un ensemble de mesures tendant, notamment, à réorganiser
la gestion des établissements du premier degré en leur
conférant une plus grande autonomie et en confiant à chaque
inspecteur d'académie un secteur comportant un nombre plus réduit
d'écoles et d'établissements.
Il suggère également d'instaurer un échelon
hiérarchique intermédiaire entre les inspecteurs de
l'éducation nationale et les directeurs d'écoles et de regrouper
certaines écoles primaires en établissements dotés d'une
sorte de " super directeur ".
c) Le rapport Ferrier
Publié le 25 septembre dernier, ce rapport a pour
objectif
d'améliorer l'efficacité des écoles primaires et propose
notamment qu'une évaluation soit organisée à
l'entrée au cours préparatoire et qu'un " brevet des
écoles ", passé à l'issue du CM2, permette
d'évaluer les élèves sur l'ensemble des disciplines, cet
examen devant être sans incidence sur le passage au collège.
Il souligne également le faible intérêt des
évaluations actuelles effectuées en CE2 et dénonce une
baisse continue du temps consacré aux apprentissages fondamentaux, ainsi
que les pertes de temps dans l'école. Il s'interroge aussi sur la
portée pédagogique de certaines sorties scolaires, propose de
revenir à des programmes plus concrets, d'approfondir la formation des
directeurs d'école et des enseignants appelés à exercer en
maternelle et de réviser la réglementation générale
relative à la prise en charge en milieu scolaire des enfants en grande
difficulté ou handicapés.
2. Le nécessaire rétablissement des missions fondamentales de l'école primaire
Ces
diverses propositions témoignent que l'école primaire n'assure
plus les missions qui lui sont assignées, notamment celle qui consiste
à faire acquérir à tous les élèves du cycle
des apprentissages fondamentaux une bonne maîtrise de la lecture et de
l'écriture et de prendre en charge, tout au long du cycle des
approfondissements, les élèves en difficulté
d'apprentissage.
Dans cette perspective, tout doit être mis en oeuvre pour qu'aucun
élève n'arrive au collège sans une maîtrise
suffisante de ce qui conditionne sa réussite scolaire.
En fait, la situation apparaît aujourd'hui, sur ce point,
particulièrement inquiétante.
L'illettrisme constitue un fléau pour notre société et il
n'est pas acceptable, comme le révèlent les estimations les plus
crédibles, que 10 à 20 % des jeunes appelés se
situent en deçà du seuil de la lecture d'un texte approfondi.
En dépit d'initiatives pédagogiques prises depuis 1990 et d'une
refonte des programmes décidée en 1995, le système
scolaire reste incapable de récupérer les élèves en
grande difficulté et témoigne de l'absence d'une politique
cohérente contre l'illettrisme.
La situation des ZEP est particulièrement préoccupante :
leurs élèves, en classe de CE2 et en sixième, sont deux
fois plus nombreux que les autres à ne pas maîtriser les
compétences de base en lecture et aucune amélioration en ce
domaine n'est perceptible depuis plusieurs années du fait de la
dégradation continue de l'environnement général de ces
zones.
Votre commission considère qu'une véritable politique de la
lecture doit être entreprise sur un plan général et dans
les zones défavorisées : toutes les méthodes
d'apprentissage de la lecture ne se valent pas et certaines sont plus efficaces
que d'autres, notamment pour les élèves en situation de
détresse scolaire.
L'ère des colloques et des assises sur la lecture est aujourd'hui
révolue et des consignes pédagogiques claires et concrètes
doivent rapidement être données aux enseignants des écoles
afin d'éradiquer ce fléau de l'illettrisme.
3. L'enseignement des langues vivantes dans le premier degré
Cet
enseignement doit privilégier la continuité de l'apprentissage
tout au long du cursus, le développement des compétences des
élèves à l'oral et le recours à de nouvelles
approches pédagogiques incluant notamment l'utilisation des technologies
nouvelles.
La rentrée scolaire 1998 a permis d'envisager une
généralisation progressive de l'enseignement d'une langue vivante
à l'école primaire, choisie par les parents en fonction des
langues vivantes offertes en sixième dans le collège du secteur
afin d'assurer une continuité de l'apprentissage entre l'école et
le collège.
Cet enseignement sera généralisé dans toutes les classes
comprenant des élèves de CM2, soit 16 000 classes
nouvelles. Au total, 636 000 élèves de CM2, soit
96 % de l'effectif, recevront un enseignement de langue vivante
étrangère, cet enseignement devant être étendu au
CM1 à la rentrée 1999.
Proposé en allemand, anglais, arabe, espagnol, italien, portugais et
russe, cet enseignement d'au moins 90 minutes par semaine, réparti
autant que possible en séquences courtes et régulières,
mettra l'accent sur la communication orale.
L'enseignement d'une langue vivante étrangère au CM2 sera
dispensé par des personnels enseignants du premier et du second
degré, des assistants étrangers et des intervenants
extérieurs agréés. Tous ces personnels devront intervenir
en complément des personnels déjà en place. Environ
1 000 assistants étrangers seront recrutés et
affectés dans les écoles primaires.
La continuité de l'apprentissage des langues vivantes entre
l'école primaire et le collège sera assurée dans toutes
les langues proposées, notamment pour celles dont on souhaite
développer davantage l'apprentissage : allemand, arabe, italien,
portugais, russe. Les familles devraient être informées de l'offre
académique ainsi que des particularités et de l'utilité de
chacune des langues proposées.
Des groupes de pilotage académiques des langues vivantes sont
chargés de la cohérence et du suivi de l'ensemble des actions
engagées dans le premier et le second degrés. Au niveau national,
un groupe est chargé de la mise en place de la réforme de
l'enseignement des langues dans l'ensemble de l'enseignement scolaire, un
rapport d'évaluation devant être remis en juin 1999.
Votre commission qui prête, depuis plusieurs années, une attention
toute particulière au développement du pluralisme linguistique
dans l'enseignement des langues ne peut que saluer ces orientations mais
restera attentive à leur mise en oeuvre effective, notamment dans
l'enseignement primaire, afin d'éviter de perpétuer le
" tunnel du tout anglais ".
4. La mise en place de nouveaux rythmes scolaires
L'objectif recherché par le gouvernement en ce domaine est de promouvoir la réussite scolaire et l'épanouissement de la personnalité des enfants des écoles maternelles et élémentaires et des élèves de collège, en particulier ceux qui ont le plus de difficultés à accéder aux différentes formes de culture.
a) L'historique de l'aménagement des rythmes scolaires
En 1939,
le calendrier scolaire est arrêté pour la première fois au
niveau national et les " petites " vacances font leur apparition.
Le zonage des vacances scolaires est créé dans les années
60.
Depuis 1979, les recteurs ont la possibilité de déroger aux dates
nationales pour les établissements concernés par
l'aménagement du temps.
En 1984, une circulaire de l'éducation nationale et de la jeunesse et
des sports permet de développer les divers contrats d'aménagement
du temps scolaire.
En 1986, le principe du 7-2 est adopté : cinq périodes de sept
semaines entrecoupées de deux semaines de congés.
En 1991, l'initiative de l'aménagement du temps scolaire est
laissée aux conseils d'école.
En 1995, les " sites Drut " sont lancés (cinq matinées
consacrées aux disciplines scolaires et après-midi " sans
cartable ").
En 1998, le ministre annonce la naissance du contrat éducatif local qui
doit s'inscrire dans le cadre d'un projet éducatif global et une
nouvelle organisation de la journée de classe : disciplines
fondamentales le matin, plus légères en début
d'après-midi, retour aux disciplines fondamentales en milieu de
journée, études surveillées en fin d'après-midi.
Cette organisation relèverait des aides-éducateurs sous le
contrôle des enseignants : 2 000 écoles pilotes seraient
concernées d'ici au début de 1999.
b) La charte de l'école du XXIe siècle
Cette
charte prévoit d'abord une nouvelle conception des programmes. A
l'école primaire, ils doivent être centrés sur des
objectifs et tenir compte du fait que les connaissances acquises à
l'école primaire seront complétées par celles acquises
ultérieurement au collège et jusqu'au terme de la
scolarité obligatoire.
Pour concevoir de nouveaux rythmes sur la journée seront prises en
compte les capacités de l'enfant, la nécessité de
développer les activités artistiques et sportives, la demande
d'accueil à l'école jusqu'à 18 heures, et
l'obligation pour l'éducation nationale d'accueillir de manière
spécifique les enfants en difficulté.
Les activités de l'après-midi doivent être conçues
sous l'autorité des enseignants du premier degré et la fin de la
journée scolaire devrait être consacrée en partie à
l'aide aux devoirs et aux leçons.
c) Le contrat éducatif local
Le
projet éducatif local est destiné à remédier aux
inégalités qui se développent pendant les temps où
les enfants ne sont pris en charge ni par l'école, ni par leur famille.
Cet objectif suppose d'une part une réflexion globale sur
l'équilibre entre temps scolaire, périscolaire (avant ou
après l'école), et extrascolaire (en soirée, le mercredi,
en fin de semaine et pendant les vacances) et, d'autre part, une articulation
entre le projet éducatif local et le projet d'école.
Les administrations d'Etat et les collectivités locales devraient mettre
en commun leurs moyens pour élaborer un contrat éducatif local.
Ce contrat pourra concerner un large secteur géographique -groupement de
communes, ville, arrondissement ou quartier de grande ville- en priorité
dans les zones sensibles ou en difficulté, urbaines et rurales.
Les activités proposées aux enfants et aux adolescents devraient
permettre un accès plus large à toutes les formes
d'activités d'éveil, en particulier à la culture et au
sport.
d) La mobilisation de tous les partenaires concernés
Les
parents seront associés à la mise en place de ces
activités et à leur réalisation. Les personnels de
l'éducation nationale pourront s'y associer également, par
exemple dans le cadre des opérations " école ouverte ".
Les locaux scolaires devraient rester ouverts au maximum après la
classe, notamment au collège.
Tous les projets contractualisés existants qui concourent aux
mêmes fins que les contrats éducatifs locaux leur seront
intégrés : contrats d'aménagement des rythmes de vie des
enfants et des jeunes, dispositifs d'accompagnement scolaire, contrats de
ville, contrats temps libre...
Chaque projet retenu pourra bénéficier des moyens et du
financement des différents départements ministériels
concernés (éducation nationale, jeunesse et sports, culture,
ville).
Les collectivités locales devraient contribuer aux contrats par leurs
équipements, leurs personnels, notamment les emplois-jeunes, et leurs
moyens financiers. D'autres partenaires (associations, caisses d'allocations
familiales, fonds d'action sociale, parents bénévoles...)
pourront s'associer à ces contrats.
La circulaire interministérielle du 9 juillet 1998 relative à la
mise en place du contrat éducatif local et des rythmes
périscolaires définit les modalités de
l'aménagement du temps et des activités de l'enfant. Les contrats
éducatifs locaux issus des projets validés par les groupes de
pilotage départementaux placés sous la responsabilité du
préfet et de l'inspecteur d'académie, devraient entrer en vigueur
dès l'année scolaire 1998-1999.
e) Les observations de la commission
L'organisation des rythmes scolaires passe d'abord sans doute
par
une redistribution des grandes et des petites vacances tout au long de
l'année scolaire à laquelle les associations de parents
d'élèves devront nécessairement être
associées.
Sur un plan plus général, les parents d'élèves
devraient être consultés et régulièrement
informés sur tout ce qui touche à l'organisation du temps
scolaire et du temps des études.
S'agissant de l'organisation même des rythmes scolaires et
périscolaires, c'est-à-dire les activités sportives,
culturelles, informatiques, il importe que ces activités, même si
elles sont assurées par des intervenants extérieurs ou des
aides-éducateurs de type emplois-jeunes, restent sous le contrôle
pédagogique des enseignants et qu'une continuité des
activités entre le matin et l'après-midi, entre les
activités purement scolaires et les autres, soit
privilégiée.
La mise en place des aides à l'étude en fin de journée,
à l'issue de ces activités périscolaires, constitue sans
doute un bon moyen de renforcer cette continuité.
Votre commission s'interroge cependant sur la nécessité d'engager
une nouvelle expérimentation des rythmes scolaires telle que celle-ci
était préconisée à l'origine par la charte de
l'école du XXIe siècle : les nombreuses expériences
déjà engagées avec les collectivités locales, soit
à titre isolé (Epinal, St Fons...), soit sur une plus grande
échelle sous l'égide de l'ancien ministre de la jeunesse et des
sports, fournissent déjà des éléments d'observation
substantiels.
Elle souligne enfin les inégalités qui sont susceptibles de
résulter de la mise en oeuvre de rythmes scolaires, faisant une large
part à des activités périscolaires coûteuses qui
seront pour l'essentiel supportées par les communes.
Si des formules de regroupement entre collectivités locales et des aides
substantielles de l'Etat ne sont pas développées, on voit mal
comment pourra être assurée l'égalité entre les
élèves dans l'accès à ces activités
périscolaires.
Sauf à développer dans d'autres proportions les emplois-jeunes
qui étaient à l'origine prévus pour apporter une
assistance aux équipes pédagogiques, le problème de
l'encadrement et du financement des activités suscitées par le
développement des rythmes scolaires reste donc posé.