II. LES PRÉVISIONS : UN RETOUR À L'ÉQUILIBRE PRÉCAIRE ET PARTIEL
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 s'inscrit dans la perspective d'un retour à l'équilibre du régime général, ainsi que de la plupart des régimes de base de sécurité sociale. Cette évolution favorable mériterait d'être saluée, si elle n'apparaissait pas à la fois précaire et partielle.
A. DES HYPOTHÈSES D'ÉVOLUTION TENDANCIELLE OPTIMISTES
1. Un retour fragile à l'équilibre grâce à la croissance
L'équilibre emplois-ressources de l'ensemble des
régimes de base entrant dans le champ des lois de financement de la
sécurité sociale, tel que retracé à
l'annexe C, fait apparaître un excédent des opérations
courantes de 3,4 milliards de francs pour 1999. Cet excédent fait
suite à un déficit de -11,2 milliards de francs en 1998 et
à un déficit de -33,9 milliards de francs en 1997.
Les montants totaux retracés dans le tableau ci-après se
différencient des prévisions de recettes évaluées
par l'article 12 du projet de loi de financement, soit
1.799,2 milliards de francs, et des objectifs de dépenses
fixés par l'article 32, soit 1.788,7 milliards de francs, car
ils intègrent à la fois, en emplois et en ressources, les
transferts entre régimes de sécurité sociale.
La
contribution du régime général de sécurité
sociale à ce redressement apparaît décisive, compte tenu de
son importance relative. En effet, ce régime sert 100 % des
prestations familiales, 79 % des prestations d'accidents du travail, 82 %
des prestations d'assurance maladie et 45 % des prestations de retraite.
Le régime général de sécurité sociale,
qui n'a plus connu de situation excédentaire depuis 1989, reviendrait
d'un déficit maximal de - 67,4 milliards de francs en 1995
à un léger excédent de 352 millions de francs en
1999
.
Cette
amélioration tendancielle résulte d'un effet de ciseaux entre les
recettes et les dépenses, qui a déjà permis une
amélioration du fonds de roulement du régime
général de 20 milliards de francs en 1997, comme en 1998.
L'an prochain, les recettes évolueraient globalement de
+ 2,7 % et les dépenses de + 1,6 %. Cet écart
de 1,1 point, appliqué à une masse de 1.300 milliards
de francs, ramène le déficit de 13,3 milliards de francs en
1998 à l'équilibre pour 1999.
Toutefois, ainsi que le souligne le rapport de la commission des comptes de la
sécurité sociale, "
la prudence oblige toutefois à
relativiser la signification de ce solde précis de
+ 352 millions de francs, compte tenu des masses en jeu.
Le solde
reste obligatoirement entaché d'une marge d'incertitude importante, bien
supérieure à celle propre aux recettes d'une part, aux
dépenses d'autre part
. Une erreur de prévision de un
millième sur les recettes et sur les dépenses (une
prévision aussi précise est déjà un très bon
résultat), conduit ainsi à une variation du solde de plus ou
moins 2.600 millions de francs
."
Au-delà de cette réserve d'ordre statistique, la
sincérité des comptes tendanciels du régime
général appelle des critiques plus graves.
2. Des hypothèses macro-économiques frappées d'aléas importants
Les hypothèses macro-économiques du projet de loi de financement de la sécurité sociale sont les mêmes que celles du projet de loi de finances. Elles apparaissent tout aussi fragiles.
En
effet, les derniers développement de la crise financière
internationale ont conduit de nombreux prévisionnistes à retenir
une hypothèse de croissance du PIB en 1999 moins favorable que celle de
+ 2,7 % avancée par le Gouvernement. Ainsi, la moyenne des
prévisions de croissance des principaux instituts indépendants se
situe autour de + 2,5 %, les plus pessimistes anticipant une croissance de
2 % seulement. Les membres du panel de conjoncture du Conseil d'analyse
économique placé auprès du Premier ministre ont
également anticipé, par consensus, une croissance du PIB de
2,5 % en 1999.
Les experts indépendants, au-delà de cet écart de niveau
entre leurs prévisions et celle du Gouvernement, insistent sur
l'ampleur des aléas
qui en conditionnent la fiabilité.
Qu'il s'agisse du redressement des pays asiatiques, de la contagion de la crise
aux pays d'Amérique latine, de l'évolution de la situation en
Russie ou du taux de change du dollar, les hypothèses retenues
apparaissent conventionnelles et les risques de rupture particulièrement
grands.
L'incertitude ne porte pas uniquement sur la croissance en volume du PIB. Elle
concerne également la prévision de progression des prix. Les
derniers résultats rendus publics par l'INSEE pour le mois de septembre
1998 font état d'un taux d'inflation de 0,5 % en glissement annuel.
La confirmation de l'impact déflationniste de la crise internationale
rend incertaine l'hypothèse d'une hausse des prix de + 1,3 %
retenue par le Gouvernement pour 1999.
Egalement contestable, apparaît la prévision d'une croissance de
la masse salariale de + 4,3 % en 1999. Cette évolution
résulterait d'une progression de l'emploi égale à celle de
1998, soit + 1,8 %, et d'une accélération de la hausse
du salaire par tête, soit + 2,5 % en 1999 contre
+ 2,2 % en 1998. L'amélioration de l'emploi suppose la
réalisation de la prévision de croissance de l'économie.
Quant à la hausse du salaire moyen par tête, elle apparaît
compromise par la réduction du temps de travail. Si l'impact final de
cette réforme reste controversé, il ne fait guère de doute
qu'elle se traduira dans l'immédiat par une modération salariale
de la part des entreprises.
Pour fixer les idées, précisons
qu'un point de masse salariale en moins entraîne un manque à
gagner de l'ordre de 9 milliards de francs pour le régime
général
.
Par ailleurs, les exonérations de cotisations sociales liées
à la réduction du temps de travail ne seraient que partiellement
compensées par le budget de l'Etat. Le rapport de la commission des
comptes de la sécurité sociale précise que les effets
positifs prévus de la loi sur la réduction du temps de travail
sur l'emploi (+ 0,3 point) n'ont pas été
intégrés à l'hypothèse d'évolution de la
masse salariale en 1999.
"
En conséquence, la compensation par l'Etat au régime
général des pertes de cotisations liées aux abattements de
cotisations patronales, n'a pas non plus été
intégrée dans le poste "cotisations prises en charge".
Il a
été fait l'hypothèse pour ce compte, que les
suppléments de recettes générés en 1999 par les
emplois créés neutraliseraient les pertes de cotisations nettes
des compensations prévues par l'Etat
. Le coût en
matière d'exonérations des parts employeur est estimé
à environ 7,2 milliards de francs tous régimes en 1999, dont
4,6 milliards pour le régime général. Il sera donc
financé pour partie par une contribution de l'Etat, l'autre partie
résultant des effets positifs de l'emploi sur les recettes de
cotisations
."
3. Une prévision "autoréalisatrice" pour l'assurance maladie
Le point
le plus contestable de la projection tendancielle présentée par
le Gouvernement est l'hypothèse d'évolution des dépenses
d'assurance maladie. En effet, le compte tendanciel table sur un retour de ces
dépenses en 1999 à un taux de croissance modéré de
+ 2,6 % et non pas sur la prolongation du taux de + 3,4 %
désormais prévu pour 1998.
Le taux d'évolution
spontané des dépenses de la branche maladie se trouve ainsi, par
construction, identique au taux d'évolution volontairement fixé
par l'objectif national des dépenses d'assurance maladie de 1999
.
Cette hypothèse aboutit à vider de son sens la notion même
de compte tendanciel.
Le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale
souligne ce fait : "
C'est pour la maladie que ce compte a clairement la
nature d'un objectif ambitieux
.
Il est difficile d'en apprécier
la validité tant que ne sont pas connues les mesures destinées
à permettre de l'atteindre.
On peut cependant rappeler les ordres de grandeur suivants. Les comptes de 1998
présentent un dérapage des dépenses maladie à
hauteur de 6 milliards de francs environ par rapport aux objectifs de
l'ONDAM voté.
La poursuite à l'identique de ce
dérapage, en 1999, porterait les dépenses 12 milliards de
francs au-dessus du niveau retenu dans le compte 1999 présenté
dans ce rapport, soit un total à résorber de 18 milliards de
francs sur les 15 mois qui restent à courir.
Supposer l'extrapolation du dérapage est largement arbitraire car ceci
suppose que les causes du dérapage sont totalement stables et
pérennes. Nous constatons ici combien manque un diagnostic approfondi,
allant au-delà de la simple constatation de l'accélération
des dépenses et s'attachant à en déterminer les raisons.
Le chiffre obtenu n'est qu'un ordre de grandeur qu'il faudrait pouvoir
préciser pour prendre la mesure des efforts de natures diverses que
supposent sa résorption
."
On ne saurait mieux dire que le Gouvernement confond objectif
d'évolution et évolution tendancielle et minimise ainsi l'effort
de maîtrise des dépenses nécessaire.