CHAPITRE II
UNE VALIDATION ACCEPTÉE "DU BOUT DES
LÈVRES"
Les
validations législatives sont soumises à deux types de
conditions. Le Conseil Constitutionnel veille à leur conformité
à la Constitution. Mais, l'intervention du Conseil suppose remplie une
autre condition primordiale, la volonté du législateur d'adopter
la validation.
A cet égard, la considération d'importants enjeux financiers,
mais aussi une volonté de sagesse, ont inspiré les travaux de la
commission des finances. Celle-ci a en outre pris note des projets de
réforme du financement de certains coûts liés à
l'exploitation des plates-formes aéroportuaires.
Le gouvernement a, en effet, présenté une refonte des modes de
financement des dépenses d'aviation civile assortie d'une réforme
de leur imputation budgétaire.
Cet ensemble de mesures sera examiné à l'occasion du vote du
projet de loi de finances pour 1999. Aussi, votre rapporteur se
contentera-t-il, à ce stade, d'en faire une présentation simple
avec quelques observations d'étape pour ouvrir un débat qui
demande à être enrichi et qui doit déboucher sur une
réforme entièrement cohérente.
I. UNE VALIDATION À SITUER DANS SON CONTEXTE
Les enjeux financiers du dossier sont importants. Un refus de validation supposerait de dégager des financements alternatifs dans des conditions difficiles. En outre, le gouvernement a introduit une réforme des modalités de financement de certaines dépenses liées à l'exploitation des aéroports. Ce fait nouveau n'est pas à négliger. Il importe, au contraire, d'en faire une analyse précise et d'en tirer les conséquences en proposant un système plus cohérent qe celui introduit par le gouvernement.
A. LES PROBLÈMES FINANCIERS
La
validation demandée comporte des enjeux financiers très
importants qu'il n'est pas possible de préciser entièrement
puisque leur montant est dépendant d'hypothèses peu
maîtrisables.
Il faut d'abord essayer de cerner qui devrait supporter "in fine" les
coûts d'une non validation.
C'est chose aisée s'agissant de la RSTCA dont on sait qu'elle constitue
l'une des principales ressources du budget annexe de l'aviation civile
géré par l'Etat à travers la direction
générale de l'aviation civile (DGAC).
L'affaire est plus complexe s'agissant des redevances perçues par les
aéroports. En ce cas, c'est "a priori" chacun des aéroports dont
les décisions prises en la matière auraient été
annulées qui devrait rembourser les sommes indûment
perçues. Mais, une éventualité existe, confortée
par les déclarations de certains gestionnaires, qui verrait ceux-ci se
retourner en garantie contre l'Etat.
Le sort d'une telle démarche est, bien sûr, incertaine, mais le
risque existe, soit que les gestionnaires mettent en cause la
responsabilité de l'Etat, soit qu'ils dénoncent les concessions
et demandent à l'Etat d'en assumer les pertes.
De surcroît, confrontés à des difficultés
financières sérieuses, les gestionnaires d'aéroports
pourraient se tourner vers leurs financeurs de proximité, les
collectivités locales qui ont pris l'habitude de conforter des
situations financières dégradées.
Il faut ensuite tenter d'évaluer les sommes qui pourraient être
répétées.
S'agissant de la RSTCA, les évaluations fournies renvoient à un
montant d'indu de l'ordre de 50 millions de francs par an, soit une somme
total de l'ordre de 460 millions de francs compte tenu de la
période à rembourser et d'hypothèses de taux.
Trop-perçus au titre de la RSTCA
(en millions de francs)
|
Trop perçu SSIS |
Trop perçu GTA |
Total trop perçu pour l'exercice |
Trop perçu actualisé à fin 1999 |
(Dont intérêts sur trop perçu) |
1991 |
14,0 |
38,4 |
52,3 |
86,3 |
33,9 |
1992 |
17,7 |
39,4 |
57,0 |
85,7 |
28,7 |
1993 |
18,4 |
39,6 |
58,0 |
78,9 |
20,9 |
1994 |
22,3 |
39,8 |
62,1 |
78,0 |
15,9 |
1995 |
23,0 |
6,7 |
29,8 |
35,3 |
5,6 |
1996 |
22,9 |
8,0 |
30,9 |
34,4 |
3,5 |
1997 |
27,8 |
7,1 |
34,9 |
37,4 |
2,5 |
7 mois 1998 |
18,7 |
4,2 |
22,9 |
23,7 |
0,8 |
TOTAL |
164,8 |
183,2 |
348,0 |
459,8 |
111,8 |
S'agissant des redevances aéroportuaires, l'estimation
est
plus complexe. D'abord, les sommes à rembourser dépendent de
l'introduction, cas par cas, de contentieux.
Ensuite, compte tenu de la qualité moyenne des comptabilités et
des difficultés à établir comment les coûts sont
imputés et financés, il est parfois difficile d'identifier les
sommes en jeu.
A partir d'une approximation, l'évaluation des coûts des missions
en cause en 1999, on peut estimer à 1 milliard par an la somme
globalement due par les aéroports. A partir de là, la question se
pose de savoir combien d'années devront être
répétées. Quelque peu indifférente pour ce qui
concerne la sûreté dont les aéroports n'ont commencé
à assumer les coûts que, récemment, à partir de
1996, elle est plus significative pour les charges de SSIS estimées en
1999 à 414 millions de francs. Si la prescription quadriennale
n'était pas applicable, d'autres prescriptions plus longues seraient
retenues, ce qui alourdirait d'autant la "facture". En bref, ce chiffre
étant sujet à caution, une somme globale de plus de
2 milliards pourrait être en cause. Une précision importante
doit être énoncée : cette somme doit être
ventilée entre les différents aéroports, à supposer
qu'ils soient les débiteurs effectifs, si bien que l'atteinte aux
intérêts financiers résultant d'une non validation doit
être appréciée au cas par cas, en fonction des sommes dues
et de la situation financière des différentes plates-formes.
En toute hypothèse, les sommes globales en jeu sont
considérables.
Un troisième élément de problématique
financière doit être abordé
. Il est constant que les
débiteurs des sommes à rembourser en cas de non validation ont
financé les coûts des missions assumées par eux. Il ne leur
est pas reproché de l'avoir fait ; il leur est reproché de
l'avoir mal fait. Cette malfaçon, on l'a dit, aurait pu et du être
évitée si l'on avait suivi les sages conseils de votre commission
des finances. Mais, exposer les débiteurs à des remboursements
effectifs reviendrait à les appauvrir pour avoir exercé des
responsabilités réelles et utiles, qui ne leur incombaient pas,
par de mauvais moyens.
Ce serait évidemment un peu choquant, même si la validation qui
nous est demandée implique de renoncer, pour le passé, à
des solutions toujours réclamées et qu'il faut promouvoir pour
l'avenir.
En effet, en validant les arrêtés et décisions en cause,
tout se passe comme si une redevance assise sur les passagers pouvait
constituer une source de financement de missions d'intérêt
général admissible.
Ce n'est évidemment pas l'intention de votre commission qui souhaite
seulement "purger" le passé et a pris note de l'intention du
gouvernement de corriger son système à l'avenir.
Votre commission souligne, à ce stade, qu'elle souhaite très
vivement que le gouvernement la suive dans ses propositions
d'amélioration du système qu'il propose pour l'avenir.
En revanche, il faut dénoncer une idée fausse selon laquelle, en
l'absence de validation, les compagnies à qui seraient reversées
les sommes indues s'enrichiraient sans cause. Juridiquement, ce n'est en effet
pas à elles qu'un service a été rendu, mais à la
satisfaction de l'intérêt général. En revanche, il
ne serait pas réaliste de nier qu'elles ont
bénéficié concrètement des missions dont seul le
financement est contesté. En langage économique, on dirait
qu'elles ont bénéficié des externalités positives
de la production d'un bien public, en l'espèce la sûreté et
la sécurité.
B. L'INSTAURATION D'UNE TAXE D'AÉROPORT
Afin de
remédier aux difficultés posées par le financement des
missions d'intérêt général assumées par les
gestionnaires d'aéroports à travers les redevances perçues
par eux, le gouvernement propose de créer une taxe d'aéroport.
Il faut rappeler, à nouveau, que votre commission des finances avait,
dans son rapport sur la loi de finances 1998
4(
*
)
stigmatisé ces manières
dans les termes suivants :
"
Il permettrait, en outre, d'éviter certaines dérives
actuellement constatées, au terme desquelles les exploitants
d'aéroports lèvent des redevances destinées à
financer des équipements de sûreté qu'ils mettent en place
dans un contexte de dispersion des initiatives.
Il s'agit bien là de dérives puisque l'usage de redevances pour
services rendus devrait être exclu lorsqu'il s'agit de financer des
dépenses qui sont effectuées essentiellement dans
l'intérêt général des usagers du transport
aérien, des populations survolées et, au fond, de la
collectivité nationale toute entière.
Elles sont d'autant moins acceptables que l'amélioration de la
sûreté aéroportuaire suppose, à l'évidence,
une action coordonnée et des solutions financières
réalistes
."
1. Présentation du projet
Le
dispositif proposé
qui s'appliquerait à compter du
1er avril 1999, consiste à classer les aéroports dont le
trafic dépasse les 1.000 passagers embarqués ou
débarqués en cinq grandes catégories en fonction du nombre
de passagers traités. Le tarif de la taxe serait échelonné
en fonction des cinq catégories d'aéroports ainsi
définies. En outre, il serait fixé par référence
à une fourchette.
Les classes d'aéroports et les limites de chacune des fourchettes
seraient fixées comme suit :
Classe |
1 |
2 |
3 |
4 |
5 |
Trafic de l'aérodrome ou du système aéroportuaire en total des passagers, embarqués ou débarqués |
à partir de 10.000.001 |
de 4.000.001 à 10.000.000 |
de 400.001 à 4.000.000 |
de 50.001 à 400.000 |
de 1.001 à 50.000 |
Tarifs par passager |
de 16 à 20 F |
de 8 à 17 F |
de 17 à 32 F |
de 32 à 65 F |
de 65 à 99 F |
Le
dispositif proposé s'articule autour d'une
répartition des
rôles entre le législateur et l'exécutif.
Le législateur est appelé à fixer les dispositions
concernant l'assiette, le débiteur de la taxe, à préciser
les règles de détermination de son taux et à
aménager les responsabilités en matière de recouvrement.
Mais, c'est l'exécutif qui est chargé de fixer, par
arrêté, la liste des aéroports en fonction des
catégories définies par le législateur et le tarif
précis applicable pour chaque aéroport.
S'agissant de l'assiette
, il est prévu que la taxe s'applique au
nombre de passagers embarqués par un transporteur aérien sur
l'aéroport à l'exception :
des "professionnels" embarqués ;
des enfants de moins de deux ans ;
des passagers en transit direct repartant sans changement d'avion avec le
même numéro de vol qu'à leur arrivée ;
des passagers victimes d'un atterrissage forcé en raison
"d'incidents techniques ou de conditions atmosphériques
défavorables".
En outre, l'application de la taxe n'est exigible que pour les vols
commerciaux. Ne sont pas considérés comme tels :
les évacuations sanitaires d'urgence,
les vols locaux au sens du 2 de l'article premier du
règlement CEE n° 2407/92 du 23 juillet 1992.
S'agissant des règles concernant le débiteur et le
recouvrement de la taxe,
il est prévu que la taxe soit due par les
entreprises de transport aérien public et qu'elle s'ajoute au prix
acquitté par le passager.
Le recouvrement serait à la charge des comptables du budget annexe de
l'aviation civile sauf pour les établissements publics nationaux
dotés d'un comptable public. Dans ce cas, c'est à ce comptable
qu'incomberait la charge du recouvrement. Chaque mois, les transporteurs
adresseraient une déclaration mentionnant le nombre des passagers
embarqués le mois précédent et accompagnée du
paiement de la taxe due.
Les contrôles et les sanctions sont précisés, par
référence pour les uns, au texte organisant la taxe d'aviation
civile, et pour les autres à l'article 1729.
Le gouvernement aura la responsabilité de fixer le tarif de la taxe
par aéroport
. Cette compétence est doublement
encadrée :
par les limites de la fourchette applicable à chaque
catégorie d'aéroports qui sont fixées par le
législateur ;
et par l'édiction de principes devant guider l'exécutif
dans son choix final.
Il est ainsi précisé que le tarif est fonction du coût sur
l'aérodrome des services de sécurité-incendie-sauvetage,
de lutte contre le péril aviaire et de sécurité, ainsi que
des mesures effectuées dans le cadre des contrôles
environnementaux. Une importante précision supplémentaire est
apportée, relative à la façon dont ce coût doit
être apprécié. Il est indiqué qu'il l'est à
partir des prestations assurées en application de la
réglementation en vigueur et de l'évolution prévisible des
coûts.
2. Observations d'étape
Les observations qui suivent n'ont pas d'autre vocation que d'introduire un débat qui devra être enrichi avant l'examen du dispositif dans le cadre de la discussion budgétaire pour 1999.
a) Observations diverses
Le texte
présenté par le gouvernement suscite quelques observations sur le
détail de sa rédaction et quelques questions quant à sa
traduction concrète.
S'agissant du détail de la rédaction, on peut regretter
quelques choix malheureux.
On peut d'abord s'interroger sur un défaut
d'homogénéité entre le critère d'appartenance des
aéroports aux différentes catégories définies par
le texte -le nombre des passagers embarqués et débarqués-
et l'assiette de la taxe -le nombre de passagers embarqués. Comme le
tarif de la taxe est "construit" pour couvrir les coûts des missions
qu'elle est appelée à financer, cette dichotomie n'a pas de
justification évidente.
Le choix d'asseoir la taxe sur les passagers
embarqués
sur
l'aéroport est, quant à lui, plus discutable et n'est
probablement pas entièrement neutre. Un choix alternatif aurait pu
être fait d'asseoir la taxe sur les passagers embarqués et
débarqués. Il apparaît en effet que les missions à
financer concernent, de la même, manière, l'une et l'autre
catégories de passagers.
S'agissant des passagers exemptés
, on doit d'abord observer que
si l'on suit la logique du dispositif proposé, l'exemption des passagers
en transit direct ne va pas de soi. Si le système avait une vocation
nationale, on pourrait certes la comprendre comme un moyen d'éviter une
cascade d'impositions. Mais, comme il a vocation à financer chaque
aéroport, cette considération trouve mal sa place, même si
elle a pour effet d'éviter de pénaliser le fonctionnement des
"hubs".
L'exemption accordée aux passagers victimes de circonstances
exceptionnelles est, quant à elle, parfaitement admissible. Mais, la
rédaction choisie est malheureuse car trop limitative. Quel serait le
sort des passagers reprenant leur vol après un détournement
terroriste ou simplement parce que l'aéroport théorique de
destination serait momentanément fermé pour une cause non
atmosphérique et indépendante de la technique ? Il ne
bénéficierait pas d'une exonération qu'il entre
sûrement dans l'intention du législateur de lui accorder. Il faut
donc simplifier la rédaction et se référer au cas "des
passagers reprenant leur vol après un atterrissage causé par la
survenance d'un cas de force majeurs".
S'agissant du texte du II qui précise que la taxe s'ajoute au prix
acquitté par le passager, la formule retenue n'est pas
satisfaisante
. En matière d'impôts indirects, comme pour les
autres impôts, ce qui compte dans la définition d'une taxe, c'est
de déterminer son assiette, son taux et son fait
générateur.
Le fait générateur de la taxe d'aéroport sera la
délivrance gratuite ou onéreuse du billet. A partir de là,
le transporteur qui devra la taxe doit être libre de la répercuter
ou non sur le client. Indiquer que la taxe s'ajoute au prix -qui peut
être nul- acquitté par le passager, c'est supprimer cette
liberté. Cela n'est pas souhaitable.
Ce qui est souhaitable, en revanche, c'est que le client soit informé
qu'une taxe s'ajoute au prix acquitté par lui. On doit donc trouver une
formule qui satisfasse à cette seule exigence.
Il faut alors écrire que "la taxe est due par toute entreprise de
transport aérien public et s'ajoute, le cas échéant, au
prix acquitté par le passager".
La référence implicite aux "comptables du budget annexe de
l'aviation civile"
n'est pas satisfaisante. Il faut préciser la
rédaction, de même que celle qui renvoie sans plus à
l'article 1729.
Le dispositif proposé suscite au surplus à l'évidence
des questions sur sa mise ne oeuvre concrète.
Les problèmes pratiques posés par l'administration de la taxe
d'aéroport ne sont pas à négliger. Sa gestion supposera de
mettre en place un réseau de recouvrement sur le territoire puisqu'il
n'est pas envisagé de confier cette mission aux réseaux du
ministère des finances. On peut légitimement s'interroger sur les
raisons de ce choix.
En outre, il est loisible de s'inquiéter d'une éventuelle
multiplication des contentieux. Le système mis en place est assis sur
les déclarations des
transporteurs aériens dont
dépendront les allocations versées à chaque
aéroport
.
Il est à redouter que chacun de ces acteurs ne s'accordent pas toujours
sur les éléments constitutifs de l'assiette de la taxe et que des
contestations s'élèvent. On peut donc s'attendre à des
contentieux.
Ceux-ci alourdiraient encore le poids de la gestion de la taxe
d'aéroport qui nécessitera sans doute une forte activité
de contrôle.
En bref, l'administration de la taxe ne sera pas chose aisée.
La question du statut budgétaire de la taxe d'aéroport doit,
au demeurant, être posée.
La taxe d'aéroport serait, comme le rappelle très justement
l'exposé des motifs du gouvernement, à ranger dans
la
catégorie des impositions de toute nature
.
Par conséquent, son régime juridique devra obéir aux
règles qui, dans notre droit budgétaire, s'appliquent à de
telles impositions. Elle devrait être retracée dans les recettes
de l'Etat, sa perception devrait être autorisée chaque
année par la loi de finances et son affectation comptable devrait
respecter les dispositions prévues par le chapitre II de l'ordonnance
59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de
finances. En particulier, il faudrait respecter la règle posée
à l'article 18 de cette ordonnance selon laquelle "
Il est fait
recette du montant intégral des produits, sans contraction entre les
recettes et les dépenses. L'ensemble des recettes assurant
l'exécution de l'ensemble des dépenses, toutes les recettes et
toutes les dépenses sont imputées à un compte unique,
intitulé budget général.
"
Le dispositif proposé par le gouvernement contrevient manifestement
à cet ensemble de contraintes constitutionnelles. Il n'est en effet pas
prévu de rattacher le produit de la nouvelle taxe au budget
général non plus d'ailleurs que de mentionner dans le budget les
charges qu'elle est appelée à financer. Mais, plus grave, la
mention du texte selon laquelle "
la taxe... est perçue au profit des
exploitants des aérodromes
" si elle s'inspire des dispositions
traditionnellement retenues en matière de taxes parafiscales n'a pas
lieu d'être s'agissant d'une imposition et soutient une affectation
contraire aux règles du droit budgétaire.
b) Observations de fond
Votre
commission des finances a, depuis longtemps, défendu une certaine
conception du financement des missions d'intérêt
général et, en particulier, des missions concourant à la
sûreté. Cette conception n'est pas compatible avec l'acceptation
du dispositif envisagé par le gouvernement.
Mais, avant d'exposer les raisons de principe, qui pourraient motiver son
refus de voter la disposition proposée, il faut mettre en
évidence un autre problème de fond, celui des problèmes
posés à notre réseau aéroportuaire du fait des
exigences de sécurité et de sûreté.
Ce réseau est, en effet, confronté en la matière à
des exigences croissantes.
Le tableau ci-après rend compte, par aéroport, des coûts
annuels des missions de sûreté et des "services chargés de
la sécurité incendie sauvetage" (SSIS).
Coût par aéroport des missions de
sûreté et
de sécurité incendie et
sauvetage.
|
|
Coût annuel sûreté -estimation 1999 en MF |
Coût annuel ssis - estimation 1999 en MF |
Coût annuel de missions en F/passager |
ADP
|
32.012.468
|
410.36
|
160.17
|
17.82
|
On
observe que les coûts des missions susdites sont variables selon les
plates-formes considérées -dans nombre d'aéroports, le
coût des missions de sûreté est nul, ces missions
continuant, en tout cas on l'espère, à être assumées
par les pouvoirs publics-. Elles ont en outre tendance à croître
avec la taille de l'aéroport. Mais
le coût annuel des missions
rapporté au nombre des passagers a, lui, tendance à croître
quand ce dernier diminue
. Cette donnée est totalement
indépendante, remarquons-le, du mode de financement choisi. Elle est
appelée à s'intensifier avec l'augmentation prévisible des
dépenses de sûreté. Il faut certes relativiser cette
perspective. Les problèmes posées par la sûreté dans
un petit aéroport ne sont pas les mêmes que ceux qui sont
posés dans un grand aéroport et ils peuvent recevoir des
solutions moins coûteuses. Mais, la remarque est dans l'ensemble
pertinente qui vise à faire observer que les coûts de la
sûreté augmenteront plus que le nombre des passagers dans la
plupart des aéroports. Comme ces coûts rapportés à
chaque passager sont d'autant plus élevés que la plate-forme est
moins fréquentée, l'avenir se traduira par une distorsion de plus
en plus grande entre les coûts des missions de sûreté et de
sécurité par passager dans les aéroports, en fonction de
leur fréquentation.
La dispersion des coûts par passager est d'ores et déjà
considérable, allant de plus de 600 francs à 8 francs.
Ainsi, tout système de financement construit sur l'idée
d'appliquer au passager un tarif représentatif des coûts
réels qu'il génère a nécessairement pour effet
d'épouser la dispersion de ce coût.
La perspective d'un élargissement de cette dispersion est
inévitable. Elle doit être clairement mise en évidence.
Elle contribuera à accroître les charges de financement de
certains aéroports à fréquentation réduite dans des
conditions telles qu'une imputation des coûts aux passagers embarquant
dans ces aéroports exposeraient ceux-ci à devoir supporter une
" facture " parfois très lourde. C'est ce qu'indique
déjà assez la dernière colonne du tableau ci-dessus.
Le tarif de la taxe d'aéroport tel qu'il est proposé par le
gouvernement est loin d'être calqué sur les coûts
réels.
Il ne dépasserait pas 99 francs alors que le
coût des missions que la taxe est appelée à financer peut
dépasser 600 francs par passager. Le tarif de la taxe suppose donc
une certaine péréquation, réalisée en
l'espèce à travers les interventions du FIATA (v. ci-dessus).
Cependant le tarif est modulé en fonction de la fréquentation
des aéroports si bien qu'un passager ne paierait pas la même somme
quel que soit son point d'embarquement.
Concrètement, un passager
embarquant à Nice acquitterait une taxe de 8,5 francs alors qu'un
passager embarquant à Cherbourg paierait 99 francs.
Que penser d'une telle situation ? L'on peut d'abord observer qu'
en
première analyse
elle ne se traduirait, dans l'immédiat,
par aucun changement notable si la taxe d'aéroport devait simplement
prendre le relais du financement par redevances aéroportuaires
jusqu'à présent en oeuvre. On peut même considérer
que le nouveau dispositif serait plus favorable que l'ancien pour les
" petits aéroports " puisque ceux-ci
bénéficieraient désormais d'une intervention du FIATA.
L'on doit également souligner que l'échelonnement d'un tarif
fiscal en fonction des coûts réels est conforme aux enseignements
de la théorie économique et, en particulier, au souci de
réunir les conditions d'une bonne allocation des ressources.
Enfin, rien ne permet d'affirmer que le tarif proposé serait de nature
à provoquer des détournements de trafic aux dépens des
aéroports où la taxe serait élevée. Si l'on fait
l'hypothèse que la taxe prendrait le relais des redevances, une telle
éventualité paraît même exclue. Il en irait autrement
si la taxe se substituait également à des subventions ou si le
tarif de la taxe devait, dans un souci de péréquation,
s'éloigner, pour certains aéroports, du tarif actuel des
redevances.
Cependant, à supposer cette équivalence vérifiée
pour l'heure, la perspective, mise en évidence plus haut, d'une
augmentation des dépenses de sûreté et de
sécurité pourrait à l'avenir susciter une distorsion du
tarif de la taxe plus importante qu'il n'est aujourd'hui proposé.
On
peut donc redouter que la logique du système ne revienne à
alourdir très sensiblement dans un futur proche le tarif pour les
" petits aéroports ". Cette évolution ne serait pas
à proprement parler antiéconomique mais elle pourrait condamner
certaines plates-formes. Il fallait le dire.
Cependant, l'essentiel est ailleurs.
Le dispositif proposé par le
gouvernement revient en fait à substituer une taxe qui a tous les
aspects d'une redevance au financement actuel de missions
d'intérêt général par les redevances
aéroportuaires.
Or, votre commission des finances s'inspirant de principes républicains
d'ailleurs enracinés dans l'article 13 de la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen a toujours exprimé le souhait que les
dépenses de sûreté soient financées à partir
d'une contribution commune, générale. La taxation
spéciale, une redevance déguisée, est contraire à
cette logique.
Elle ne saurait être sans distinction justifiée par la
spécificité des missions à financer.
Sachant qu'en
tout état de cause lesdites missions relèvent de
l'intérêt général, sur ce point, une nuance peut
probablement être faite entre les missions de sécurité qui
sont destinées
essentiellement
à préserver
l'intégrité physique des personnes embarquées et les
missions de sûreté qui sont destinées à cela mais
aussi à contribuer à la défense de la Nation contre des
actes de malveillance susceptibles de l'atteindre.
On ne peut non plus se contenter de se référer aux
spécificités du transport aérien.
Cette justification
à laquelle renvoient les propos du ministre devant l'Assemblée
nationale s'inspire, semble-t-il, de deux considérations : le fait
qu'une proportion réduite de la population se transporte par la voie des
airs ; le fait qu'à l'étranger la taxation spécifique est
de pratique répandue et qu'elle soit consacrée par l'OACI.
On sait ce qu'il faut penser du second de ces arguments du fait du
décalage entre la logique des "règles" de l'OACI et la
philosophie de notre droit public. On peut ajouter que la France a
jusqu'à un récent passé offert l'exemple d'une implication
normale des pouvoirs publics à travers en particulier l'intervention de
la DICCILEC.
Quant au premier argument, on voit bien que sa généralisation
pourrait déboucher sur une révolution fiscale susceptible
d'anéantir l'idée même de contribution commune.
Appliqué à l'ensemble des dépenses publiques, il pourrait
déboucher sur un financement par voie de contributions
spécifiques imposées aux seuls bénéficiaires des
biens produits à l'aide de la dépense publique.
Ainsi, seuls les habitants des quartiers en difficulté seraient
appelés à financer les mesures destinées à
régler les problèmes qu'ils doivent affronter, seuls les clients
de la SNCF devraient financer les forces de police mobilisées par le
souci d'assurer la tranquillité du transport ferroviaire, etc. Une telle
argumentation suppose des ajustements tels qu'elle ne peut sans débat
sur ses conséquences et prolongements être produite à
l'appui de la solution proposée par le gouvernement.
II. LA CONFORMITÉ A LA CONSTITUTION DE LA VALIDATION DEMANDÉE
L'intervention du législateur est, quelle que soit sa
volonté, conditionnée au respect des textes constitutionnels.
Les éléments pertinents de la jurisprudence du Conseil
Constitutionnel doivent ainsi être rappelés avant que l'on examine
si le cas d'espèce réunit bien les conditions
posées.
A. RAPPEL DES ÉLÉMENTS PERTINENTS DE LA JURISPRUDENCE CONSTITUTIONNELLE
Les
validations législatives sont un moyen pour le législateur
d'encadrer l'activité de l'autorité judiciaire.
Il s'agit de donner "a posteriori" une base légale à des actes
juridiques qui, sans l'intervention du législateur, s'en trouveraient
dépourvus. Dans ces conditions, l'intervention du législateur,
pour être admise doit respecter les champs de compétence de chacun
des pouvoirs.
Une première condition en découle.
Le respect de l'équilibre des pouvoirs suppose d'abord que le
législateur ne puisse pas censurer une décision de justice
passée en face de chose jugée.
Les validations ne devant pas
porter atteinte à l'autorité de la chose jugée (C.E. Sect.
26 octobre 1984, Mammar),
elles ne sauraient non plus porter sur l'acte
même qui a été annulé.
Une deuxième condition est alors posée. L'intervention du
législateur, pour être légitime,
doit répondre
à des motifs d'intérêt général
(n° 85-192 DC du 24 juillet 1985). Le Conseil Constitutionnel a
eu l'occasion de préciser qu'un tel motif ne pouvait être
trouvé dans la seule considération d'un intérêt
financier dans sa décision 95-369 DC relative à la loi de
finances pour 1996. Il a toutefois laissé entendre qu'une telle
considération assortie de la démonstration d'un grave
péril financier pourrait, le cas échéant, être
appréciée comme constituant un motif d'intérêt
général. Il a même considéré dans une
décision n° 93-332 DL du 13 janvier 1994 que la
volonté d'éviter des constations financières
préjudiciables à l'équilibre des régimes sociaux
constituait une raison d'intérêt général
légitimant l'intervention du législateur.
Une troisième condition s'impose en matière pénale
,
celle selon laquelle les validations législatives ne doivent pas
conduire à violer le principe constitutionnel de non
rétroactivité de la loi répressive. Plus globalement, on
peut énoncer que la loi de validation ne doit pas contrarier la
Constitution. Cette dernière condition doit, rappelons-le, être
appréciée au regard de l'ensemble des normes constitutionnelles,
ce qui suppose, lorsqu'elles se heurtent, d'arbitrer entre elles.
B. LA QUESTION D'ESPÈCE DE LA CONFORMITÉ DE LA VALIDATION DEMANDÉE
Les
mesures de validation proposées répondent-elles aux conditions de
constitutionnalité rappelées ci-dessus ? Avant
d'évoquer les différents problèmes posés en
l'espèce, il faut répondre à une question
préalable : ces mesures de validation sont-elles
nécessaires ?
L'on prétend en effet parfois que tel n'est pas le cas en faisant valoir
deux considérations : d'une part, celle au terme de laquelle la
précédente disposition de validation de la RSTCA incluse dans la
loi de finances pour 1996 n'aurait pas épuisé tous ses
effets ; d'autre part, celle selon laquelle les principes
généraux du droit administratif permettraient à
l'administration de prendre des décisions de régularisation.
Face à ces objections, une première remarque conduit à
observer que ces arguments ne concernent pas le problème posé par
les redevances aéroportuaires qui mobilisent les enjeux les plus
importants.
En outre, l'on doit noter que si la disposition contenue dans la loi de
finances pour 1996 ouvrait au gouvernement la faculté de substituer des
titres de perception de la RSTCA conformes aux prescriptions de
l'article 134-4 du code de l'aviation civile à des titres
anciennement émis non conformes à cet article, cela n'ouvre pas
au gouvernement le loisir de méconnaître l'article 134-4 du
code de l'aviation civile non plus que les principes généraux du
droit.
La réserve selon laquelle le gouvernement aurait pu s'abstenir de
recourir à la validation législative en usant de sa
faculté de régularisation d'actes administratifs est passible
d'une appréciation analogue.
Par conséquent, des motifs de fait, mais aussi de droit imposaient le
recours à la validation législative pour "purger" le
passé.
Mais,
cela n'a pas pour effet de lever toutes les objections
constitutionnelles que suscite la validation entreprise
.
Il faut d'abord concéder que ces objections dont votre rapporteur estime
devoir faire état n'ont vocation à être effectives que si
elles sont adressées au juge constitutionnel par voie de saisine. Une
telle démarche supposerait bien sûr de la part de ses promoteurs
un arbitrage d'opportunité.
S'agissant des éléments de fragilité juridique de la
validation, l'on doit les présenter en distinguant deux questions :
celle de savoir si l'intérêt général est en la
matière suffisamment établi ;
celle de savoir si la validation, acceptée par hypothèse par le
législateur, ne serait pas contraire à certaines règles de
valeur constitutionnelle.
En ce qui concerne la première question, il est délicat
d'apporter une réponse tranchée puisque la solution du
problème est de savoir si, au-delà de la recherche visant
à conforter des situations financières, la validation est
indispensable à la garantie de l'intérêt
général. On l'a dit, si la poursuite d'un simple
intérêt financier n'équivaut pas à celle d'un
objectif d'intérêt général, elle peut être
assimilée à une telle démarche lorsque l'absence de
validation se traduirait par une rupture d'équilibre financier telle que
la continuité du service public s'en trouverait menacée. Il
s'agit d'une appréciation délicate en général mais
qui, en l'espèce, l'est particulièrement du fait d'une
caractéristique importante du dispositif de validation des redevances
aéroportuaires. En effet, celui-ci est d'application
générale alors que le problème est spécifique
à chaque aéroport. Ainsi, en toute rigueur, la situation devrait
être examinée aéroport par aéroport. On peut ajouter
que les règles s'appliquant aux concessions aéroportuaires
ouvrent aux exploitants d'aéroports la faculté de se tourner vers
les concédants, ce qui du fait de la surface financière de l'Etat
devrait garantir contre l'interruption du service public.
S'agissant de la seconde question, on peut s'interroger sur la
conformité de la validation à certaines dispositions techniques
de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique
relative aux lois de finances. Mais, surtout, l'on doit redouter que la
validation ne contrevienne à des normes constitutionnelles de fond. L'on
pense en particulier à l'article 13 de la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen qui dispose que " Pour l'entretien de la
force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution
commune est indispensable. Elle doit être également
répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs
facultés ".
S'il ne faut pas donner à cette disposition une portée absolue
qu'elle n'a pas -la diversification des ressources levées pour financer
les charges publiques invite à une appréciation relative de cet
article-, il faut toutefois affirmer que sa modernité n'est pas
totalement nulle non plus que sa pertinence dans le cas d'espèce. Elle
rappelle, en particulier, que l'effort consacré à assurer la
sécurité et la sûreté doit être assumé
par la Nation et faire l'objet d'une
contribution commune
répartie entre
tous
les citoyens. Cette idée
imprègne très fortement notre droit public -v. supra- et c'est
d'elle qu'au fond sont venus et l'arrêt du Conseil d'Etat du 20 mai
1998 qui a suscité la disposition de validation ici examinée et
l'arrêt du 30 octobre 1996, Wajs et Monnier rendu à propos du
financement des effectifs de gendarmerie en service sur le réseau
autoroutier. C'est aussi cette idée forte qui pourrait inspirer les
propositions de votre commission des finances en matière de financement
des coûts nécessités par la sûreté
aéroportuaire.