b) Un processus inabouti
Il est certainement trop tôt pour se prononcer sur la portée d'une réforme dont la nécessité ne fait aucun doute.
Sans doute, au-delà des réformes de structure, faudra-t-il convaincre les esprits. Or, l'inertie d'administrations souvent jalouses de leurs compétences ne dispose guère les services à travailler de concert. Certes, la « forteresse » Bercy devra accepter d'évoquer dans un cadre interministériel des questions qu'elle traitait jusqu'à présent dans un cadre restreint.
Mais l'équilibre des forces induit par la répartition des crédits entre ministères ne pourra évoluer que lentement.
« Le département ministériel en charge de la coopération n'a qu'une place marginale dans l'action correspondante. Seule une faible partie des crédits d'aide au développement (11,5 % en 1994) est inscrite à son budget (...). Mais par ailleurs, 40 % des crédits du ministère de la coopération ne sont inscrits à son budget que pour ordre, la responsabilité réelle de leur mise en oeuvre appartenant au Premier ministre (chapitre 69-91, article 20), à la mission militaire de coopération (chapitre 41-42) où à des comités interministériels, comme en matière d'enseignement à l'étranger, de francophonie ou d'aide humanitaire ... » : ces constats de la Cour des comptes dans son rapport annuel 1996 reprennent des observations déjà maintes fois répétées.
Que les habitudes administratives soient longues à changer, un exemple particulièrement préoccupant permettra de le montrer. L'intégration, dans le champ d'attribution de la rue Monsieur, de 34 nouveaux pays relevant précédemment du ministère des affaires étrangères, devait s'accompagner d'un transfert de crédits correspondants de l'ordre de 150 millions de francs à compter du 1er janvier 1996. Or ce transfert n'a pas eu lieu. Cette situation n'est pas tolérable, tant sur le plan des principes -le ministère de la coopération n'ayant ainsi qu'une compétence purement nominale sur l'étendue de son champ élargi- que de la pratique : à quel interlocuteur doivent s'adresser les représentants des pays du nouveau champ ? La mise en place d'une cellule chargée de les orienter manifeste moins un effort de coordination que l'embarras suscité par cette réforme inachevée.
Selon votre rapporteur, il est indispensable que la volonté politique dont la réforme porte témoignage puisse prévaloir sur les résistances administratives.
Le processus doit être conduit à son terme. N'est-ce pas là une exigence minimale pour une réforme qui aurait pu aller plus loin ? Ainsi le partage des compétences sur le terrain entre les missions de coopération et l'agence de la Caisse française de développement, s'il apporte une clarification, reste sans doute en deçà de l'équilibre souhaitable. Il serait nécessaire d'aller jusqu'au bout de la logique des compétences développée par chaque institution : la Caisse française a réuni un savoir-faire dans la conduite des travaux d'infrastructure. Pourquoi dès lors ne pas lui confier une responsabilité prépondérante dans tous les projets « lourds » même s'ils concernent des secteurs comme la santé ou l'éducation ? Les missions de coopération pourraient, quant à elles, se recentrer sur des missions de conseil dans le cadre de leurs attributions traditionnelles adaptées au haut degré de qualification des cadres de la coopération.
Le CIAD, officialisé par le décret du 20 mars 1996, s'est réuni pour la première fois le 20 juin dernier sous la présidence du Premier ministre. Il a retenu notamment le principe d'une cellule indépendante chargée de l'évaluation de l'efficacité de l'aide française et d'analyser les actions des différentes administrations.
Ce comité aujourd'hui constitué sous la direction d'un inspecteur des finances, M. Jean-René Bernard, s'est fixé pour priorité l'analyse de la répartition par pays et par secteurs de notre aide au développement. Ce travail -auquel votre rapporteur s'était pour sa part essayé dans son précédent avis budgétaire avec les informations mises à disposition- peut paraître le "b-a ba" d'une réflexion sur notre coopération et on peut s'étonner qu'une telle initiative intervienne si tard.
Il n'est guère possible en effet d'assigner des orientations précises à notre action à partir d'une connaissance encore par trop approximative de notre politique de coopération actuelle.
Il est impératif aujourd'hui de tracer des choix clairs, pour nos méthodes d'action comme pour nos priorités sectorielles et géographiques.