B. LE GOUVERNEMENT PROPOSE UNE RÉFORME AMBITIEUSE TENDANT À MIEUX MAÎTRISER L'ÉVOLUTION DES DÉPENSES DE L'ASSURANCE MALADIE
Le 15 novembre dernier, le Premier ministre M. Alain Juppé a proposé une réforme d'ensemble qui affecte aussi bien les recettes que les dépenses de l'assurance maladie.
Le volet « recettes » de ce plan est examiné dans l'excellent rapport de notre collègue Charles Descours, rapporteur pour avis des crédits de la sécurité sociale.
Le plan de réforme proposé prévoit de modifier les modes d'orientation et de gestion de l'assurance maladie.
Il comporte aussi de nouveaux dispositifs de responsabilisation de tous les acteurs du système de soins afin de mieux maîtriser l'évolution des dépenses de médecine de ville.
1. De nouveaux modes d'orientation et de gestion de l'assurance maladie
Le plan proposé par le Premier ministre, M. Alain Juppé, définit une nouvelle architecture de l'assurance maladie qui sera désormais universelle, et dont la définition de ses orientations fera désormais intervenir un nouvel acteur, le Parlement.
Les modes de gestion des caisses seront modifiés pour rendre l'organisation de la sécurité sociale « plus efficace et plus resserrée ».
a) Une assurance maladie universelle
Le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dispose que la Nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé ».
Tel est bien l'enjeu de l'institution d'une assurance maladie universelle, à l'heure où la multiplication des situations de précarité conduit à de fortes inégalités dans l'accès aux soins. En effet, malgré l'ambition de ses fondateurs et les élargissements des possibilités d'ouverture des droits intervenus depuis 1945, la sécurité sociale, à l'exception de la branche famille, garde une base professionnelle, tant pour ses recettes que pour les prestations qu'elle sert.
Certes, toute personne résidant sur le territoire a aujourd'hui droit, à un titre ou à un autre, à une couverture maladie : les conditions d'admission à l'aide médicale sont définies de manière suffisamment large pour que toute personne non ressortissante d'un régime de sécurité sociale et qui est dans le besoin en relève automatiquement.
L'absence d'universalité de la sécurité sociale signifie, en pratique, trois choses :
- il n'existe pas de principe général selon lequel « toute personne résidant en France bénéficie d'une couverture médicale » ;
- l'imbrication des régimes à base professionnelle crée une situation d'extrême complexité, à la fois pour les gestionnaires et pour les bénéficiaires ;
- l'harmonisation des droits et des efforts contributifs est très insuffisante.
Le plan annoncé par le Premier ministre aura pour effet d'universaliser la couverture. Dans son discours devant le Sénat, le 16 novembre 1995, il a bien précisé qu'universalité ne veut pas dire unité de caisse. La diversité des caisses sera donc maintenue.
En pratique, l'universalité signifiera donc :
- l'édiction d'un principe de couverture de tous les résidents en situation régulière sur le territoire ;
- l'harmonisation des prestations et des efforts contributifs.
Dans la mesure où le régime général est d'ores et déjà le régime de l'immense majorité des Français, l'on peut penser que c'est ce régime qui servira de référence, à la fois pour le niveau des prestations et de l'effort contributif.
Au terme de cette harmonisation (c'est à dire à moyen terme...), on aurait alors bien un régime, non seulement universel, mais aussi unique, même s'il est géré par de multiples caisses.
Il reste à savoir ce qu'il adviendra de l'aide médicale, à la fois pour les personnes sans domicile fixe et pour les personnes étrangères en situation irrégulière sur le territoire français.
b) Les nouvelles compétences du Parlement
« Clef de voûte » de la réforme, selon le Premier ministre, une réforme de la Constitution devrait élargir considérablement les compétences du Parlement et permettre une démocratisation de la définition des orientations de la politique de protection sociale ainsi que de la détermination des recettes et des dépenses sociales.
Cet élargissement des compétences du Parlement a été demandé, à de très nombreuses reprises, par votre commission des Affaires sociales.
Il est en effet légitime que le Parlement contrôle l'évolution des prélèvements sociaux et celles des dépenses de protection sociale.
Cette légitimité de l'intervention du Parlement en devenue, au fil des ans, de plus en plus évidente :
- d'une part, le Parlement contrôle l'action du Gouvernement. Or, celui-ci est devenu, malgré l'imbrication des responsabilités entre Etat et partenaires sociaux, un acteur essentiel de la définition des recettes et des dépenses de la sécurité sociale ;
- d'autre part, le montant des dépenses sociales est désormais supérieur à celui des dépenses de l'Etat ;
- enfin, l'application du Traité de Maastricht et les nouvelles contraintes européennes concernant le déficit des administrations publiques font qu'il n'est plus possible que le Parlement ne soit concerné que par les seules finances de l'Etat.
Depuis la loi du 25 juillet 1994, le Parlement est appelé à débattre, chaque année, des orientations de la protection sociale inscrites dans un rapport transmis par le Gouvernement.
A l'occasion de l'examen du projet de loi portant réforme de la sécurité sociale qui devait devenir cette loi du 25 juillet 1994, votre commission avait proposé que le Parlement examine, chaque année, un projet de loi sur la sécurité sociale qui aurait donné un caractère normatif aux orientations souhaitées par le Parlement en matière de recettes et de dépenses.
Une réforme constitutionnelle sera de nature à permettre au Parlement de se prononcer, chaque année, sur les objectifs de dépenses et sur les recettes permettant d'atteindre l'équilibre. Le Parlement déterminera aussi les critères selon lesquels seront répartis les objectifs nationaux d'évolution des dépenses.
Cette réforme constitutionnelle permettra donc au Parlement d'aller au bout du chemin qu'avait dessiné votre commission.
c) Des caisses plus efficaces et plus responsables
Par la clarification des relations entre le Parlement, le Gouvernement et les caisses ces dernières seront mises en mesure de mieux assumer leurs responsabilités.
Votre commission ne peut que se féliciter de la poursuite d un mouvement de clarification des rôles qui a été engagé par la loi du 25 juillet 1994.
La réforme proposée par le Premier ministre va bien au-delà de ce qui a été adopté l'an dernier, puisqu'elle modifie aussi les modes de gestion des dépenses de sécurité sociale et l'organisation des caisses.
Ainsi, le Gouvernement, sur la base des décisions du Parlement, conclura avec les caisses des conventions « d'objectifs et de gestion ». Cette contractualisation des rapports entre le Gouvernement et les caisses permettra d e déterminer les objectifs nationaux de dépense par secteur et par région.
En outre, la composition des conseils d'administration des caisses sera modifiée. Il sera mis fin à une trop longue période au cours de laquelle le Principe était l'élection des administrateurs représentant des salariés, mais, en Pratique, aucune élection n'était organisée. La réforme procédera à un retour a la désignation des administrateurs par les syndicats, qu'ils soient salaries ou Patronaux.
Enfin, un conseil de surveillance, composé notamment de Parlementaires et de personnalités qualifiées, sera institué auprès de chaque caisse nationale. Le rôle précis de ce conseil devra être précisé.
L'organisation des caisses locales sera, elle aussi, profondément modifiée.
D'abord, une union régionale des caisses d'assurance maladie réunissant, on peut le penser, tous les régimes, sera chargée de faire respecter, sur le terrain, le respect des objectifs d'évolution des dépenses dans chacun des secteurs. Les moyens du contrôle médical seront ainsi renforces a cet échelon régional.
A la régionalisation des objectifs d'évolution des dépenses correspond donc une régionalisation des moyens de contrôle.
Ensuite, la répartition des caisses locales sera rationalisée de manière compatible avec l'objectif de maintien des conditions actuelles d accueil des assurés sociaux de la même manière que pour les caisses nationales, la composition de leur conseil d'administration sera élargie.
Enfin, les caisses seront désormais dirigées par un directeur nommé Par le directeur de la caisse nationale.
Le plan prévoit donc d'adapter les structures administratives à la réforme de la politique de maîtrise des dépenses de santé, tout en renforçant la cohérence des différents échelons administratifs de l'assurance maladie.
2. De nouveaux modes de responsabilisation des professions de santé, des patients et du secteur pharmaceutique
Le plan de réforme présenté par M. Alain Juppé, Premier ministre, procède à une refonte des dispositifs de régulation des dispositifs de régulation des dépenses de médecine de ville.
a) Pour les médecins
Première mesure annoncée par le Premier ministre, le respect des objectifs d'évolution des dépenses sera désormais la condition des revalorisations tarifaires.
Il ne faut pas voir là l'institution d'un mécanisme « comptable »
qui doit faire peur aux professions de santé.
En effet, même si, dans le dispositif actuel, l'objectif d'évolution des dépenses n'est pas juridiquement opposable aux médecins, il faut bien se rendre compte que ces derniers n'auraient pas été, cette année, dans une position facile pour négocier des revalorisations tarifaires compte tenu des mauvais résultats de dépenses pour la médecine de ville en 1995.
Afin de permettre la bonne réalisation des objectifs d'évolution des dépenses, les instruments de maîtrise médicalisés traditionnels, tels que les références médicales et le dossier médical seront étendus et la mise en place du codage des actes accélérée.
Pour qu'elle soit effective, les médecins seront incités à informatiser leur cabinet, grâce à des aides attribuées par un fonds alimenté par une taxe sur chaque feuille de soins.
Cette décision d'informatisation des cabinets médicaux est importante : en effet, en l'absence d'informatisation, la transmission des données issues du codage n'aurait pu être généralisée, privant ainsi les pouvoirs publics d'un excellent outil d'analyse épidémiologique et les caisses d'une information précise sur les actes des praticiens et leurs prescriptions.
Afin d'améliorer la qualité des soins, la formation continue des médecins sera rendue obligatoire. On ne sait pas encore si cette obligation sera sanctionnée par un mécanisme d'accréditation périodique des médecins.
Il est sûr, cependant, qu'une telle mesure doit s'accompagner d'une réforme de la formation médicale continue afin d'en garantir l'accès et la qualité.
Dernière mesure concernant les médecins, l'annonce de la mise en place d'incitations à la reconversion des médecins vers la médecine scolaire et la médecine du travail.
Votre commission se félicite d'une telle décision. Il convient, en e ffet, de se souvenir que la volonté de réorientation de médecins vers la médecine préventive est ancienne et qu'elle s'est déjà traduite par l'institution de mécanismes conventionnels, mais qu'elle n'a pas vraiment fait l'objet de réalisations concrètes jusqu'ici.
Votre commission souhaiterait que ces mécanismes incitatifs puissent également bénéficier aux médecins de ville qui choisissent d'embrasser une carrière hospitalière, à temps plein ou à temps partiel.
b) Pour les patients
Les mesures de responsabilisation des patients se traduiront Principalement par la généralisation du carnet médical, qui freinera sans nul doute le nomadisme médical.
L'on peut toutefois s'interroger sur la faisabilité financière d'une telle généralisation dans les conditions actuelles, les médecins ayant obtenu des pouvoirs publics que les patients bénéficiant d'un carnet médical se soumettent à une consultation annuelle de « synthèse » rémunérée comme deux consultations chez le médecin.
Le Premier ministre a également annoncé la mise en place de nouvelles formes de prise en charge, avec une incitation du patient à consulter un généraliste avant de s'adresser au spécialiste.
Sauf à prévoir des « contrats de santé » par lesquels le patient abdique, pour un temps, sa liberté de choix du médecin, l'on peut cependant se demander si un tel dispositif sera véritablement générateur d'économies pour l'assurance maladie.
c) Pour le secteur pharmaceutique
Le Premier ministre a annoncé que les pouvoirs publics encourageront le développement des médicaments génériques qui sont, en France, beaucoup moins répandus que dans d'autres pays.
Cette caractéristique est cependant étroitement corrélée à la structure des prix des spécialités pharmaceutiques sur le marché français.
C'est donc probablement dans le cadre des conventions entre le comité économique du médicament et les industriels que sera favorisé le développement des produits génériques.
Afin de limiter les gaspillages, le Premier ministre a enfin annoncé la possibilité, pour les pharmaciens, de déconditionner les médicaments afin d'adapter exactement les quantités vendues aux besoins du patient.
Votre commission exprime une réserve sur cette mesure, qui présente probablement plus d'inconvénients (coût, stockage, vignettes, codage...) que d'avantages. Mais il est vrai que ce n'est pas la réforme la plus importante annoncée par le Premier ministre.