CHAPITRE II - L'EUROPE DE L'ÉNERGIE
I. LE LIVRE VERT PRÉSENTÉ PAR LA COMMISSION EUROPÉENNE
A. LE CONTENU DU LIVRE VERT
La commission européenne a adopté, le 11 janvier 1995, un Livre vert sur la politique énergétique européenne. Ce document d'orientation et de réflexion a pour mérite de relancer le débat sur le rôle de la Communauté dans le domaine de l'énergie.
Il donnera lieu à une large consultation, la position commune émergente devant faire l'objet d'un futur Livre Blanc, qui pourra être inséré dans la nouvelle version du Traité de l'Union prévue en 1996.
Ce Livre vert fixe trois objectifs à une politique énergétique européenne : la compétitivité, la sécurité d'approvisionnement et la protection de l'environnement. Il définit, par ailleurs, des priorités d'action concernant la prééminence du marché intérieur, les missions d'intérêt économique général, la sécurité d'approvisionnement, la coopération internationale, l'efficacité énergétique, la technologie et le rôle de la Communauté. Les moyens d'action, afin de répondre aux priorités retenues, sont au nombre de sept :
- le marché intérieur doit être harmonisé et standardisé,
- la dimension régionale et la cohésion sociale doivent être prises en compte,
- les réseaux transeuropéens sont à renforcer,
- la place de la politique commerciale doit être assurée,
- la coopération avec les pays tiers devrait être améliorée,
- la protection de l'environnement sera assurée par une action législative et des mesures fiscales,
- la politique de recherche et de développement technologique fera l'objet de nouveaux programmes.
B. L'AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE ET SOCIAL
Ce document a fait l'objet d'un avis du Conseil économique et social du 23 mai 1995.
Ses principales constatations sont les suivantes :
- le Livre vert comporte des ambiguïtés importantes du fait qu'il confond les objectifs et les moyens de les mettre en oeuvre ;
- la notion de service public est très peu prise en compte dans le Livre Vert ;
- la dimension du long terme doit être prise en compte dans l'élaboration du Livre Blanc, de façon indépendante des mécanismes de marché ;
- il n'y a pas de raisons déterminantes au renforcement des pouvoirs de la Commission dans ce secteur ;
- il est aussi vain de vouloir privilégier un seul type de source énergétique que de prohiber tel autre type (notamment le nucléaire) ;
- l'introduction d'un chapitre Énergie dans le Traité n'est pas nécessaire.
Le Conseil économique et social affirme nécessaire :
- une clarification des concepts utilisés et du raisonnement qui sous-tend le statut prééminent accordé au marché intérieur de l'énergie ;
- le resserrement des objectifs de politique énergétique à la protection de l'environnement et à la sécurité d'approvisionnement à un prix compétitif celle-ci conditionnant la compétitivité ;
- un recensement des instruments existants ;
- une définition précise des obligations pesant sur les services dits publics, sur la base des deux récents arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes (Corbeau et Almelo) : continuité, égalité d'accès et de traitement, qualité, universalité ;
- le respect du principe de subsidiarité : le futur Livre Blanc doit formuler des propositions, le choix des politiques à mettre en oeuvre restant de la compétence exclusive des États membres, tout comme la définition des missions d'intérêt économique général.
Enfin, pour le Conseil économique et social, la mise en place d'une politique énergétique européenne passe de façon prioritaire par l'encouragement des points de convergence entre les politiques nationales et par une concertation la plus large possible.
C. LA POSITION DU GOUVERNEMENT FRANÇAIS
La France considère la parution du Livre Vert comme une initiative bienvenue, dans la mesure où le débat sur la politique énergétique européenne s'était limité, jusqu'à présent, à l'organisation du marché électrique.
Un large consensus a vu le jour autour des trois objectifs de politique énergétique identifiés dans le Livre Vert : la sécurité d'approvisionnement, la compétitivité et la protection de l'environnement.
Le Gouvernement ne conteste pas ces trois pôles de réflexion dans la définition d'une politique énergétique mais, à l'instar du Conseil économique et social, déplore leur définition en termes trop généraux, qui occasionne confusions et ambiguïtés.
Au delà de ces orientations consensuelles, la France est en désaccord sur la forme d'organisation du marché énergétique proposée par la Commission. Les autorités françaises considèrent, en effet, que :
- l'affirmation trop poussée de la prééminence du marché intérieur conduit à privilégier le court terme, alors que la prise en compte du long terme est particulièrement fondamentale en matière d'approvisionnement énergétique, surtout dans un contexte européen d'accroissement de la dépendance énergétique externe ;
- si la liberté du marché est un principe de base de la construction européenne, il souffre cependant de quelques exceptions touchant notamment aux missions d'intérêt économique général, dont une première définition des obligations a été fournie par la Cour de Justice, comme on l'a dit précédemment. Or, cette notion a été pratiquement méconnue par le Livre Vert, de même que celle de subsidiarité ;
- l'introduction de la concurrence (en particulier, là où des« monopoles existent ») n'implique pas nécessairement une baisse des prix, notamment dans le secteur des énergies de réseau ;
- il est contradictoire d'affirmer que la libre initiative de la multitude des acteurs conduira spontanément à un équilibre satisfaisant et, dans le même temps, qu'il est nécessaire d'aider le marché afin d'atteindre des équilibres plus satisfaisants.
On peut relever, par ailleurs, une incohérence dans la rédaction du Livre Vert, qui prône un objectif de sécurité d'approvisionnement et qui prévoit, par ailleurs, une augmentation de la dépendance énergétique de l'Union de 50 à 70 % d'ici les années 2020 ; or, les moyens d'action envisagés par la Commission pour limiter cet état prévisible de dépendance paraissent très en retrait des réalités politiques et économiques.
À cet égard, l'extrême prudence de la Commission concernant la contribution du nucléaire aux différents objectifs nuit à l'objectivité du document sur cette énergie. La capacité industrielle de l'Union dans ce secteur mérite d'être maintenue au nom de son indépendance énergétique. Si des considérations politiques ont conduit certains États membres à renoncer à produire de l'énergie nucléaire sur leurs territoires, la France juge nécessaire la reconnaissance de l'état actuel de développement de cette forme d'énergie et demandera à ses partenaires le respect des choix politiques nationaux de chaque État membre.
Votre commission soutient cette démarche. Elle rappelle que le Sénat, au travers notamment des différentes résolutions qu'il a adopté sur des propositions de directives a toujours insisté sur le respect du principe de subsidiarité et de l'objectif de sécurité d'approvisionnement à long terme, ainsi que sur la nécessaire prise en compte des missions d'intérêt économique général.