B. UNE PRISE DE CONSCIENCE NÉCESSAIRE : L'ÉTAT DOIT ASSURER UN ENTRETIEN RÉGULIER DES GRANDES INSTITUTIONS CULTURELLES ET POURVOIR À LA MAINTENANCE DE LEURS ÉQUIPEMENTS
S'il est désormais généralement admis que le fonctionnement des institutions culturelles héritées des grands chantiers parisiens coûtera cher à la collectivité, le coût budgétaire de l'entretien et de la maintenance de ces équipements prestigieux est encore délibérément ignoré des autorités de tutelle.
1. Le coût de fonctionnement des grandes institutions culturelles est désormais perçu comme une donnée inéluctable
Chacun reconnaît aujourd'hui la nécessité de doter les grandes institutions culturelles des crédits nécessaires à leur fonctionnement. En dépit de leur implantation parisienne, ces institutions phares contribuent en effet au rayonnement culturel international de la France comme à l'irrigation artistique du territoire national.
• Le mythe de l'Opéra populaire fonctionnant
à un coût réduit grâce à la
démultiplication des places offertes et à la sophistication de
ses équipements a vécu. Après quelques années de
tâtonnements,
l'État achèvera en 1996 de remettre
à niveau la subvention de fonctionnement accordée
à cet établissement, conformément aux
propositions formulées par M. Hugues Gall, dont le Conseil des ministres
du 19 juillet dernier a confirmé la nomination comme directeur de
l'Opéra national de Paris
à compter du 1er
août 1995. La subvention du fonctionnement versée par
l'État à cet établissement public atteindra
619,2
millions de francs en 1996.
Elle devrait faire l'objet d'une simple
actualisation à partir de 1997.
• Le ministre de la culture s'est engagé,
devant l'Assemblée nationale, le 27 octobre dernier, à ce que le
coût de fonctionnement de la future
Bibliothèque nationale
de France
n'excède pas
1,1 milliard de francs par an,
lorsqu'elle aura atteint, en 1998, son rythme de croisière.
Votre rapporteur ne peut que s'en féliciter. Toutefois, à
quelques mois seulement de l'ouverture du site de Tolbiac au public, personne
ne peut encore chiffrer avec précision le coût réel de la
climatisation des tours dans lesquelles sera stockée une partie des
ouvrages. Or, le dispositif mis en place pour préserver les livres de
« l'effet de serre » résultant de l'habillage des tours en
verre et des variations thermo-hygrométriques nuisibles à leur
conservation est particulièrement lourd. Il reste à
espérer que de « mauvaises surprises » ne conduiront pas
à placer les responsables de la future bibliothèque devant des
choix cornéliens pour respecter les engagements du ministre :
garantir la préservation des ouvrages ou ouvrir davantage au public. La
seule justification des sommes investies dans sa construction (près de
huit milliards de francs au total) et de son coût de fonctionnement
annuel serait en effet que cette bibliothèque soit très largement
ouverte au public. Aucune décision n'a encore été
définitivement arrêtée concernant les plages horaires
d'ouverture au public. Il semble toutefois admis que le département
« grand public » sera ouvert le dimanche.
• En 1996, la subvention de fonctionnement
versée par l'État au
musée du Louvre,
érigé en établissement public le 1er janvier
1993, s'établira à
279,11 millions de francs,
en
régression de 3,54 % par rapport à la dotation inscrite en loi de
finances initiale pour 1995, et de 6,54 % par rapport à celle qui
figurait dans la loi de finances votée en 1994. A cette subvention, il
convient toutefois d'ajouter le coût de la rémunération des
fonctionnaires titulaires mis à la disposition de l'établissement
public (estimé à
160 millions de francs
en 1996)
pour prendre la mesure de la contribution de l'État au fonctionnement du
musée.
Un effort supplémentaire devra être accompli en 1998 pour doter le musée des effectifs de surveillants nécessaires à l'ouverture des départements et des salles actuellement fermés pour travaux, et qui représentent une surface totale de 15.000 mètres carrés. A défaut, les visiteurs du « plus grand musée du monde » seraient condamnés à se heurter à des salles fermées, ce qui serait difficile à justifier compte tenu de l'importance des investissements consentis pour parvenir à ce résultat.
L'entreprise de remplacement des vacataires permanents par des personnels titulaires, engagée l'an passé, devra par ailleurs être poursuivie et amplifiée. La proportion des personnels vacataires, qui représentent aujourd'hui plus de 30 % des effectifs de surveillance du musée, apparaît manifestement trop élevée pour garantir une sécurité optimale des collections.
2. Le coût de l'entretien des bâtiments et de la maintenance des équipements doit être pris en charge par le budget de l'État
Parce que ces institutions sont neuves, ou que leur rénovation a mobilisé d'importants crédits d'investissement, le sentiment généralement partagé à leur endroit est celui du devoir accompli.
La priorité est aujourd'hui au redéploiement des crédits d'investissements jusqu'alors consacrés aux grands chantiers parisiens vers des actions nouvelles bénéficiant de préférence à la province.
Tout entier tendu vers la réalisation de ce nouvel objectif, l'État n'est-il pas en train de commettre une erreur qu'il risque de payer fort cher dans quelques années ?
Le précédent du Centre national d'art et de culture Georges Pompidou, auquel il est tenu de consacrer un important et coûteux programme de réhabilitation moins de vingt ans après son inauguration, devrait pourtant l'inciter à réfléchir.
• Qu'elles soient, comme le Louvre,
implantées dans un monument historique ou, comme l'Opéra de la
Bastille et la Bibliothèque de Tolbiac, installées dans une
architecture contemporaine,
les grandes institutions culturelles
doivent faire l'objet d'un entretien régulier.
Seule en effet une attention régulière portée à leur entretien permettra de prévenir à moindres frais d'importantes opérations de réhabilitation ultérieures. L'exemple du musée du Louvre est particulièrement évocateur. La restauration des façades du Palais, parce qu'elle avait été longtemps négligée, a nécessité un investissement de 1,2 milliard de francs. A l'avenir, un nettoyage superficiel, portant chaque année sur un cinquième des façades, permettrait d'entretenir le Palais et de repousser la perspective d'une nouvelle entreprise de restauration. Son coût est évalué à 2 millions de francs par an ... Il est indispensable que l'État s'engage à supporter le coût de cet entretien.
• Toutes ces institutions présentent par
ailleurs une caractéristique commune : leur fonctionnement fait
appel aux technologies les plus modernes, lesquelles reposent sur des
équipements nombreux, sophistiqués, fragiles et dont la
durée de vie est relativement courte
(de 3 à 10 ans en
général).
La maintenance et le remplacement cyclique de ces équipements 1 ( * ) qui conditionnent l'ordre de marche de l'institution, font apparaître des besoins de financement nouveaux, très supérieurs à ce que pouvaient représenter ces postes dans le budget des institutions traditionnelles, et qu'en tout état de cause les établissements publics gestionnaires ne sont pas en mesure d'assumer seuls.
Il importe aujourd'hui de se rendre à l'évidence : l'achèvement des grands chantiers parisiens ne met pas un terme aux crédits d'équipement que l'État devra verser aux établissements publics qui en sont issus. Il lui appartient en effet de prendre en charge le renouvellement des équipements transférés à chacune des grandes institutions parisiennes, selon un calendrier qui devra être précisé au cahier des charges de ces établissements, et qui devra être scrupuleusement respecté.
Tout retard pris dans le remplacement des équipements à l'expiration de leur cycle de vie normal exposerait en effet l'État à supporter tardivement un effort de rattrapage nécessairement plus coûteux.
Pour permettre au Parlement de contrôler chaque année l'adéquation des crédits inscrits à cet effet au budget de l'État aux besoins répertoriés dans les cahiers des charges, votre commission des Affaires culturelles suggère que, pour chacune des grandes institutions culturelles, la présentation des crédits du titre VI permette de faire apparaître les dépenses de maintenance et de renouvellement des équipements.
EXAMEN EN COMMISSION
La commission a examiné, au cours d'une séance tenue le mercredi 15 novembre 1995, le rapport pour avis de M. Philippe Nachbar sur les crédits de la culture inscrits dans le projet de loi de finances pour 1996.
Un débat a suivi l'exposé du rapporteur pour avis.
M. Franck Sérusclat a regretté que la culture scientifique et technique, de même que le défi culturel lancé par les nouvelles technologies de l'information soient insuffisamment pris en considération par le ministère de la culture. Il s'est en revanche félicité de la qualité des réalisations conduites en province avec le soutien de l'État, dont le musée Saint-Pierre à Lyon constitue une illustration. Remarquant que la majorité actuelle, héritant de la bibliothèque nationale de France, se trouvait dans la même situation que celle de 1981 confrontée à la nécessité de faire fonctionner le musée d'Orsay, il s'est loué de la sagesse du rapporteur pour avis sur ce dossier. Il a enfin demandé des précisions sur l'imputation des annulations de crédits qui affecteront le ministère de la culture dans le prochain collectif budgétaire.
M. Ambroise Dupont a estimé que le transfert de l'architecture au ministère de la culture était l'occasion de réfléchir à l'augmentation des moyens mis à la disposition des architectes des bâtiments de France jusqu'alors hébergés par les directions départementales de l'équipement.
M. Marcel Vidal, se félicitant du rattachement de l'architecture au ministère de la culture, s'est prononcé en faveur de la création d'une direction autonome de l'architecture et a appelé de ses voeux une revalorisation des crédits d'équipement et de fonctionnement accordés aux écoles d'architecture. Rappelant que l'identification d'une ligne budgétaire affectée à la restauration du patrimoine rural non protégé résultait d'une initiative sénatoriale, il a regretté l'érosion continue des crédits correspondants. Il a estimé que la signature de conventions culturelles entre l'État et les communes ou les communautés de communes permettrait d'inscrire la restauration de ce patrimoine dans la durée. Il a enfin souhaité une simplification des procédures administratives et une diversification des sources de financement affectées à la restauration des orgues.
M. Ivan Renar s'est élevé contre la récurrence des régulations budgétaires, qui traduisait un certain mépris du Parlement et avait des conséquences dramatiques sur le fonctionnement des institutions culturelles, celles-ci se trouvant souvent dans l'obligation d'annuler des manifestations pour lesquelles des contrats ont déjà été signés ou parfois même de licencier. Il a craint qu'en invitant les acteurs culturels à lutter contre les inégalités sociales, on se défausse en réalité sur eux d'un problème qu'ils n'ont pas la faculté de régler, contribuant ainsi à culpabiliser les artistes et les créateurs. Concernant le rééquilibrage des crédits entre Paris et la province, il a mis en garde contre une diminution systématique des crédits consacrés à l'Île-de-France, soulignant qu'au sein de cette région coexistaient des situations culturelles très contrastées. Il a rejoint le rapporteur pour avis pour estimer que le problème du fonctionnement des institutions culturelles devait être posé avant l'engagement de leur réalisation. Il a enfin indiqué que seule la reconnaissance des enseignements artistiques comme enseignements à part entière au cours de la scolarité obligatoire permettrait de lutter efficacement contre les inégalités sociales d'accès à la culture
M. Jack Ralite, dénonçant la pratique répétée des régulations budgétaires, a fait observer que le montant des annulations de crédits qui devrait affecter le budget de la culture en 1995 atteignait à peu de chose près celui des économies proposées par la commission des finances de l'Assemblée nationale avant que le budget de la culture pour 1996 ne soit « sanctuarisé ». Il s'est également élevé contre la pratique qui consistait à déléguer tardivement les subventions aux institutions bénéficiaires, soulignant que tout retard pris dans la mise à disposition de ces crédits condamnait celles-ci à engager des frais financiers.
Soulignant que la culture ne pouvait résoudre les causes de l'exclusion, il a souhaité que les actions engagées dans le cadre des 25 projets pilotes de quartier traduisent une haute exigence culturelle. Il a souhaité qu'un fonds social puisse être constitué pour soutenir les artistes qui rencontrent de graves difficultés du fait de l'effondrement du marché de l'art. Il a craint qu'une plus grande sélectivité du soutien accordé aux conservatoires de musique, et notamment aux conservatoires nationaux de régions, ne conduise à supprimer l'aide accordée par l'État au fonctionnement des établissements implantés dans les quartiers défavorisés. Il s'est enfin ému des décisions prises par le maire d'Orange à l'égard des chorégies et du centre culturel « Mosaïque ».
M. François Lesein a souhaité que les critères selon lesquels les architectes des bâtiments de France délivrent leurs avis puissent être harmonisés à l'échelon national.
M. André Maman s'est félicité de l'élargissement des compétences du ministère de la culture, estimant qu'il contribuerait à accroître la cohérence de ses interventions. Il a interrogé le rapporteur pour avis sur les suites qui seraient réservées en 1997 à l'expérience des projets culturels de quartier, ainsi que sur la programmation des grands projets en région.
Répondant aux différents intervenants, M. Philippe Nachbar, rapporteur pour avis, a apporté les précisions suivantes :
- le transfert de la Cité des sciences et de l'industrie sous la tutelle du ministère de la culture constitue un premier pas vers l'élargissement de la culture à sa dimension scientifique et technique ;
- un fonds d'aide à la création de produits multimédia en français a été constitué sur le budget du ministère de la culture, qui suit par ailleurs les projets culturels sélectionnés dans le cadre de l'appel à propositions lancé par le ministère de l'industrie fin 1994 ;
- on ne dispose actuellement d'autres informations que celles qui ont été révélées par la presse sur la répartition des annulations de crédits qui affecteront le budget de la culture ;
- une mission interministérielle a été mise en place pour régler les problèmes posés par le transfert des services de l'architecture au ministère de la culture ; cette mission devra notamment se pencher sur le rattachement et les moyens des architectes des bâtiments de France ;
- une procédure d'appel des décisions prises par les architectes des bâtiments de France auprès du ministre de la culture a été instituée au printemps dernier ;
- le ministre de la culture s'est engagé à rétablir l'effort consenti en faveur du patrimoine rural non protégé dans le cadre de la future fondation du patrimoine ;
- onze grands projets culturels en région ont pour l'instant été sélectionnés dans le cadre du programme quinquennal de construction décide en 1994, auquel devaient être affectés 500 millions de francs d'autorisations de programme sur cinq ans.
Suivant la proposition de son rapporteur pour avis, la commission a alors donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la culture inscrits dans le projet de loi de finances pour 1996.
Puis elle a adopté à l'unanimité un amendement présenté conjointement par M. Philippe Nachbar, rapporteur pour avis des crédits de la culture, et M. Jean Bernadaux, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement scolaire, tendant à améliorer l'information du Parlement sur l'effort financier global consenti en faveur des enseignements artistiques.
AMENDEMENT PRÉSENTÉ AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES
Article additionnel après l'article 68
A compter du projet de loi de finances initiale pour 1997 le Gouvernement présentera, en annexe au projet de loi de finances de l'année un état récapitulatif des crédits affectés au développement de l'éveil artistique et notamment à l'enseignement des disciplines relatives aux arts plastiques à la musique et à la danse, dans le cadre de l'enseignement scolaire, des enseignements artistiques spécialisés et des activités périscolaires.
* 1 Climatisation, détection incendie, éclairage, escalators, dispositif centralisé de sécurité au Louvre, plateaux scéniques à l'Opéra de la Bastille, système automatisé de transmission des ouvrages à la bibliothèque de Tolbiac ...