IV. LES ORIENTATIONS DE VOTRE COMMISSION DES LOIS

A. APPRÉCIATION D'ENSEMBLE

Votre commission des Lois a considéré que si la prestation d'autonomie répondait à une préoccupation sociale légitime, sa mise en oeuvre devrait être réalisée dans un cadre cohérent qui permette, avant tout, de mettre un terme aux déficiences du dispositif actuel caractérisées en particulier par la dérive financière de l'allocation compensatrice pour tierce personne.

Dans ces conditions, et compte tenu des incertitudes sur les perspectives de financement à terme de cette nouvelle prestation, il paraît nécessaire - s'inspirant en cela de la solution retenue lors de la création du revenu minimum d'insertion - de limiter l'application de la loi à une période de trois ans. Au terme de cette période, le dispositif pourra être évalué et les corrections nécessaires lui être apportées.

De même, compte tenu de la situation actuelle, la réforme des règles de tarification des établissements pour personnes âgées constitue un préalable indispensable à la mise en oeuvre de la prestation dans ces établissements, qui devrait intervenir au plus tard le 1er juillet 1997.

Le choix du département pour gérer la prestation peut, par ailleurs, susciter certaines interrogations, dès lors qu'il s'agit d'une prestation de solidarité nationale et non d'aide sociale.

Mais l'expérience acquise de longue date par les départements en matière d'aide sociale de même que les compétences importantes qui leur ont été reconnues en la matière par la loi du 7 janvier 1983 complétée par la loi du 22 juillet 1983, semblent s'accorder avec la nouvelle mission qui leur est ainsi dévolue. Les départements paraissent les mieux placés pour assurer une gestion de proximité de la prestation d'autonomie et assurer une coordination efficace des différents intervenants.

Cependant, cette compétence départementale ne peut se concevoir que dans le cadre d'un dispositif parfaitement clair, en particulier quant à la répartition de la charge financière entre l'Etat et les départements et quant aux conditions d'exercice par ces derniers de leurs nouvelles responsabilités.

C'est pourquoi votre commission des Lois a souhaité appeler l'attention du Sénat plus particulièrement sur les conditions d'entrée en vigueur du dispositif, sur certaines dispositions qui précisent les modalités de mise en oeuvre des compétences départementales ainsi que sur le lien établi entre le bénéfice de la prestation et la mise en jeu de certaines obligations civiles telles que l'obligation alimentaire.

Elle a également jugé nécessaire de présenter des observations complémentaires en ce qui concerne le financement du dispositif.

1. Les conditions d'entrée en vigueur du dispositif

A plusieurs reprises, le Conseil constitutionnel a eu l'occasion de préciser que l'entrée en vigueur de la loi dépendait du législateur lui-même.

Cette compétence fait obligation au législateur de ne pas abandonner purement et simplement ses prérogatives au Gouvernement.

Le Conseil constitutionnel a ainsi spécifié que, dans les domaines de sa compétence, il est du pouvoir du législateur de fixer les conditions de mise en vigueur des règles qu'il édicte (décision n° 86-223 - DC du 29 décembre 1986).

Cette règle de compétence trouve notamment à s'appliquer lorsqu'est concernée -comme en l'espèce- la mise en oeuvre du principe de libre administration des collectivités locales. Le législateur ne peut rester en deçà de la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution de déterminer les principes fondamentaux « de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources ». (Décisions n° 83-168 DC du 20 janvier 1984 et 94-358 DC du 26 janvier 1995).

Or, l'examen de plusieurs dispositions du projet de loi met en évidence un recours très large à la voie réglementaire pour préciser des éléments essentiels du nouveau dispositif qui en conditionnent l'application même :

- les critères d'évaluation de la perte d'autonomie seront fixés par la voie réglementaire (article 4) ;

- le cumul de la prestation d'autonomie avec les ressources de l'intéressé, et s'il y a lieu de son conjoint, s'effectuera selon des modalités fixées par voie réglementaire dans la limite d'un plafond déterminé par décret (article 5) ;

- la prestation d'autonomie sera accordée pour une durée minimale fixée par décret (article 7) ;

- les conditions dans lesquelles la prestation pourra être réduite ou supprimée seront déterminés par la voie réglementaire (article 9) ;

- le montant minimum en-deçà duquel la prestation ne sera pas versée sera précisée par décret (article 11) ;

- le recours successoral, lorsque la prestation est versée à domicile, sera exercé sur la fraction de l'actif net successoral excédent un seuil fixé par décret (article 14) ;

- l'agrément des services d'aide à domicile vaudra pour une durée déterminée par décret (article 19) ;

- le président du conseil général pourra interrompre le versement de la prestation dans des conditions fixées par la voie réglementaire (article 20) ;

- les modalités de présentation du bilan départemental seront fixées par décret (article 35) ainsi que les modalités d'élaboration du plan départemental d'action en faveur des personnes âgées (article 36) ;

- la mise en oeuvre des dispositions du titre III relatives à la prestation en établissement s'effectuera à une date fixée par décret (article 40).

Dans ces conditions, on peut se demander si le législateur aura réellement épuisé sa compétence, conformément aux règles constitutionnelles.

A cette première interrogation, s'ajoute l'imprécision des renvois qui, dans bien des cas, visent de manière très générale la voie réglementaire.

La rédaction de l'article 42 lève imparfaitement cette ambiguïté en spécifiant que, sauf dispositions contraires, le texte réglementaire serait un décret en Conseil d'Etat.

2. le financement du dispositif

Pour le financement du dispositif, le projet de loi prévoit la compétence du département de résidence ainsi qu'un abondement du Fonds de solidarité vieillesse.

Le choix du département de résidence pour gérer la prestation est discutable dès lors qu'il s'éloigne de la règle généralement appliquée en matière d'aide sociale qui fait prévaloir la compétence du département dans lequel les bénéficiaires ont leur domicile de secours. Il ferait peser une charge très lourde sur les départements qui ont le plus développé leur capacité d'accueil ou dont les coûts d'hébergement sont les moins élevés.

La prise en compte des dépenses de références du département doit, par ailleurs, permettre de calculer le montant de la contribution du Fonds de solidarité vieillesse. Néanmoins, cette contribution sera diminuée d'un montant égal aux produits des recouvrements sur succession prévus à l'article 14. Les frais de recouvrement engagés par le département ne seront, pour leur part, pris en compte qu'à hauteur de la moitié.

Le calcul des dépenses actuellement exposées par les départements au titre de l'allocation compensatrice pour tierce personne ou de l'aide sociale à l'hébergement devra être établi sur des bases incontestables et surtout homogènes. Or, de fortes disparités existent entre les départements dans le versement de l'allocation compensatrice aux personnes hébergées dans les établissements médicaux et médico-sociaux. De même, les commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel adoptent des comportements différents d'un département à l'autre.

En second lieu, l'indexation sur la dotation globale de fonctionnement, d'une part, des dépenses de référence, pendant la période transitoire, d'autre part, de la participation du département et du Fonds de solidarité vieillesse à l'issue de la période transitoire, peut susciter de légitimes interrogations.

Cette indexation paraît, en effet, mal s'accorder avec les mesures prises dans le cadre du pacte de solidarité financière que concrétise l'article 18 du projet de loi de finances.

Dans le cadre de ce pacte de solidarité financière, il a été prévu une enveloppe globale de certains concours de l'Etat qui évolueraient sur la base de l'indice des prix soit 2,1 %. Néanmoins, les règles d'indexation de la dotation globale de fonctionnement prévues par l'article 52 de la loi de finances pour 1994 (prix plus la moitié de la croissance du PIB) seront maintenues. Cette dotation progressera, en conséquence, de 3,55 % en 1996.

L'ajustement sera opéré, d'une part, sur la dotation globale d'équipement, pour les communes de 10 000 habitants et plus, et, d'autre part, sur la dotation de compensation de la taxe professionnelle. Or ce dernier ajustement aura, pour les départements, des conséquences financières très lourdes.

Parallèlement, sur la base du présent projet de loi, la charge que représentera pour les départements la prestation d'autonomie évoluerait comme la dotation globale de fonctionnement, soit à un niveau plus élevé que celui de l'enveloppe globale des concours de l'Etat.

3. la mise en jeu de l'obligation alimentaire et le recours sur la succession

Contrairement à ce qu'avait envisagé la proposition de loi précitée, élaborée dans le cadre de la commission des Affaires sociales, le projet de loi ne prévoit pas la mise en jeu préalable de l'obligation alimentaire.

En revanche, la récupération sur la succession sera possible. Néanmoins, lorsque la prestation aura été versée à domicile, cette récupération se fera sur la fraction de l'actif net successoral excédant un seuil fixé par décret.

Ce choix effectué par les auteurs du projet de loi appelle deux types d'observations.

En premier lieu, pour ce qui est de l'obligation alimentaire, on est en droit de se demander si la dépendance due au grand âge ne devrait pas conduire à la mise en jeu normale de certaines formes de solidarité familiale par la voie du versement d'aliments. Rappelons que la mise en oeuvre de l'obligation alimentaire est prévue, par le code de la famille et de l'aide sociale, en matière d'aide sociale.

Le rétablissement de cette obligation civile pourrait être soumise à l'application d'un seuil, évitant ainsi de faire peser une charge excessive sur des personnes à revenus modestes.

Pour ce qui est, en second lieu, du recours sur les successions, la récupération sur les donations - qui, dans le cadre de l'aide sociale, concerne celles qui ont été effectuées dans les cinq ans qui ont précédé la demande- devrait être possible dans un délai plus long.

4. les conditions d'intervention du département

Votre commission des Lois observe que plusieurs dispositions traduisent insuffisamment le rôle essentiel du département dans le versement de la nouvelle prestation.

Tel est le cas de la latitude donnée au président du conseil général pour accorder ou refuser la prestation d'autonomie compte tenu du dossier établi par une équipe médico-sociale (article 7).

Tel est également le cas pour le contrôle de l'effectivité de l'aide et les conditions de la suppression de celle-ci qui seront précisées par la voie réglementaire sur la base de critères qui paraissent, en l'état, très généraux (article 20).

Par ailleurs, la fixation par la voie réglementaire des modalités, d'une part, de présentation du bilan départemental annuel et, d'autre part, d'élaboration du plan départemental en faveur des personnes âgées ne paraît pas s'imposer et semble constituer une restriction excessive à l'initiative départementale, d'ores et déjà avancée dans ce domaine (articles 35 et 36).

Enfin, votre commission se doit de souligner que le caractère assez général de la rédaction de certains articles pourrait nourrir d'éventuels contentieux.

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