TRAVAUX EN COMMISSION

Désignation du rapporteur
(Mardi 7 mai 2024)

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, j'en viens désormais au second point de notre ordre du jour. Nous devons procéder à la désignation d'un rapporteur pour avis sur le projet de loi d'orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture, qui est en cours d'examen à l'Assemblée nationale.

Maintes fois annoncé, plusieurs fois remanié, ce texte se veut une réponse aux crises que traverse notre agriculture : défi du renouvellement des générations, baisse de l'attractivité de la profession auprès des jeunes générations, concurrence internationale exacerbée, difficultés pour les agriculteurs de tirer un revenu décent de leur activité, attentes sociétales de plus en plus fortes pour produire une nourriture qui concilie qualité et durabilité, etc.

Pour tenter de répondre à ces défis multifactoriels, l'article 1er du projet de loi dispose, entre autres, que « l'agriculture, la pêche et l'aquaculture sont d'intérêt général majeur en tant qu'elles garantissent la souveraineté alimentaire de la Nation ». Les articles suivants sont consacrés à des mesures en faveur de l'orientation, de la formation, de la recherche et de l'innovation, ainsi qu'à des mesures en matière d'installation des agriculteurs et de transmission des exploitations.

En outre, la forte demande de simplification qui s'est exprimée en début d'année à la suite des colères agricoles française et européenne a incité l'exécutif à modifier les contours du texte qu'il avait préparé. Il me semble à cet égard que, si nous voulons nous aussi répondre à cette préoccupation, il nous faudra agir de façon pragmatique et efficace à l'occasion de son examen ici, au Sénat, et éviter de multiplier les amendements.

Ce projet de loi tente de répondre à la demande de simplification des agriculteurs, à travers un titre IV consacré à la sécurisation, la simplification et la libération de l'exercice des activités agricoles, qui prévoit notamment la mise en cohérence du régime de protection des haies, l'encadrement des contentieux agricoles en matière d'ouvrage de stockage des eaux, la possibilité pour le département d'intervenir en matière de production et d'acheminement d'eau potable.

Nombre de ces sujets relèvent de façon univoque du champ de compétence de notre commission. L'exposé des motifs du projet de loi corrobore d'ailleurs cette interprétation : il y est affirmé que « nos politiques publiques doivent être pensées [...] au regard de deux défis intrinsèquement liés, et qu'il nous faut absolument relever pour préserver notre souveraineté alimentaire : celui du changement climatique et de la préservation de la biodiversité, d'une part, et celui du renouvellement des générations, d'autre part ».

C'est la raison pour laquelle il m'a semblé indispensable que notre commission se saisisse pour avis de l'ensemble de ce projet de loi et apporte son expertise en complément de celle des affaires économiques.

Nous avons également demandé des délégations au fond pour l'examen de quatre articles : l'article 13 relatif au régime de répression des atteintes à la conservation d'espèces sauvages, l'article 14 sur la protection des haies, l'article 15 sur les contentieux des ouvrages de stockage d'eau et l'article 18 sur la possibilité pour le département d'assurer la maîtrise d'ouvrage en matière de production, de transport et de stockage d'eau potable. Nous dialoguons à ce sujet avec la commission des affaires économiques et je ne manquerai pas de vous tenir informés du périmètre des délégations qui pourraient nous être accordées, dès lors que le texte aura été transmis par l'Assemblée nationale.

Il n'est point trop de deux commissions pour remporter la « mère des batailles » ainsi que l'a baptisé le Président de la République, en consolidant notre souveraineté alimentaire et en réussissant les transitions agroécologique et climatique avec les agriculteurs, les collectivités et les citoyens.

Notre commission aura ainsi à coeur, en vertu de sa démarche pragmatique, réaliste et ambitieuse, de contribuer à ce nouvel édifice normatif, afin de répondre aux défis climatiques du siècle et d'aider les agriculteurs à faire face à un avenir qui n'a jamais été aussi incertain et à des changements environnementaux d'ampleur inédite.

En vue de cet examen, j'ai reçu la candidature de Jean-Claude Anglars. Je vous propose donc de le désigner en qualité de rapporteur pour avis.

La commission demande à être saisie pour avis sur le projet de loi n° 2436 (A.N., XVIe lég.) d'orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture, sous réserve de sa transmission, et désigne M. Jean-Claude Anglars rapporteur pour avis.

Examen du rapport pour avis
(Mercredi 4 décembre 2024)

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, après une séquence consacrée à l'Office français de la biodiversité, nous restons proches des enjeux dont nous venons de discuter. Notre ordre du jour se poursuit avec l'examen du projet de loi, adopté en mai dernier par l'Assemblée nationale, d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture.

Son examen a été percuté par la conjoncture politique : la dissolution de l'Assemblée nationale a perturbé le calendrier parlementaire et conduit à différer les travaux du Sénat en séance publique, avec des répercussions sur l'organisation du travail en commission. En revanche, conformément à notre procédure parlementaire, c'est bien le même texte que nous examinons, celui adopté par l'Assemblée nationale le 28 mai dernier : le fait que nous ayons changé de législature n'entraîne aucune conséquence procédurale, si ce n'est que le délai limite pour le dépôt des amendements de commission n'a pas été rouvert. En d'autres termes, seuls les amendements déposés en commission en juin dernier pourront être intégrés au texte de la commission. Les initiatives nouvelles pourront bien sûr être présentées au stade de la séance publique, prévue durant la seconde quinzaine de janvier prochain, après la suspension des travaux en séance publique, à condition que le Gouvernement ne soit pas renversé cet après-midi, à la suite de l'examen de la motion de censure.

L'examen au fond de ce projet de loi a été confié à la commission des affaires économiques, qui a désigné Laurent Duplomb et Franck Menonville comme rapporteurs. 

En raison de l'acuité des enjeux portés par ce texte et de la convergence de plus en plus évidente entre les enjeux agricoles, climatiques et environnementaux, notre commission a jugé opportun de se saisir pour avis de ce texte attendu par le monde agricole. Les études scientifiques confirment le ressenti des acteurs : les problématiques agricoles sont de plus en plus intimement liées à celles de l'aménagement du territoire et du développement durable. À ce titre, il n'aurait d'ailleurs pas été illogique que certains articles du projet de loi nous soient délégués au fond, comme ceux sur la protection et la valorisation des haies (article 14) ou l'aménagement des procédures relatives à certains contentieux administratifs en matière agricole (article 15). À ce propos, je tiens à préciser qu'il est inexact d'affirmer que notre commission ne s'empare pas des sujets agricoles, le travail de notre collègue Jean-Claude Anglars est la preuve de cet investissement.

Je tiens d'ailleurs à le remercier d'avoir mené un grand nombre d'auditions préparatoires, dont une partie conjointement avec les rapporteurs des affaires économiques, ce dont je me félicite ! Je connais son implication pour comprendre, décortiquer et analyser les articles soumis à son examen pour avis. Je tiens donc à saluer son sérieux, sa capacité à travailler en bonne intelligence avec la commission des affaires économiques, d'autant que ce texte suscite de vives attentes de la part des agriculteurs, qui nous font part à nouveau de leur colère et de leur détresse vis-à-vis des changements rapides qui affectent l'exercice de leur profession, qu'ils soient le fait des normes, des attentes sociales ou des évolutions climatiques. Il est de notre responsabilité de les écouter et de leur apporter des solutions, pour favoriser une agriculture durable, qui nourrisse la population et garantisse un revenu décent à ceux qui sont les artisans de notre souveraineté alimentaire.

Je vous rappelle que l'examen du rapport et l'élaboration du texte par la commission des affaires économiques sont prévus la semaine prochaine, mardi, mercredi et jeudi, pour examiner les 634 amendements déposés, à moins que le Gouvernement ne survive pas à l'examen de la motion de censure de cet après-midi. Je laisse à présent le soin à notre collègue Jean-Claude Anglars de nous présenter les principaux axes de son rapport ainsi que les amendements dont il nous proposera l'adoption.

M. Jean-Claude Anglars, rapporteur pour avis du projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture. - J'ai le plaisir de vous présenter mon rapport pour avis sur le projet de loi d'orientation agricole. Le président a rappelé les raisons politiques pour lesquelles cet examen aurait dû intervenir en juin dernier : le débat a finalement lieu ce matin, avec six mois de retard. Ce changement de contexte n'est pas neutre, en raison même des sujets abordés : il n'aura échappé à personne que la colère agricole connaît un nouvel épisode. Quand on est attentif aux messages de la profession agricole et des paysans, l'exaspération face à la complexité et à la profusion des normes est constante.

À nouveau, le sort de ce texte est très incertain : il dépend de la capacité du Gouvernement à se maintenir en fonction à l'issue de l'examen de la motion de censure cet après-midi. Il serait malheureux pour nos agriculteurs qu'il connaisse le même sort qu'en juin dernier... Mais l'avenir n'est jamais écrit d'avance et je vous présenterai donc mon rapport, malgré l'incertitude planant sur le devenir de ce projet de loi.

Comme l'a indiqué le président dans son intervention liminaire, le texte a été envoyé au fond à la commission des affaires économiques. En raison des liens étroits qu'entretiennent activités agricoles et développement durable, notre commission s'est saisie pour avis de plusieurs articles, marquant ainsi son fort intérêt pour les sujets agricoles. Le champ d'examen de mon rapport s'est concentré sur l'article 13 sur les délits d'atteinte à la conservation d'habitats naturels ou d'espèces sauvages, l'article 14 visant à unifier le régime juridique applicable aux haies, l'article 15 sur le contentieux administratif de certaines décisions en matière agricole, l'article 17 sur la valorisation des produits lainiers et l'article 18 sur la possibilité de déléguer au département la maîtrise d'ouvrage en vue de la production, du transport et du stockage de l'eau potable. La commission de la culture s'est également saisie pour avis des articles du titre II relatifs à la formation, l'orientation, la recherche et l'innovation. Il est fondamental de s'intéresser à ces sujets car je rappelle cette vérité selon laquelle il n'y a pas de pays sans paysan.

Les auditions préparatoires que j'ai menées au printemps dernier m'ont occupé pendant plus d'un mois, un délai nécessaire au regard des enjeux majeurs et variés auxquels ce texte tente de répondre : préparer l'avenir de l'agriculture, assurer le renouvellement des générations et former suffisamment d'actifs agricoles, tout en amorçant une trajectoire d'adaptation au changement climatique.

Au-delà des auditions auxquelles les rapporteurs des affaires économiques ont eu l'amabilité de m'associer - et je les en remercie - j'ai souhaité mener huit auditions complémentaires. Celles-ci m'ont permis d'entendre une vingtaine d'acteurs aussi divers que les associations représentatives des élus locaux (Association des maires ruraux de France, Association des Petites Villes de France, Intercommunalités de France et Départements de France), les agences de l'eau, l'INRAE, le CNRS, le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), en passant par des juristes spécialisés en droit de l'environnement et les représentants des procureurs de la République, pour enrichir ma compréhension des enjeux du texte et bénéficier d'une vision la plus panoramique possible.

Outre ces auditions, ouvertes à l'ensemble des commissaires, j'ai assisté à bon nombre d'auditions conjointes avec la commission des affaires économiques, dès lors qu'elles étaient en lien avec le champ de notre saisine pour avis. Je tiens à cet égard à souligner la qualité de la coopération avec les rapporteurs Laurent Duplomb et Franck Menonville, la fluidité en matière d'échange d'informations et l'utilité de cette démarche pour faire valoir le point de vue de notre commission.

Outre le champ de la saisine rappelé précédemment, je me suis naturellement intéressé à l'article 1er, qui pose les grands principes et décline les priorités de l'action publique en matière agricole pour la décennie à venir.

Il me semble à cet égard essentiel que la société, collectivement et par l'intermédiaire du législateur, puisse déterminer les grands principes de l'agriculture de demain, le soutien public dont bénéficient les exploitants face aux défis climatiques et rappeler la vocation de notre agriculture, qui consiste à produire, de manière durable, « une alimentation suffisante, saine, sûre, diversifiée, nutritive et accessible à tous, tout au long de l'année ». Rappeler ces priorités me semble un acte juridique fort : leur insertion à l'article 1er du code rural et de la pêche maritime leur confère un caractère solennel et une effectivité certaine, d'autant que le texte élève « la protection, la valorisation et le développement de l'agriculture et de la pêche [au rang d']intérêt général majeur ». Sur ce point, je salue les apports de l'Assemblée nationale qui a étoffé cet article en intégrant un certain nombre d'évidences, qu'il n'était pas superflu de rappeler, même si l'article 1er peut encore être perfectionné, notamment afin d'accroître sa cohérence.

En premier lieu, les acteurs entendus ont unanimement insisté sur les défis inédits auxquels fait face l'agriculture, notamment sous l'effet du changement climatique, dont les conséquences sont déjà perceptibles sur l'élevage et les récoltes. La hausse des températures moyennes entraîne des bouleversements sans précédent quant à la disponibilité de la ressource en eau, la qualité des sols et la biodiversité. La sécurisation de l'accès à l'eau pourrait ainsi devenir un défi majeur pour la majorité des exploitations agricoles, avec des incidences notables sur les rendements et la résilience des cultures.

Face à ces enjeux de plus en plus prégnants, ce texte vise à consolider la souveraineté alimentaire et agricole de la France, en affichant une ambition programmatique et en se fondant sur une vision prospective, en posant des priorités et des principes fondamentaux destinés à irriguer les politiques agricoles de ces prochaines années. Un ensemble de mesures tendent à assurer le renouvellement des générations et à former les agriculteurs de demain, en facilitant les transmissions et en leur donnant les clefs pour comprendre les évolutions environnementales et climatiques qui se déroulent à un rythme sans précédent.

Notre modèle agricole est en effet à la croisée des chemins : il doit faire face à la déprise rurale, à la concurrence extérieure, à l'évolution des attentes et des préférences des consommateurs, ainsi qu'aux évolutions normatives en matière sanitaire et environnementale. Pour ce faire, l'État doit accompagner ces évolutions inédites, innover dans son soutien pour faciliter la vie de l'agriculteur, lui faire confiance et faire en sorte qu'il puisse se concentrer sur ce qu'il fait le mieux et qui constitue le coeur de son activité. La forte demande de simplification est une impérieuse nécessité pour ne pas désespérer des acteurs qui savent faire preuve de bon sens et qui ont déjà bien assez à faire, au champ ou à l'étable... Offrir un cadre simplifié d'action, pour libérer l'activité agricole de normes excessivement lourdes ou contradictoires, sans diminuer l'ambition environnementale : voici le mandat que le monde rural nous confie, à nous parlementaires. Ne le décevons pas.

Je rappelle que l'objectif doit, à mes yeux, consister à garantir notre souveraineté agricole et promouvoir une agriculture compétitive, propre, durable et économiquement viable, répartie sur l'ensemble du territoire, capable de produire une alimentation saine, sûre et accessible à tous, conformément au principe de souveraineté alimentaire. Je ne pense pas faire fausse route : selon le sondage Ipsos sur « les fractures françaises » réalisé en novembre dernier, le pouvoir d'achat et la protection de l'environnement sont les deux enjeux qui préoccupent le plus les Français à titre personnel. C'est également la conviction qui m'a animé au cours de cet examen pour avis, pour garantir un revenu décent aux agriculteurs et permettre aux Français d'accéder à des productions agricoles, locales, respectueuses de la santé et de l'environnement.

Mon sentiment est que ce texte de loi reste en deçà des ambitions affichées. Ce texte a subi un destin législatif contrarié : il a été élaboré au terme de plusieurs mois de concertation avec les associations représentatives agricoles, les fédérations professionnelles, les associations environnementales et les élus locaux, ce qui constitue selon moi une bonne méthode. La colère agricole a cependant conduit le Gouvernement à faire évoluer son projet et les députés à ajouter de nouveaux articles : de 19 articles initialement, le texte est passé à 45 articles. Aujourd'hui, nous examinons un texte fourre-tout, aux nombreux impensés et avec des orientations brouillées à force d'empiler des dispositifs, parfois à la limite du bavardage législatif. En un mot, ce texte manque de cohérence. Il comporte également un certain nombre de lacunes.

Il manque aussi d'ambition pour renforcer la durabilité des productions alimentaires : on n'y trouve rien pour accroître la résilience des exploitations, les leviers fiscaux ne sont pas mobilisés, le revenu agricole n'est pas sécurisé autrement qu'à travers des déclarations de principe, les filières ne sont pas accompagnées face aux évolutions climatiques. Aucun mécanisme n'est élaboré pour protéger les agriculteurs de la concurrence déloyale et des défaillances de marché, je pense notamment à l'accord de libre-échange entre le Mercosur et l'Union européenne, pas plus que ne sont travaillées la protection contre les prédateurs ou la question des sols, pourtant essentiels à une production de qualité. N'attendons donc pas de ce texte qu'il résolve tous les problèmes ou qu'il fixe un cadre pérenne pour accompagner les agriculteurs face aux défis multiples qui pèsent sur leur activité : il ne pourra que décevoir ceux qui placent de trop grandes attentes dans un texte finalement plus de circonstance que d'orientation. À cela s'ajoute son devenir parlementaire plus qu'incertain, conditionné à la capacité du Gouvernement à ne pas être renversé.

Cependant, malgré ses défauts et ses insuffisances, ce texte apporte des évolutions bienvenues et nécessaires, tout en ayant le mérite de traiter des sujets qui concernent l'activité quotidienne des agriculteurs. Il pose les bonnes questions, même s'il apporte rarement les bonnes réponses. Ce travail législatif me convainc de la grande difficulté de simplifier : le chemin qui mène à des dispositifs lisibles et clairs est escarpé et tortueux. En l'état, il est cependant de notre devoir d'apporter une partie des évolutions attendues par la profession agricole et d'imaginer des dispositifs pour limiter l'insécurité juridique qui entoure certains projets agricoles : aujourd'hui, mener à son terme un projet de réserve de substitution peut prendre une dizaine d'années, en raison des procédures susceptibles d'être initiées par des requérants opposés à ces projets. Ce n'est pas raisonnable, il est dans l'intérêt de tous que ces contentieux puissent aboutir plus rapidement.

C'est la raison pour laquelle je vous propose d'émettre un avis favorable à son adoption, sous réserve des amendements que je vais vous présenter dans un instant.

M. Jean-François Longeot. - Merci Monsieur le rapporteur pour cette présentation des enjeux que soulève ce texte et des manques qui le caractérisent.

Mme Nicole Bonnefoy. - Je remercie le rapporteur pour son travail, même si nous aurions pu légitimement revendiquer des articles pour les examiner au fond, en raison de leur étroite proximité avec le champ de compétence de notre commission.

Nous attendions depuis longtemps un texte d'orientation et d'avenir pour l'agriculture au regard notamment de l'ampleur de la crise agricole que nous traversons. Mais comme le rapporteur l'a souligné, nous sommes amenés à examiner un texte qui évince des sujets cruciaux pour le monde paysan, et non pas le projet de loi ambitieux que la situation exige.

En premier lieu, la question du revenu et du prix est absente de ce texte : celui-ci n'aborde ni la question du revenu agricole ni du rééquilibrage des relations commerciales, en se contentant de renvoyer à un nouveau rapport visant à renforcer le partage de la valeur en direction des agriculteurs. Il ne contient aucune disposition relative à la construction des prix, alors qu'un prix plancher avait été annoncé en grande pompe par le Président de la République lors du dernier salon de l'agriculture.

En deuxième lieu, je remarque aussi que le projet de loi ne propose pas de mesures permettant de résoudre la problématique foncière, marquant ainsi l'abandon quasi-reconnu d'une grande loi foncière, ni de dispositions fiscales, alors que la fiscalité constitue pourtant un levier indispensable pour accompagner les transitions nécessaires. Sont aussi notables l'absence d'engagement de réforme de la PAC et d'adaptation de notre plan de stratégie nationale, stratégie qui conditionne pourtant 9,5 milliards d'euros d'aides agricoles par an.

Enfin, ce texte se caractérise également par l'absence de prise en compte de l'urgence environnementale, ce projet de loi se résumant à des déclarations incantatoires lorsqu'il s'agit de transition agroécologique. Le diagnostic modulaire créé par l'article 9 n'est pas sans rappeler celui que nous proposions dans une récente proposition de loi sur la santé des sols. Malheureusement, cet article 9 été fortement remanié au cours de son examen à l'Assemblée nationale, qui a privilégié une approche plus économique, en supprimant toute référence à la qualité et l'état des sols. Désormais, rien ne garantit que ce diagnostic puisse favoriser l'agroécologie, alors que cet objectif devrait être au coeur de nos préoccupations.

Ce texte acte par ailleurs des reculs profonds sur la biodiversité malgré l'urgence que nous connaissons aujourd'hui, comme vient de nous le rappeler le directeur de l'OFB. Nous considérons que l'article 13 envoie un mauvais signal puisqu'il lève les sanctions réprimant les atteintes commises par négligence ou imprudence : il entérine ainsi le risque de multiplication des destructions.

Notre commission devrait prendre davantage à bras le corps la nécessaire conciliation entre la souveraineté alimentaire et la préservation de l'environnement pour façonner une agroécologie pour tous que nous appelons de nos voeux. Force est de constater que ce texte n'y participe pas. Nous remercions toutefois le rapporteur pour son travail.

M. Ronan Dantec. - Il serait intéressant de sortir de cette logique de textes conjoncturels, fortement liés au contexte politique et écrits en réponse aux différentes mobilisations sans vision d'ensemble. Pour débattre et légiférer sur la souveraineté alimentaire et l'adaptation au changement climatique - qui passent nécessairement par une agriculture protectrice de l'environnement, et notamment du grand cycle de l'eau soumis aujourd'hui à de fortes pressions en raison du réchauffement climatique - nous avons besoin d'une approche non dogmatique de l'agroécologie.

Il serait peut-être temps que notre commission se penche plus sérieusement sur l'agroécologie et ses résultats, afin de l'accompagner réellement. L'agroécologie permet de produire plus et de diminuer les impacts environnementaux : la logique économique et scientifique plaide pour un soutien plus marqué à l'agroécologie. Ce n'est ni le sens du texte ni ce que proposent les amendements du rapporteur.

Notre groupe votera donc contre l'adoption de ce texte.

Mme Marie-Claude Varaillas. - Ce texte a fait l'objet d'une véritable inflation législative à l'Assemblée nationale : il est désormais malaisé d'y voir clair quant aux intentions du Gouvernement pour assurer le renouvellement des générations. En effet, aucune mesure d'envergure n'accompagne le projet de loi et aucune projection du nombre d'installations escomptées n'est avancée. À ce titre, le Conseil d'État considère que les dispositions du projet de loi sont tellement floues que la saisine du Haut Conseil des finances publiques n'est pas nécessaire : ce fait me paraît significatif.

Ce projet ne contient aucune disposition relative au revenu des agriculteurs, qu'il s'agisse de l'encadrement du foncier agricole ou de la réforme des aides à l'installation.

À l'évidence, ce texte ne s'attaque pas suffisamment au défi du renouvellement des générations, ne traite pas la question du revenu agricole, de l'accessibilité au foncier ou de la concurrence déloyale des produits importés. La notion d'intérêt général appliqué à l'agriculture pourrait paraître intéressante ; mais nous savons tous que le juge fera prévaloir les normes européennes sur le droit national. De plus, la dimension agroécologique est fortement réduite.

Je voudrais aussi attirer votre attention sur le « Bachelor agro » créé par ce texte. Ce diplôme national de premier cycle en sciences et techniques de l'agronomie de niveau Bac +3 serait délivré par des établissements d'enseignement supérieur agréés par le ministère de l'Agriculture. À l'Assemblée nationale, les débats ont pointé le risque que ce diplôme ne soit le terreau du développement de l'enseignement supérieur agricole privé.

Je partage la position de mes collègues quant à ce texte et voterai contre.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

M. Jean-François Longeot. -Monsieur le rapporteur, je vous propose de nous présenter vos amendements.

M. Jean-Claude Anglars. - Mes chers collègues, ce texte est bien éloigné des lois d'orientation agricole du 5 août 1960 et du 8 août 1962 : nous sommes parfaitement d'accord sur ce point-là et je partage beaucoup de vos constats. Il n'en reste pas moins qu'il faut traiter rapidement certains sujets, pour affirmer notre soutien aux agriculteurs et à leur avenir et notre conviction que l'on peut encore avoir des paysans sur tout notre territoire.

Il m'a paru utile de proposer six amendements afin de faire évoluer sur certains points les articles dont notre commission est saisie pour avis.

Article 13

L'article 13 instaure une obligation de suivre un stage de sensibilisation en cas d'atteinte à la conservation d'espèces et à leurs habitats naturels. Je propose que ce stage ne soit rendu obligatoire qu'à la condition que l'atteinte soit à la fois grave et irréversible, afin de ne pas ouvrir ce régime aux atteintes bénignes. De même, la notion de stage de sensibilisation aux enjeux de l'environnement est marquée d'une imprécision quant à ce qu'il peut recouvrir : je propose d'en préciser la portée en indiquant que ce stage veille spécifiquement à sensibiliser aux enjeux et à l'intérêt de préserver l'environnement. Plusieurs acteurs m'ont en outre fait part de leurs inquiétudes concernant les modalités pratiques de participation à ce stage, notamment sa durée, son coût financier ou encore les organismes habilités à l'organiser. C'est pourquoi je propose qu'un décret encadre ces modalités, pour éviter que la nature, les modules de formation ou le coût du stage ne varient en fonction de l'organisme chargé d'assurer la sensibilisation.

L'amendement COM-635 est adopté.

Article 14

M. Jean-Claude Anglars. - L'article 14 concerne les haies. Il peut paraître à première vue surprenant qu'un texte d'orientation agricole, ayant vocation à fixer le cap en matière de souveraineté alimentaire et agricole, traite des haies. Si pareil sujet mérite indéniablement l'attention du législateur, il aurait été de meilleure pratique de l'examiner dans le cadre d'un véhicule dédié plutôt qu'ici. Mais dans la mesure où nous disposons d'une opportunité de remédier à un irritant agricole récurrent, il m'a paru préférable de nous en emparer plutôt que de rester sur la rédaction de l'Assemblée nationale, confuse et peu lisible.

C'est pourquoi je propose une rédaction globale de l'article 14, avec un régime unifié de la haie, qui repose sur une définition législative de ce qu'est une haie et un objectif de gestion durable pour l'entretien des haies, un inventaire départemental des protections relatives aux haies établi par le préfet au terme d'un dialogue territorial, qui sera mis à la disposition du public sous forme cartographique. Afin de faciliter les démarches des demandeurs, je propose la création d'un guichet unique pour la simplification administrative relative aux haies, afin d'internaliser la complexité administrative. La ministre de l'agriculture s'est récemment dite favorable à cette mesure et c'est une mesure du Pacte en faveur de la haie qui tarde à voir le jour. Je propose également un régime de déclaration unique préalable aux projets de destruction de haies faisant l'objet d'une protection ainsi qu'une autorisation unique, ayant vocation à se substituer aux nombreux régimes déclaratifs et d'autorisation actuellement en vigueur. En matière de compensation des haies détruites, je propose que les obligations de replantation soient pondérées par un coefficient fixé par le préfet, qui tient compte de l'évolution passée du linéaire et de l'état des haies dans le département.

En cas de non-respect des obligations déclaratives ou de destructions non autorisées, je propose un régime d'amende contraventionnelle plutôt qu'une peine de prison, qui est aujourd'hui susceptible d'être prononcée. Je propose enfin que la période de taille des haies peut être fixée par le préfet, afin de tenir compte des variations climatiques et pédologiques d'un département à l'autre : les oiseaux ne nidifient en effet pas au même moment dans l'Aveyron ou dans le Nord ; cela me paraît une mesure de bon sens. Enfin, les évolutions ainsi proposées entrent en vigueur une fois que l'inventaire sera réalisé et consultable par le public, au plus tard deux ans après la promulgation de la loi, afin de laisser le temps aux services concernés de procéder à la cartographie des haies.

Il m'a semblé utile que le recensement des haies soit établi après consultation des organisations professionnelles et des élus locaux, car il s'agit d'un élément ancré dans le paysage et dans l'histoire. L'objectif est d'aborder la question de manière concertée et pédagogique, pour répondre au malaise et à l'incompréhension des paysans et des propriétaires qui se voient reprocher des infractions dont ils n'avaient pas connaissance !

M. Jean-François Longeot. - Cet amendement relève du bon sens.

L'amendement COM-640 est adopté.

Article 15

M. Jean-Claude Anglars. - Je propose un amendement en apparence rédactionnel, aux implications néanmoins concrètes pour les exploitants agricoles. Grâce à celui-ci, peuvent entrer dans le champ de la simplification du contentieux administratif en matière agricole les retenues répondant à un besoin agricole, et non seulement les ouvrages poursuivant à titre principal une finalité agricole, malaisés à appréhender.

L'amendement COM-636 est adopté.

M. Jean-Claude Anglars. - Je propose également un amendement tendant à créer un article additionnel après l'article 15 afin de prévoir que l'ensemble des constructions, ouvrages, installations ou aménagements nécessaires à l'activité agricole ne soient pas considérés comme artificialisés après 2031, comme ce serait le cas en l'application du régime prévu par la loi « Climat et résilience » d'août 2021.

À l'occasion du groupe de suivi sur le « ZAN » constitué en janvier 2024 et qui a rendu ses travaux en octobre dernier, nous avions plaidé pour que les bâtiments agricoles ne soient pas décomptés des enveloppes foncières, y compris après 2031 : cela concerne essentiellement l'élevage, pour la construction des étables, des bergeries et des chèvreries. En l'état du droit et à partir de 2031, sur chaque commune, tous les bâtiments construits seront comptabilisés comme des surfaces artificialisées. Les maires pourraient donc devoir choisir entre la construction de deux maisons ou d'un bâtiment agricole : je propose donc que nous nous saisissions de l'opportunité de l'examen de ce texte pour faire adopter cette exemption. L'ancien ministre de la transition écologique, Christophe Béchu, nous avait assuré qu'un arrêté serait pris par le Gouvernement en ce sens et qu'il serait demandé aux régions de prévoir une réserve spéciale pour les bâtiments agricoles : or de nombreuses régions n'ont pas prévu ce dispositif.

Cet amendement qui porte sur le « ZAN » vise ainsi à empêcher une mise en compétition malsaine entre différents types de constructions, notamment en zone rurale, pour assurer le respect de la trajectoire de sobriété foncière. Si rien n'est fait, avec le passage au décompte de l'artificialisation à compter de 2031, la construction de bâtiments et installations agricoles pourrait ainsi se voir empêchée en raison d'une enveloppe foncière insuffisante de la commune d'implantation, en contrariété avec l'objectif recherché par cette loi de garantir la souveraineté agricole de notre pays.

M. Ronan Dantec. - Il me semble que cet amendement n'a pas de lien avec le projet de loi que nous examinons ce matin, et qu'il serait préférable de traiter cette question dans le texte élaboré par le groupe de suivi « ZAN » sur la trajectoire de réduction de l'artificialisation des sols concertée avec les élus locaux, la proposition de loi « TRACE » déposée le 7 novembre dernier par nos collègues Guislain Cambier et Jean-Baptiste Blanc. En effet, celle-ci propose d'abandonner la notion de « sols artificialisés » au profit de celle « d'espaces naturels, agricoles et forestiers » (ENAF) : si elle est adoptée, cette question ne se posera plus. Je voterai donc contre cet amendement, en faisant remarquer que le rapporteur ne souhaite pas revenir sur les objectifs intermédiaires de réduction du rythme de l'artificialisation d'ici à 2031.

M. Jean-Claude Anglars. - J'entends votre argument mais cet amendement permettrait de nous prémunir contre le phénomène de mise en concurrence des habitations et des bâtiments agricoles, avant même l'examen de la proposition de loi « TRACE » récemment déposée. La question me paraît fondamentale et je profite de tous les véhicules législatifs pertinents pour faire aboutir cette initiative attendue par le monde rural.

L'amendement COM-637 est adopté.

Article 17

M. Jean-Claude Anglars. - Je propose un amendement afin de préciser que les matières fertilisantes et supports de culture issus de la transformation et de la valorisation des produits lainiers bénéficient d'une autorisation de mise sur le marché dès lors que l'évaluation préalable révèle son efficacité et son absence d'effet nocif sur la santé humaine, la santé animale et sur l'environnement. Les techniques de fabrication de matières fertilisantes issues de produits lainiers sont soumises à la règlementation sanitaire européenne relative aux sous-produits animaux ; cependant, l'appréciation n'est pas la même dans tous les pays de l'Union européenne et des procédés autorisés en Allemagne, en Italie ou en Espagne sont interdits en France. Cet amendement vise donc à ne pas pénaliser les producteurs français du fait d'une interprétation trop restrictive du droit européen.

L'amendement COM-638 est adopté.

Article 18

M. Jean-Claude Anglars. - Je propose un amendement rédactionnel pour clarifier la possibilité que le département intervienne en matière de maîtrise d'ouvrage pour la protection, le transport et le stockage d'eau destinée à la consommation humaine. Quand le code général des collectivités territoriales encadre l'exercice facultatif ou optionnel d'une compétence par une collectivité, c'est le singulier générique qui est utilisé plutôt que le pluriel. Il s'agit donc d'un amendement favorisant une meilleure lisibilité du droit.

L'amendement COM-639 est adopté.

M. Jean Bacci. - Avant de nous prononcer sur le rapport pour avis, j'aimerais évoquer l'article 14 ter portant sur l'exemption d'autorisation de défrichement. Je comprends parfaitement qu'on souhaite permettre aux jeunes agriculteurs de pouvoir défricher quelques hectares supplémentaires, mais cette disposition favorise en réalité un modèle économique qui se développe aujourd'hui dans le Var : des petits châteaux sont achetés par des fonds de pension ou des grosses fortunes qui défrichent des centaines d'hectares pour y planter des vignes. Or il est difficile d'écouler toute cette nouvelle production. Ce phénomène menace donc grandement les petits viticulteurs qui ne seront plus en capacité de stocker leur récolte avant de réussir à la commercialiser. Je souhaite qu'on procède à une réévaluation de cet article, qui relève de la commission des affaires économiques, lorsque nous en aurons l'occasion.

M. Jean-Claude Anglars. - Cher collègue, je vous invite effectivement à porter cette question en séance publique et à sensibiliser les rapporteurs de la commission des affaires économiques.

M. Hervé Gillé. - Le sujet que Jean Bacci évoque revêt une importance particulière pour le secteur viticole et devrait être intégré dans un plan stratégique de la filière au niveau national. Ce plan est absolument essentiel, mais les acteurs peinent à adopter une approche collective et l'instabilité gouvernementale les met encore plus en difficulté.

La commission émet un avis favorable à l'adoption du projet de loi, sous réserve de l'adoption de ses amendements.

M. Jean-François Longeot. - Ces amendements seront présentés par notre rapporteur à la commission compétente pour être, le cas échéant, intégrés dans son texte. Comme c'est l'usage, je vous propose d'autoriser Jean-Claude Anglars à procéder aux ajustements qui s'avèreraient nécessaires à l'occasion de leur examen et à redéposer pour la séance publique les amendements qui ne seraient pas retenus.

Il en est ainsi décidé.

Les sorts des amendements examinés par la commission sont repris dans le tableau ci-dessous :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 13

M. ANGLARS

COM-635

Précisions relatives aux modalités d'organisation du stage de sensibilisation à l'environnement

Adopté

Article 14

M. ANGLARS

COM-640

Réécriture globale de l'article tendant à créer un régime juridique unifié des haies

Adopté

Article 15

M. ANGLARS

COM-636

Intégration des retenues hydrauliques répondant à un besoin agricole dans le champ de la simplification du contentieux administratif

Adopté

Article additionnel après l'article 15

M. ANGLARS

COM-637

Poursuite du décompte de l'artificialisation des sols induite par les bâtiments agricoles dans le cadre de la stratégie « ZAN » au-delà de 2031

Adopté

Article 17

M. ANGLARS

COM-638

Conditions d'autorisation de mise sur le marché des matières fertilisantes issues de la valorisation des produits lainiers

Adopté

Article 18

M. ANGLARS

COM-639

Amendement rédactionnel

Adopté

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