B. LA POLITIQUE AMBITIEUSE DE RECRUTEMENT DU MINISTÈRE REPOSE SUR LA RESTAURATION ENCORE INACHEVÉE DE L'ATTRACTIVITÉ DES PROFESSIONS JUDICIAIRES
1. L'application bienvenue de l'accord du 26 octobre 2023 ne dispense pas d'un suivi attentif de l'attractivité de la profession de greffier
L'exécution des mesures encore pendantes de l'accord signé le 26 octobre 2023 par le directeur des services judiciaires et trois des quatre organisations syndicales représentatives des fonctionnaires des services judiciaires a significativement avancé au cours des dernières semaines :
- Le décret n°2024-1050 du 22 novembre 2024 portant sur le plan de requalification de 700 adjoints administratifs faisant fonction de greffier ;
- Le projet de décret relatif à la création du « cadre greffier » devait être examiné au Conseil d'État le 20 novembre dernier et publié dans les meilleurs délais.
La direction des services judiciaires évalue à 24 millions d'euros le coût prévisionnel, pour 2025, des mesures évoquées - la création du « cadre greffier » (10 millions d'euros), le plan de requalification des adjoints administratifs faisant fonction de greffiers (1 million d'euros) - et de la revalorisation indiciaire des greffiers entrée en vigueur dès 2024 (13 millions d'euros).
Le manque d'attractivité de la profession de greffier demeure toutefois encore criant, comme en atteste le taux de sélectivité anormal des récents concours. Lors du deuxième concours externe au titre de l'année 2024, le taux de présence à l'écrit s'élevait à 15,5 %, le taux d'admissibilité à 60 % et le taux d'admission à 74 %. Si cela s'explique tant par un phénomène général, qui frappe l'ensemble des concours publics, que par des raisons spécifiques aux concours des greffes5(*), la situation n'en demeure pas moins préoccupante. Les actions conduites par le ministère pour développer l'attractivité de cette profession sont donc bienvenues - ainsi de l'adaptation des calendriers de concours, de l'expérimentation des concours nationaux à affectation locale ou de l'accueil en détachement dans le corps des greffiers. Enfin, si le ministère de la justice a adopté plusieurs mesures de valorisation des fonctions de directeur des services de greffe en 2022 et 20236(*), plusieurs personnes auditionnées attendent de véritables négociations relatives à la valorisation et à l'évolution de cette profession.
Il serait bienvenu que le ministère entreprenne la clarification de l'organisation des juridictions ; les organisations syndicales auditionnées ont en effet réitéré leurs critiques à ce sujet. Cette organisation, perturbée par un déficit pluriannuel de recrutement, puis par le recours à des contractuels aux fonctions partiellement indéterminées, ne satisfait plus bon nombre d'agents. La direction de projet « Modélisation des organisations » instituée en 2023 au sein de la direction des services judiciaires s'attache à améliorer l'organisation du travail en juridiction. Elle déploiera à cette fin dès la fin de l'année 2024 des guides propres à chaque activité juridictionnelle. Il sera précieux de recueillir l'avis des agents à ce sujet. En outre, un comité restreint a rendu en août dernier un rapport relatif à la révision du code de l'organisation judiciaire, dont il importera de suivre les effets.
2. Plusieurs actions attendues par les professions judiciaires demeurent pendantes voire incertaines
Plusieurs personnes auditionnées ont signalé aux rapporteures l'interruption subite de la réforme annoncée de la grille indiciaire des magistrats judiciaires, qui n'a pas progressé depuis 1996. Il s'agirait de la rapprocher de celle des magistrats administratifs et ainsi d'améliorer l'attractivité de cette profession. Il a par exemple été souligné que le traitement brut d'un magistrat en début de carrière, qui s'élevait à l'équivalent de 1 851 euros en 1996, soit près de 2 SMIC à cette date, n'était en 2022 que de 2 157 euros, ce qui ne représente que 1,28 SMIC et traduit donc une baisse réelle. Le directeur des services judiciaires avait annoncé lors de la commission permanente d'étude du 29 mai 2024 que cette réforme aboutirait dès avant l'exercice 2025. Si le contexte institutionnel et budgétaire explique largement la suspension provisoire de cette démarche, il n'exempte pas le ministère de la justice d'une présentation rapide du calendrier nouveau de cette réforme.
Le ministère de la justice a oeuvré à l'élaboration d'un outil d'évaluation de la charge de travail des magistrats dans le cadre d'un groupe de travail auquel étaient associés la direction des services judiciaires, les organisations syndicales représentatives, les conférences et les associations professionnelles. Cette logique, initiée en 2011, a été reprise en 2021 sur l'instigation de la Cour des comptes et dans le contexte des États généraux de la justice. Les organisations syndicales représentatives auditionnées saluent la qualité des échanges au sein de ce groupe de travail, mais regrettent vivement que le ministère de la justice s'en soit en partie désolidarisé en 2024, lors de l'adoption pourtant consensuelle de plusieurs référentiels. Le directeur des services judiciaires aurait écarté l'application immédiate de ces outils et requis de nouveaux travaux d'adaptation de ces derniers7(*). Les rapporteures souhaiteraient la bonne poursuite de ces travaux, dont les résultats seront précieux à l'élaboration de la politique de recrutement du ministère au-delà de la LOPJ.
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La commission des lois a émis un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes « Justice judiciaire », « Accès au droit et à la justice », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature » de la mission « Justice », inscrits au projet de loi de finances pour 2025.
* 5 La direction des services judiciaires souligne notamment que l'organisation de deux sessions par an porte à la baisse le taux de présence, car les candidats admis sur liste complémentaire au premier concours s'inscrivent par vigilance au second. L'existence d'une autre voie d'accès interne à la profession de greffier par examen professionnel explique, par ailleurs, le manque d'attractivité du concours interne.
* 6 La direction des services judiciaires cite notamment la revalorisation forfaitaire de l'indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise (ci-après, IFSE) en 2022, et plusieurs autres mesures au titre de l'année 2023 (nouvelle revalorisation de l'IFSE, augmentation du forfait du complément indemnitaire annuel, des forfaits « mobilité », etc.).
* 7 La direction des services judiciaires aurait avancé deux arguments principaux. Le premier tiendrait à la nécessité d'adapter ces référentiels au regard des conséquences sur le travail juridictionnel de l'institution de l'équipe « autour du magistrat » et de l'intégration des magistrats à titre temporaire et des magistrats honoraires. Le second, à la nécessité d'améliorer ces outils d'un point de vue statistique et technique.