II. LA MISSION « JUSTICE » SUSCITE DES PRÉOCCUPATIONS PLURIELLES QUI EXIGENT UN SUIVI ADAPTÉ ET DES MOYENS PÉRENNES

A. LA POURSUITE DES INVESTISSEMENTS NUMÉRIQUES ET IMMOBILIERS INDISPENSABLES AU MINISTÈRE DE LA JUSTICE NÉCESSITE UNE PRÉVISIBILITÉ ACCRUE

1. La Chancellerie doit poursuivre son rattrapage numérique et répondre aux attentes légitimes de ses agents en la matière

Plusieurs volets de la politique informatique et numérique de la Chancellerie suscitent l'inquiétude durable des agents du ministère, qui avait été accentuée par la baisse initialement prévue des crédits attribués à ces actions. Les rapporteures constatent la permanence des difficultés rencontrées par les personnels à l'usage des applicatifs désuets voire dysfonctionnels du ministère. L'exemple de Cassiopée est éloquent. Plusieurs personnes auditionnées ont souligné les nombreuses défaillances techniques de ce logiciel et le risque juridique que son usage entraîne, car de nombreuses trames contiennent des erreurs procédurales ou n'apparaissent pas à jour des réformes législatives. Le secrétariat général du ministère s'attache actuellement à la réduction du nombre des trames, de 1 500 à quelques centaines, pour simplifier la maintenance - coûteuse - de cette application et, par là même, satisfaire les attentes des agents. Le remplacement de Cassiopée n'apparaît toutefois pas envisagé à l'heure actuelle.

Au-delà des questions de maintenance, la Chancellerie connaît aussi des problèmes de développement de ses grands projets numériques. L'expérimentation de Portalis auprès des conseils de prud'hommes et de certains juges aux affaires familiales n'apparaît, selon les agents du ministère, pas concluante pour l'instant. Le secrétariat général explique ces difficultés par la méthode employée, qui vise à adapter l'application continuellement, au regard des retours qui lui parviennent. Si cette pratique présente évidemment des vertus, au premier rang desquelles l'assurance d'aboutir in fine à un applicatif conforme aux attentes des agents, elle ne doit pas pour autant compromettre la qualité de travail de ces derniers. La substitution de Prisme à APPI à la cour d'appel de Colmar se serait ainsi soldée par la restauration immédiate d'APPI au regard des lacunes actuelles de Prisme. Le ministère de la justice doit donc continuer d'oeuvrer à l'amélioration de sa politique numérique ; le maintien, voire l'augmentation des crédits qui y sont alloués apparaît donc comme une condition primordiale, mais insuffisante.

« Fondation », l'outil de travail développé par le CSM

L'activité de nomination du CSM repose actuellement sur l'usage d'un logiciel développé en interne, Lodam, qui apparaît désormais obsolète et contient des failles de sécurité significatives. Le CSM a donc engagé le développement d'un nouvel outil de travail suivant la démarche de beta.gouv.fr ; l'expression des besoins des utilisateurs constitue dans ce cadre le principal déterminant de l'élaboration de l'applicatif. La première version de Fondation est éprouvée par quatre membres du CSM, dits « beta-testeurs », depuis le 30 octobre 2024, et l'objectif serait de donner accès à l'« espace membres » de Fondation à l'ensemble des 22 membres du CSM dès le 17 mars 2025.

Les agents du ministère de la justice connaissent également des difficultés pratiques quotidiennes en matière informatique, qu'ils peinent à résoudre aisément. Les services du ministère de la justice ont assuré aux rapporteures qu'ils entendent favoriser la décentralisation de cette assistance informatique. Le recrutement récent de plus de 100 techniciens informatiques de proximité (ci-après, TIP) y participe. Le ministère s'attache désormais à l'amélioration du service rendu, notamment en ajustant dans le temps les droits d'accès des TIP pour leur permettre de répondre à l'essentiel des sollicitations qu'ils reçoivent en juridiction.

2. La politique immobilière du ministère constitue l'une des préoccupations les plus sensibles dans un contexte budgétaire contraint

L'immobilier judiciaire demeurerait, dans l'hypothèse de l'adoption des amendements gouvernementaux, l'une des préoccupations principales suscitées par la mission « Justice ». La baisse de 93 millions d'euros des crédits consacrés à cette politique publique serait donc ramenée à 45,6 millions d'euros. Cette hausse des crédits permettra d'assurer la poursuite de projets en conception, au premier rang desquels, selon le garde des Sceaux, ceux de Perpignan, Meaux, Toulon, Bobigny et de l'île de la Cité. Le contexte budgétaire souligne en outre la nécessité de garantir une certaine prévisibilité pour réaliser de grandes opérations, qui exigent par définition des engagements fermes et pluriannuels de crédits.

Les rapporteures ont constaté au surplus le mécontentement pérenne des personnels quant aux projets livrés. Une amélioration de la politique actuelle de consultation du ministère permettrait d'y remédier, en veillant à ce que les agents soient non seulement entendus, mais écoutés. La déconcentration croissante des budgets dédiés à la menue maintenance dont disposent les chefs de juridiction et le recrutement de techniciens immobiliers à l'échelle des cours d'appel témoignent de la volonté du ministère de la justice d'apporter des solutions rapides aux personnels judiciaires. Enfin, la direction des services judiciaires consacrera plus de la moitié de la hausse des crédits alloués à l'immobilier occupant, soit 5,2 millions d'euros, à l'adaptation nécessitée par les évolutions d'effectifs4(*).

L'Agence publique pour l'immobilier de la justice

La maîtrise d'ouvrage des opérations complexes repose sur une organisation tripartite, dans laquelle la tutelle budgétaire revient au secrétariat général du ministère de la justice, la tutelle « métier », à la direction des services judiciaires et dont l'opérateur est l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (ci-après, APIJ), créée en 2001. Cette organisation permet à la Chancellerie de bénéficier d'une expertise spécifique, qui est précieuse compte tenu du nombre d'opérations d'ampleur à conduire. L'incertitude quant à la réalisation des projets pourrait accentuer les difficultés de recrutement de l'APIJ, dont deux tiers des effectifs sont des contractuels et un tiers, des fonctionnaires détachés. Les rapporteures seront attentives aux conclusions du prochain contrôle de la Cour des comptes relatif à l'organisation de l'immobilier judiciaire que les représentants de l'APIJ ont mentionné à l'occasion de leur audition.

Les rapporteures saluent par ailleurs l'appropriation, par les services du ministère de la justice, de l'outil de suivi des fluides (ci-après, OSFi) développé en interministériel par la direction de l'immobilier de l'État. L'OSFi permet de suivre la consommation par fluide et par bâtiment et, partant, d'évaluer les économies induites par la rénovation énergétique du bâti. Un poste d'ingénieur énergéticien a récemment été pourvu au bureau de l'immobilier, et des référents « énergie » ont été nommés au sein des services administratifs régionaux pour faciliter le recours à l'OSFi.


* 4 Ces crédits se répartiront principalement en trois dépenses, que sont les prises à bail, les travaux d'adaptation ou d'entretien des locaux existants et le surcroît de frais de nettoyage.

Partager cette page