EXAMEN EN COMMISSION
Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous commençons par l'examen du rapport de Guy Benarroche sur les programmes « Cour des comptes et autres juridictions financières » et « Conseil d'État et autres juridictions administratives » de la mission « Conseil et contrôle de l'État » du projet de loi de finances (PLF) pour 2025.
M. Guy Benarroche, rapporteur pour avis sur les programmes « Cour des comptes et autres juridictions financières » et « Conseil d'État et autres juridictions administratives » de la mission « Conseil et contrôle de l'État ». - Nonobstant le contexte politique actuel, il me revient de vous présenter les crédits des programmes 164 et 165, qui sont respectivement relatifs aux juridictions financières et administratives de l'État. Ces deux programmes sont une composante de la mission « Conseil et contrôle de l'État », qui finance par ailleurs le Conseil économique, social et environnemental (Cese).
Bien que les crédits de paiement (CP) alloués à ces deux programmes apparaissent en hausse, ils contribuent tout de même à l'objectif de réduction de la dépense publique affiché par l'actuel Gouvernement.
Pour ce qui concerne les juridictions financières, les CP pour 2025 s'élèvent, dans le texte qui nous a été transmis, à 260,9 millions d'euros, soit une hausse de 2,2 %, légèrement supérieure à l'inflation anticipée. S'il s'agit de la neuvième année consécutive d'augmentation, celle-ci reste toutefois modérée au regard des années précédentes, les CP ayant augmenté de 9,2 % en 2023 et de 3,2 % en 2024.
Cependant, les montants du programme 164 pour 2025 pourraient évoluer à la baisse, puisque le Gouvernement a déposé un amendement minorant les crédits de 1,53 million d'euros. Si nous adoptons cet amendement, l'augmentation des crédits ne s'établirait plus qu'à 1,6 %, une proportion cette fois nettement inférieure à l'inflation prévue pour 2025.
Cette hausse, même modérée, ne doit néanmoins pas masquer les efforts importants demandés aux juridictions financières. J'appuierai mon propos sur quatre points.
En premier lieu, les dépenses de fonctionnement vont diminuer de 5 %, ce qui n'est pas anodin, sachant que la plupart de ces dépenses sont contraintes.
En deuxième lieu, la hausse des montants globaux du programme est portée par les dépenses de personnel. En effet, les magistrats financiers vont bénéficier d'une revalorisation indemnitaire d'un total de 5 millions d'euros, afin d'aligner leur rémunération sur celle des administrateurs de l'État, en conséquence de la récente réforme de la haute fonction publique. Cette revalorisation était nécessaire pour maintenir l'attractivité des juridictions financières. Toutefois, d'une part, cette augmentation ne représente que la moitié de la somme nécessaire à un alignement complet sur la rémunération des administrateurs de l'État, et, d'autre part, elle ne prend pas en compte le personnel administratif et technique, qui n'a bénéficié d'aucune mesure de revalorisation autre que les mesures nationales, telles que la hausse de la valeur du point d'indice en 2023. Aussi, l'écart de rémunération entre les magistrats financiers et le personnel administratif et technique s'accroît inopportunément, ce que les premiers reconnaissent eux-mêmes.
En troisième lieu, les effectifs du programme, à périmètre constant, sont stables, avec un plafond d'emplois autorisés s'élevant à 1 825 équivalents temps plein travaillé (ETPT).
Pourtant, et cela constituera mon quatrième point, l'activité des juridictions financières est loin d'être atone. L'objectif de publication de 1 400 rapports que la Cour des comptes s'est fixé pour 2025 en est un exemple. Surtout, les méthodes de travail des juridictions financières ont été profondément modifiées depuis trois ans par le plan « JF 2025 », lancé en 2021 par le Premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici. Ce plan, dont la plupart des mesures sont désormais déployées, affiche un bilan qui me semble satisfaisant.
Parmi les principales mesures de ce plan, figurent : la réforme du « 100 % publication », qui a conduit les magistrats à adapter leur propos pour qu'il soit plus compréhensible par le grand public ; l'ouverture citoyenne, au travers de la mise en place de deux plateformes, l'une dédiée au recensement des initiatives en matière de contrôle, qui a recueilli la participation de 19 800 citoyens en 2024 et qui permet à la Cour des comptes ou aux chambres régionales des comptes (CRC) de s'emparer de certains sujets, la seconde permettant à tout citoyen de signaler des irrégularités dans le bon emploi des deniers publics - 1 490 signalements ont été effectués sur cette plateforme entre janvier 2023 et juin 2024 - ; la division par deux du délai de publication des travaux de la Cour des comptes et des CRC, l'objectif pour 2025 ayant été fixé à huit mois ; la mise en place du nouveau régime de responsabilité des gestionnaires publics, adossé, pour sa partie juridictionnelle, à la création de la chambre du contentieux de la Cour des comptes et de la cour d'appel financière - après dix-huit mois d'installation, 83 affaires relevant de ce nouveau régime ont été instruites par la chambre du contentieux - ; et enfin, la mission d'évaluation des politiques publiques, que nous avons confiée aux CRC lors du vote de la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS), et que les collectivités territoriales peuvent solliciter.
Pour l'heure, les collectivités semblent rencontrer des difficultés à s'approprier le dispositif et seules deux d'entre elles, le département de l'Ain et la région Grand Est, y ont recouru en 2024. À ce titre, je vous proposerai un unique amendement visant à ajouter un indicateur de performances qui permettrait de mieux suivre cette nouvelle activité.
J'en viens au programme 165, qui concerne les juridictions administratives.
Comme le programme 164, il affiche une hausse de ses crédits, qui est, elle aussi, portée par les dépenses de personnel et plus particulièrement par une revalorisation de la rémunération des magistrats administratifs, à hauteur de 8,8 millions d'euros. En revanche, à l'instar des juridictions financières, un effort significatif est demandé aux juridictions administratives sur les dépenses de fonctionnement, qui diminuent de 7,5 %.
Au total, les CP du programme 165 s'élèvent à 604 millions d'euros, soit une progression de 20,6 millions d'euros, ce qui représente une augmentation de 3,5 %. Toutefois, il s'agit d'une rupture assez nette avec la tendance des dernières années, qui ont vu les CP croître d'environ 10 %.
Ainsi que pour le programme 164, les montants alloués au programme 165 pour l'année 2025 pourraient cependant évoluer à la baisse au cours de la séance publique - si elle a lieu -, le Gouvernement ayant déposé un amendement tendant à retrancher 2,3 millions d'euros de crédits. En cas d'adoption de l'amendement, l'augmentation des CP du programme 165 ne s'établirait plus qu'à 3,1 %.
Outre cet amendement, la principale contribution des juridictions administratives à l'objectif de réduction de la dépense publique repose sur le gel des effectifs du programme, alors que la dernière loi de programmation des finances publiques (LPFP) prévoyait 40 créations d'emplois pour 2025, et plus précisément la création de 25 postes de magistrats et de 15 postes de greffiers. Le gel des effectifs, en plus de constituer une mesure contraire à ce que nous avions voté dans la LPFP, me paraît préoccupant au regard de la tendance à la hausse que connaît l'activité contentieuse des juridictions administratives.
L'année 2023 a confirmé cette tendance, puisque les juridictions administratives non spécialisées ont été saisies de 298 489 affaires, soit une progression de 6,1 % par rapport à 2022. Si l'activité contentieuse du Conseil d'État s'est avérée stable, elle a crû substantiellement dans les cours administratives d'appel et les tribunaux administratifs, respectivement de 3,7 % et de 6,7 %. Sur une période de dix ans, l'activité contentieuse des tribunaux administratifs a augmenté de 47 % et celle des cours administratives d'appel de 10 %.
C'est uniquement grâce à la mobilisation des juges administratifs et des greffiers, que je salue, que les délais de jugement se maintiennent à des niveaux qui respectent les objectifs fixés par le législateur, à savoir un an. Par ailleurs, si le stock d'affaires en cours, qui s'élève à 247 800 affaires, a crû moins rapidement que les entrées contentieuses, sa progression demeure cependant importante puisqu'elle atteint 5,6 %.
Les deux juridictions administratives spécialisées affichent pour leur part une situation contrastée.
La Cour nationale du droit d'asile (CNDA) a mis en oeuvre la loi du 26 janvier 2024, relative à l'immigration, avec une célérité qui est à souligner. Elle comportait deux mesures principales : la généralisation du juge unique et la territorialisation de son prétoire. La première mesure n'a eu qu'un effet limité sur l'office du juge, puisque les affaires sensibles restent jugées collégialement. La seconde mesure s'est traduite par l'ouverture de cinq chambres territoriales : deux à Lyon, une à Nancy, une à Toulouse et une à Bordeaux. Deux autres chambres doivent être ouvertes en 2025, à Nantes et à Marseille. Cette territorialisation, que le Sénat avait soutenue, permet de rapprocher le justiciable du service public de la justice, pour un coût maîtrisé d'approximativement un million d'euros. J'ai en outre constaté que les locaux de la chambre territoriale de Bordeaux, où je me suis déplacé en octobre dernier, étaient adaptés, ce qui ne semble pas toujours être le cas ailleurs, en particulier à Nancy. Il faudra veiller à constituer des viviers d'interprètes locaux, afin d'éviter des surcoûts liés à la prise en charge des transports.
Du point de vue de l'activité contentieuse, le président de la Cour, Mathieu Herondart, m'a fait part d'une stabilisation des entrées, voire d'une légère baisse, autour de 60 000 affaires en 2024.
La dynamique est diamétralement différente en ce qui concerne la Commission du contentieux du stationnement payant (CCSP), qui rencontre, depuis des années, de vives difficultés qui ne cessent de s'accroître. Alors qu'elle ne compte que quinze magistrats, elle a enregistré à elle seule 32,4 % des entrées contentieuses de l'intégralité de la juridiction administrative en 2023 ! Pour l'année 2024, sa présidente, Fabienne Billet-Ydier, m'a indiqué que le nombre de requêtes enregistrées devrait vraisemblablement atteindre, voire dépasser, 220 000, soit une augmentation vertigineuse de 28 % en un an. Bien que, en 2023, les sorties aient augmenté plus fortement que les entrées grâce aux importants efforts consentis par le personnel de la CCSP, les premières restent tout de même à un niveau bien inférieur à celui des secondes.
En conséquence, le stock d'affaires en cours continue de croître et atteint désormais des niveaux qui conduisent à s'interroger sur la viabilité de l'ensemble du système de traitement du contentieux du stationnement payant : au 31 décembre 2023, 224 367 requêtes restaient à traiter, soit davantage que le stock d'affaires en cours de l'ensemble des juridictions administratives non spécialisées, qui s'élève à 214 000. Pour 2024, le stock d'affaires en cours devrait atteindre 310 000, une hausse de presque 50 % en un an !
Un renforcement des effectifs de la juridiction semble un minimum, mais procéder à des réaffectations au sein du corps des magistrats administratifs paraît complexe à réaliser, les postes étant peu attrayants et les effectifs totaux de magistrats administratifs ayant été gelés. Sa présidente demeure cependant optimiste, en remarquant que la solution consisterait aujourd'hui à créer une application informatique spécifique ou à recourir à l'intelligence artificielle (IA) pour traiter plus rapidement certains dossiers, notamment pour vérifier rapidement si les dossiers sont complets. Pour des mesures plus structurelles, il faudrait néanmoins changer la loi.
En définitive, en raison de l'inadéquation entre les moyens affectés par le projet de loi de finances aux juridictions administratives et financières et la hausse continue de leur activité, couplée à un gel des effectifs qui est contraire à la LPFP, je vous propose d'émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits des programmes 164 et 165.
Mme Olivia Richard. - J'avais été désignée rapporteure de notre commission sur la proposition de loi relative au contentieux du stationnement payant, présentée par l'un de nos collègues députés, Daniel Labaronne. J'en avais obtenu le retrait de l'ordre du jour, par le Gouvernement, des travaux du Sénat. Sous-tendue par la préoccupation de limiter le nombre des contentieux, la proposition visait à obliger les plaignants à s'acquitter de leur forfait de post-stationnement ou de leur titre exécutoire avant d'engager tout recours devant la CCSP.
Au cours de nos nombreuses auditions, nous nous étions aperçus que les administrations centrales s'avéraient en l'état incapables de mettre en oeuvre le dispositif proposé par le texte - l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions (Antai) reconnaissait notamment qu'il lui était impossible d'absorber les volumes auxquels elle serait confrontée - mais qu'une meilleure communication entre elles leur permettrait de travailler plus efficacement et donc favoriserait la résorption du stock d'affaires en cours. On nous avait assuré que l'effort porterait en ce sens. Or je découvre, en écoutant le résultat de vos propres travaux, qu'il n'en a rien été. On nous avait par ailleurs annoncé qu'il reviendrait au Conseil d'État de mettre en place le dispositif, ce qui devait permettre de mieux pourvoir les postes au sein de la CCSP et d'améliorer l'efficacité de cette dernière.
M. Guy Benarroche, rapporteur pour avis. - Des développements informatiques ont été effectués en mars 2024 pour améliorer les relations entre l'Antai et la CCSP, et en particulier les échanges d'informations. Ils ne résolvent cependant pas le problème de l'engorgement de la seconde.
M. André Reichardt. - Je poserai d'abord une question sur les juridictions financières et, plus particulièrement, sur le réseau des CRC. Ce réseau est-il en l'état définitivement arrêté ou des demandes de modifications des périmètres des unes ou des autres interviennent-elles encore, notamment en raison des problèmes d'effectifs qu'elles connaissent ?
Par ailleurs, en ce qui concerne la CNDA, je m'interroge sur le bien-fondé du déploiement d'autant de moyens pour assurer son fonctionnement, compte tenu du peu d'efficience des décisions qu'elle prend en matière d'asile, spécialement lorsqu'il s'agit des obligations de quitter le territoire français (OQTF) - il semble que 92 % d'entre elles ne soient pas exécutées. Mon observation vaut aussi dans le domaine du contentieux du stationnement payant : l'engorgement auquel nous assistons laisse à penser que nombre des recours ne sont jamais tranchés ou qu'ils le sont au terme de délais très excessifs et dans de mauvaises conditions. Par souci d'économies, ne conviendrait-il pas mieux de rendre le stationnement non payant ?
M. Guy Benarroche, rapporteur pour avis. - On pourrait effectivement supprimer le stationnement payant, comme on pourrait décider de la suppression de la circulation automobile dans les villes, ce qui serait encore plus radical...
La Cour des comptes n'a pas demandé de hausse des effectifs des juridictions financières. Par ailleurs, aucune demande n'émane non plus des CRC pour revenir sur l'organisation du réseau territorial dont elles relèvent.
M. Hussein Bourgi. - Dans les juridictions financières, des tensions risquent de se faire jour en raison de la distorsion des niveaux de rémunération qui pourrait s'aggraver entre, d'une part, les magistrats et, d'autre part, les membres du personnel administratif et technique. Or les premiers ne peuvent travailler sans l'assistance des seconds.
Concernant la CNDA, il importe de lui donner les moyens de bien fonctionner. Certes, des personnes de bonne foi et d'autres de mauvaise foi la saisissent. Plus ses délais de traitement et d'instruction des dossiers puis de rendu des décisions sont courts, moins les reconduites à la frontière des personnes déboutées du droit d'asile présentent de difficultés. Inversement, de longs délais d'attente avant que la Cour ne se prononce éloignent ses décisions de la raison initiale qui justifiait sa saisine. Ses décisions doivent alors prendre en compte les changements intervenus dans la situation, notamment familiale et matrimoniale, du demandeur, ce qui devient vite inextricable. Quelle que soit notre sensibilité politique, nous ne pouvons que reconnaître que cette juridiction gagnerait à être confortée en moyens humains, pour lui permettre de rendre ses décisions dans les délais les plus brefs.
M. Guy Benarroche, rapporteur pour avis. - Ajoutons que personne ne demande le droit d'asile de gaîté de coeur, même s'il peut exister, comme partout, des cas de fraude. On ne saurait donc traiter le droit d'asile uniquement par le biais unique de ceux qui le solliciteraient de manière indue. Notre pays s'honore d'avoir accueilli nombre de personnes qui en ont bénéficié.
La CNDA voit son budget augmenter de 3 millions d'euros pour 2025. La construction de son nouveau siège, à Montreuil, mobilise 100 millions d'euros. Nous savons cependant qu'il sera surdimensionné par rapport aux besoins de la Cour, qui ont été sensiblement réduits en raison de la territorialisation. Celle-ci envisage déjà avec l'État de louer une partie des locaux de Montreuil à d'autres administrations.
L'amendement II-1737 que je vous soumets prévoit la création d'un nouvel indicateur de performances destiné à retracer l'activité des CRC liée à leur nouvelle mission d'évaluation des politiques publiques et d'avis sur les projets d'investissement exceptionnel. Un tel indicateur permettrait d'évaluer l'activité des juridictions financières à la suite du déploiement du plan « JF 2025 ». Nous l'avons retenu, de préférence à d'autres, au terme de plusieurs échanges avec les magistrats financiers et le Premier président Pierre Moscovici.
L'amendement II-1737 est adopté.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières » et 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » de la mission « Conseil et contrôle de l'État », sous réserve de l'adoption de son amendement.