- L'ESSENTIEL
- I. UNE BAISSE REGRETTABLE DES CRÉDITS
ALLOUÉS AUX OUTRE-MER, DANS UN CONTEXTE D'ACCROISSEMENT
DES DIFFICULTÉS ÉCONOMIQUES ET SOCIALES
- A. DANS LE CONTEXTE DU REDRESSEMENT DES FINANCES
PUBLIQUES, LES CRÉDITS BUDGÉTAIRES EN FAVEUR DES TERRITOIRES
ULTRAMARINS CONNAISSENT UNE DIMINUTION IMPORTANTE
- 1. Le projet de loi de finances pour 2025
prévoit une baisse notable de l'effort financier global de l'État
en faveur des outre-mer et des crédits de la mission
« Outre-mer »
- 2. Cette importante diminution du budget
alloué aux outre-mer intervient dans le cadre de la consolidation
budgétaire rendue nécessaire par le niveau élevé du
déficit public
- 1. Le projet de loi de finances pour 2025
prévoit une baisse notable de l'effort financier global de l'État
en faveur des outre-mer et des crédits de la mission
« Outre-mer »
- B. UNE DIMINUTION DE CRÉDITS REGRETTABLE,
ALORS QUE LES TERRITOIRES ULTRAMARINS CONNAISSENT UNE AGGRAVATION DES
TENSIONS ÉCONOMIQUES ET SOCIALES
- A. DANS LE CONTEXTE DU REDRESSEMENT DES FINANCES
PUBLIQUES, LES CRÉDITS BUDGÉTAIRES EN FAVEUR DES TERRITOIRES
ULTRAMARINS CONNAISSENT UNE DIMINUTION IMPORTANTE
- II. UNE DIMINUTION DE 9 % DES CRÉDITS
DE LA MISSION « OUTRE-MER » MASQUANT D'IMPORTANTES
DISPARITÉS ET DONT LE CIBLAGE APPARAÎT PERFECTIBLE
- A. L'ÉVOLUTION GLOBALE DES CRÉDITS DE
LA MISSION « OUTRE-MER » : UNE IMPORTANTE BAISSE PAR
RAPPORT À L'EXERCICE 2024
- B. LE PROGRAMME 138 : UNE HAUSSE DES
CRÉDITS DU PROGRAMME, PORTÉE PAR L'AUGMENTATION DES
EXONÉRATIONS DE COMPENSATIONS SOCIALES
- C. LE PROGRAMME 123 : UNE BAISSE
PRÉOCCUPANTE DES CRÉDITS DESTINÉS À
AMÉLIORER LES CONDITIONS DE VIE OUTRE-MER
- A. L'ÉVOLUTION GLOBALE DES CRÉDITS DE
LA MISSION « OUTRE-MER » : UNE IMPORTANTE BAISSE PAR
RAPPORT À L'EXERCICE 2024
- III. LA POSITION DE LA COMMISSION : APPROUVER
L'ADOPTION DES CRÉDITS DE LA MISSION
« OUTRE-MER », SOUS RÉSERVE DU RESPECT DES
ENGAGEMENTS PRIS PAR LE GOUVERNEMENT
- I. UNE BAISSE REGRETTABLE DES CRÉDITS
ALLOUÉS AUX OUTRE-MER, DANS UN CONTEXTE D'ACCROISSEMENT
DES DIFFICULTÉS ÉCONOMIQUES ET SOCIALES
- EXAMEN EN COMMISSION
- COMPTE RENDU DE L'AUDITION
DE
M. FRANÇOIS-NOËL BUFFET, MINISTRE AUPRÈS
DU PREMIER MINISTRE, CHARGÉ DES OUTRE-MER
- LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
N° 150 SÉNAT SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025 |
Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 novembre 2024 |
AVIS PRÉSENTÉ au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi de finances, considéré comme rejeté par l'Assemblée nationale, pour 2025, |
TOME III OUTRE-MER |
Par M. Teva ROHFRITSCH, Sénateur |
(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Mmes Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Olivier Bitz, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, MM. Ian Brossat, Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Mme Corinne Narassiguin, MM. Georges Naturel, Paul Toussaint Parigi, Mmes Anne-Sophie Patru, Salama Ramia, M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel. |
Voir les numéros : Assemblée nationale (17ème législ.) : 324, 459, 462, 468, 471, 472, 486, 524, 527, 540 et T.A. 8 Sénat : 143 et 144 à 150 (2024-2025) |
L'ESSENTIEL
Dans le contexte de l'ajustement budgétaire rendu nécessaire par la forte dégradation des finances publiques, le projet de loi de finances pour 2025 prévoit une diminution importante des crédits de la mission « Outre-mer ».
Ceux-ci s'établissent ainsi à 2,78 Mds€ en autorisations d'engagement - soit une baisse de 12,5 % par rapport à 2024 - et 2,55 Mds€ en crédits de paiement, en baisse de 9 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2024.
Bien que conscient de la nécessité de réduire le déficit public, le rapporteur, Teva Rohfritsch, a jugé cette baisse de crédits regrettable, compte tenu des enjeux et des profondes difficultés économiques et sociales auxquelles sont confrontés les territoires ultramarins, comme l'illustrent par exemple la mobilisation contre la vie chère en Martinique, la crise migratoire et ses conséquences à Mayotte, les tensions sociales en Guyane, ou encore la dégradation de la situation économique et sociale en Nouvelle-Calédonie consécutive aux émeutes de mai 2024.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission a toutefois émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer », eu égard à l'engagement pris par le ministre chargé du budget et des comptes publics, Laurent Saint-Martin, d'une « hausse substantielle [des crédits « Outre-mer »] pour se rapprocher le plus possible des crédits de l'année 2024 ».
I. UNE BAISSE REGRETTABLE DES CRÉDITS ALLOUÉS AUX OUTRE-MER, DANS UN CONTEXTE D'ACCROISSEMENT DES DIFFICULTÉS ÉCONOMIQUES ET SOCIALES
A. DANS LE CONTEXTE DU REDRESSEMENT DES FINANCES PUBLIQUES, LES CRÉDITS BUDGÉTAIRES EN FAVEUR DES TERRITOIRES ULTRAMARINS CONNAISSENT UNE DIMINUTION IMPORTANTE
1. Le projet de loi de finances pour 2025 prévoit une baisse notable de l'effort financier global de l'État en faveur des outre-mer et des crédits de la mission « Outre-mer »
Après plusieurs années de hausses consécutives, l'effort financier global de l'État en faveur des outre-mer connaît une nette diminution dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2025. Il s'élève ainsi à 19,38 Mds€ en autorisations d'engagement (AE) et 21,07 Mds€ en crédits de paiement (CP), contre 21,5 Mds€ en AE et 22,81 Mds€ en CP dans le PLF 2024, ce qui représente une baisse de 4 % en AE et 3 % en CP.
L'effort financier global de l'État en faveur des outre-mer
L'effort financier global de l'État en faveur des outre-mer, qui s'élève à 19,38 Mds€ en AE et 21,07 Mds€ en CP, et qui rassemble l'ensemble des crédits concourant à l'action de l'État en faveur des outre-mer, est porté par 105 programmes budgétaires relevant de 32 missions. L'ensemble de ces crédits est retracé dans le document de politique transversale « outre-mer ».
Les crédits de la mission « Outre-mer » ne représentent qu'une faible partie de cet effort financier global de l'État en faveur des outre-mer (14,4 % des AE et 12,1 % des CP dans le PLF 2025), comme l'illustre le graphique ci-après.
Missions budgétaires contribuant à
l'effort financier global de l'État en faveur des outre-mer
(en % des
AE)
Source : Commission des lois du Sénat à partir des documents budgétaires
Au sein de cet effort financier global, le PLF 2025 prévoit également une baisse très substantielle des crédits de la mission « Outre-mer », de 400 M€ en AE et 250 M€ en CP, ce qui représente une diminution de 12,5 % des AE et de 9 % des CP.
2. Cette importante diminution du budget alloué aux outre-mer intervient dans le cadre de la consolidation budgétaire rendue nécessaire par le niveau élevé du déficit public
La réduction de l'effort financier global de l'État en faveur des outre-mer ainsi que des crédits de la mission « Outre-mer » s'explique par la très grande dégradation des finances publiques.
En effet, si la loi de finances initiale (LFI) pour 2024 prévoyait un niveau de déficit public de 4,4 % du produit intérieur brut (PIB) pour l'année 2024, celui-ci devrait finalement s'établir à 6,1 % du PIB.
Ce niveau, bien plus élevé que la limite prévue par les règles budgétaires européennes qui fixent un niveau de déficit public maximal de 3 % du PIB, a entraîné, à la suite d'une recommandation de la Commission européenne, le déclenchement de la procédure de déficit excessif à l'encontre de la France par le Conseil de l'Union européenne, le 26 juillet 2024. Le niveau important du déficit public a également provoqué une dégradation des conditions d'emprunt de la France, la note de la dette française ayant ainsi été abaissé de AA à AA- par l'agence de notation américaine Standard & Poor's en juin 2024.
La nécessité de réduire le déficit public et de garantir la soutenabilité de la dette publique impose donc la mise en place d'un plan de consolidation budgétaire. Dans ce contexte, le PLF 2025 présenté par le Gouvernement de Michel Barnier vise à ramener le déficit public à 5 % du PIB en 2025 et prévoit à ce titre 60 Mds€ d'économies, dont 40 Mds€ de baisses de la dépense publique. La quasi-intégralité des missions budgétaires voient donc leurs crédits diminuer, dans ce contexte de redressement des finances publiques.
B. UNE DIMINUTION DE CRÉDITS REGRETTABLE, ALORS QUE LES TERRITOIRES ULTRAMARINS CONNAISSENT UNE AGGRAVATION DES TENSIONS ÉCONOMIQUES ET SOCIALES
1. Des difficultés économiques et sociales persistantes en outre-mer
Les territoires ultramarins sont marqués par des difficultés économiques et sociales persistantes. Régulièrement mises en lumière par les travaux du Sénat, d'importantes inégalités demeurent avec l'Hexagone et les outre-mer restent confrontés à des retards structurels de développement.
Les collectivités ultramarines font notamment face à :
- un taux de chômage plus élevé que dans l'Hexagone, qui s'établissait, au premier trimestre 2024, à 16,2 % en Guyane et à 34 % à Mayotte, contre 7,2 % en métropole et qui touche particulièrement les jeunes ;
- un niveau de vie moins élevé en outre-mer, le PIB par habitant s'établissant par exemple à 23 200 € en Guadeloupe ou encore 16 400 € à Wallis et Futuna, alors que la moyenne nationale est de 38 775 € ;
- un niveau de pauvreté élevé, avec 900 000 personnes vivant sous le seuil de pauvreté en outre-mer ;
- un nombre important d'habitats insalubres ou indignes, estimé à environ 150 000 ;
- des difficultés d'accès à l'eau potable, à Mayotte notamment, où 31,7 % de la population n'a pas accès à l'eau courante dans son logement ;
- des écarts de prix importants, touchant notamment les prix alimentaires, qui sont par exemple 40 % plus élevés en moyenne en Martinique et 51 % en Polynésie française, en comparaison avec l'Hexagone.
2. Des tensions sociales et économiques qui ont connu une aggravation en 2024
Les tensions liées à ces problématiques structurelles se sont en outre aggravées en 2024, comme l'illustrent les nombreuses crises ayant émaillé les territoires ultramarins :
- En Nouvelle-Calédonie, la perspective d'un dégel partiel du corps électoral spécial a provoqué de violentes émeutes à compter du 13 mai 2024, entraînant la déclaration de l'état d'urgence sur le territoire. Si la situation sécuritaire est aujourd'hui en voie d'amélioration, la situation économique et sociale demeure inquiétante : les émeutes auraient provoqué la destruction de 6 000 emplois dans le secteur privé ainsi que la destruction de 800 entreprises et les dégâts matériels sont estimés à plus de 2,2 Mds€. Les responsables politiques locaux soulignent aujourd'hui le risque « d'émeutes de la faim », alors que la précarité ne cesse de s'accroître dans l'archipel.
- En Martinique, une mobilisation contre la vie chère a éclaté le 1er septembre 2024, entraînant de nombreuses manifestations accompagnées de violences (pillages et incendie de supermarchés, barrages, actes de vandalisme...), à la suite desquelles de multiples blessés et plusieurs décès ont été dénombrés. Les tensions restent vives au moment de l'examen du PLF 2025, malgré la signature d'un accord entre les distributeurs, l'État et les élus locaux le 16 octobre dernier, visant à abaisser de 20 % en moyenne les prix des produits alimentaires les plus consommés en Martinique.
- En Guadeloupe, une coupure d'électricité de plus de 24 heures entre le 27 et le 28 octobre 2024, provoquée par des grévistes EDF dans un contexte de conflit social déclenché le 15 septembre dernier, a provoqué des troubles à l'ordre public (vandalisme, pillages) en dépit du couvre-feu mis en place, ainsi que des pertes économiques élevées.
- À Mayotte, la crise de l'eau ayant éclaté en 2023, en raison d'une période de sécheresse exceptionnelle, s'est prolongée en 2024. Au mois d'avril 2024, les habitants restaient toujours privés d'eau un jour sur trois et encore aujourd'hui, les difficultés se prolongent, la moitié sud de l'île ayant été privée d'eau pendant plus de 24 heures le 12 novembre 2024, dans un contexte de forte précarité et d'insécurité lié à la crise migratoire.
Dans ce contexte, le rapporteur souligne que la baisse des crédits alloués aux outre-mer prévue par le PLF 2025, alors que les collectivités ultramarines demeurent confrontées à des tensions économiques et sociales fortes et persistantes, apparaît particulièrement regrettable.
II. UNE DIMINUTION DE 9 % DES CRÉDITS DE LA MISSION « OUTRE-MER » MASQUANT D'IMPORTANTES DISPARITÉS ET DONT LE CIBLAGE APPARAÎT PERFECTIBLE
A. L'ÉVOLUTION GLOBALE DES CRÉDITS DE LA MISSION « OUTRE-MER » : UNE IMPORTANTE BAISSE PAR RAPPORT À L'EXERCICE 2024
Le PLF 2025 prévoit une baisse importante des crédits de la mission « Outre-mer », par rapport à l'exercice 2024. Ces crédits s'élèvent ainsi à 2,78 Mds€ en AE et 2,55 Mds€ en CP - contre 3,18 Mds€ en AE et 2,80 Mds€ dans la loi de finances initiale pour 2024, soit une baisse de 12,5 % en AE et 9 % en CP.
Plus précisément, le PLF 2025 prévoit :
- une très légère augmentation du programme 138 « Emploi outre-mer », qui s'élèverait à 1,98 Mds€ en AE et 1,95 Mds€ en CP (contre 1,90 Md€ en AE et 1,88 Md€ en CP en 2024), composé de 4 actions et qui vise à maintenir la compétitivité des entreprises, améliorer la qualification professionnelle des actifs ultramarins et soutenir les entreprises ultramarines ;
- une baisse sensible du programme 123 « Conditions de vie outre-mer », qui ne serait pourvu que de 811 M€ en AE et 606 M€ en CP (contre 1,3 Md€ en AE et 920 M€ en CP dans la LFI 2024), composé de 8 actions et qui tend à financer principalement le logement, l'accompagnement des collectivités et la continuité territoriale.
Source : Commission des lois du Sénat à partir des documents budgétaires
Cette diminution des crédits masque de surcroît de fortes disparités. Ainsi, si les CP du programme 138 augmentent légèrement, d'un peu moins de 3,5 %, en raison de la hausse des compensations d'exonérations de cotisations sociales, certaines actions connaissent des baisses massives de leurs crédits, à l'instar de l'action 04 relative au financement de l'économie, qui voit ses CP diminuer de plus de 75 % par rapport à l'exercice 2024.
B. LE PROGRAMME 138 : UNE HAUSSE DES CRÉDITS DU PROGRAMME, PORTÉE PAR L'AUGMENTATION DES EXONÉRATIONS DE COMPENSATIONS SOCIALES
Évolution par action des crédits du programme 138 entre 2024 et 2025 (en M€)
AE |
CP |
|||||
LFI 2024 |
PLF 2025 |
Variation |
LFI 2024 |
PLF 2025 |
Variation |
|
Action 01 |
1 539,2 |
1 642,9 |
+ 6,7 % |
1 539,2 |
1 642,9 |
+ 6,7 % |
Action 02 |
321,6 |
315,3 |
- 2 % |
309,1 |
295 |
- 4,6 % |
Action 03 |
3,6 |
3,6 |
= |
3,4 |
3,4 |
= |
Action 04 |
35,1 |
10,1 |
- 71,2 % |
33 |
8,1 |
- 75,5 % |
Total |
1 899,5 |
1 971,9 |
+ 3,8 % |
1 884,7 |
1 949,3 |
+ 3,4 % |
Source : Commission des lois à partir des documents budgétaires et du PLF 2025
Les crédits du programme 138 connaissent une légère hausse, de 3,8 % en AE et 3,4 % en CP et s'établissent ainsi à 1,97 Md€ en AE et 1,95 Md€ en CP.
Cette légère hausse est liée à la hausse des crédits de soutien aux entreprises (action 1), qui correspondent aux compensations d'allègements et d'exonérations de cotisations sociales dont bénéficient les entreprises ultramarines, et qui visent à améliorer leur compétitivité tout en favorisant l'emploi.
Le dispositif LODEOM
Des exonérations de cotisations sociales spécifiques aux outre-mer ont été mises en place en faveur des employeurs implantés en Guadeloupe, en Guyane, à la Martinique, à La Réunion, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin (dispositif LODEOM) pour lutter contre le chômage et favoriser la compétitivité des entreprises à travers une réduction du coût du travail. Ces exonérations sont compensées par l'État à partir des crédits du programme 138 et permettent une exonération totale des cotisations sociales patronale au niveau du salaire minimum de croissance (SMIC).
Ce dispositif fait l'objet, depuis le printemps 2024, d'une évaluation conduite par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l'Inspection générale des finances (IGF) qui vise à évaluer le dispositif pour en améliorer l'efficience, dont les résultats devraient être rendus avant la fin de l'année 2024.
Ce dispositif pourrait en outre faire l'objet d'une profonde réforme, sur le fondement de l'article 6 du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, qui prévoit d'autoriser le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour réviser le dispositif LODEOM et qui modifierait aussi le régime de droit commun des exonérations de cotisations sociales, sur lequel est appuyé le dispositif LODEOM.
Les crédits alloués à l'aide à l'insertion et à la qualification professionnelles (action 2) ainsi qu'au soutien de l'économie (action 4) connaissent en revanche une forte baisse, que déplore le rapporteur.
Sur l'action 2, les économies reposeront sur le report dans le temps de certaines opérations d'infrastructures du service militaire adapté (SMA), une diminution des crédits concernant l'extension du dispositif « Cadres d'avenir » et une baisse de la subvention pour charges de service public de l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM).
Concernant le SMA, le rapporteur se satisfait malgré tout du maintien à un niveau élevé des crédits, qui permettront de continuer le développement de ce dispositif particulièrement efficace, comme en atteste le taux d'insertion des volontaires en fin de contrat, supérieur à 80 % depuis 2017. Les crédits permettront ainsi la mise en oeuvre du plan « Horizons 2030 », qui constitue la prolongation du plan « SMA 2025+ ».
Le service militaire adapté (SMA) et le plan « Horizons 2030 »
Créé en 1961, le SMA est un dispositif militaire qui vise à améliorer l'insertion professionnelle des jeunes ultramarins âgés de 18 à 25 ans, en ciblant particulièrement les décrocheurs scolaires. À cet effet, il propose aux bénéficiaires un accompagnement socio-éducatif pour leur permettre d'acquérir des compétences professionnelles et sociales qui renforceront leur employabilité. Chaque année, 6 000 volontaires en moyenne bénéficient de ce programme.
Le plan « Horizons 2030 » prolonge le plan « SMA 2025+ » et vise notamment à accueillir de nouveaux publics (mineurs de 16 à 18 ans, parents isolés) ou encore à permettre à tous les volontaires de passer leur permis de conduire.
Il regrette en revanche la réduction des crédits censés permettre l'extension du dispositif « Cadres d'avenir », qui permet de soutenir la formation de cadres moyens et supérieurs et de répondre aux besoins en recrutement des entreprises ultramarines.
De même, le rapporteur s'inquiète de la diminution des moyens alloués à l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM), de 22 M€ en AE et 19,4 M€ en CP au total, qui met en oeuvre des programmes de formation professionnelle en mobilité, à destination des demandeurs d'emploi, capitale au vu du taux de chômage constaté dans les outre-mer.
Concernant l'action 4 relative au soutien de l'économie, le rapporteur s'est alarmé de la diminution massive des crédits alloués (- 71 % en AE et - 75 % en CP), alors que ces derniers financent des dispositifs majeurs et ayant prouvé leur efficacité, à savoir :
- les prêts de développement outre-mer (PDOM), lancés en 2017, qui sont des prêts sans garantie à destination des petites et moyennes entreprises (PME) et qui interviennent en cofinancement, aux côtés d'un financement privé (prêt bancaire, apport en capital, etc.). Les PDOM visent à compenser le coût du financement privé, plus élevé en outre-mer qu'en métropole, et permettent ainsi aux PME ultramarines de se financer à un taux moyen similaire à celui constaté dans l'hexagone. Entre le 1er janvier 2019 et le 31 mars 2024, 747 PDOM ont été octroyés par Bpifrance pour un montant de 229 M€, ce qui montre le succès de ce dispositif ;
- l'aide au fret, destinée à compenser les surcoûts de transport de marchandises, liés à l'éloignement, pour les entreprises situées dans les départements et régions d'outre-mer (DROM) ainsi qu'à Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon et dans les îles Wallis et Futuna, qui permet de favoriser la production locale et de faire baisser les prix pour les consommateurs.
La réduction des moyens alloués aux PDOM et à l'aide au fret est inquiétante car ces deux dispositifs jouent un rôle crucial de soutien aux entreprises ainsi qu'à l'emploi local, alors que le niveau du chômage apparaît particulièrement élevé en outre-mer. De plus, alors que les mobilisations contre la cherté de la vie se multiplient, il apparaît assez inopportun de réduire un dispositif qui participe à l'abaissement des prix pour les consommateurs ultramarins. Le rapporteur souligne donc l'importance de mieux cibler les économies budgétaires de façon à préserver et soutenir les dispositifs ayant fait leurs preuves.
C. LE PROGRAMME 123 : UNE BAISSE PRÉOCCUPANTE DES CRÉDITS DESTINÉS À AMÉLIORER LES CONDITIONS DE VIE OUTRE-MER
Les crédits dédiés à l'amélioration des conditions de vie des populations ultramarines connaissent une forte baisse de près de 37 % en AE et 34 % en CP. Ils s'établissent ainsi à 811 M€ en AE et 606 M€ en CP. L'ensemble des actions du programme se voient amputées d'une part significative de leurs crédits, avec là aussi des disparités cependant assez marquées.
Évolution par action des crédits du programme 123 entre 2024 et 2025 (en M€)
AE |
CP |
|||||
LFI 2024 |
PLF 2025 |
Variation |
LFI 2024 |
PLF 2025 |
Variation |
|
Action 01 |
291,9 |
260 |
- 10,9 % |
193,8 |
184,1 |
- 5 % |
Action 02 |
233,2 |
86,4 |
- 63 % |
174,4 |
41,6 |
- 76,1 % |
Action 03 |
76,3 |
62,9 |
- 17,6 % |
76,2 |
62,8 |
- 17,6 |
Action 04 |
21 |
10,2 |
- 51,7 % |
21 |
10,2 |
- 51,7 % |
Action 06 |
428,9 |
257,1 |
- 40,1 |
328,4 |
202,2 |
- 38,4 |
Action 07 |
0,97 |
0,97 |
= |
0,97 |
0,97 |
= |
Action 08 |
160 |
110 |
- 31,3 |
87,3 |
70,9 |
- 18,7 |
Action 09 |
69,3 |
23,3 |
- 66 % |
37,7 |
32,9 |
- 12,7 % |
Total |
1 281,6 |
810,8 |
- 36,7 % |
919,8 |
605,8 |
- 34,1 % |
Source : Commission des lois à partir des documents budgétaires et du PLF 2025
La ligne budgétaire unique (LBU) portée par l'action 1 du programme, qui finance des dispositifs visant à garantir un habitat décent aux habitants, voit ses crédits diminuer de 32 M€ en AE et 10 M€ en CP, pour s'établir à 260 M€ en AE et 184 M€ en CP.
Si la baisse des crédits est plus limitée que pour d'autres actions, elle reste malgré tout inappropriée, compte tenu de l'enjeu que représente le logement dans les territoires ultramarins, au vu des besoins importants en logements sociaux ainsi que de la nécessité de lutter contre l'habitat indigne et insalubre, qui concerne environ 150 000 logements. Quoiqu'en baisse, ces crédits devraient toutefois permettre la construction de logements neufs à Mayotte et en Guyane, le renforcement des actions de réhabilitation des logements privés et sociaux ainsi que la poursuite des opérations de résorption de l'habitat insalubre.
Le plan logement outre-mer 2024-2027 (PLOM 3)
Annoncé le 27 septembre 2022, le PLOM 3 devrait être signé avant la fin de l'année 2024, à l'issue de concertations. Il est organisé autour d'un « axe territorial » et d'un « axe transversal ».
Concernant l'axe territorial, des PLOM territoriaux élaborés par les préfets, en lien avec les acteurs locaux, permettront la mise en place d'une stratégie adaptée dans chaque territoire, avec des priorités d'action spécifiques à chaque territoire (réhabilitation de logements, construction, accession sociale à la propriété, etc.).
L'axe transversal vise quant à lui à donner des outils aux acteurs locaux pour faciliter leur action, à travers quatre axes :
1 - Accélérer la construction et la rénovation de logements locatifs accessibles et adaptés aux besoins des habitants ultramarins, dans le respect de la mixité sociale ;
2 - Intervenir sur l'habitat privé pour augmenter et améliorer le parc destiné aux ménages modestes ;
3 - Améliorer la résilience des territoires aux risques et au changement climatique ;
4 - Appuyer les territoires dans la mise en oeuvre de leurs PLOM territoriaux.
Concernant l'appui aux collectivités territoriales :
- l'action 2 relative à l'aménagement du territoire, qui finance des projets d'investissement structurants portés par les collectivités territoriales voit ses crédits diminuer massivement (- 76 % de CP), en raison, notamment, de la baisse des crédits alloués au financement des contrats de convergence et de transformation (CCT), ayant pour objectif la réduction des écarts de développement avec la métropole. Le rapporteur souligne l'importance de ces contrats fondés sur un partenariat avec les collectivités territoriales ultramarines, au travers de co-financements sur des opérations engageant durablement tous les partenaires sur l'avenir économique et social des territoires ;
- l'action 6 qui rassemble les crédits dédiés aux collectivités territoriales voit également ses crédits diminuer d'environ 40 %, en AE comme en CP, ce qui impactera plus particulièrement les contrats de redressement outre-mer (COROM) et ne permettra pas la signature de nouveaux COROM en 2025 ni la construction d'équipements scolaires en Guyane ;
Les contrats de redressement outre-mer (COROM)
Les COROM sont destinés à soutenir les communes ultramarines volontaires confrontées à de graves difficultés financières. Ces contrats triennaux conclus avec l'État garantissent aux communes signataires un appui technique ainsi qu'un appui financier prenant la forme du versement d'une subvention exceptionnelle et d'une aide à la résorption des dettes à l'égard des fournisseurs. En contrepartie, les communes ayant conclu un tel contrat s'engagent à mettre en oeuvre des réformes pour mieux maîtriser leurs dépenses, déployer des procédures de gestion et améliorer la qualité comptable.
Le bilan tiré de ce dispositif apparaît plutôt positif. La plupart des communes signataires sont désormais engagées dans une dynamique vertueuse, ont apuré une partie de leurs dettes et retrouvé une capacité d'autofinancement. Ce dispositif a également permis une montée en compétence des agents communaux.
- enfin, le fonds exceptionnel d'investissement (action 8), qui finance des personnes publiques réalisant des investissements sur des équipements collectifs participant de façon déterminante au développement économique, social, environnemental et énergétique local, subit une baisse de crédits de près de 19 % en CP.
Outre cette diminution inopportune des crédits dédiés au soutien des collectivités territoriales, les mesures d'économies concernent également les aides à la continuité territoriale (action 3), qui permettent par exemple le financement d'une partie des frais de transport pour les personnes résidant en outre-mer et se rendant à des obsèques en métropole - ou inversement ou encore les frais de transport des étudiants inscrits dans une université en dehors de leur collectivité de résidence (passeport pour la mobilité des études).
Le rapporteur souligne l'insuffisance de ces crédits, qui risquent de ne pas permettre de couvrir les besoins, alors que de nouveaux dispositifs d'aide à la continuité territoriale, créés par la LFI 2024, et salués par l'ensemble des territoires, devraient entrer en vigueur en 2025, créant un besoin budgétaire supplémentaire.
Les aides à la continuité territoriales créées par la LFI 2024
La LFI 2024 a créé trois nouveaux dispositifs d'aide à la continuité territoriale, dont les mesures réglementaires d'application devraient prochainement entrer en vigueur :
- un « passeport pour le retour », qui vise à accompagner les projets individuels d'installation durable dans une collectivité ultramarine sous la forme d'une création ou reprise d'entreprise ou d'une embauche dans l'un des territoires ultramarins (financement d'une partie des frais de transport et versement d'une allocation d'installation) ;
- un « passeport pour la mobilité des actifs salariés », qui tend à permettre la prise en charge d'une partie des frais de transports des actifs salariés suivant une formation en métropole ;
- un « passeport pour la mobilité des entreprises innovantes », qui a vocation à financer une partie des frais de transports de ces entreprises liés au lancement et au développement de leur activité.
III. LA POSITION DE LA COMMISSION : APPROUVER L'ADOPTION DES CRÉDITS DE LA MISSION « OUTRE-MER », SOUS RÉSERVE DU RESPECT DES ENGAGEMENTS PRIS PAR LE GOUVERNEMENT
A. UNE BAISSE DES CRÉDITS REGRETTABLE POUR LES OUTRE-MER
La commission des lois ne peut que déplorer la diminution des crédits de la mission « Outre-mer » et, plus globalement, la réduction de l'effort financier global de l'État en faveur des outre-mer.
La situation financière de la France impose bien évidemment la maîtrise des dépenses publiques, de façon à résorber le déficit public.
Toutefois, comme souligné par le rapporteur et en dépit des hausses de crédits de la mission « Outre-mer » concédées les années passées, le budget en faveur des outre-mer reste très faible eu égard aux problématiques rencontrées dans les territoires ultramarins et insuffisant pour combler le retard de développement par rapport à l'Hexagone.
La réduction des crédits prévue par le PLF 2025 ne peut donc qu'aggraver les problématiques déjà existantes, alors qu'un engagement fort de la part de l'État serait nécessaire pour répondre aux crises ayant éclaté dans les territoires ultramarins au cours de l'année 2024.
B. UN AVIS MALGRÉ TOUT FAVORABLE, COMPTE TENU DES ENGAGEMENTS PRIS PAR LE GOUVERNEMENT
En dépit de la baisse des crédits prévue par le PLF 2025 dans sa version initiale, transmise au Sénat, la commission des lois a suivi l'avis du rapporteur et émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer », compte tenu des engagements de réajustement pris récemment par le Gouvernement et exprimés le 12 novembre dernier, lors de la séance de questions au Gouvernement à l'Assemblée nationale, par le ministre chargé du budget et des comptes publics, Laurent Saint-Martin. Cet engagement fait suite aux demandes répétées formulées en ce sens par le ministre chargé des outre-mer, François-Noël Buffet, compte tenu de la situation à laquelle il a fait face dans les territoires ultramarins depuis sa nomination au Gouvernement.
S'agissant des hausses de crédits annoncées, le rapporteur formule le souhait que soient abondés les dispositifs ayant prouvé leur efficacité, tels que les CCT, les COROM, les aides à la continuité territoriale ou encore les dispositifs en faveur du logement et de la lutte contre l'habitat insalubre et indigne.
Si le seul maintien des crédits prévus pour l'année 2024 ne sera pas suffisant pour résoudre l'ensemble des problèmes ultramarins, il s'agit, dans le contexte budgétaire actuel, d'un compromis acceptable. Il conviendra néanmoins d'être vigilant aux annonces du ministre chargé des outre-mer, ainsi qu'aux modifications au PLF 2025 qui seront apportées par le Gouvernement, lors de l'examen en séance publique.
La commission a également estimé qu'il faudrait être attentif à ce que les hausses de crédits qui pourraient intervenir dans le champ de la mission « Outre-mer » ne se fassent pas au détriment des autres missions contribuant à l'effort financier global de l'État en faveur des outre-mer.
Enfin, au-delà du périmètre de la mission « Outre-mer », le rapporteur a souhaité insister :
- sur l'importance de maintenir les crédits alloués au Fonds vert, qui finance des projets portés par les collectivités territoriales visant à améliorer la performance environnementale, adapter les territoires au changement climatique et améliorer le cadre de vie, afin de permettre le financement des près de 250 projets retenus dans les outre-mer - parmi lesquels 15 en Polynésie française (sur une trentaine de projets éligibles sur ce seul territoire) ;
- sur la nécessité de préserver les dispositifs d'incitations fiscales à l'investissement dans les outre-mer tout en procédant à leur évaluation régulière, compte tenu du rôle moteur que jouent ces dispositifs sur le développement économique des territoires ultramarins.
*
* *
La commission des lois a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer », inscrits au projet de loi de finances pour 2025.
EXAMEN EN COMMISSION
__________
Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous passons à l'examen du rapport pour avis sur la mission « Outre-mer ».
M. Teva Rohfritsch, rapporteur pour avis sur la mission « Outre-mer ». - Dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2025, il me revient aujourd'hui de vous présenter les crédits de la mission « Outre-mer », dont notre commission s'est saisie pour avis.
Le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 prévoit une forte baisse des crédits de cette mission, ainsi que, plus globalement, de l'effort financier global de l'État en faveur des outre-mer ; je rappelle, à ce propos, que les crédits de la mission « Outre-mer » ne représentent que 14 % des crédits alloués aux outre-mer.
Les crédits de la mission diminueraient ainsi de plus de 12 % en autorisations d'engagement (AE) et de 9 % en crédits de paiement (CP).
Si l'on rentre un peu plus dans le détail, on constate une légère augmentation des crédits du programme 138 « Emploi outre-mer », qui vise à améliorer la compétitivité des entreprises situées en outre-mer. Il s'agit toutefois d'une hausse à reconsidérer, car elle est liée à l'augmentation des compensations d'exonérations de cotisations sociales dont bénéficient les entreprises ultramarines au titre du dispositif dit « Lodéom ».
Tous les autres dispositifs financés par ce programme subissent des baisses importantes de leurs crédits, parmi lesquels des dispositifs d'une importance cruciale pour le développement économique des outre-mer. Je pense, par exemple, aux prêts de développement outre-mer, lancés en 2017, qui permettent à des petites et moyennes entreprises (PME) ultramarines d'accéder à des financements pour développer leur activité, et sans lesquels ces entreprises ne pourraient se financer, le coût du financement privé étant plus élevé outre-mer que dans l'Hexagone. Autre exemple : l'aide au fret, permettant de compenser les surcoûts de transports de marchandises liés à l'éloignement des collectivités ultramarines, qui favorise ainsi la production locale tout en faisant baisser les prix pour les consommateurs. Je rappelle, à ce titre, que les prix sont beaucoup plus élevés en outre-mer : chez moi par exemple, en Polynésie, les prix de l'alimentation sont 51 % plus élevés qu'en métropole !
Je regrette aussi les autres diminutions de crédits qui empêcheront l'extension du dispositif « Cadres d'avenir », pourtant utile, ou encore la baisse de la subvention pour charges de service public de l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (Ladom), acteur essentiel de la formation professionnelle, qui exerce une mission capitale au vu des taux de chômage constatés dans nos collectivités.
Le programme 123 « Conditions de vie outre-mer » voit ses crédits amputés de plus d'un tiers, tant en AE qu'en CP. Je constate de plus d'importantes disparités entre les lignes budgétaires : ainsi, les financements relatifs à l'aménagement du territoire connaissent une baisse massive de plus de 75 % de leurs crédits !
Là encore, les économies prévues apparaissent mal ciblées puisqu'elles diminuent les moyens de dispositifs qui sont cruciaux pour les outre-mer.
Je constate d'abord une diminution des crédits de la ligne budgétaire unique (LBU), alors que 150 000 habitats indignes et insalubres sont encore recensés dans les territoires ultramarins, et que les besoins en logements, notamment sociaux, ne cessent de s'accroître.
Les moyens alloués à la continuité territoriale diminuent également, alors qu'il s'agit de dispositifs majeurs pour les populations ultramarines. Ils permettent, par exemple, de financer une partie des frais liés aux transports pour les étudiants inscrits dans une université en dehors de leur collectivité de résidence. Les crédits prévus risquent donc de ne pas couvrir tous les besoins, au moment où de nouveaux dispositifs d'aide à la continuité territoriale, créés par la loi de finances pour 2024, devraient entrer en vigueur en 2025 et engendrer un besoin budgétaire supplémentaire.
L'appui aux collectivités territoriales connaît aussi une forte baisse.
Comme je l'ai déjà évoqué, la baisse des crédits relatifs à l'aménagement du territoire - crédits permettant le financement de projets d'investissements structurants portés par les collectivités territoriales - touchera notamment les moyens affectés aux contrats de convergence et de transformation (CCT), un dispositif de cofinancement d'opérations d'investissement visant à réduire les écarts de développement avec la métropole.
S'ajoute à cela une diminution des moyens dédiés aux collectivités territoriales, qui empêchera la construction d'équipements scolaires en Guyane en 2025, ou encore la signature de nouveaux contrats de redressement en outre-mer (Corom), au bilan pourtant positif.
Enfin, les crédits du fonds exceptionnel d'investissement (FEI) diminuent, limitant les moyens pour financer certains équipements collectifs, alors qu'ils sont déterminants pour le développement économique et social des territoires concernés.
Cette baisse des crédits de la mission « Outre-mer » intervient, il est vrai, dans un contexte de déficit public élevé ; celui-ci devrait atteindre, voire dépasser, 6,1 % du PIB en 2024. Ce contexte nous oblige à réaliser des économies pour garantir la soutenabilité de la dette publique, alors que la France fait l'objet, depuis juillet 2024, d'une procédure de déficit excessif à l'initiative de la Commission européenne.
Dans le cadre de ce nécessaire redressement des finances publiques, la quasi-intégralité des missions budgétaires voient donc leurs crédits diminuer. Si je souscris, bien évidemment, à la nécessité d'endiguer la dégradation des finances publiques et de diminuer le déficit public, je constate toutefois que les collectivités ultramarines sont confrontées à des difficultés économiques et sociales persistantes, et que le budget qui leur est octroyé en temps normal est déjà faible au regard des enjeux.
Parmi ces enjeux, je citerai notamment un taux de chômage plus élevé que dans l'Hexagone - 34 % à Mayotte -, un fort taux de pauvreté - 900 000 personnes sont sous le seuil de pauvreté en outre-mer -, des prix plus élevés qu'en métropole, des difficultés d'accès à l'eau potable, un nombre important d'habitats insalubres ou indignes, sans oublier la nécessité de reconstruire la Nouvelle-Calédonie au lendemain des émeutes.
Les tensions économiques et sociales se sont, de plus, aggravées au cours de l'année 2024. Je viens d'évoquer la crise consécutive au projet de réforme du corps électoral en Nouvelle-Calédonie, qui a provoqué le décès de treize personnes, plus de 2,2 milliards d'euros de dégâts et la destruction de 6 000 emplois. Les manifestations contre la cherté de la vie, qui se sont déclenchées en Martinique depuis septembre 2024, ont entraîné des violences et la mise en place d'un couvre-feu. La crise de l'eau à Mayotte, placée sous pression migratoire, a privé d'eau la moitié sud de l'île pendant vingt-quatre heures, voilà une semaine. Nous pourrions multiplier les exemples...
Dans ce contexte, nous ne pouvons que déplorer la diminution des crédits de la mission « Outre-mer », qui ampute de leur budget des dispositifs pourtant cruciaux, ayant prouvé leur efficacité. Cette diminution de crédits ne peut qu'aggraver les problématiques rencontrées par les territoires ultramarins au cours de l'année 2024.
Je relève toutefois l'engagement pris par le Gouvernement : le ministre du budget et des comptes publics, le 12 novembre dernier, à l'Assemblée nationale, a ainsi annoncé une hausse substantielle des crédits, pour se rapprocher du niveau des crédits ouverts par la loi de finances initiale pour 2024. Cet engagement a été confirmé par le ministre des outre-mer, François-Noël Buffet, hier, lors de son audition par la commission des lois. Ce « combat », pour reprendre ses termes, doit reposer sur la stabilité et la confiance sur lesquelles il souhaite fonder son action. Je souscris aux annonces faites dans ce cadre, et ce sans naïveté, puisque le ministre s'est engagé à travailler avec l'ensemble des rapporteurs sur des ajustements à venir.
Si le seul maintien des crédits ouverts en 2024 ne permettra pas de résoudre l'ensemble des problématiques auxquelles font face les collectivités ultramarines, il s'agit toutefois d'un compromis que j'estime acceptable, au vu de la situation financière de notre pays.
De ce fait, et compte tenu de l'engagement pris par le ministre hier, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption de ces crédits. Il nous faudra néanmoins rester vigilants, d'ici à l'examen en séance publique du PLF, aux annonces du ministre des outre-mer et au détail des abondements de crédits qui seront apportés et, je l'espère, votés par notre assemblée.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Je remercie le rapporteur pour son travail. Il s'est montré très critique sur ce budget 2025, mais cette analyse critique doit être mise en lien avec le constat - sévère - de tout ce qui n'a pas été fait dans les outre-mer au cours des dernières années. Qu'avons-nous fait jusqu'à présent ?... Quatre ministres se sont succédé à ce ministère en deux ans. Dans un tel contexte, il est compliqué de construire une ligne et une vision pour des territoires, qui, rappelons-le, ont chacun leurs spécificités !
Je veux insister sur ce point : au-delà de l'unité de la Nation, il faut prendre en compte les spécificités de chaque collectivité ultramarine et, comme le ministre l'a dit hier, avoir une vision et des objectifs pour chaque territoire ultramarin. Ce n'est pas ce qui a été fait pendant des années : on a distribué de l'argent, mais quelle était la vision ? On peut regretter, aujourd'hui, une diminution du budget ; dans le même temps, tout le monde doit faire des efforts face à une réalité extrêmement complexe. Je suis persuadée que si, ensemble, indépendamment de nos appartenances politiques, nous travaillons une vision à court, moyen et long termes pour chacun de ces territoires, nous pourrons faire de belles choses.
M. Hussein Bourgi. -Avant l'audition de François-Noël Buffet devant la commission hier, nous nous apprêtions à voter contre ces crédits. Nous allons finalement nous abstenir, dans l'attente des améliorations qui seront apportées d'ici au vote dans l'hémicycle. Nous sommes tous conscients des défis et enjeux qui concernent les outre-mer : sargasses, chlordécone, cherté de la vie, désespérance de la jeunesse, fracture territoriale et sociale, etc.
Parmi les diminutions de crédits, la baisse de 75 % de l'aide au fret nous a interpellés. On parle de produits de première nécessité, qui sont déjà bien plus chers que dans l'Hexagone... Cette mesure ne pourra qu'accentuer l'écart de prix, avec une répercussion sur les consommateurs.
Vous l'avez compris, les premières orientations budgétaires n'étaient pas satisfaisantes, mais nous nous fions à la volonté du ministre de les rectifier, d'où notre abstention.
Sans préjuger des améliorations proposées par le Gouvernement, nous pourrions nous inspirer des amendements que l'Assemblée nationale avait adoptés...
Mme Lana Tetuanui. - Merci au rapporteur pour cet exposé assez inquiétant : on n'a jamais vu ça, ai-je envie de dire... Je ne réprimanderai pas l'actuel ministre car il faut prendre en compte les événements de cette année : dissolution de l'Assemblée nationale ; absence de majorité dans la nouvelle assemblée ; maintien du premier ministre démissionnaire jusqu'à la nomination du Premier ministre actuel ; lettres plafonds... On en voit le résultat aujourd'hui !
Peut-être faut-il que les ministres arrêtent de venir dans les territoires ultramarins... Si c'est pour aboutir à cette diminution de crédits, je leur conseille de rester à Paris. Car nous en avons reçu plusieurs en visite, et à chaque fois, ils nous ont dit : « Vous êtes la France. Vous êtes la chance de la France. » À ce prix-là ? C'est tout de même malheureux !
Les crédits annoncés pour la Présidence de la République lors de l'examen de la mission « Pouvoirs publics » m'ont surprise. Ce qui est réclamé, pourquoi ne pas le donner aux outre-mer ? Mais non ! Aux outre-mer, on demande encore des efforts, et après on s'étonne de ce qui se déroule en Nouvelle-Calédonie ou en Martinique.
La logique voudrait que l'on vote contre les crédits de cette mission, tels qu'ils nous sont présentés. Pour autant, je fais confiance au ministre chargé des outre-mer, François-Noël Buffet. Il hérite d'une situation qui, comme cela a été dit, ne date pas d'hier. Pour ma part, je compte sur l'efficacité et la solidarité des sénateurs ultramarins ; nous allons devoir tous nous mobiliser pour aider notre ministre à réajuster le tir.
Je veux bien comprendre que l'on demande des efforts à tout le monde en temps de crise, mais il y a une limite : les outre-mer ne peuvent pas être sacrifiés sur l'autel du déficit public !
Le groupe Union Centriste votera ces crédits, sous réserve de l'adoption de nos amendements.
M. Olivier Bitz. - Je ferai d'abord une observation de nature politique. Aujourd'hui, une large majorité sénatoriale soutient le Gouvernement ; certains dans cette majorité sénatoriale soutenaient le gouvernement précédent. J'appelle donc les uns et les autres à ne pas faire croire que l'on passerait de l'ombre à la lumière par la seule magie de la nomination d'un nouveau gouvernement. Les choses sont plus complexes ! Gardons-nous de jugements trop hâtifs !
Nous savons tous, par ailleurs, dans quelles conditions l'actuel gouvernement a été constitué et dans quels délais il a dû préparer ce PLF. Je considère que certaines méthodes budgétaires employées ne valent que pour cette année. Il ne faudrait pas que cela devienne une habitude : c'est bien le texte déposé par le Gouvernement dont nous devons discuter, et non pas de ce texte amendé par des déclarations politiques.
En tant que sénateur métropolitain, je suis très attentif aux crédits pour l'outre-mer, dans la mesure où nous faisons Nation : les territoires ultramarins figurent parmi les territoires les plus fragiles, que nous devons absolument soutenir en temps de crise.
Je déplore que les crédits de la mission ne reflètent qu'imparfaitement l'engagement de l'État pour les outre-mer. Comme Teva Rohfritsch l'indiquait, nous discutons de 14 % des crédits totaux de l'action envers ces territoires. Comment juger de l'engagement de l'État dans ces conditions ? Le fait de ne pas avoir de vision consolidée est regrettable.
Mme Salama Ramia. - J'entends qu'il faille faire un effort au niveau national, mais je voudrais dire que Mayotte est en pleine phase de rattrapage de son retard de développement. Hier, j'entendais dans l'hémicycle des présentations d'amendements sur le dispositif « Lodéom » : les entreprises mahoraises n'en bénéficient même pas ; nous nous battons pour qu'elles puissent y avoir accès !
Jusqu'à hier, comme mes collègues, j'étais assez pessimiste. Je me dis maintenant que rien n'est perdu et qu'il y a peut-être une lueur d'espoir. Je rejoins Jacqueline Eustache-Brinio sur le manque de vision globale pour un territoire comme Mayotte, qui est au bord de l'explosion sur les plans économique et social.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur pour avis. - Nous regrettons tous les lettres plafonds envoyées en août dernier. Était-ce une sanction ou un cadeau empoisonné ? De manière inconcevable, elles ont acté une baisse draconienne des moyens mis à disposition des outre-mer : c'est non plus un effort qu'on leur demande, mais un sacrifice budgétaire ! Le Gouvernement actuel pouvait-il en quinze jours rectifier la situation, alors qu'il entrait dans le tunnel budgétaire ? Cela semblait difficile...
Je le redis, j'étais au départ défavorable à l'adoption des crédits de la mission. Mais il faut s'accrocher à l'espoir qui nous a été donné. Dans la situation politique exceptionnelle que vit notre pays, je propose que la commission des lois accompagne l'élan de responsabilité que représentent les engagements pris par Laurent Saint-Martin, ministre chargé du budget et des comptes publics, à l'Assemblée nationale et par le ministre chargé des outre-mer auprès de notre commission, dont nous savons combien elle lui est chère. Il ne s'agit pas d'un élan de naïveté commune : ces engagements nous donnent bon espoir de parvenir à rétablir le budget au niveau de celui de 2024.
François-Noël Buffet a évoqué hier plusieurs sujets prioritaires, notamment la question du Plom 3 (plan Logement outre-mer) et du logement, celle de l'eau, et les contrats avec les collectivités territoriales. Il s'est engagé à lancer un Oudinot de la vie chère, à traiter les urgences et à rétablir les crédits à un niveau acceptable pour les Corom. J'insiste, il nous faut travailler avec le Gouvernement pour rétablir la jauge de crédits de l'année 2024, qui peut être un compromis acceptable dans le contexte budgétaire actuel.
Le ministre plaidait, lors de son audition, en faveur de la stabilité et de la confiance. Je crois qu'il revient au Sénat de donner des gages en ce sens par son vote.
Je remercie Hussein Bourgi pour son intervention. La cherté de la vie a été évoquée par le ministre. Quant aux sargasses, elles sont financées par une autre mission budgétaire : nous devons toutefois rester attentifs, car des questions restent en suspens sur les crédits y afférents.
Au travers des deux programmes de la mission « Outre-mer », nous ne traitons que 14 % de l'effort national en faveur des outre-mer. Les élus ultramarins souhaiteraient débattre du reste des crédits, qui sont « noyés » dans d'autres missions budgétaires nationales. Certes, cet éparpillement se justifie par le fait que nos territoires font partie de la République, mais leurs spécificités, ainsi que les statuts qui les régissent, nécessiteraient que nous consacrions peut-être davantage de temps à évaluer l'ensemble de l'effort national en faveur de nos outre-mer.
Salama Ramia a raison de rappeler que, lorsqu'on pense à Mayotte, la notion d'effort est toute relative. Quant aux Calédoniens, ils attendent la reconstruction et veulent prendre un nouveau départ, dans un contexte de dialogue à rétablir - le ministre et le président du Sénat s'y emploient. Chacun de nos territoires a conscience que, pour éviter que la charge de la dette ne devienne le premier poste du budget de la Nation, l'effort doit être partagé par tous. Dans le même temps, on ne peut ignorer que ceux qui ne peuvent pas se loger, se nourrir ou être en sécurité ont de fortes attentes en direction de l'État.
Je le redis, j'étais plutôt opposé à l'adoption des crédits avant que nos deux ministres prennent des engagements. Je vous propose maintenant, dans une démarche de confiance et d'encouragement, de les adopter, tout en restant vigilants. J'espère que nous pourrons, collectivement, contribuer utilement à rétablir un niveau de budget plus acceptable pour les outre-mer.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer ».
COMPTE RENDU DE L'AUDITION
DE
M. FRANÇOIS-NOËL BUFFET, MINISTRE AUPRÈS
DU
PREMIER MINISTRE, CHARGÉ DES OUTRE-MER
__________
Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous procédons aujourd'hui à l'audition de François-Noël Buffet, ministre auprès du Premier ministre, chargé des outre-mer, dans le cadre de l'examen, par la commission des lois, des crédits de la mission « Outre-mer » prévus par le projet de loi de finances (PLF) pour 2025.
Je rappelle que notre commission a nommé Teva Rohfritsch rapporteur pour avis.
Monsieur le ministre, nous sommes très heureux de vous accueillir dans cette commission que vous connaissez bien, pour que vous puissiez nous présenter les évolutions du budget consacré aux outre-mer. Ces territoires, confrontés à des enjeux multiples, ont traversé des crises profondément déstabilisatrices au cours de l'année 2024 : je pense notamment aux émeutes et à la déclaration de l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie, ou, plus récemment, aux manifestations contre la cherté de la vie en Martinique.
Dans ce contexte, l'annonce d'une baisse massive des crédits attribués aux outre-mer a suscité de nombreuses interrogations même si, comme d'autres, ces crédits doivent nécessairement prendre en considération les contraintes majeures qu'impose la situation des finances publiques, laquelle conduit nécessairement à des arbitrages difficiles.
M. François-Noël Buffet, ministre auprès du Premier ministre, chargé des outre-mer. - Je suis, à mon tour, très heureux de revenir au Sénat, et singulièrement devant la commission des lois, à laquelle, vous le savez, j'ai un attachement tout particulier.
Je profiterai de cette audition devant vous pour, à la fois, évoquer les outre-mer en général et aborder de manière plus spécifique les aspects budgétaires qui les concernent.
Je suis convaincu que, sur les outre-mer, nous pouvons au moins aboutir à un constat commun et peut-être, dans les circonstances qui prévalent, à une conjonction de bonnes volontés.
Je rappelle que j'ai pris mes fonctions il y a à peine deux mois ; on peut sans doute admettre que les résultats de cette nomination ne soient pas tout à fait instantanés. Néanmoins, il est d'ores et déjà possible de souligner quelques éléments importants.
D'abord, ce ministère a été rattaché au Premier ministre. Ce rattachement revêt une importance qui n'est pas uniquement symbolique. Il montre en outre le caractère éminemment interministériel de la mission. À titre d'exemple, le budget global de l'État alloué aux outre-mer représente un peu plus de 21 milliards d'euros et je n'en gère directement que 14 %. La gestion des autres crédits revient à mes collègues du Gouvernement qui interviennent dans les différentes matières qui leur échoient.
La mission « Outre-mer » se caractérise ensuite par un budget d'intervention, qui vise avant tout à venir en appui des politiques sectorielles, afin d'atténuer les spécificités ultramarines, particulièrement génératrices d'inégalités entre les territoires. La politique du logement et le soutien aux collectivités territoriales, tant dans le portage de leurs projets qui sont structurants que dans le redressement de leurs finances - avec des dispositions particulières sur ce point dans le PLF pour 2025 -, ou encore dans le financement d'infrastructures essentielles, constituent le coeur des politiques publiques auxquelles contribue la mission.
Les crédits de la mission « Outre-mer » enregistrent une baisse d'environ 12 % en autorisations d'engagement (AE) et de 9 % en crédits de paiement (CP) par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2024. La baisse est particulièrement marquée dans le programme 123 « Conditions de vie outre-mer », avec une diminution de 37 % en AE. En revanche, pour le programme 138 « Emploi outre-mer », on note une légère hausse, entièrement motivée par l'augmentation du montant du remboursement des exonérations de cotisations sociales.
Depuis mon entrée en fonction, j'ai indiqué à plusieurs reprises que, face à la baisse annoncée de ces crédits, nous essayons de bâtir un budget autour d'une priorité qui peut paraître surprenante pour certains, mais qui est assez simple : tenir les engagements de l'État, qu'il nous revient d'honorer. C'est sur cette ligne en effet que nous pouvons construire une relation de confiance entre l'État, les territoires ultramarins et leurs élus.
Vous le savez, j'ai tenu un langage de vérité en prônant le nécessaire équilibre entre la juste contribution des outre-mer à l'effort national de redressement de nos comptes publics et la préservation des intérêts essentiels des territoires ultramarins. Nous y travaillons au quotidien avec Laurent Saint-Martin, ministre chargé du budget et des comptes publics, et j'ai bon espoir que le PLF soit rapidement adapté à ces orientations. La semaine dernière, à l'occasion d'une question d'actualité au Gouvernement et en mon absence, le ministre chargé du budget et des comptes publics a indiqué que nous arriverions vraisemblablement, à la fin du processus parlementaire, au niveau des crédits ouverts pour l'année 2024. Cet engagement a été non seulement pris par votre serviteur, mais aussi par le Gouvernement. Des échanges qui ont cours, il ressort donc un consensus sur le caractère essentiel de la préservation des engagements de l'État.
Les collectivités sont amenées à contribuer à la réduction de la dépense publique, au travers de la mise en place d'un fonds de précaution, inscrit dans les dispositions de l'article 64 du PLF 2025. S'il devait être appliqué, ce dispositif contribuerait à prélever quasiment 86 millions d'euros auprès des collectivités ultramarines. Le dialogue que Catherine Vautrin, ministre chargé du partenariat avec les territoires et de la décentralisation, et moi-même avons eu a permis, à l'exception de trois établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) dont le sort demeure en discussion - deux d'entre eux sont situés à La Réunion -, d'aboutir à l'exonération totale des collectivités ultramarines de ce dispositif.
Par ailleurs, j'ajoute que les crédits obtenus doivent correspondre à la capacité des acteurs de les dépenser dans de bonnes conditions. Votre commission l'a déjà souligné dans les années précédentes. Du reste, je ne reprends pas à mon compte les propos de ceux qui affirment que les crédits budgétaires sont sous-consommés, ce qui ne correspond pas à la réalité. Je remarque simplement qu'il faut vérifier, à chaque fois qu'un euro est dépensé, qu'il est nécessaire pour tenir les engagements qui ont été pris.
De plus - et la commission l'a également déjà constaté -, il convient d'être vigilant quant à la consommation des fonds européens qui viennent souvent en appui des fonds nationaux et qui sont variables d'un territoire à l'autre. À un moment de forte contrainte sur les finances publiques nationales, il nous faut porter une attention toute particulière - et je l'aurai - sur leur emploi dans les territoires ultramarins.
Si je souhaite agir vite pour ce qui relève presque de l'évidence, nous pouvons aussi nous donner des perspectives de moyen, voire de long terme. C'est en ce sens, d'ailleurs, que le Premier ministre a rappelé devant les élus ultramarins rassemblés par le Président du Sénat qu'il fallait « relever la ligne d'horizon », autrement dit, sortir de l'urgence, pour se donner une stratégie à plus longue échéance.
Avec la réserve que commande la situation politique que nous connaissons, je vous indique que nous dirigerons, dans les mois qui viennent, nos efforts, en lien avec tous les ministres concernés, dans plusieurs directions.
Premièrement, nous renforcerons l'appui de l'État au développement des territoires et à la création de valeur.
La notion de création de valeur est particulièrement importante en ce qu'elle renvoie à la capacité de ces territoires à produire de la richesse et à entraîner un cercle vertueux lié à leur développement.
Pour soutenir l'investissement des collectivités et permettre de répondre aux attentes légitimes de nos compatriotes, qui supposent le portage de projets aussi divers que des équipements routiers ou des centres de santé, la nouvelle génération des contrats de convergence et de transformation (CCT) vient d'être signée avec un engagement de l'État à hauteur de 794 millions d'euros concernant la période de 2024 à 2027.
Pour 2025, il est souhaitable que les crédits que nous allons mobiliser répondent effectivement à la capacité d'engager des projets et qu'ils soient lissés sur une période plus longue de six années, à l'instar des contrats de plan État-région (CPER). Au-delà de l'aspect purement financier, cela nous permet de disposer d'échelles de délais harmonisées. Dans ce cadre, nous sommes parvenus à caler au plus près des besoins le montant de l'annuité nécessaire, en fonction, d'une part, de la montée en charge de ces nouveaux contrats, d'autre part, du solde de la génération de contrats précédente.
De la même manière, le niveau des crédits du fonds exceptionnel d'investissement (FEI) est fixé en fonction de ce qui apparaît soutenable pour les collectivités. Le montant de 160 millions d'euros adopté en 2024 n'a pas donné lieu à une exécution correspondante, ce qui traduisait sans doute le niveau trop élevé de ces crédits. Nous revenons donc cette année à 110 millions d'euros en AE. C'est finalement non une réduction, mais un ajustement avec l'exécution du budget de l'année courante.
Par ailleurs, les communes les plus fragiles seront accompagnées dans l'assainissement de leurs finances au titre des contrats de redressement en outre-mer (Corom), dispositif dont le bilan est très positif. Il y a deux ans, au cours d'un déplacement aux Antilles entrepris avec la commission des lois, j'observais que le dispositif commençait à se mettre en place, notamment dans la commune de Fort-de-France où nous nous étions rendus. À l'occasion d'un nouveau déplacement en Martinique la semaine dernière, j'ai constaté qu'il porte à présent ses fruits. Les crédits nécessaires à la mise en oeuvre des douze contrats en cours et au respect des engagements pris sur les précédents contrats s'élèvent à un peu moins de 10 millions d'euros en AE et à 21,7 millions d'euros en CP.
Il est essentiel que les moyens de l'Agence française de développement (AFD), consacrés tant au financement des collectivités territoriales, avec des prêts favorisant le développement durable des outre-mer, qu'au soutien à l'ingénierie locale, soient sanctuarisés. Sur l'ingénierie, l'idée est non de se substituer aux collectivités territoriales et à leurs élus, qui ont leur légitimité, mais de leur apporter ponctuellement, à leur demande, une aide pour débloquer des dossiers sur des missions de courte durée.
Je n'oublie pas les dispositifs fiscaux portés par la mission « Outre-mer », lesquels participent au développement des outre-mer. La défiscalisation des investissements productifs est ainsi prolongée jusqu'en 2029.
Deuxièmement, notre volonté est de donner des perspectives à la jeunesse de nos territoires.
La quasi-totalité de la jeunesse ultramarine est confrontée à des problématiques fortes en matière de formation, d'insertion professionnelle et de vie dans la Nation. Les besoins sont immenses et les réponses doivent être multiples pour, d'une part, faire face à la croissance démographique, par exemple à Mayotte et en Guyane. D'autre part et inversement, il faut remédier aux départs massifs des jeunes ultramarins : ainsi, en Martinique où l'on est passé en moins de dix ans de 380 000 à 340 000 habitants ; quant à la population de Guadeloupe, elle s'établit à 378 561 habitants, contre quelque 400 000 en 2011 ; et le même constat alarmant concerne Wallis-et-Futuna.
Afin de répondre à ces dynamiques démographiques, 115 millions d'euros sont mobilisés en faveur du financement de projets de construction, de rénovation ou d'extension d'établissements scolaires existants, pour accueillir dans de bonnes conditions les élèves du premier degré à Mayotte et en Guyane, du second degré en Guyane et en Nouvelle-Calédonie, hors, pour cette dernière, les cas de reconstruction des bâtiments détruits après les événements du 13 mai 2024, qui bénéficient d'un financement spécifique.
Parallèlement, nous appuyons notre effort sur la valorisation des talents et des résultats des jeunes ultramarins qui effectuent des parcours remarquables ainsi que sur le développement du vivier des cadres locaux au travers du programme « Cadres d'avenir », qui accompagne cette année près de 110 talents vers l'excellence. L'aide au retour des forces vives et l'accompagnement des étudiants seront également au centre des nouvelles mesures qui seront portées par l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (Ladom). Au total, 22 millions d'euros financeront l'aide à la formation professionnelle, dont 11 millions seront consacrés aux dispositifs locaux de formation des cadres.
Les moyens du service militaire adapté (SMA) s'élèveront à 73 millions d'euros en AE et à 59 millions d'euros en CP. C'est sincèrement le fleuron de l'insertion professionnelle d'un des publics les plus éloignés du marché de l'emploi. L'efficacité du dispositif n'est plus à démontrer : il a su atteindre au cours des dernières années un taux d'insertion supérieur à 75 % de ses 6 000 jeunes volontaires stagiaires.
Plus largement en matière d'emploi, nous sommes attentifs à l'efficacité du dispositif d'exonération des cotisations sociales, issu de la loi pour le développement économique des outre-mer (Lodéom). À cet égard, la réforme nationale des exonérations de cotisations sociales patronales, prévue par l'article 6 du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) devra être adaptée aux outre-mer. C'est pourquoi le Gouvernement a prévu une habilitation à légiférer par ordonnance en ce sens, dans le même article ; l'Assemblée nationale l'a cependant supprimé. Nous verrons si le Sénat le rétablira. Ici, le risque serait que nous ne maîtrisions pas assez rapidement les conséquences, potentiellement néfastes, de la réforme sur les outre-mer.
Troisièmement, nous devons conforter le pouvoir d'achat des ultramarins.
La question du pouvoir d'achat constitue évidemment une attente forte. Le protocole d'objectifs et de moyens de lutte contre la vie chère pour la Martinique signé le 16 octobre dernier par les collectivités locales, les entreprises et l'État permettra au 1er janvier prochain de baisser de 20 % les prix de 6 000 produits alimentaires de grande consommation, représentant 69 familles de produits. Les conditions de son adaptation à d'autres départements et régions d'outre-mer (Drom) doivent être étudiées, car une telle dynamique fondée sur la synergie des efforts de chacun semble être extrêmement positive.
Cette orientation complète les outils déjà mis en avant par le ministère : appui à la négociation des « boucliers qualité prix », moyens consacrés aux observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR), qui s'élèveront à 600 000 euros en 2025. Ce montant sera revu afin de tenir compte des engagements pris au profit de l'OPMR des Antilles.
Quatrièmement, notre priorité est l'amélioration des conditions de vie du quotidien.
Il convient d'insister sur le logement. Les crédits inscrits à la ligne spécifique qui le concerne dans le programme 123, la ligne budgétaire unique (LBU), atteignent 260 millions d'euros en AE et 184 millions d'euros en CP, soit une diminution de 32 millions d'euros en AE par rapport à la loi de finances pour 2024. Cette diminution des crédits ne remet en question ni le niveau de l'intervention de l'État, ni la dynamique engagée depuis plusieurs années, qui, en 2024, a notamment permis le financement de la construction et de la réhabilitation de plus de 8 500 logements ; elle tient compte de la difficulté à consommer l'ensemble du budget alloué.
Pour continuer à accélérer la construction et la réhabilitation de logements, au-delà même de la LBU, l'action conduite avec l'ensemble des parties prenantes, dont les collectivités, doit permettre d'innover, d'associer de nouveaux partenaires, de trouver des solutions moins coûteuses. D'ici au début de l'année prochaine, le plan Logement outre-mer (Plom) 3 fixera les priorités de cette action commune ainsi qu'une stratégie adaptée.
S'agissant enfin de la continuité territoriale, qui constitue un enjeu majeur d'équité et de solidarité envers nos compatriotes ultramarins, j'ai toutes les assurances que les moyens seront maintenus.
Nos compatriotes ultramarins formulent d'autres attentes fortes, notamment quant à la réponse au risque naturel spécifique qui les concerne. Aussi, le plan Séisme Antilles, pour atténuer les conséquences des séismes, sera-t-il financé à hauteur de 600 000 euros sur la mission « Outre-mer ». Ces crédits appuient des projets locaux, afin de préserver la viabilité des opérations lancées, en venant compléter les moyens mis en oeuvre par les différentes politiques sectorielles - logement, santé, infrastructures, entre autres. Par exemple, les crédits du fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), plus connu sous le nom de « fonds Barnier », inscrits au titre du plan Séisme Antilles s'élèvent à pratiquement 32 millions d'euros dans le CCT de la Martinique et à 33 millions d'euros dans celui de la Guadeloupe pour la période 2024-2027. Nous avons conscience de l'importance capitale de ces dispositifs, tout en notant que nos compatriotes ultramarins sont parfois beaucoup plus en avance que nous, dans l'Hexagone, dans le traitement de ces risques auxquels la nature les expose.
Je veillerai également à ce que les crédits dédiés aux plans chlordécone et sargasses, contenus dans le programme 162 « Interventions territoriales de l'État », soient maintenus à un niveau compatible avec l'avancement des plans, lesquels en sont à la moitié de leur exécution et fonctionnent de manière plutôt satisfaisante.
Outre les crédits de mon ministère, de nombreuses missions financent des politiques publiques qui intéressent les outre-mer. Il importe, à l'occasion des discussions parlementaires qui s'ouvrent au Sénat sur le PLF 2025, d'y apporter une attention particulière, à la mesure de la résonance des événements qui traversent ces territoires. Je pense notamment à la situation spécifique de Mayotte et aux travaux en cours destinés à assurer sa convergence économique et sociale avec l'Hexagone selon un rythme adapté. Il faut également que l'effort de reconstruction et de refondation de la Nouvelle-Calédonie soit pris en compte. Des crédits d'urgence consacrés à ces deux territoires devront faire l'objet d'un traitement budgétaire propre.
Au-delà des enjeux du débat budgétaire lui-même, je n'ignore pas que de nombreuses réflexions relatives aux évolutions institutionnelles des territoires ultramarins existent. Nous ne sommes à cet égard fermés à rien par principe. Toutefois, il convient que d'éventuelles évolutions soient analysées avec précision ; de plus, elles ne peuvent constituer la seule réponse de l'État et des élus locaux aux difficultés qu'ils rencontrent. Je rappelle que nous attendons toujours le rapport de Pierre Egéa et Frédéric Monlouis-Félicité que le Président de la République leur a demandé de rédiger sur la question. Nous l'espérons pour la fin de ce mois de novembre. Il sera intéressant de prendre connaissance de la position de ses auteurs et de leurs propositions.
Je répète devant vous les propos que j'ai tenus hier ou lors de mes déplacements dans les territoires ultramarins : quelle qu'elle soit, toute modification institutionnelle ne saurait être vue comme une solution à tous les maux que vivent nos territoires. C'est un outil, non une fin en soi. Construisons au préalable les projets de développement à moyen et long termes, puis prévoyons, le cas échéant, des réformes institutionnelles pour les rendre plus efficaces. Cela me paraît de bon sens, mais on peut ne pas être d'accord avec cette approche.
Je rappelle encore, pour mémoire et quoiqu'elles ne relèvent pas directement de mon ministère, l'importance des questions migratoires, de sécurité et de lutte contre les ingérences pour plusieurs territoires ultramarins. Ces sujets ressortissent d'abord au ministère de l'intérieur, au ministère des affaires étrangères, voire, parfois, à celui des armées.
Les débats et échanges qui vont à présent s'ouvrir dans la perspective de la réunion du comité interministériel des outre-mer (Ciom) nous permettront d'aborder les enjeux des politiques publiques autour de quatre thèmes : la création de valeur, la jeunesse et l'insertion professionnelle ; la transition écologique et ses filières de décarbonation ; l'énergie et les transports ; et l'accès aux services publics - en particulier le logement, la santé et l'eau. L'objectif est de créer davantage de valeur dans les territoires, au profit de leurs habitants, avec une attention particulière en direction de la jeunesse et de l'accès aux services publics. Les enjeux de résilience de nos territoires ultramarins sont également au coeur des préoccupations.
Pour terminer, je tiens à évoquer trois grands sujets qui me tiennent à coeur.
En premier lieu, la souveraineté de nos territoires, qui s'exerce aussi au travers de la souveraineté alimentaire. Nourrir les populations ultramarines en assurant la sécurité alimentaire des territoires est une priorité. Il s'agit d'accompagner les principales évolutions de l'agriculture ultramarine en apportant un soutien aux filières de production qui permette aux exploitations et aux entreprises de tendre, dans leur organisation, vers un modèle durable et attractif. La question intéresse notamment au premier chef la Martinique, dont l'autonomie alimentaire ne dépasse pas 20 %, en dépit d'une incontestable capacité à mieux faire.
En deuxième lieu, l'économie bleue. L'Année de la mer, qui s'ouvrira en janvier prochain, constitue l'occasion de susciter un élan autour des enjeux maritimes. Ceux-ci représentent autant d'atouts et de leviers de développement économique et d'emploi dans nos outre-mer, particulièrement pour les plus jeunes à qui ils offrent des perspectives d'insertion professionnelle locale dans de nombreux secteurs : transports, pêche, aquaculture, tourisme bleu et métiers portuaires notamment.
En troisième lieu, évidemment, le pouvoir d'achat. En dehors des expérimentations qui ont cours et des outils de limitation des prix, je souhaite lancer une réflexion plus large en ouvrant un cycle d'échanges, de débats et d'engagements associant l'ensemble des acteurs autour d'un Oudinot de la vie chère. Il me semble que, sur ce point particulier, s'intriquent des choses inexactes, d'autres réelles, d'autres enfin que nous ne maîtrisons pas totalement. Pour ne pas se retrouver systématiquement dans des situations critiques, il est temps que nous ayons un instant de vérité sur ce sujet. Nous ne partons pas de rien : des études et des travaux existent. La délégation aux outre-mer du Sénat s'est également emparée de la question. Unissons donc nos forces avec l'ensemble des parlementaires, afin d'obtenir une vision claire de la situation, sur la base de laquelle nous tâcherons ensuite de construire une politique adaptée et équilibrée, qui permette de recouvrer quelque stabilité. C'est de cette stabilité que naîtra incontestablement la confiance de nos compatriotes et de tous les acteurs des territoires ultramarins, partant la capacité à y élaborer des projets durables.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Les maires de Nouvelle-Calédonie ont demandé hier à l'État une aide exceptionnelle afin de procéder à la reconstruction de l'économie locale. La crise consécutive au projet de réforme du corps électoral aurait en effet représenté un coût évalué à 180 millions d'euros pour les communes calédoniennes, qui n'ont dès lors plus les moyens de répondre aux besoins urgents de leur population. Vous vous êtes rendu sur place et avez pu constater la gravité de la situation locale.
L'État a déjà apporté de premières aides financières et en a annoncé de nouvelles plus récemment à destination de la Nouvelle-Calédonie. Au-delà de la question budgétaire qui se pose indubitablement - et qui n'est pas nécessairement portée par la mission « Outre-mer », vous l'avez rappelé - la question est celle de la reprise du dialogue. Sur ce point, où en est-on ?
M. Teva Rohfritsch, rapporteur pour avis sur les crédits de la mission « Outre-mer ». - La commission des lois adoptera demain son avis sur les crédits de la mission « Outre-mer » et je compte beaucoup sur la présente audition pour parfaire le rapport dont elle m'a confié l'élaboration.
Monsieur le ministre, nous percevons votre souhait de bien faire et je partage l'ambition de « relever la ligne d'horizon » aux moyen et long termes. Il n'en demeure pas moins qu'avec l'échéance du PLF 2025, vous héritez d'une situation particulièrement complexe. Des crises se manifestent un peu partout, que ce soit en Martinique, en Guadeloupe, en Nouvelle-Calédonie, en Guyane ou à Mayotte. La Polynésie fait - j'en suis heureux - quelque peu exception en ce moment et nous travaillons tous à ce que cela demeure ainsi. Vous faites également face à une baisse exceptionnelle du budget dont vous êtes chargé, en dépit d'une petite hausse concernant le programme 138, qui intègre déjà une réforme des exonérations de cotisations sociales, prévue par l'article 6 du PLFSS. Outre les chiffres globaux que vous avez confirmés, ce qui est frappant, c'est l'effet en dents de scie des baisses : certaines actions connaissent en effet une diminution de leurs crédits jusqu'à 75 %, ce qui peut remettre en question la politique publique menée par l'État.
Or, il est nécessaire que l'État tienne ses engagements. Je vous remercie de le présenter comme une priorité, car c'est un gage de stabilité et de confiance. Si, évidemment, il importe de participer à l'effort national, afin que la charge de la dette ne soit pas le premier budget de la nation, il convient de vous ménager la possibilité de déployer votre action et de faire en sorte que nous sortions de cette situation de crise permanente dans nos outre-mer.
Avez-vous une idée des échéances d'arbitrage qui se dessinent ? Dans le combat que vous menez actuellement, quelles perspectives pouvez-vous offrir à notre commission sur le rétablissement a minima d'une jauge acceptable, qui vous permette de mener à bien les nombreuses actions que vous avez citées ? Par ailleurs, au sujet du fonds vert, je signale qu'il est un outil précieux dans nos collectivités du Pacifique, où nous avons à coeur de contribuer à la lutte contre les effets du changement climatique.
Nous sommes nombreux à vos côtés pour rétablir cette jauge. Les rapporteurs spéciaux ont proposé un rejet des crédits de la mission, mais la commission des finances s'est ensuite prononcée différemment. Pouvez-vous nous en dire plus sur la situation qui prévaut, étant précisé que la direction générale des outre-mer (DGOM) a entrepris beaucoup d'efforts depuis quelques années avec nos collectivités pour aller dans le sens d'une consommation effective des crédits ?
Mme Corinne Narassiguin. - Je souhaite vous interroger plus particulièrement sur la Nouvelle-Calédonie. Vous avez annoncé, lors de votre déplacement, un prêt garanti par l'AFD de 500 millions d'euros et, lors des débats parlementaires, 170 millions supplémentaires. Est-ce toujours d'actualité ?
Le congrès de la Nouvelle-Calédonie, au travers de son plan quinquennal de reconstruction de l'archipel, avait sollicité 4,2 milliards d'euros sur cinq ans : nous sommes bien loin de ce chiffre. Quels sont donc les dispositifs à moyen et long termes prévus par le Gouvernement pour la reconstruction de la Nouvelle-Calédonie ? Il me semble que le consensus prévaut tant au sein du congrès et du gouvernement de Nouvelle-Calédonie que dans les groupes politiques au Sénat sur le fait que les prêts garantis et les avances de trésorerie ne suffiront pas et qu'il faut des investissements plus directs de l'État dans cet effort de reconstruction.
Par ailleurs, je ne vois aucun budget prévu pour l'organisation des élections des assemblées provinciales reportée en 2025. L'achat de matériel a-t-il déjà été effectué ? Des crédits sont-ils sanctuarisés afin de permettre la tenue de ces élections l'année prochaine ?
Enfin, après que vous avez évoqué Mayotte, il m'intéresserait d'entendre plus nettement votre position sur le sujet des réformes institutionnelles. Dès lors qu'il parlait de plan d'urgence économique et social pour Mayotte, votre prédécesseur y associait souvent, sinon systématiquement, la question de la suppression du droit du sol. Le fait que vous indiquiez que les réformes institutionnelles ne revêtent pas un caractère d'urgence signifie-t-il que la suppression du droit du sol à Mayotte n'est plus pour vous à l'ordre du jour ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Le budget en discussion pour 2025 est difficile et contraint sur cette mission, comme il l'est dans tous les secteurs. En vous écoutant, je m'interroge : qu'avons-nous fait pendant dix ans dans ces territoires pour en être arrivés là ? Quand on la chance d'en connaître certains, on se dit que l'argent public n'y a peut-être pas été utilisé au bon endroit au bon moment. Aujourd'hui, nous n'avons d'autre solution que de vous suivre dans vos propositions. Une attitude contraire serait irresponsable. Mais probablement faudra-t-il désormais faire mieux avec moins.
Le sujet de la jeunesse m'est cher. Vous avez expliqué que, dans certains territoires, de nombreux jeunes partaient pour la métropole. Je ne suis cependant pas sûre que, en l'absence de formation, leur avenir soit meilleur en France. Envisagez-vous de soutenir la mise en place de formations sur place à leur attention et de les conduire véritablement vers des métiers dont on a besoin dans les territoires ultramarins, afin qu'ils puissent demeurer dans ces territoires et participer à leur développement ? Il faut donner de l'espoir à cette jeunesse ; une jeunesse sans espoir, c'est très triste !
M. François-Noël Buffet, ministre. - De nombreuses actions ont été entreprises depuis dix ans pour répondre aux problématiques auxquelles font face les outre-mer : il n'y a pas eu un territoire dans lequel l'État n'a pas investi, soit directement, soit en accompagnement des collectivités locales. En revanche, nous n'avons pas suffisamment travaillé sur des stratégies de moyen et long termes et nous nous sommes limités à une spécialisation de chacun de ces territoires - par tel ou tel investissement industriel - sans concevoir une politique globale. Il faut changer de méthode et, en prévision du Ciom de mars 2025, établir un document de synthèse portant une vision pour l'ensemble des territoires d'outre-mer, de manière à créer une stratégie d'avenir à laquelle tous les acteurs s'agrègent, avec une adaptation de nos politiques publiques en conséquence.
Ce travail, s'il est effectué dans un délai assez rapide, pourra servir de base durable pour l'avenir. Disons les choses telles qu'elles sont : les outre-mer ont souffert ces dernières années. En deux ans, je suis le quatrième ministre chargé de ce portefeuille : comment, dans ces conditions, inscrire une politique et une stratégie pour l'ensemble des outre-mer dans la durée ? Il nous faudra élaborer ce document stratégique pour contourner cette difficulté.
En ce qui concerne la jeunesse, des centres de formation de qualité existent en Martinique, notamment dans le secteur de l'hôtellerie et de la restauration, mais il reste difficile de trouver des emplois sur place une fois la formation terminée : les jeunes partent alors vers l'Hexagone ou ailleurs, mais ont souvent de grandes difficultés à revenir ensuite en raison de l'absence d'infrastructures correspondant à leur niveau de qualification.
Il conviendra de plus d'assurer le développement économique qui permettra de relever le niveau d'investissement et de donner la possibilité aux jeunes qui souhaitent rester de trouver le travail qu'ils souhaitent. Ce travail de fond prendra du temps et ne pourra fonctionner qu'à la condition de tenir une stratégie dans la durée, en précisant que nous connaissons les mêmes situations dans nos communes et nos départements. Ne nous y trompons pas : la possibilité pour ces jeunes d'accéder à l'emploi qualifié joue un rôle dans la perte de population enregistrée dans les différents territoires, même si nous ne l'avons pas quantifié précisément.
Pour en revenir au sujet budgétaire, nous avons rajouté 65 millions d'euros en AE et 78 millions d'euros en CP à la mission « Outre-mer » dans le projet de loi de finances de fin de gestion, ce qui permettra de « boucler » l'année 2024 dans de bonnes conditions. Pour ce qui est de 2025, nous avons d'ores et déjà évité un coup de rabot de 80 millions d'euros sur la mission « Outre-mer », ce qui est une bonne chose.
Au-delà de ce rappel, comment faire pour remonter le niveau ? Tout d'abord, rappelons que nous vivons une situation particulière, le budget n'étant pas finalisé. Certes, des lettres plafonds ont été rédigées au mois d'août, mais leurs conséquences nous ont placés - en particulier pour l'outre-mer - dans une difficulté majeure. Le débat parlementaire nous fournit l'occasion de progresser en marchant. Comme l'a expliqué tout à l'heure le Premier ministre lors des questions d'actualité à l'Assemblée nationale, il a dû construire un budget - dont il considère lui-même qu'il n'est pas abouti - en quinze jours.
Nous progressons donc au fur et à mesure, par le biais des arbitrages déjà obtenus qui nous permettent de reprendre environ 60 millions d'euros, et je ne désespère pas d'obtenir une nouvelle progression des crédits dans les heures et les jours qui viennent. À cet égard, j'attire votre attention sur l'importance du débat parlementaire, singulièrement au Sénat. Il est absolument essentiel que nous retrouvions un niveau satisfaisant de crédits. La situation n'est pas la plus confortable pour un ministre, car nous préférerions anticiper davantage, mais nous devons composer avec cette situation.
Pour ce qui concerne la Nouvelle-Calédonie, mon déplacement et la mission des présidents des deux assemblées ont continué à conforter un processus mettant l'accent sur le fait qu'il fallait se mettre autour de la table pour trouver des mesures de redressement économique et social pour le territoire, lequel est au bord du gouffre.
Outre des discussions entre les élus de Nouvelle-Calédonie, plusieurs initiatives sont en cours, dont le plan de sauvegarde, de refondation et de reconstruction (PS2R), dans le cadre d'une contractualisation sur trois ans. S'y ajoutent des propositions du congrès de la Nouvelle-Calédonie de diverses natures, le Gouvernement souhaitant aboutir à une convergence réelle des points de vue. Si j'ai un message à vous faire passer en amont des débats, c'est qu'il faut faire fi des problèmes de personnes et se soucier prioritairement des intérêts de la Nouvelle-Calédonie et de nos compatriotes, car nous n'avons plus la possibilité de commettre une erreur, ni le luxe d'attendre.
Sur le plan financier, je rappelle que le montant total des transferts de l'État vers la Nouvelle-Calédonie s'établit en temps normal à 1,7 milliard d'euros. Après les événements du 13 mai dernier, 400 millions d'euros ont été versés par l'État pour soutenir l'emploi, les entreprises et les collectivités, auxquels se sont ajoutés 250 millions d'euros pour financer le chômage partiel dans le cadre d'un dispositif qui devait s'arrêter en octobre et qui a été prolongé jusqu'en décembre, ainsi que 4 millions d'euros pour prendre en charge les navettes mises en place par la province Sud en raison de l'impraticabilité de la route de Saint-Louis à la suite d'exactions.
Pour 2025, l'État a annoncé 500 millions d'euros dans le cadre d'un prêt de l'AFD, sans oublier 170 millions d'euros supplémentaires de garanties pour les comptes sociaux et le logement. J'ai également signé à Nouméa une circulaire pour la reconstruction des bâtiments publics, avec une prise en charge intégrale par l'État s'agissant des bâtiments scolaires. Les discussions continuent, le Premier ministre ayant proposé d'augmenter le montant de garantie de l'État au prêt de l'AFD de 770 millions d'euros à 1 milliard d'euros.
Ces efforts suffiront-ils ? À l'évidence, pas à eux seuls. Emmanuel Moulin, à qui le Premier ministre a confié une mission, se rendra sur place dès la fin de cette semaine pour aider à la mise en oeuvre de toutes ces aides financières et à la reconstruction économique et sociale du pays. Il s'agit en tout cas d'une première étape importante afin de s'inscrire à la fois dans l'urgence et dans la durée, en vue de bâtir l'avenir.
Par ailleurs, la question de la filière du nickel reste posée. Parmi les points positifs à signaler, l'usine de la province Sud a pu redémarrer après la réparation d'un transformateur électrique, tandis que des repreneurs se sont manifestés pour l'usine de la province Nord.
Sur le plan institutionnel, la mission menée par Gérard Larcher et Yaël Braun-Pivet a permis d'établir un calendrier, en demandant à l'ensemble des groupes et partis politiques de faire des propositions d'ici au début du mois de décembre. En parallèle de la reconstruction économique, nous devrions pouvoir présenter une ébauche de solution au début de 2025.
Le financement des élections provinciales, quant à lui, dépend du ministère de l'intérieur.
Quant à Mayotte, trois textes pendants n'avaient pas été déposés par le gouvernement précédent et ne l'ont pas encore été par le Gouvernement. Les éventuelles évolutions législatives interviendront probablement dans le courant de l'année prochaine, et aucune proposition ne porte, à l'heure actuelle, sur le droit du sol ou d'autres sujets. La particularité budgétaire de Mayotte est qu'il faut sanctuariser 100 millions d'euros afin de permettre la convergence sociale.
La reprise du dialogue est à l'évidence une bonne chose et nous avons besoin de toutes les bonnes volontés afin que les choses avancent.
Quelques précisions, enfin, sur l'engagement budgétaire de l'État pour 2025, afin de nous rapprocher du niveau de 2024 : certains dispositifs pourraient être concernés par des hausses de crédits bienvenues, dont les CCT, le Corom, la LBU et les crédits d'intervention de l'AFD. Tous ces points sont en discussion.
M. Christophe Chaillou. - Je souhaite attirer votre attention sur la diminution de certains crédits, en particulier sur la baisse de 75 % des crédits de l'action 4 « Financement de l'économie » du programme 138 « Emploi outre-mer » qui concerne notamment l'aide au fret, ce qui recoupe la problématique de la cherté de la vie.
Par ailleurs, on constate une réduction de 30 % des crédits de Ladom, alors qu'il s'agit d'un acteur important de la mise en oeuvre de la politique de continuité territoriale.
Ces deux exemples nous interrogent sur le respect des engagements pris par l'État.
M. François-Noël Buffet, ministre. - Il s'agit en effet de deux lignes importantes sur lesquelles le débat parlementaire doit nous permettre de nous rapprocher du niveau de 2024, même s'il nous faudra participer à l'effort collectif.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Merci pour votre venue.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
Ministère des outre-mer
Direction générale des outre-mer (DGOM)
Mme Karine Delamarche, adjointe au directeur général des outre-mer
M. Baptiste Le Nocher, adjoint au sous-directeur de l'évaluation, de la prospective et de la dépense de l'État
Fédération des entreprises des outre-mer (FEDOM)
M. Hervé Mariton, président
M. Laurent Renouf, délégué général
Mme Ameline Berthonnaud, chargée de mission