EXAMEN EN COMMISSION
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Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous examinons maintenant le rapport pour avis de la mission « Sécurités », à l'exception du programme « Sécurité civile », du projet de loi de finances (PLF) pour 2025 qui fait l'objet d'un avis qui sera présenté ultérieurement par Françoise Dumont.
M. Henri Leroy, rapporteur pour avis sur la mission « Sécurités » (hors programme « Sécurité civile »). - Avant de vous livrer mon analyse du budget prévu pour l'année prochaine, je souhaiterais formuler certaines observations sur l'exercice 2024, qui est riche de leçons pour l'avenir.
Première observation : le défi de la sécurisation des jeux Olympiques et Paralympiques a été relevé.
Le coût fut certes important pour les forces de l'ordre : il a été évalué à 1,1 milliard d'euros, en incluant l'ensemble de la période de préparation. Mais nous devons ce succès à un engagement sans faille, d'une rare intensité, des femmes et des hommes de la police et de la gendarmerie, qui ont été durement mis à l'épreuve.
Nos concitoyens en ont eu bien conscience et le climat dans lequel les jeux se sont déroulés a bien montré que, dans leur immense majorité, et en dépit de ce que l'on peut parfois entendre, ils aiment leur police et leur gendarmerie.
Il est impératif que le Gouvernement, de son côté, honore les engagements qu'il avait pris envers les policiers et les gendarmes, notamment en termes de primes et de versement des heures supplémentaires. Les ouvertures de crédits prévues dans le projet de loi de finances de fin de gestion doivent permettre leur mise en paiement dès cette année.
Une leçon, à la fois essentielle et simple, peut être tirée de l'organisation des jeux : il est possible de sécuriser efficacement l'espace public dès lors qu'on s'en donne les moyens.
Deuxième observation : la police et la
gendarmerie ont dû faire face à une succession de crises, qui ont
culminé avec les émeutes
en Nouvelle-Calédonie,
où une quarantaine d'escadrons sont actuellement engagés.
L'année qui s'achève a également été marquée par un certain nombre de mouvements sociaux violents : contre l'autoroute A69, contre les méga-bassines, contre la vie chère en Martinique et en Guadeloupe... L'année précédente, il y avait eu les émeutes urbaines de l'été.
La récurrence de ces menaces à l'ordre public, tout particulièrement dans les outre-mer, doit nous interpeller. Les conflits sociaux qui traversent la France présentent aujourd'hui davantage de risque de dégénérer en crise. C'est un fait dont nous devons prendre pleinement conscience, y compris lorsque nous nous intéressons au budget des forces de sécurité, car la gestion de ces crises représente toujours un surcoût.
À cet égard, je verse au débat la proposition suivante : nous pourrions engager une réflexion pour intégrer à ces budgets une forme de provision pour surcoûts liés aux crises, comme cela se fait déjà dans le budget de la défense au titre des surcoûts pour opérations extérieures (Opex), lesquels sont chroniques. Cela irait, me semble-t-il, dans le sens d'une sincérisation du budget de la sécurité intérieure.
Troisième et dernière observation sur l'exercice 2024 : le contexte budgétaire a radicalement changé. Alors même que la crise sanitaire est derrière nous, le déficit public a continué à se détériorer fortement en 2024, pour atteindre 6,1 % du PIB.
Pris au piège de ses erreurs de prévisions, le gouvernement précédent a tenté de rectifier le tir en février dernier avec un décret d'annulation de crédits à hauteur de 10 milliards d'euros, qui n'a pas épargné la mission « Sécurités ». La police a principalement été concernée, avec une annulation de 134 millions d'euros, soit 7 % de son budget de fonctionnement et d'investissement.
La situation dégradée de nos finances publiques est une donnée structurelle que nous devons malheureusement intégrer pour les années à venir.
J'en viens maintenant à mon analyse du budget pour 2025. Commençons par souligner que celui-ci est en augmentation.
En effet, le projet de loi de finances pour 2025 prévoit une enveloppe totale d'environ 24 milliards d'euros, dont environ 13 milliards d'euros pour la police et 11 milliards d'euros pour la gendarmerie. Cela représente une hausse en crédits de paiement d'environ 1 milliard d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2024, soit une progression de 4,2 %, ce qui n'est pas négligeable. La hausse concerne d'ailleurs les deux forces : elle est de 3,4 % pour la police nationale et de 5,2 % pour la gendarmerie nationale.
Pour autant, peut-on considérer que ce budget respecte la loi du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) ? Assurément, il s'inscrit dans la dynamique que nous avons souhaité impulser en votant ce texte il y a bientôt deux ans. Toutefois, si l'on regarde les choses dans le détail, la réalité est plus complexe.
De manière globale, les crédits prévus pour le programme 176 « Police nationale » et le programme 152 « Gendarmerie nationale » respectent la cible prévue. S'agissant de la gendarmerie, ils la dépassent même. Cependant, deux éléments doivent nous conduire à nuancer ce constat.
Premièrement, les dépenses de fonctionnement et d'investissement de la police ne sont pas à la hauteur escomptée. Il faut le rappeler, la Lopmi distinguait deux trajectoires : l'une pour les crédits totaux du programme, l'autre pour les seuls crédits de fonctionnement et d'investissement, dits hors titre 2. L'un des objectifs majeurs de la Lopmi était d'interrompre l'effet ciseau qui avait été observé à la fin des années 2010 entre la masse salariale et les moyens matériels des forces : immobilier, équipement, numérique...
Or, pour la police, les crédits hors titre 2 resteraient stables à périmètre constant par rapport à la loi de finances pour 2024, tandis qu'une progression de 100 millions d'euros était requise pour atteindre la cible de la Lopmi. En termes d'investissement, ce sont les plans de renouvellement automobile qui en font les frais, alors que les besoins en la matière demeurent importants.
S'agissant de la police, la Lopmi n'a, au fond, pas réussi à enrayer durablement l'effet ciseau que je viens d'évoquer. Les différentes mesures salariales générales et catégorielles qui ont été prises au cours des années récentes, comme la hausse du point de la fonction publique, ont entraîné une dynamique incompressible des dépenses de personnel, qui « cannibalisent » l'enveloppe de la Lopmi. Le constat est sans appel : sur les 4,8 milliards d'euros de crédits supplémentaires prévus pour la police, 70 % devaient être affectés à des dépenses hors titre 2. In fine, la proportion s'est plus qu'inversée, de telle sorte que les dépenses de personnel devraient consommer 78 % de l'enveloppe.
Deuxièmement, se pose la question des effectifs. La Lopmi prévoyait la création de 356 ETP (équivalents temps plein) dans la police et 500 ETP dans la gendarmerie en 2025. Au final, il n'en sera rien : le PLF prévoit un schéma d'emplois nul pour ces deux programmes. Le ministère sera uniquement autorisé à recruter pour compenser les départs, alors que les missions supplémentaires confiées aux forces de sécurité dans le cadre de la Lopmi resteraient, quant à elles, inchangées.
À court terme, ce schéma d'emplois nul pose avant tout problème pour la gendarmerie. La police a en effet bénéficié d'augmentations d'effectifs massives en 2023 et 2024, lui permettant d'atteindre environ 80 % de la cible totale prévue par la Lopmi.
En plus des sept escadrons déjà créés, la gendarmerie doit « armer » 238 nouvelles brigades. À la fin de 2024, 80 brigades auront été créées, qui mobilisent déjà environ 600 militaires ; 57 nouvelles créations sont prévues pour l'an prochain. La préservation de cet objectif suppose inévitablement un rattrapage important des créations d'emplois au cours des exercices 2026 et 2027, ce qui risque d'être difficile à atteindre dans le contexte budgétaire actuel. À défaut, l'atteinte de l'objectif sera inévitablement compromise, sauf à « désarmer » partiellement certaines brigades fixes existantes, ce qui paraît difficilement acceptable compte tenu des besoins.
Cela dit, et malgré ses défauts, nous devons replacer ce budget dans le contexte de la situation actuelle des finances publiques.
Le PLF 2025, dans son ensemble, doit enrayer la dynamique de la hausse de la dépense publique qui a marqué la période précédente. Il prévoit même, à périmètre constant, une contraction des dépenses nettes de l'État. Dans ce contexte, les budgets de la police et de la gendarmerie paraissent relativement préservés.
En effet, sur les trente-deux missions du budget général de l'État, si l'on exclut la charge de la dette, seules neuf autres missions connaîtraient en 2025 une hausse des crédits de plus de 100 millions d'euros, tandis que trois autres missions connaîtraient une hausse de plus de 500 millions d'euros. Les crédits de la police et de la gendarmerie progresseraient, je le rappelle, de 1 milliard d'euros.
Nous pouvons donc prendre acte d'une forme de sanctuarisation des budgets des forces de l'ordre. On peut donner crédit au Gouvernement d'avoir fait preuve de lucidité sur ce point, ce qui était indispensable au vu de l'ampleur et de la multiplicité des enjeux sécuritaires pesant sur notre pays, cela était indispensable.
Des efforts importants restent à mener, car la police comme la gendarmerie font encore face à certaines problématiques structurelles majeures. Ces efforts, pour l'essentiel, sont remis à plus tard.
Je pense aux nécessaires créations d'emplois restant à réaliser pour accomplir les missions, sans cesse plus larges, confiées à nos forces de l'ordre. J'en ai dit un mot s'agissant de la gendarmerie, mais le constat peut également s'appliquer à la police.
Je pense aussi à l'indispensable remise à niveau du parc immobilier de la gendarmerie. Cet important parc - environ 600 casernes - se trouve aujourd'hui dans un état fortement dégradé. Dans le cadre d'un récent contrôle budgétaire, notre collègue Bruno Belin, rapporteur spécial de la commission des finances, évaluait à 2,2 milliards d'euros le sous-investissement dont les emprises de la gendarmerie ont pâti au cours des dix dernières années : une véritable « dette grise ».
Le chantier qui est devant nous est donc colossal. Le budget 2025 permet d'amorcer un redressement, mais il est loin d'être suffisant pour engager des opérations de grande envergure. L'enjeu est pourtant essentiel. L'état dégradé du parc domanial conduit la gendarmerie à se reporter de façon accrue sur le parc locatif. Il en résulte une dynamique très importante des dépenses de loyers, qui s'élèvent aujourd'hui à près de 600 millions d'euros. Cet automne, la gendarmerie s'est même retrouvée en situation de ne pas pouvoir payer certains loyers, ce qui a suscité l'indignation bien légitime des collectivités territoriales bailleresses. Une telle situation ne doit pas se reproduire.
Face à cela, il est donc impératif de
rechercher des solutions pérennes. Le ministre de l'intérieur
nous a indiqué, lors de son audition la semaine dernière, qu'il
ne s'interdisait aucune piste, quitte à innover et faire appel au
privé. S'agissant d'opérations de grande envergure, le recours
à des partenariats public-privé pourrait constituer une piste
intéressante pour l'État en termes de trésorerie. Lors de
cette même audition, notre
collègue Marc-Philippe Daubresse a suggéré
la création d'une « foncière logement »
pour la gendarmerie. Une telle solution, innovante, mérite
assurément d'être expertisée.
En tout état de cause, nous ne pouvons laisser la situation telle quelle. Il y va de la bonne gestion de l'argent public et, surtout, de la dignité des conditions de travail que nous offrons aux militaires engagés dans les casernes de la gendarmerie.
Pour autant, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Sécurités », hors programme « Sécurité civile ». Le fait que ce budget, malgré ses limites et ses lacunes, continue d'augmenter alors que les dépenses de l'État sont soumises à une baisse générale constitue, indéniablement, un motif de satisfaction.
M. Hussein Bourgi. - Je remercie le rapporteur, dont tout le monde connaît l'expertise et l'attachement à ces corps de métier. Je souscris à l'essentiel de ses propos, mais je veux relever trois points qui suscitent notre inquiétude.
Il s'agit, d'abord, de l'objectif, voté dans la Lopmi, de la création de 8 500 postes d'ici à la fin du quinquennat. Pour cela, il aurait fallu créer des postes dès cette année, ce qui n'est pas le cas. Cet objectif ne sera donc pas atteint.
Il s'agit, ensuite, de la diminution de 8 % du budget consacré à la police judiciaire (PJ), laquelle a été soumise à une réforme, imposée au forceps. Pourtant, au même moment, les ministres concernés ont indiqué, lors d'un déplacement à Marseille, que 25 enquêteurs seraient affectés à la lutte contre le narcotrafic dans cette ville...
Il s'agit, enfin, de la création, prévue également dans la Lopmi, de 200 brigades de gendarmerie d'ici à la fin du quinquennat. Or le budget immobilier n'est pas au rendez-vous ; il ne permet déjà pas de payer les loyers dus aux collectivités et aux bailleurs.
Sans budget suffisant, la Lopmi sera vidée de sa substance.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Merci pour ce rapport détaillé.
Il faut regarder de près le budget consacré à la lutte contre le narcotrafic, en particulier dans les territoires ultramarins. Je veux évoquer le cas spécifique de la Polynésie française, où l'on constate une augmentation du trafic lié à une drogue de synthèse appelée « ice ». Les services compétents demandent les moyens dont ils ont besoin pour surveiller ce vaste territoire.
M. Georges Naturel. - Je remercie les gendarmes - 40 escadrons sont présents actuellement - qui permettent, depuis près de six mois, d'éviter qu'il y ait encore plus de drames en Nouvelle-Calédonie. Je rappelle qu'il y a eu treize morts, dont deux gendarmes. Les gendarmes ont notamment permis de rouvrir l'axe de Saint-Louis, longtemps bloqué, qu'ils surveillent et sur lequel il est maintenant possible de circuler de 6 heures à 18 heures.
Je veux évoquer le patrimoine immobilier. Les deux projets de construction de caserne, une à La Foa et l'autre à Bourail - la caserne avait été dévastée par un cyclone en 2003 -, sont pilotés par un opérateur social, la Société immobilière calédonienne (SIC).
Les collectivités et les opérateurs sociaux sont soumis à des contraintes budgétaires et financières. Ainsi, 55 % des locataires de la SIC, qui gère 11 000 logements, ne payent plus leurs loyers depuis trois ou quatre mois.
L'État ne pourrait-il pas accompagner cet opérateur social afin de permettre la construction des casernes ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Le coût de sécurité des jeux Olympiques et Paralympiques a été estimé, pour la période 2020-2024, à 1,1 milliard d'euros, dont 600 millions d'euros de dépenses non prévues pour 2024, incluant les primes. L'ancien ministre de l'intérieur avait indiqué avoir obtenu 400 millions d'euros de crédits supplémentaires de Bercy. Ces primes seront-elles bien versées en décembre ?
Les plus anciens d'entre nous se rappellent les 23 millions d'heures supplémentaires impayées des policiers, qui représentaient environ 270 millions d'euros. Christophe Castaner, alors ministre de l'intérieur, avait mis en place en 2018 un dispositif de résorption. Qu'en est-il aujourd'hui ?
M. Alain Marc. - Je félicite Henri Leroy pour son rapport exhaustif. Il a évoqué l'absence de recrutement de gendarmes supplémentaires, alors même que, en parallèle, des brigades sont créées. Je m'inquiète donc pour les petites brigades rurales. À effectifs constants et avec plus de missions, je ne vois pas comment elles vont y arriver ! Il est vrai qu'il faut souvent faire plus avec moins, mais lorsqu'il s'agit d'hommes et de femmes qui assurent la sécurité, cela est difficilement tenable.
Je voudrais être rassuré : pouvez-vous me confirmer qu'il n'y aura pas de fermeture de brigades ?
M. Olivier Bitz. - Je commencerai par une observation d'ordre général : la mission « Sécurités » ne reflète que très imparfaitement et de manière incomplète les efforts réalisés par la Nation pour sa sécurité. Au fil des années, nous nous sommes de plus en plus appuyés sur les polices municipales et le secteur privé de la sécurité. C'est également le cas au niveau technique : de nombreux investissements sont réalisés par les collectivités locales, avec le soutien de l'État, mais sur d'autres lignes que celles inscrites dans la mission « Sécurités ».
J'aimerais exprimer mon inquiétude quant au schéma d'emplois des policiers et des gendarmes. Je ne vois pas comment on peut donner la priorité à la lutte contre le narcotrafic en gardant les mêmes effectifs, ni comment nous allons porter à 3 000 le nombre de places en centres de rétention administrative (CRA) si l'on n'a pas les policiers pour surveiller les personnes retenues. Un schéma d'emplois nul ne permettra pas de réaliser ces objectifs.
Je suis également préoccupé par l'érosion des effectifs dans les brigades territoriales, d'autant que l'objectif est de créer 238 brigades. Des engagements ont été pris par l'État à l'égard des territoires, mais je ne vois pas de commencement d'exécution, ni sur le plan immobilier ni sur le plan des ressources humaines. Les engagements de l'État doivent être tenus.
Se pose aussi la question de l'attractivité des postes. Dans mon département, l'Orne, des postes ont été ouverts au commissariat de Flers, mais personne n'a postulé. Il faut attirer et fidéliser des policiers et des gendarmes, notamment dans les territoires ruraux.
Autre motif d'inquiétude, la réserve de la gendarmerie : la diminution préoccupante des crédits en fin d'année a conduit la gendarmerie à se débrouiller avec ses seuls moyens permanents. On sait que la réserve est une variable d'ajustement facile, car cela permet de ne pas toucher aux effectifs. Avec un schéma d'emplois nul, nous comprenons que des efforts doivent être faits. Cependant, il est essentiel d'augmenter concrètement les possibilités d'intervention de nos forces sur le terrain. Pour cela, il faut que les crédits d'intervention de la réserve soient maintenus tout au long de l'année, et qu'ils ne soient pas gelés après l'été.
Mme Patricia Schillinger. - Je reviendrai sur un point déjà abordé par mes collègues : les postes ouverts et non pourvus. En tant qu'élue d'un territoire frontalier, proche de la Suisse, j'ai constaté que des policiers et des gendarmes démissionnaient pour travailler en Suisse, où les salaires sont plus rémunérateurs. L'attractivité de notre territoire n'est pas à la hauteur. J'y insiste, dans les zones situées près de Genève et le long de la frontière suisse, les agents restent peu de temps en poste, ce qui entraîne un turnover incroyable, alors même que la délinquance et le trafic de stupéfiants ont beaucoup augmenté.
M. Michel Masset. - Je partage l'inquiétude exprimée quant au nombre de gendarmes en milieu rural. Il est indispensable de mettre en place une politique pour revaloriser et rendre attractive cette profession. La création de nouvelles casernes pose question, si elles restent vides...
Enfin, je déplore l'absence de modernisation, dans le cadre du Beauvau de la sécurité, des critères de répartition du montant de la taxe spéciale sur les conventions d'assurances (TSCA) versée aux services départementaux d'incendie et de secours (Sdis). Je le rappelle, les départements, déjà en difficulté et qui le seront encore plus demain, financent 60 % à 70 % de l'enveloppe du Sdis.
Mme Muriel Jourda, présidente. - J'entends vos inquiétudes, mes chers collègues : le rapporteur les a également évoquées, mais il a aussi tenu compte de la situation budgétaire - nous ne pouvons pas l'ignorer, sinon cela nous poserait in fine encore plus de difficultés. L'augmentation du budget est réelle, et plutôt inattendue dans ce contexte.
M. Henri Leroy, rapporteur pour avis. - Monsieur Bourgi, lorsque nous avons voté la Lopmi, nous avons décidé, dans un élan d'enthousiasme, de créer 8 500 postes. En réalité, cet objectif était utopique, et la situation budgétaire actuelle nous permet pas de l'atteindre. J'y insiste, le budget des forces de sécurité est tout de même en hausse de 1 milliard d'euros.
Sur la police judiciaire, il faut rappeler que les gendarmes qui ont passé le diplôme d'officier de police judiciaire (OPJ), les commissaires, les officiers et les gradés sont des OPJ. Mais plus personne ne veut faire de la police judiciaire, car les primes sont insuffisantes et le volume de travail plus lourd. Alors, effectivement, la police judiciaire est en crise.
Sans revalorisation des primes, les agents se tournent vers d'autres missions. L'ancien directeur général de la police nationale (DGPN) a voulu rassembler localement tous les services opérationnels de la police. Voilà la philosophie qui a animé la réflexion au sein du Beauvau de la sécurité.
Dans le cadre de la Lopmi, nous avions décidé de créer 239 brigades - 80 d'entre elles ont été mises en place. Le ministre de l'intérieur a évoqué ce sujet lors de son audition : il va demander au nouveau directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN) d'établir un calendrier pour atteindre l'objectif et prévoir le budget nécessaire, au moins pour 2025. Les maires et les services concernés seront informés.
Madame Eustache-Brinio, vous avez raison de souligner l'importance de la lutte contre le narcotrafic. Le ministre de l'intérieur a d'ailleurs fixé cet objectif comme l'une de ses priorités. Nous avons constaté en Guyane, en Martinique et en Guadeloupe que les territoires ultramarins sont particulièrement touchés. Nos outre-mer sont en voie de devenir l'une des principales voies de passage pour le narcotrafic vers l'Europe.
Monsieur Naturel, je connais bien la situation à La Foa et à Bourail. Les locaux à La Foa sont notamment dans un état catastrophique. Je le redis, le ministère de l'intérieur avertira les élus locaux, notamment les maires, ainsi que les parlementaires, dès que le calendrier sera établi par le DGGN.
Madame de La Gontrie, la sécurité des jeux Olympiques a effectivement coûté 1,1 milliard d'euros sur le périmètre de la mission. Les primes et les heures supplémentaires devraient être payées d'ici à la fin de l'année, comme cela m'a été confirmé lors des auditions que j'ai conduites.
Monsieur Marc, la création d'une brigade mobile nécessite six effectifs, contre dix pour une brigade territoriale. Les chiffres annoncés ne correspondent pas à ce qui a été concrètement fait : certains territoires, dont le vôtre, sont confrontés à de vrais problèmes d'effectifs. Le calendrier demandé par le ministre de l'intérieur sera communiqué aux maires concernés. La mise en place de l'ensemble des nouvelles brigades pourra-t-elle se faire en 2025 ? Certainement pas ! Car armer une brigade nécessite non seulement du personnel, mais également du matériel et des moyens. Pour répondre à votre question, a priori, aucune fermeture de brigade n'est envisagée.
Monsieur Bitz, le schéma d'emplois des forces est en effet problématique eu égard à l'augmentation des places en CRA. Le ministre essaie d'obtenir des « rallonges » pour mettre en oeuvre l'ensemble des engagements pris.
Madame Schillinger, il faut améliorer l'attractivité des métiers de gendarme ou de policier. Les gendarmes sont soumis à une rotation. Les agents affectés dans une brigade en zone défavorisée, dans laquelle l'exercice de leurs missions est difficile, y restent trois à quatre ans : ils vivent dans l'espoir d'être mutés pour améliorer leurs conditions de vie. Le « turnover » est donc, en effet, important.
Le volume de recrutement, quant à lui, est toujours satisfaisant.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Pouvez-vous apporter des précisions sur les heures supplémentaires ?
M. Henri Leroy, rapporteur pour avis. - Auparavant, on favorisait les départs anticipés : aujourd'hui, la situation s'est inversée. Alors que certains, principalement dans la police, acceptaient de partir en retraite plus tôt, ils sont de plus en plus nombreux à souhaiter bénéficier des versements dus au titre de leurs heures supplémentaires.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Il est plus sain que les heures supplémentaires soient payées. En effet, l'agrégation des heures à récupérer faisait que les postes étaient maintenus, mais non pourvus, car les personnes quittaient leurs fonctions.
Même si cela ne relève pas de ce budget, je veux évoquer un autre problème, que l'on observe aussi à Paris. Les agents qui habitent à 50 kilomètres de leur lieu de travail préfèrent travailler près de chez eux : cet effet d'éviction touche même les polices municipales.
M. Henri Leroy, rapporteur pour avis. - On constate un transfert des gendarmes et des policiers nationaux vers la police municipale. Les maires qui ont une police municipale sont susceptibles d'augmenter les primes de ces agents, qui rendent des services importants dans leur commune : ils assurent la police administrative, la police routière et exécutent les arrêtés du maire. Les policiers municipaux sont ainsi « choyés » par les maires, ce qui les incite à se rapprocher de leur domicile d'origine pour intégrer une police municipale proche de chez eux. Ce sujet a vocation à être abordée dans le cadre du « Beauvau » des polices municipales.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Sécurités » (hors programme « Sécurité civile »).