II. DEUX CHANTIERS STRUCTURELS BIEN ENGAGÉS

L'organisation de la recherche française, ses spécificités - en particulier la coexistence d'ONR et d'universités - et ses limites - la complexité et le manque de lisibilité - ont été largement documentées depuis une vingtaine d'années, si bien que les besoins de clarification et de simplification sont aujourd'hui unanimement admis.

De même, la nécessité d'une logique de structuration thématique de la recherche, au niveau national, a été régulièrement évoquée, sans réelle concrétisation jusqu'au lancement en 2021, dans le cadre de « France 2030 », des programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR).

Au moment de la crise sanitaire, qui a révélé certaines failles du système de recherche français, notamment dans le domaine biomédical, la commission de la culture, de l'éducation et de la communication avait d'ailleurs alerté sur les faiblesses de la gouvernance de la recherche et l'absence de stratégie programmatique.

Début 2023, dans la continuité de la LPR, une mission a été confiée à un groupe de travail présidé par Philippe Gillet, afin de renforcer et de simplifier l'écosystème national de la recherche. Son objectif était double : mieux organiser le monde de la recherche et simplifier la vie des chercheurs. Le rapport de cette mission6(*), remis en juin 2023, formule 14 propositions, dont certaines ont été reprises par le Président de la République dans son discours du 7 décembre 2023 sur l'avenir de la recherche française. Parmi celles-ci figurent la création d'agences de programmes et la mise en place de mesures de simplification. Ces deux chantiers, lancés par la précédente ministre, font partie de la feuille de route de son successeur.

A. LE DÉPLOIEMENT DES AGENCES DE PROGRAMMES

Dans un objectif de structuration thématique et programmatique de la recherche, les ONR se sont vu confier une mission complémentaire, celle de coordonner des agences de programmes sur certains domaines clés identifiés comme stratégiques.

Les missions des agences de programmes consistent, sur une thématique donnée, à :

- structurer et animer la communauté de recherche concernée ;

- organiser la veille et une prospective dynamique sur les grands enjeux liés à cette thématique ;

- piloter et coordonner des programmes nationaux de recherche sur cette thématique, dont les programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR) ;

- gérer des équipements et infrastructures de recherche associés ;

- cartographier la présence française dans les grands programmes européens.

Au début de l'année 2024, sept agences de programmes ont été lancées, pour un déploiement prévu sur dix-huit mois.

Agences de programmes

ONR pilotes

« Agriculture, alimentation durable, forêt et ressources naturelles associées »

Inrae

« Climat, biodiversité et sociétés durables »

CNRS

« Energie décarbonée »

CEA

« Du composant aux systèmes et infrastructures numériques »

CEA

« Numérique »

Inria

« Santé »

Inserm

« Spatial »

Cnes

Le premier semestre a d'abord été consacré, pour chaque agence, à l'identification de ses partenaires et à la mise en place de ses principes de fonctionnement, notamment l'installation d'un comité des partenaires. Les agences ont ensuite été sollicitées en avril par le ministère pour formuler, chacune dans son domaine de compétence, des propositions de programmes de recherche sur des thématiques insuffisamment voire non couvertes. Un comité interministériel des agences de programmes s'est réuni en juillet pour examiner les propositions des agences. Une douzaine de projets, correspondant à des PEPR nouvelle génération, ont au final été sélectionnés, pour un budget global de 300 millions d'euros destiné à six des sept agences (l'agence « Spatial » n'est pas éligible à ces fonds).

Interrogés par la rapporteure, les ONR tirent un bilan positif de la phase d'installation des agences en termes de gouvernance : un lien de confiance a pu être établi entre les partenaires, chacun reconnaissant la valeur ajoutée qu'il y a à travailler en commun sur des priorités stratégiques de recherche. Des relations fructueuses ont aussi été nouées avec l'ANR, dans une logique de complémentarité entre une démarche de « recherche par programmes » pilotée par les nouvelles agences et une démarche de « recherche sur projets » gérée par l'ANR.

Si la rapporteure soutient cette nouvelle forme de gouvernance partenariale et programmatique, elle appelle néanmoins à la vigilance sur trois points :

· la coexistence de plusieurs modes de gouvernance de la recherche suppose de mener collectivement un travail de pédagogie pour rendre l'écosystème lisible et compréhensible par les équipes de recherche (nature des actions, types de modes de soutien, complémentarité entre les actions des agences de programmes, celles de l'ANR et de « France 2030 »...) ;

· le développement d'une recherche par programme, définie et conduite au niveau des institutions (« top down »), doit éviter l'écueil d'une recherche trop directive et rigide, qui viendrait brider la capacité créative des chercheurs ;

· les agences de programmes pourraient, à terme, considérer qu'elles ont un monopole sur leur thématique de recherche, ce qui ne correspond pas à l'état d'esprit qui a présidé à leur création : les agences ont pour mission première d'assurer une meilleure coordination entre les différents acteurs (ONR, universités...), sans les exclure ou se substituer à eux.

Ces sujets devront être abordés à l'occasion du premier bilan des agences de programmes que le nouveau ministre a annoncé pour le début de l'année 2025.


* 6 Rapport de la mission sur l'écosystème de la recherche et de l'innovation présidée par Philippe Gillet, « 14 propositions pour engager le processus de rénovation et de simplification de l'écosystème national », 15 juin 2023.

Partager cette page