EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 13 NOVEMBRE 2024

___________

M. Laurent Lafon, président. - Nous examinons maintenant les crédits relatifs au cinéma.

M. Jérémy Bacchi, rapporteur pour avis des crédits relatifs au cinéma. - Le cinéma est passé cette année par tous les états possibles. Secoué dans ses fondations par les révélations si fortes de Judith Godrèche, affecté par l'absence de films américains pendant un semestre, menacé par les projets de restriction budgétaire, il devrait finalement ressortir de cette année plus fort et - oserais-je dire - plus vertueux. Analyser le monde du cinéma en 2024, c'est donc vivre en quelque sorte en direct un scénario avec de multiples rebondissements, des parts d'ombre, de la lumière et beaucoup de clair-obscur.

Je vais m'efforcer dans cette présentation de vous retracer les moments marquants de cette année et d'éclairer les enjeux pour les années à venir.

En termes de fréquentation, l'année 2024 a été à la fois éprouvante et tricolore.

Éprouvante, car les premiers mois, comme je le craignais l'année dernière, ont été catastrophiques, avec une baisse de la fréquentation de 15 %. Il faut y voir les conséquences de la grève des scénaristes à Hollywood, qui a tari la source des films américains pour plusieurs mois.

Tricolore, car à partir du mois d'avril, l'entrée en lice du Comte de Monte-Cristo et surtout d'Un p'tit truc en plus a littéralement « boosté » la fréquentation. Pour la première fois depuis dix ans, deux films français occupent les premières places du box-office. Je reviendrai dans quelques minutes sur ces deux films.

Finalement, l'année 2024 devrait, sous toutes réserves, s'achever à des niveaux proches, voire légèrement supérieurs à 2023, autour de 185 millions d'entrées, ce qui est d'excellent augure pour la suite et illustre de façon éclatante l'attachement du public au cinéma.

Cet attachement s'est manifesté de manière un peu paradoxale avec la sortie limitée du film Kaizen du youtuber Inoxtag. Le film a bénéficié d'un visa dérogatoire pour sortir sur 500 écrans pendant une journée. Il semble que les diffuseurs aient outrepassé les conditions d'octroi au visa puisque finalement 800 séances auraient été organisées. Pourquoi parler ici de ce film ? Parce que 400 000 spectateurs, en général jeunes, ont payé un billet pour une oeuvre qui allait être disponible gratuitement dès le lendemain. Au-delà des aspects juridiques, c'est une formidable leçon sur l'attrait de la salle pour tous les publics, et très précisément ce que cherche à susciter le cinéma : voir ensemble un film, partager des moments avec des amis, de la famille.

Si Kaizen a triomphé pendant quelques jours, l'année 2024 a surtout été marquante, car elle est la démonstration de ce qui fait la spécificité de notre cinéma, à savoir la diversité.

Je vous propose d'analyser trois succès de cette année, dont les différences illustrent très bien, à mon sens, la richesse de la production.

Premier film, Le Comte de Monte-Cristo. La nouvelle transposition à l'écran de l'oeuvre d'Alexandre Dumas a enregistré plus de 9 millions d'entrées en France et 2 millions à l'étranger. Produit avec le plus gros budget de l'année - 43 millions d'euros - et conçu pour vivre des années sur les différents supports, Le Comte de Monte-Cristo illustre la stratégie que nous avait présenté Jérôme Seydoux lors de son audition devant la commission le 15 mars 2023 : des films à grand spectacle, pour lesquels les spectateurs sont prêts à se déplacer massivement dans les salles.

Deuxième film, Un p'tit truc en plus. Le film d'Artus a coûté nettement moins cher, 6 millions d'euros, juste au-dessus de la moyenne pour une oeuvre française. Avec près de 11 millions d'entrées, cette comédie humaniste est déjà le neuvième plus grand succès français de tous les temps. C'est un résultat plus qu'impressionnant et qui a constitué une immense surprise, car nul ne le voyait à ce niveau. Il y a parfois une alchimie magique qui se crée autour d'une oeuvre, un sujet qui sonne juste : c'est aussi cela, la beauté de la culture et du cinéma.

Deux éléments sont intéressants à relever. D'une part, au-delà de son humour, Un p'tit truc en plus fait pour l'acceptation des personnes handicapées plus que toutes les campagnes officielles. De ce point de vue, le cinéma a merveilleusement rempli son rôle de projecteur, de mise en avant d'une réalité, comme avait pu le faire en son temps Intouchable. D'autre part, fait très curieux, le film a été nettement plus populaire en province qu'à Paris, avec un coefficient province-Paris de 15, soit trois fois supérieur à la moyenne.

Troisième film, Emilia Pérez de Jacques Audiard. Sur un sujet a priori baroque - un chef de gang mexicain qui change de sexe avant de fonder une association d'aide aux victimes de la drogue -, ce film, tourné en espagnol dans les studios de Bry-sur-Marne avec un casting international, a reçu de prestigieuses récompenses internationales.

Nous avons donc trois films : une production de prestige à gros budget basée sur une oeuvre déjà connue, une comédie humaniste sur un sujet de société et un film porté par la vision d'un auteur. Peu de pays peuvent se targuer non seulement d'un tel succès, mais aussi d'une telle diversité de sujets et de genre. Voilà un vrai motif de fierté et une belle preuve de l'efficacité de notre système !

Ce système, il fallait donc le préserver, ce qui n'a pas toujours été facile.

Le cinéma a été longtemps menacé par des coupes budgétaires, des limitations de ses crédits d'impôt, et l'ambiance était plutôt tendue en septembre. In fine, et je crois que nous pouvons en remercier la ministre de la culture, l'écosystème de financement n'a pas été touché.

Pour autant, le cinéma a apporté une contribution significative au désendettement, avec un prélèvement de 450 millions d'euros sur les réserves du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) acté par l'article 33 du projet de loi de finances. C'est à la fois beaucoup et peu. Beaucoup, car cela correspond à la moitié des réserves du CNC. Peu, car ces sommes étaient en réalité des provisions passées pour des raisons comptables et n'avaient donc pas vocation à irriguer le financement des films.

Il ne devrait donc pas y avoir de conséquences pour l'activité du CNC. Cela étant, j'attire l'attention sur un point : il s'agit d'un « fusil à un coup » ; il ne sera plus possible l'année prochaine de prélever sur les réserves restantes, qui sont nécessaires au fonctionnement du centre. Dès lors, nous pouvons être sûr que le débat reprendra sur le bien-fondé du soutien au cinéma.

Pour le reste, les prévisions de recettes et de dépenses du CNC pour 2025 me paraissent crédibles et sont tout à fait en ligne avec un retour à la normale annoncé l'année dernière après la période pandémique. Tout juste peut-on noter 8 millions d'euros supplémentaires pour la création audiovisuelle, qui correspondent à l'éligibilité des plateformes aux aides du CNC.

Cependant, une actualité plus sombre a marqué l'année, avec les révélations en cascade sur les violences sexuelles et sexistes dans le cinéma. Nous nous rappelons tous du témoignage plein de courage et de dignité de Judith Godrèche, qui a libéré la parole de tant de victimes.

Notre commission n'est d'ailleurs pas restée insensible à ce sujet, avec une mesure forte adoptée dès le mois de février sur l'initiative de notre collègue Monique de Marco dans le cadre de la proposition de loi sénatoriale visant à conforter la filière cinématographique en France, texte sur lequel Sonia de La Provôté et Alexandra Borchio Fontimp étaient rapporteurs.

J'espère que notre texte pourra être rapidement examiné par l'Assemblée nationale afin que les aides du CNC puissent, comme prévu, être retirées aux producteurs qui n'ont pas établi les meilleurs dispositifs de protection sur les plateaux de tournage.

Le 4 juin dernier, nous avons également organisé, avec la délégation aux droits des femmes, une grande table ronde réunissant l'ensemble de la profession, dont l'actrice Anna Mouglalis.

Le cinéma a longtemps vécu dans l'illusion qu'il était un peu au-dessus des lois et l'acte de création a servi à certains d'alibi trop commode à des comportements pénalement répréhensibles. J'insiste sur ce point : le monde du cinéma et de l'audiovisuel doit faire son autocritique, et accepter de changer en profondeur. Le cinéma, si emblématique de notre culture, doit devenir irréprochable.

Je voudrais enfin souligner trois défis qui attendent le cinéma et qui pourraient, selon la manière dont ils seront traités, le renforcer durablement ou l'affaiblir définitivement.

Premier défi à court terme, la chronologie des médias.

Véritable marronnier du secteur, la négociation de la chronologie s'apparente à Un jour sans fin éternellement recommencé. Je vous rappelle que la chronologie règle le calendrier d'exposition des oeuvres sur les différents supports en fonction de l'investissement consenti dans le cinéma. Pour résumer, plus vous investissez, plus votre position est avantageuse. Cela pose d'innombrables difficultés entre les salles, les chaînes de télévision et les plateformes. L'actuelle chronologie doit s'achever le 24 janvier 2025. Le CNC a donc lancé un nouveau cycle de négociations au printemps que l'on imaginait être aussi fraternel qu'un film de Scorsese.

Cependant, alors que l'on s'attendait à vivre des discussions avec claquements de portes et montées de tension médiatisées, un scénariste jusque-là non crédité au générique a décidé d'ajouter un peu de piquant. L'Autorité de la concurrence s'est en effet autosaisie le 25 septembre 2024 d'éventuelles pratiques anticoncurrentielles dans le secteur de la télévision payante. Si son instruction, dont le résultat n'est pas attendu avant mi-2025, devait limiter la faculté des chaînes à conclure des accords avec les producteurs, ce serait tout l'édifice de la chronologie qu'il faudrait repenser. Nous ignorons encore s'il y aura un « twist » final façon Psychose, ou si l'Autorité de la concurrence confortera le système. Dans ce contexte, les négociations sont pour l'instant suspendues et les groupes hésitent à s'engager sur des montants d'investissements pour les années à venir.

Il s'agit donc d'un défi existentiel pour la production cinématographique en 2025, et je le suivrai avec une grande attention.

Deuxième défi, la directive Services de médias audiovisuels (SMA).

Adoptée le 14 novembre 2018 et transposée en droit français par l'ordonnance du 21 décembre 2020, cette directive a permis d'insérer les plateformes dans le financement des oeuvres cinématographiques et audiovisuelles. Je crois pouvoir dire, et mes collègues Sonia de La Provôté et Alexandra Borchio Fontimp ne me contrediront pas, qu'elle a donné un réel élan aux productions françaises et européennes. Cependant, son article 33 en prévoit l'évaluation pour la fin de l'année 2026. Or nous savons que cet exercice s'accompagnera inévitablement de son lot de pressions diverses et variées, et que les plateformes américaines excellent à ce jeu au moins autant qu'à la conception de « blockbusters ».

Dès lors, le Gouvernement devra être extrêmement vigilant. J'en profite pour signaler que, dans cette optique, la nomination rapide d'un président au CNC, poste vacant depuis le mois de juin, serait d'une grande utilité, l'actuelle titulaire par intérim, par ailleurs tout à fait remarquable, étant également directeur général. Il faudra donc, dès 2025, que notre pays se mette en ordre de bataille pour préserver les apports de cette directive si centrale dans la protection de nos intérêts.

Enfin, troisième et dernier défi de long terme, l'intelligence artificielle (IA).

La commission a consacré une table ronde passionnante à cette question le 20 décembre dernier. Les potentialités, les opportunités, mais aussi les risques de l'IA sont encore mal évalués. Côté pile, elle peut permettre de faciliter les tournages, d'assister à l'écriture de scénario ou aux traductions. Côté face, comment nous positionner face à ces nouvelles technologies, pour l'instant américaines, qui menacent notre diversité culturelle et font peu de cas des droits d'auteur ? Quand je dis qu'il s'agit là d'un défi à long terme, j'ai peur de pécher par optimisme, car tout va très vite, comme le cinéma l'avait d'ailleurs anticipé.

Avant de conclure et de proposer un avis que vous devinez favorable, je voudrais insister sur deux points. Le cinéma conforte en 2025 son statut très privilégié dans les industries culturelles, en étant relativement épargné par les restrictions budgétaires. Nous ne pouvons que nous féliciter de cette marque de confiance.

Cependant, elle doit aller de pair avec la responsabilité. Le secteur du cinéma, très emblématique, doit se montrer exemplaire aussi bien sur la question des violences sexuelles et sexistes qu'en matière de gestion des deniers publics. Je crois que le CNC en a parfaitement conscience. Je suis donc optimiste, mais là encore, il nous appartiendra d'y veiller.

Je vous propose donc d'émettre un avis favorable sur les crédits alloués au cinéma en 2025.

M. Pierre-Antoine Levi. - Notre collègue Jérémy Bacchi, dans un excellent rapport sur les crédits du cinéma, a parfaitement détaillé les enjeux qui se présentent à nous. L'année 2024 a été marquée par les inquiétudes légitimes concernant la pérennité du modèle français de financement du cinéma. Dans un contexte budgétaire particulièrement contraint, qui impose des efforts à l'ensemble des politiques publiques, certaines pistes évoquées, comme le plafonnement des taxes affectées ou leur réaffectation, auraient pu mettre en péril l'édifice patiemment construit depuis 1946.

Le projet de loi de finances qui nous est soumis apporte des réponses que nous jugeons équilibrées. Tout d'abord, le maintien du budget du CNC à 780 millions d'euros démontre la volonté de l'État de préserver les fondamentaux de notre politique cinématographique. L'effort demandé de 450 millions d'euros sur la trésorerie du CNC est certes substantiel, mais il a été calibré pour ne pas affecter sa capacité d'intervention.

C'est un point essentiel, l'argent des spectateurs continuera d'être intégralement consacré au soutien de la création et à la modernisation du parc de salles. Je veux souligner quatre avancées significatives.

Premièrement, la sanctuarisation des quatre dispositifs de crédits d'impôt. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : pour chaque euro de dépense fiscale, ce sont 6 à 7 euros de dépenses générées sur notre territoire, dont près de 3 euros de recettes sociales et fiscales. Le succès d'accueil de grandes productions internationales, comme Emily in Paris, en est la meilleure illustration.

Deuxièmement, l'engagement fort en direction des territoires ruraux. Le plan de 5 millions d'euros pour soutenir les festivals locaux et les circuits itinérants, auquel s'ajoutent un second volet d'un montant équivalent pour la modernisation des salles, et le soutien aux cinémathèques en région traduit une volonté réelle de maintenir un accès au cinéma sur l'ensemble du territoire.

Troisièmement, la poursuite du programme « La grande fabrique de l'image ». Avec 300 millions d'euros dans le cadre de France 2030, ces investissements dans nos studios et nos écoles sont essentiels pour maintenir notre compétitivité face à une concurrence internationale de plus en plus vive.

Quatrièmement, l'adaptation réussie de notre système de financement à l'ère numérique, avec désormais 20 % des ressources du CNC qui proviennent des plateformes internationales.

Cela a été rappelé, les succès publics récents, qu'il s'agisse d'Un p'tit truc en plus ou du Comte de Monte-Cristo, ne sont pas le fruit du hasard. Ils démontrent la pertinence de notre modèle de soutien à la création, qui permet de conjuguer ambitions artistiques et succès populaire.

Néanmoins, deux points de vigilance méritent d'être soulignés. Tout d'abord, la nécessité de nommer rapidement une présidence stable à la tête du CNC pour porter les nombreux chantiers en cours. Ensuite, le suivi attentif de la proposition de loi adoptée par notre Haute Assemblée pour conforter la filière cinéma, dont nous espérons qu'elle pourra prospérer sous cette forme ou reprise par le Gouvernement, comme vous l'avez suggéré.

Pour toutes ces raisons, le groupe Union Centriste considère que ce budget, fruit d'un équilibre délicat, permet de préserver l'exception culturelle française tout en participant à l'effort de redressement des comptes publics. Notre groupe votera donc en faveur de ces crédits, tout en maintenant sa vigilance sur la bonne exécution au service de la création cinématographique française.

Mme Laure Darcos. - À mon tour de remercier notre rapporteur de son exposé et de son travail. Comme je l'ai dit à Mme la ministre, pour l'instant, tous les crédits d'impôt sont maintenus. Je suis néanmoins très inquiète de la position de la commission des finances du Sénat qui, chaque année, sans nous prévenir, dépose des amendements de suppression. Idem pour les sociétés de financement de l'industrie cinématographique et de l'audiovisuel (Sofica). Il faudrait peut-être, monsieur le rapporteur, que vous vous rapprochiez de la commission des finances pour être sûr qu'il y ait un accord avec le Gouvernement. Le maintien de ces crédits d'impôt est incontournable pour le milieu du cinéma. Faisons en sorte d'éviter les mauvaises surprises de fin de soirée lorsque les amendements de suppression nous sont présentés dans la discussion budgétaire.

Mme Sylvie Robert. - Nous suivrons l'avis favorable de notre rapporteur sur les crédits du cinéma. Les films extrêmement réjouissants qui ont été cités attestent de la vitalité et de la diversité de notre cinéma. J'invite celles et ceux qui ne l'auraient pas encore fait à aller voir cette comédie musicale assez inédite qu'est Emilia Pérez.

Nous sommes globalement satisfaits de l'équilibre trouvé pour préserver l'écosystème du cinéma par le maintien des crédits d'impôt. Il importe que nous nous mobilisions lors de l'examen du PLF pour défendre en séance ces crédits contre les éventuels assauts de la commission des finances. Ce système a eu des conséquences économiquement favorables sur notre territoire. Évitons d'affecter le rendement des taxes qui « nourrissent » le CNC et prélevons plutôt sur son important fonds de roulement - de l'ordre de 800 millions d'euros. Quoi qu'il en soit, notre rapporteur l'a souligné, il s'agit d'un one shot.

J'évoquerai quelques sujets de préoccupation. Comme notre rapporteur l'a rappelé, la chronologie des médias devra être revue l'année prochaine. Nous savons déjà que les plateformes souhaitent une réduction de leur fenêtre de diffusion.

Je pense aussi à l'évaluation de la directive SMA, qui interviendra en 2026. Le CNC a publié un rapport extrêmement intéressant qui propose de faire passer le quota d'oeuvres européennes dans le catalogue des plateformes de 30 % à 50 %, ce qui impliquerait d'introduire une dérogation au fameux principe du pays d'origine.

L'étude d'Unifrance est aussi intéressante : les oeuvres françaises sont particulièrement visionnées en Europe, mais elles arrivent très loin derrière les autres dans la sphère francophone hors Europe. Cela doit nous interroger.

Enfin, je me réjouis du nouveau dispositif mis en place par le CNC sur les cinémas itinérants. J'espère que la proposition de loi sénatoriale que nous avons votée à l'unanimité sera rapidement inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.

J'évoquerai également les incertitudes persistantes autour de l'intelligence artificielle. Hollywood a été paralysé pendant près de six mois l'année dernière. Aujourd'hui, le monde culturel a choisi d'appliquer l'opt-out, ce qui signifie qu'il n'a pas confiance dans l'écosystème de l'intelligence artificielle. Nous aurions tout intérêt à diligenter une mission de suivi sur l'intelligence artificielle et le droit d'auteur dans le secteur du cinéma, de l'audiovisuel et de l'édition. Cela nous permettrait d'anticiper une éventuelle réouverture de la directive sur le droit d'auteur à l'échelle européenne.

Enfin, je suis toujours préoccupée par tous les dispositifs d'éducation à l'image. Le département du Nord, pour les raisons budgétaires, vient de supprimer le dispositif collège au cinéma. La ministre Belloubet avait reconnu que les effets de bord n'avaient pas été mesurés correctement : les enseignants ne peuvent donc plus procéder à ces séances de formation sur le temps scolaire. Beaucoup d'acteurs nous le disent, c'est tout l'écosystème qui s'en trouvera fragilisé. Aujourd'hui, nous n'avons pas de solution. Je n'ai pas entendu la nouvelle ministre de l'éducation nationale s'emparer de ce sujet, qu'elle doit trouver tout à fait accessoire...

Mme Alexandra Borchio Fontimp. - Nous nous réjouissons que le cinéma français se porte plutôt bien en dépit d'un contexte budgétaire difficile. Cependant, un certain nombre de défis restent encore à relever.

Tout t'abord, nos cinémas d'art et d'essai pâtissent de l'implantation des grands complexes. J'évoquerai également les cinémas implantés en zone rurale. Pouvez-vous nous rassurer quant à leur attractivité ?

En matière d'accès à la culture dans les territoires ruraux, nombreuses sont les communes à ne pas disposer d'espaces muséaux et de cinéma. À Cannes, la ministre de la culture avait annoncé un soutien pour les circuits de cinéma itinérants. Quel regard portez-vous sur ce dispositif qui a été acté le mois dernier par le CNC ?

Enfin, vous avez rapidement évoqué la lutte contre les violences sexuelles dans le cinéma. C'est un objectif que nous avions défendu ensemble au Sénat en tant que rapporteurs de la proposition de loi visant à conforter la filière cinématographique en France, en introduisant des mesures pour prévenir et sanctionner ces violences. Une commission d'enquête a même été créée à l'Assemblée nationale. Notre texte sera-t-il examiné au Palais Bourbon ?

En tout état de cause, le groupe Les Républicains suivra l'avis favorable du rapporteur.

M. Pierre Ouzoulias. - Je remercie notre rapporteur de la qualité de son travail et je le félicite de l'agilité dialectique avec laquelle il nous a expliqué que la ponction sur la trésorerie du CNC était une excellente chose !

Mon groupe n'est pas toujours favorable aux crédits d'impôt, mais ceux-là ont montré qu'ils avaient un effet de levier important et qu'ils rapportaient de l'argent. Il convient donc de les défendre, car ils participent au dynamisme économique du cinéma. De surcroît, ils procurent des recettes fiscales importantes au Gouvernement. Le contexte des élections américaines fait qu'entre nous et les États-Unis, « il va faire mauvais temps ». Nous pouvons présager que les attaques de l'administration américaine seront assez fortes contre ce qui fait la spécificité de la culture en France et en Europe, notamment le droit d'auteur. Il faudra absolument résister, mais je ne suis pas sûr que tous les pays européens aient la même vision que nous de la singularité culturelle et du droit d'auteur.

Notre groupe suivra l'avis du rapporteur.

Mme Sonia de La Provôté. - Certes, le cinéma a une place privilégiée dans les industries culturelles, mais il est également partie prenante de façon intégrale des politiques culturelles de la Nation. Il convient de le réaffirmer à l'occasion des discussions budgétaires, notamment par la participation financière, mais aussi par la participation au plan France ruralités - puisque, on le sait, l'accès au cinéma est très souvent l'une des principales portes d'entrée vers la culture dans de très nombreux territoires. La participation à la programmation du cinéma itinérant et à son développement est importante.

Deux sujets me semblent essentiels.

Tout d'abord, la question déjà soulevée du cinéma au collège et au lycée. Si on en est là, c'est aussi parce que l'on a un public de cinéphiles. Les Français aiment le cinéma et apprécient sa diversité. Il est donc important de favoriser l'accès aux oeuvres cinématographiques et à leur compréhension.

Ensuite, les réflexions sur le fait que la qualification « Art et Essai » soit accordée à des oeuvres qui ne relèvent pas toujours du cinéma d'auteur. Un travail devait être engagé sur la question. Le maintien des crédits d'impôt représentant un soutien à la filière, le CNC doit prouver que l'écosystème du cinéma est capable de mener une telle réflexion. S'il n'est pas choquant d'accompagner financièrement des oeuvres exigeantes et complexes pour favoriser la créativité des auteurs et l'émergence de grands films, il est important que les aides ne soient pas automatiquement adressées à ceux qui en ont le moins besoin.

Mme Monique de Marco. - En prenant connaissance du PLF, je me suis tout de suite inquiétée de la ponction de 450 millions d'euros prévue dans la trésorerie du CNC. Cela répond au rapport de la Cour des comptes jugeant disproportionnée la trésorerie du centre, au regard de celles des autres opérateurs distribuant les aides. Vous nous avez rassurés, monsieur le rapporteur, mais nous devrons nous montrer vigilants à l'avenir.

Notre vigilance doit également porter sur les discussions autour de la chronologie des médias, sur la directive SMA et sur l'essor de l'intelligence artificielle. À cet égard, je m'inquiète de la nomination d'Elon Musk dans l'administration Trump.

Toutefois, la vigilance n'exclut pas l'optimisme : le cinéma français est en bonne santé et nous pouvons nous en réjouir.

Nous attendons toujours que la proposition de loi visant à conforter la filière cinématographique en France, que nous avons adoptée en février, soit inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Vous avez interrogé la ministre à ce sujet la semaine dernière, mais sa réponse n'était pas très claire, si ce n'est qu'elle souhaitait que l'Assemblée nationale s'en saisisse. Cette proposition de loi comporte notamment un important volet sur les violences sexistes et sexuelles, qu'il serait particulièrement opportun d'adopter après que plusieurs affaires ont été mises au jour dans le milieu.

Nous suivrons l'avis du rapporteur.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Notre rapporteur a souligné le fait que l'écosystème du financement du cinéma avait globalement été épargné. Il est vrai que les crédits d'impôt ont heureusement été reconduits et que nous avons sanctuarisé le soutien à la création cinématographique au travers de notre proposition de loi organique portant réforme du financement de l'audiovisuel public.

J'attire votre attention sur le fait que la production française est également financée par les collectivités territoriales, en particulier les régions. À elles seules, elles financent davantage les tournages en région que le CNC. De plus, les collectivités investissent beaucoup dans les cinémas pour les moderniser et maintenir leur activité. L'idée du CNC de consacrer un dispositif aux circuits itinérants vient également des territoires. Aussi, l'effort que ce PLF fait peser sur les collectivités peut affecter indirectement l'écosystème et empêcher les collectivités d'investir autant qu'elles le voudraient.

Par ailleurs, Sylvie Robert a abordé la question des dispositifs d'éducation à l'image. Nous avons interrogé en vain la ministre de l'éducation nationale il y a quinze jours ; je lui ai donc écrit. Nicole Belloubet s'était engagée à trouver des solutions dans le cadre d'une réponse à une question écrite. Pour l'instant, pas de son, pas d'image...

Dans ma région, 30 % d'élèves en moins bénéficieront du dispositif. Dans un temps de difficultés budgétaires, inutile de dire que les collectivités territoriales trouvent une porte ouverte pour ne plus assumer le coût des transports scolaires et des billets de cinéma.

Alors que les États généraux de l'information ont conclu à l'importance de l'éducation à l'image, que peut-on faire pour soutenir celle-ci ?

Enfin, nous devrons nous montrer extrêmement vigilants par rapport au développement de l'intelligence artificielle. L'application du règlement européen sera observée avec attention, car certains points restent en suspens, notamment la question de l'opt-out, évoquée par Sylvie Robert, mais aussi le système des licences. La nouvelle commissaire doit trancher en décidant de revoir, ou non, la directive européenne sur le droit d'auteur.

M. Jérémy Bacchi, rapporteur pour avis. - Nous pouvons nous réjouir des 300 millions d'euros programmés sur « La grande fabrique de l'image », dont 200 millions d'euros sont contractualisés et 77 millions ont déjà été versés.

Je partage la crainte que plusieurs d'entre vous ont exprimée sur la question des crédits d'impôt du cinéma, qui revient chaque année - avec peut-être moins d'insistance cette année. À mon sens, ceux-ci relèvent d'ailleurs davantage de l'investissement public, tant le retour sur investissement est important. Restons vigilants sur le sujet et soyons présents en séance lors de l'examen des crédits de la mission.

En ce qui concerne l'éducation à l'image, je ne peux que déplorer le constat que nous faisons tous. Le président de la Fédération nationale des cinémas français (FNCF), Richard Patry, nous a dit souhaiter davantage de souplesse dans le choix des films par le corps enseignant, ce qui ne réglerait pas la question des moyens, mais pourrait faciliter l'accès à la salle de cinéma.

Sonia de La Provôté a évoqué la cinéphilie du public français ; celle-ci est rendue possible par l'éducation à l'image, qui offre aux spectateurs les clés pour apprécier les oeuvres cinématographiques à leur juste valeur. En y renonçant, nous mettons en péril des pans entiers de notre industrie cinématographique.

Toutefois, notre corps enseignant demeure impliqué. J'ai d'ailleurs visité la semaine dernière un lycée marseillais ayant récemment ouvert des filières de préparation aux écoles de cinéma. Il nous faut cultiver cette richesse.

En 2023, la fréquentation des salles de cinéma labellisées « Art et Essai » a atteint un record historique : plus de 70 millions de billets y ont été vendus, ce qui représente 40 % de l'ensemble des billets vendus en France ; leur nombre a progressé de 30 % en dix ans ; elles accueillent 41 % des écrans. Ces salles diffusent des films d'une grande diversité, certains étant plutôt grand public tandis que d'autres sont plus exigeants.

En ce qui concerne le cinéma en zone rurale - qui désigne également les zones urbaines de moins de 20 000 habitants -, il représente 3,2 millions d'entrées annuelles, soit environ 2 % du total. Cela confirme malheureusement la relative concentration des salles : sur les 36 000 communes françaises, moins de 2 000 sont équipées d'une salle ; c'est le cas de seulement 2,8 % des villes de moins de 10 000 habitants. Cela dit, le cinéma demeure un loisir relativement accessible d'un point de vue géographique grâce au maillage territorial efficace.

Nous avons abordé la question des cinémas itinérants dans notre rapport d'information intitulé Le cinéma contre-attaque : entre résilience et exception culturelle, un art majeur qui a de l'avenir. Il en existe une centaine, dont plus de la moitié est classée « art et essai ». En 2019, ces cinémas ont réalisé 1,5 million d'entrées, ce qui est à la fois peu et beaucoup. Cela prouve l'utilité de cette itinérance pour couvrir l'ensemble de notre territoire.

Enfin, en ce qui concerne les violences sexistes et sexuelles, j'espère comme vous que notre proposition de loi sera inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Si la ministre s'est montrée évasive lors de son audition, son cabinet m'a rappelé par la suite pour préciser qu'il poussait pour que le texte soit inscrit dans le cadre d'une niche transpartisane. À défaut, le Gouvernement devrait prendre ses responsabilités et l'inscrire dans son espace réservé. Une adoption de cette proposition de loi n'a pas vocation à régler tous les problèmes, mais elle constituerait une grande avancée contre les violences sexistes et sexuelles.

Enfin, les collectivités territoriales jouent effectivement un rôle important dans le financement du cinéma : leur contribution a atteint 77 millions d'euros en 2023. Je partage donc les inquiétudes exprimées. Les collectivités sont prises à la gorge et devront opérer des choix. Nous devrons faire preuve d'une vigilance accrue pour que les régions continuent de soutenir la production cinématographique et que les communes continuent d'investir dans les salles de cinéma.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés au cinéma au sein de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2025.

Partager cette page