II. DES DOUTES SUR L'UTILITÉ ET LE FINANCEMENT DE PLUSIEURS PROGRAMMES STRUCTURANTS

A. DEUX GRANDS PROGRAMMES MENÉS EN COOPÉRATION DONT L'AVENIR POURRAIT SE JOUER EN 2025

Le lancement des phases d'études du SCAF et du MGCS en recourant à la méthode des piliers a, certes, permis de préciser le rôle de chacun des acteurs mais il n'a pas levé les interrogations sur l'avenir de ces programmes. Les auditions réalisées par les rapporteurs ont mis en évidence un décalage croissant entre la conduite des deux programmes qui se poursuit et l'analyse des industriels concernés qui estiment que les conditions du succès ne sont plus nécessairement réunies. Cette situation justifiera un réexamen objectif en 2025 afin de s'assurer que les équilibres sont toujours respectés ou, à défaut, l'exploration de scenarii alternatifs.

1. Le programme SCAF fragilisé par le non-respect du principe du « best athlete » et les restrictions à l'exportation allemandes

Alors même que la répartition des rôles entre les industriels français et allemands (Dassault, Airbus, Safran, MTU, Thales...) n'était déjà pas évidente, l'entrée de l'Espagne dans le projet de chasseur et de drone de combat du futur a compliqué son organisation tout en réduisant mécaniquement la part réservée aux industriels français. Les auditions menées avec les industriels ont mis en évidence que les travaux conduits sur le moteur par Safran et MTU se déroulaient de manière satisfaisante en respectant l'équité dans la répartition de la charge de travail et les leaderships dans une logique de « best athlete ». Les rapporteurs rappellent la nécessité pour tous les industriels associés au programme, notamment sur la partie moteur, d'être au rendez-vous tant en termes d'excellence technologique que de niveaux d'investissement.

Si la coopération entre en Dassault et Airbus se déroule de manière professionnelle dans le cadre de la répartition des piliers, l'attention des rapporteurs a été attirée sur le fait que les membres du « club Rafale » étaient réservés à l'idée que les licences d'exportation du NGF pourraient être soumises à la libre appréciation du Bundestag, ce qui constitue un obstacle de taille pour la commercialisation du NGF et plus généralement du système dans lequel il sera intégré.

Les rapporteurs regrettent que le principe du « best athlete » n'ait pas systématiquement été privilégié pour attribuer les différents lots. Ils rappellent l'importance de la composante aérienne dans la stratégie de dissuasion aérienne qui ne peut tolérer de compromis sur les performances technologiques compte tenu du caractère de plus en plus disputé des espaces aériens.

Des restrictions à l'export allemandes sur le SCAF toujours bien réelles

Les règles applicables à l'exportation du SCAF demeurent un point crucial du programme qui n'a pas été réglé par l'accord franco-allemand du 23 octobre 2019 relatif au contrôle des exportations en matière de défense2(*) puisque son article 3 limite l'absence de droit de regard allemand aux exportations françaises comprenant moins de 20% de produits industriels allemands sauf « lorsque ce transfert ou cette exportation porte atteinte à ses intérêts directs ou à sa sécurité nationale ». Les industriels allemands étant associés pour un tiers au projet, il y a tout lieu de s'inquiéter sur la future capacité de la France à exporter librement ce système d'arme.

Lors de son audition devant la commission le ministre des Armées a déclaré qu'« un sommet aura lieu en décembre sur le Scaf, au cours duquel le démonstrateur sera évoqué. Nous devrons traiter des questions politiques, telles que l'export, mais aussi des questions opérationnelles : à quoi ressemble l'avion ? Quel est son poids, sa capacité à correspondre aux besoins de la dissuasion nucléaire française, à apponter sur un porte-avions ? ».

Lors de son audition par la commission, le DGA a ajouté que le successeur du Rafale devait être en mesure de porter le missile nucléaire et que l'absence de restriction à l'export était une condition sine qua non que nous avions posée.

Les rapporteurs rappellent également concernant les règles d'exportation que, ces dernières années, la doctrine allemande en matière d'exportation d'armement était fixée dans les accords de coalition qui l'emportent sur les engagements négociés avec la France. Par ailleurs, les rapporteurs ne peuvent qu'être préoccupés de voir émerger un débat en Allemagne sur la création d'une instance multilatérale qui aurait le pouvoir de s'opposer à un contrat d'exportation négocié par les autorités françaises. Une telle contrainte aurait inévitablement pour conséquence de réduire considérablement les perspectives d'exportation et donc de fragiliser l'équation économique et financière du programme.

Recommandation n°4 : organiser un débat au Parlement en 2025, après les élections allemandes, sur l'avenir du SCAF (caractéristiques du système, modalités de production et d'exportation).

Recommandation n°5 : refuser tout mécanisme de contrôle multilatéral des exportations d'armements ayant fait l'objet d'un programme commun européen. La France doit demeurer souveraine en matière d'exportation d'armements.

2. Le programme MGCS affaibli par l'alliance entre Rheinmetall et Leonardo autour du KF-51

L'accord signé en juillet 2024 entre Rheinmetall et Leonardo pour développer en commun une version du KF-51 Panther pose la question de l'avenir du programme MGCS qui n'apparaît toujours pas prioritaire pour les industriels allemands Rheinmetall et KNDS Deutschland compte tenu des nombreuses commandes de chars Léopard II et maintenant de l'alliance nouée avec les Italiens.

Si les armées de Terre française et allemande partagent l'objectif de pouvoir disposer à l'horizon 2040/2050 d'un système blindé de rupture reposant sur une même architecture technique la question reste posée - compte tenu des difficultés à valoriser les expertises réciproques des partenaires - de savoir dans quelle mesure le choix d'un programme commun dominé en réalité de plus en plus par les industriels allemands répond encore à nos besoins et à nos intérêts.

La DGA a indiqué aux rapporteurs que l'année 2025 serait marquée par la création de la société de projet MGCS ainsi que par la signature des premiers contrats avec les industriels. Emmanuel Chiva a rappelé que le char Leclerc ne serait pas remplacé avant 2040 et qu'il y avait donc encore du temps pour poursuivre le programme MGCS ou faire le choix d'une autre solution permettant de répondre au même niveau de besoin.

Les rapporteurs constatent qu'aujourd'hui les conditions d'une coopération franco-allemande sereine sur le char ne sont pas réunies comme l'illustre l'impossibilité pour KNDS France de commercialiser l'ASCALON doté de tubes de 120 ou de 140 mm sur un châssis allemand pour ne pas concurrencer le LEOPARD. Alors que cette innovation française constitue une contribution importante au projet MGCS, elle semble écartée de toute perspective de commercialisation afin de préserver le leadership de Rheinmetall et KNDS Deutschland, ce qui interroge sur l'intérêt même de la création de KNDS et, a fortiori, sur celui de poursuivre le programme MGCS.

Les rapporteurs rappellent que cette situation est aussi la conséquence directe de l'impasse faite par la LPM sur la place du char lourd dans nos armées sur la période 2025-2040 au-delà de la rénovation en cours des chars Leclerc. La France n'a pas aujourd'hui fait le choix d'augmenter son parc de chars lourds - et donc de lancer la production d'une évolution du char Leclerc condamnant par là-même les ambitions à l'export de KNDS France et réduisant notre influence dans le programme MGCS- alors même que la guerre en Ukraine a rappelé leur rôle incontournable sur le champ de bataille. Les rapporteurs considèrent que le fait de revenir à terme sur le « non-choix » opéré dans la LPM sur le char lourd, sous réserve de mobiliser de nouveaux moyens, permettrait d'accroître la « masse critique » de nos armées et, par là-même, leur vocation à diriger un corps d'armée de l'OTAN dans la perspective d'un engagement est-européen.

Recommandation n°6 : ne pas exclure, en fonction de l'évolution de la menace, la commande après 2027 d'une évolution du char Leclerc pour accroître le nombre de nos escadrons chenillés, retrouver une place sur le marché international des blindés lourds et peser véritablement dans le programme MGCS.


* 2 Cet accord a été élargi à l'Espagne en 2021

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