- L'ESSENTIEL
- I. UNE DEUXIÈME ANNÉE DE MISE EN
OEUVRE DE LA LPM GLOBALEMENT CONFORME AUX ENGAGEMENTS
- II. DES DOUTES SUR L'UTILITÉ ET LE
FINANCEMENT DE PLUSIEURS PROGRAMMES STRUCTURANTS
- I. UNE DEUXIÈME ANNÉE DE MISE EN
OEUVRE DE LA LPM GLOBALEMENT CONFORME AUX ENGAGEMENTS
- EXAMEN EN COMMISSION
- LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
- LISTE DES DÉPLACEMENTS
N° 146 SÉNAT SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025 |
Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 novembre 2024 |
AVIS PRÉSENTÉ au nom de la commission des affaires
étrangères, de la défense |
TOME VIII DÉFENSE Équipement des forces (Programme 146) |
Par M. Hugues SAURY et Mme Hélène CONWAY-MOURET, Sénateur et Sénatrice |
(1) Cette commission est composée de :
M. Cédric Perrin, président ; MM. Pascal
Allizard, Olivier Cadic, Mmes Hélène Conway-Mouret,
Catherine Dumas, Michelle Gréaume, MM. Joël Guerriau,
Jean-Baptiste Lemoyne, Akli Mellouli, Philippe Paul, Rachid Temal,
vice-présidents ; M. François Bonneau, Mme Vivette
Lopez, MM. Hugues Saury, |
Voir les numéros : Assemblée nationale (17ème législ.) : 324, 459, 462, 468, 471, 472, 486, 524, 527, 540 et T.A. 8 Sénat : 143 et 144 à 150 (2024-2025) |
L'ESSENTIEL
La deuxième année de mise en oeuvre de la nouvelle LPM 2024-2030 marquera de manière plus concrète encore le tournant pris de la préparation à l'économie de guerre1(*) et à la haute intensité.
Depuis février 2022, les industriels ont engagé la remontée en puissance (« ramp up ») de leurs capacités de production. Cette évolution est aujourd'hui perceptible sur le terrain, dans les ateliers de fabrication, parcourus au printemps à Bourges et plus récemment à Roanne par les rapporteurs. Les processus de fabrication ont été adaptés afin d'accroître les cadences de production. L'assemblage des blindés du programme Scorpion, par exemple, s'inspire maintenant des lignes de production des grands constructeurs automobiles. Ces mêmes industriels ont pris sur eux - le plus souvent - pour investir dans des machines-outils ultra-modernes et constituer des stocks de composants. Mais les commandes de l'État demeurent limitées et ne correspondent pas encore à ce que devrait être la préparation à un conflit de haute intensité comme en témoigne le référentiel de deux mois de conflit retenu par les Armées pour reconstituer leurs stocks.
En conséquence, si la France se prépare effectivement à une guerre de haute intensité, il vaudrait mieux que celle-ci soit brève... afin de ne pas manquer de munitions. Plus problématique encore, il apparaît aujourd'hui que certains équipements structurants n'ont pas été conçus pour soutenir un combat de haute intensité. C'est le cas, par exemple, des frégates de défense et d'intervention (FDI) françaises qui sont deux fois moins pourvues en missiles que les mêmes frégates vendues à la Grèce. Par ailleurs, les navires et les blindés actuellement livrés aux forces n'ont pas été conçus pour lutter contre les attaques de drones. Si des systèmes de lutte anti-drones de tous types sont testés, acquis et déployés, il reste à en généraliser la dotation et à permettre à l'ensemble des unités de se les approprier.
Si les rapporteurs sont satisfaits par le maintien de la trajectoire de la LPM en 2025 décidé par le Gouvernement de Michel Barnier, ils s'interrogent sur le caractère suffisant de l'effort financier prévu de manière pluriannuelle compte tenu des besoins urgents de remise à niveau et de modernisation de nos équipements majeurs.
Les Armées sont, en effet, confrontées à devoir préparer deux échéances bien différentes : assurer une remontée en puissance avec effet immédiat pour être capables de participer à un affrontement majeur sur le front Est européen - ce qui pose la question des stocks de munitions, de la taille de notre parc d'artillerie, de la disponibilité des avions de chasse - mais aussi préparer l'échéance plus lointaine du renouvellement des équipements majeurs au cours des décennies 2030/2040 qui doit permettre de conserver une supériorité sur nos principaux compétiteurs. Or les moyens nécessaires à ces programmes de moyen terme n'ont pas toujours été évalués de manière satisfaisante et les besoins nouveaux n'ont pas été anticipés.
Dans ces conditions, les rapporteurs estiment que non seulement il ne faut pas perdre le rythme de la remontée en puissance mais qu'il convient, par ailleurs, de conserver le cap dans la durée en ne sacrifiant pas les équipements d'avenir aux contraintes présentes.
Au final, les rapporteurs considèrent que si le maintien des moyens prévus par la LPM en 2025 constitue une nécessité incontournable pour ne pas mettre en danger l'effort de réarmement engagé ces dernières années, les moyens de cette même LPM pourraient ne pas être suffisants pour atteindre dans la durée les objectifs qu'elle a pourtant fixés.
LES CHIFFRES CLÉ DU PROGRAMME 146 EN 2025
- Les crédits de la mission « défense » s'établiront à 50,5 Mds€, en hausse de 3,3 Mds€, conformément à la LPM ;
- Les crédits du P.146 s'établiront en 2025 à 18,9 Mds€ dont 5,7 Mds€ consacrés à la dissuasion et 10,7 Mds€ attribués aux programmes à effet majeur ;
- Les programmes d'armement (hors dissuasion) augmentent de 1,5 Md€, soit une hausse de 16% par rapport à 2024 ;
- Livraisons attendues en 2025 : une douzaine de CAESAR ; 20 Leclerc rénovés (XLR) ; 282 véhicules SCORPION ; 8 000 fusils HK416 ; 14 Rafale (standards F3 et F4), 5 Caracal et 5 Tigre rénovés ; un A400M Atlas ; une frégate de défense et d'intervention (FDI). L'année 2025 verra également se poursuivre les livraisons des drones Patroller et de leurs systèmes ;
- 400 M€ sont prévus en 2025 en vue de moderniser l'équipement des forces spéciales ;
- 2025 sera marquée par le lancement de la réalisation du PA-NG, successeur du Charles-de-Gaulle en 2038 ainsi que du standard F5 du Rafale accompagné de son drone de combat ;
- 1,9 Md€ seront consacrés aux commandes de munitions, soit 400 millions d'euros de plus qu'en 2024 ce qui représente une augmentation de +27 % (AASM, Meteor, torpilles lourdes, Mistral, Aster, Scalp, Exocet et des lots d'obus de 155mm).
I. UNE DEUXIÈME ANNÉE DE MISE EN OEUVRE DE LA LPM GLOBALEMENT CONFORME AUX ENGAGEMENTS
A. UNE HAUSSE DES MOYENS DU P.146 AU SERVICE D'UNE REMONTÉE EN PUISSANCE RÉELLE DE NOS CAPACITÉS
1. Un effort à poursuivre et à amplifier
La remontée en puissance de notre base industrielle de défense se poursuit et l'effet devient perceptible dans les unités à mesure que les livraisons se multiplient. Au cours de l'année 2024, une dizaine de CAESAR auront été livrés aux Armées ainsi que 103 SERVAL, 37 JAGUAR, 150 GRIFFON et 21 chars Leclerc rénovés (XLR). Les unités auront également pu prendre possession de 13 Rafale, 1 Caracal et 10 Tigre rénovés. Cet effort sera poursuivi et même amplifié en 2025 (voir encadré ci-dessus) en particulier en matière de livraisons de munitions de toutes sortes.
Si les livraisons de blindés se poursuivent pour l'instant au rythme défini, LPM a prévu de les décaler sur la période 2026-2032. C'est un point de vigilance pour les industriels qui souhaitent préserver cet échéancier faute de quoi ils estiment que cela mettrait en péril leurs lignes de production. La même question se pose pour la production de l'A400M, Airbus prévoyant d'arrêter sa production en 2028 si de nouvelles commandes ne sont pas passées en 2025 (l'avionneur espère pouvoir négocier la commande de 3 appareils pour l'AAE).
Concernant les livraisons d'obus de gros calibre, les rapporteurs sont en mesure d'indiquer que celles-ci seront en 2025 supérieures de près de 50% à ce qu'elles étaient en 2024, ce nombre étant lui-même très supérieur au niveau des livraisons qui existait en 2022. Le rythme de production des bombes AASM s'est également accéléré à la fois pour permettre des livraisons plus importantes à l'Ukraine et le recomplètement des stocks nationaux. Il n'en demeure pas moins que les quantités commandées et livrées restent sans commune mesure avec les besoins générés par les combats de haute intensité et les besoins de l'Ukraine.
Simplifier les normes civiles appliquées aux matériels militaires
La remontée en puissance de nos industries d'armement est trop souvent contrainte par l'obligation de respecter des normes conçues pour des matériels civils utilisés dans un cadre civil. Lors de son audition devant la commission, le DGA a indiqué que « la simplification passe également par un assouplissement de certaines normes civiles - c'est l'exemple classique de l'alarme sonore obligatoire pour la marche arrière de tout véhicule lourd, chacun comprend que le « bip de recul » n'est pas très adapté pour les véhicules de combat... ». Ces normes peuvent aussi concerner la règlementation du travail, la tenue au feu des matériaux, les clauses environnementales... Les industriels indiquent que la France se situe parmi les pays d'Europe qui accordent le moins d'exemptions à l'application de ces normes dans le secteur de la défense. La DGA ayant travaillé sur une liste de normes à simplifier les rapporteurs font part de leur disponibilité pour examiner les modifications à apporter dans le domaine législatif.
2. La nécessité de porter de 2 à 6 mois le référentiel d'un combat de haute intensité
Les Armées reconnaissent aujourd'hui que le niveau des stocks de munitions est variable selon les catégories mais qu'il s'améliore et devrait revenir à des niveaux « satisfaisants » d'ici 2030. À noter toutefois que les besoins sont évalués en fonction d'un référentiel correspondant à 2 mois de combats en haute intensité, ce qui constitue une hypothèse très basse qui reflète d'abord les contraintes budgétaires.
Les rapporteurs considèrent qu'il conviendrait de porter de 2 à 6 mois le référentiel permettant de calculer les besoins générés par un affrontement de haute intensité pour tous les matériels et consommables nécessitant une utilisation massive (obus de 120 et 155mm, AASM, Aster, Meteor...) afin de laisser un temps suffisant en cas d'engagement aux industriels pour passer en économie de guerre. Ils estiment, par ailleurs, que les capacités de production des matériels soumis à des évolutions technologiques rapides (MTO, drones, outils de guerre électronique...) doivent être correctement dimensionnées afin de permettre un « ramp up » rapide en cas de conflit.
Recommandation n°1 : porter de 2 à 6 mois la durée du référentiel retenu aujourd'hui par les Armées pour déterminer le niveau des stocks de munitions et de matériels de base nécessaires pour conduire un affrontement de haute intensité.
Le renouvellement des composantes de la dissuasion nucléaire
Si les CP consacrés à la dissuasion augmentent de 9% en 2025, les AE s'accroitront quant à elles de presque 700% à près de 26 Mds€. Ces moyens nouveaux doivent permettre de poursuivre dans la décennie à venir le renouvèlement des deux composantes, aéroportée et océanique.
Depuis 2023, les forces aériennes stratégiques (FAS) sont destinataires de l'ASMPA-rénové. Cette version tenant compte de l'évolution des défenses aériennes adverses devrait doter prochainement la force aéronavale nucléaire (FANU).
À l'horizon 2035, le standard F5 du Rafale dont la réalisation vient d'être demandée à Dassault devra être en mesure de porter l'ASN4G. Ce nouveau système d'armes hypervéloce (hypersonique manoeuvrant) devrait connaître en 2025 une évolution majeure avec le lancement de sa réalisation.
Si le premier SNLE 3G ne devrait pas être admis au service actif avant l'horizon post-2030, l'année 2025 sera marquée par la livraison des premiers missiles M51.3 équipés de la tête nucléaire océanique (TNO-2) à destination des SNLE en service comme du futur SNLE 3G.
Les rapporteurs rappellent que la performance d'ensemble du raid nucléaire passe aussi par la disponibilité et l'adaptation des porteurs de l'arme nucléaire (Rafale Air et Marine), et des avions ravitailleurs. Or si le PLF 2025 prévoit le lancement du standard F5 du Rafale il reste muet sur l'évolution de son moteur. Les rapporteurs appellent donc le ministre des Armées à engager le plus rapidement possible le développement T-REX du moteur M 88 pour préserver l'efficacité de la composante aérienne de la dissuasion.
Recommandation n°2 : sanctuariser les moyens nécessaires au renouvellement et au déploiement de la dissuasion nucléaire (ASN4G, SNLE-NG, PA-NG, Rafale F5...) pour conserver notre crédibilité dans un contexte stratégique redevenu moins prévisible.
B. LA NÉCESSAIRE VIGILANCE CONCERNANT LA PRISE EN CHARGE DES OPEX PAR LA LPM AU DÉTRIMENT DES ÉQUIPEMENTS
Si les rapporteurs se réjouissent du maintien de la marche de 3,3 Mds€ en 2025, ils s'interrogent sur le risque que cette hausse des moyens soit in fine absorbée par le coût croissant de la prise en charge des OPEX qui n'est traditionnellement pas complètement budgété et qui repose donc pour partie sur des crédits interministériels dégagés par des annulations de crédits sur les budgets de tous les ministères, y compris celui des Armées. « S'agissant de la fin de gestion 2024, l'arbitrage rendu porte les annulations de crédits à 532 millions d'euros, contre 505 millions l'an passé » a indiqué le DGA Emmanuel Chiva devant la commission reconnaissant que ces annulations n'étaient pas satisfaisantes mais précisant que « ces gels n'entraineront que des décalages limités à quelques mois ».
Lors de son audition par la commission, le Ministre des Armées, Sébastien Lecornu a déclaré qu'il avait demandé un rapport sur la classification des OPEX ainsi que sur les modalités de leur prise en charge en laissant entendre que les missions de réassurance dans le cadre de l'OTAN n'avaient pas nécessairement vocation à être financées par la solidarité interministérielle (voir encadré).
Vers un poids croissant de la prise en charge des OPEX dans la LPM ?
Auditionné devant la CAEDFA le 15/10/24, le Ministre des Armées a ouvert le débat sur une évolution de la prise en charge des OPEX :
« Les opérations extérieures sont financées par les provisions que vous avez votées, puis, si ces provisions sont dépassées, soit par un financement interministériel soit par la définition d'un nouveau plafond en cours de gestion. Cette dernière possibilité est peut-être d'ailleurs préférable à la première, car un financement interministériel revient à raboter les budgets d'autres ministères. Je ne suis pas sûr que diminuer la dotation globale de fonctionnement (DGF) des communes pour financer des opérations militaires soit une bonne solution... (...)
Pour le dire autrement, nous redécouvrons les missions « otaniennes ». L'opération Chammal est évidemment une Opex de combat, par laquelle nous luttons contre les terroristes de Daesh au Levant, sur laquelle le Parlement s'est prononcé à la suite de la modification de l'article 35 de la Constitution portée par la réforme constitutionnelle du président Sarkozy. Elle n'est pas comparable avec les missions de réassurance, telles que celle que nous menons en Roumanie, dans lesquelles il n'y a pas de combat. Et pourtant, être présent en Roumanie n'est pas la même chose qu'être présent sur le territoire national. (...)
Les missions de réassurance en Roumanie doivent-elles faire l'objet d'un écrêtement du budget de la santé, de l'éducation nationale ou de la DGF des communes ? Je pense que la question mérite d'être posée, au regard du principe de sincérité budgétaire.
J'ai donc demandé à l'état-major des armées, au contrôle général des armées, au secrétaire général pour l'administration de rédiger un rapport sur le sujet. Je le transmettrai au Parlement. »
Le coût des engagements extérieurs étant croissant, il est à craindre que leur financement sur le budget du ministère des Armées ait pour conséquence de rendre impossible le respect de la LPM notamment en ce qui concerne le financement de certains programmes d'intérêt majeur. Par ailleurs, l'engagement des Armées sur le territoire national étant également en augmentation (Nouvelle-Calédonie, JOP 2024...) il n'apparaît pas possible de vouloir faire financer tous les engagements non combattants par les Armées. Les rapporteurs appellent donc de leur voeu le maintien du principe de prise en charge des OPEX pour un montant forfaitaire dans le cadre de la mission « défense » afin de ne pas porter atteinte à l'application de la LPM. La volonté du législateur était parfaitement claire sur ce point lors du vote de la LPM en juillet 2023.
Recommandation n°3 : préserver l'application de la LPM en limitant l'imputation du coût des OPEX sur le Programme 146 et en assurant la transparence du coût et de la prise en charge des OPEX « non combattantes » et des opérations menées sur le territoire national (Nouvelle-Calédonie, Sentinelle, JOP de Paris 2024).
II. DES DOUTES SUR L'UTILITÉ ET LE FINANCEMENT DE PLUSIEURS PROGRAMMES STRUCTURANTS
A. DEUX GRANDS PROGRAMMES MENÉS EN COOPÉRATION DONT L'AVENIR POURRAIT SE JOUER EN 2025
Le lancement des phases d'études du SCAF et du MGCS en recourant à la méthode des piliers a, certes, permis de préciser le rôle de chacun des acteurs mais il n'a pas levé les interrogations sur l'avenir de ces programmes. Les auditions réalisées par les rapporteurs ont mis en évidence un décalage croissant entre la conduite des deux programmes qui se poursuit et l'analyse des industriels concernés qui estiment que les conditions du succès ne sont plus nécessairement réunies. Cette situation justifiera un réexamen objectif en 2025 afin de s'assurer que les équilibres sont toujours respectés ou, à défaut, l'exploration de scenarii alternatifs.
1. Le programme SCAF fragilisé par le non-respect du principe du « best athlete » et les restrictions à l'exportation allemandes
Alors même que la répartition des rôles entre les industriels français et allemands (Dassault, Airbus, Safran, MTU, Thales...) n'était déjà pas évidente, l'entrée de l'Espagne dans le projet de chasseur et de drone de combat du futur a compliqué son organisation tout en réduisant mécaniquement la part réservée aux industriels français. Les auditions menées avec les industriels ont mis en évidence que les travaux conduits sur le moteur par Safran et MTU se déroulaient de manière satisfaisante en respectant l'équité dans la répartition de la charge de travail et les leaderships dans une logique de « best athlete ». Les rapporteurs rappellent la nécessité pour tous les industriels associés au programme, notamment sur la partie moteur, d'être au rendez-vous tant en termes d'excellence technologique que de niveaux d'investissement.
Si la coopération entre en Dassault et Airbus se déroule de manière professionnelle dans le cadre de la répartition des piliers, l'attention des rapporteurs a été attirée sur le fait que les membres du « club Rafale » étaient réservés à l'idée que les licences d'exportation du NGF pourraient être soumises à la libre appréciation du Bundestag, ce qui constitue un obstacle de taille pour la commercialisation du NGF et plus généralement du système dans lequel il sera intégré.
Les rapporteurs regrettent que le principe du « best athlete » n'ait pas systématiquement été privilégié pour attribuer les différents lots. Ils rappellent l'importance de la composante aérienne dans la stratégie de dissuasion aérienne qui ne peut tolérer de compromis sur les performances technologiques compte tenu du caractère de plus en plus disputé des espaces aériens.
Des restrictions à l'export allemandes sur le SCAF toujours bien réelles
Les règles applicables à l'exportation du SCAF demeurent un point crucial du programme qui n'a pas été réglé par l'accord franco-allemand du 23 octobre 2019 relatif au contrôle des exportations en matière de défense2(*) puisque son article 3 limite l'absence de droit de regard allemand aux exportations françaises comprenant moins de 20% de produits industriels allemands sauf « lorsque ce transfert ou cette exportation porte atteinte à ses intérêts directs ou à sa sécurité nationale ». Les industriels allemands étant associés pour un tiers au projet, il y a tout lieu de s'inquiéter sur la future capacité de la France à exporter librement ce système d'arme.
Lors de son audition devant la commission le ministre des Armées a déclaré qu'« un sommet aura lieu en décembre sur le Scaf, au cours duquel le démonstrateur sera évoqué. Nous devrons traiter des questions politiques, telles que l'export, mais aussi des questions opérationnelles : à quoi ressemble l'avion ? Quel est son poids, sa capacité à correspondre aux besoins de la dissuasion nucléaire française, à apponter sur un porte-avions ? ».
Lors de son audition par la commission, le DGA a ajouté que le successeur du Rafale devait être en mesure de porter le missile nucléaire et que l'absence de restriction à l'export était une condition sine qua non que nous avions posée.
Les rapporteurs rappellent également concernant les règles d'exportation que, ces dernières années, la doctrine allemande en matière d'exportation d'armement était fixée dans les accords de coalition qui l'emportent sur les engagements négociés avec la France. Par ailleurs, les rapporteurs ne peuvent qu'être préoccupés de voir émerger un débat en Allemagne sur la création d'une instance multilatérale qui aurait le pouvoir de s'opposer à un contrat d'exportation négocié par les autorités françaises. Une telle contrainte aurait inévitablement pour conséquence de réduire considérablement les perspectives d'exportation et donc de fragiliser l'équation économique et financière du programme.
Recommandation n°4 : organiser un débat au Parlement en 2025, après les élections allemandes, sur l'avenir du SCAF (caractéristiques du système, modalités de production et d'exportation).
Recommandation n°5 : refuser tout mécanisme de contrôle multilatéral des exportations d'armements ayant fait l'objet d'un programme commun européen. La France doit demeurer souveraine en matière d'exportation d'armements.
2. Le programme MGCS affaibli par l'alliance entre Rheinmetall et Leonardo autour du KF-51
L'accord signé en juillet 2024 entre Rheinmetall et Leonardo pour développer en commun une version du KF-51 Panther pose la question de l'avenir du programme MGCS qui n'apparaît toujours pas prioritaire pour les industriels allemands Rheinmetall et KNDS Deutschland compte tenu des nombreuses commandes de chars Léopard II et maintenant de l'alliance nouée avec les Italiens.
Si les armées de Terre française et allemande partagent l'objectif de pouvoir disposer à l'horizon 2040/2050 d'un système blindé de rupture reposant sur une même architecture technique la question reste posée - compte tenu des difficultés à valoriser les expertises réciproques des partenaires - de savoir dans quelle mesure le choix d'un programme commun dominé en réalité de plus en plus par les industriels allemands répond encore à nos besoins et à nos intérêts.
La DGA a indiqué aux rapporteurs que l'année 2025 serait marquée par la création de la société de projet MGCS ainsi que par la signature des premiers contrats avec les industriels. Emmanuel Chiva a rappelé que le char Leclerc ne serait pas remplacé avant 2040 et qu'il y avait donc encore du temps pour poursuivre le programme MGCS ou faire le choix d'une autre solution permettant de répondre au même niveau de besoin.
Les rapporteurs constatent qu'aujourd'hui les conditions d'une coopération franco-allemande sereine sur le char ne sont pas réunies comme l'illustre l'impossibilité pour KNDS France de commercialiser l'ASCALON doté de tubes de 120 ou de 140 mm sur un châssis allemand pour ne pas concurrencer le LEOPARD. Alors que cette innovation française constitue une contribution importante au projet MGCS, elle semble écartée de toute perspective de commercialisation afin de préserver le leadership de Rheinmetall et KNDS Deutschland, ce qui interroge sur l'intérêt même de la création de KNDS et, a fortiori, sur celui de poursuivre le programme MGCS.
Les rapporteurs rappellent que cette situation est aussi la conséquence directe de l'impasse faite par la LPM sur la place du char lourd dans nos armées sur la période 2025-2040 au-delà de la rénovation en cours des chars Leclerc. La France n'a pas aujourd'hui fait le choix d'augmenter son parc de chars lourds - et donc de lancer la production d'une évolution du char Leclerc condamnant par là-même les ambitions à l'export de KNDS France et réduisant notre influence dans le programme MGCS- alors même que la guerre en Ukraine a rappelé leur rôle incontournable sur le champ de bataille. Les rapporteurs considèrent que le fait de revenir à terme sur le « non-choix » opéré dans la LPM sur le char lourd, sous réserve de mobiliser de nouveaux moyens, permettrait d'accroître la « masse critique » de nos armées et, par là-même, leur vocation à diriger un corps d'armée de l'OTAN dans la perspective d'un engagement est-européen.
Recommandation n°6 : ne pas exclure, en fonction de l'évolution de la menace, la commande après 2027 d'une évolution du char Leclerc pour accroître le nombre de nos escadrons chenillés, retrouver une place sur le marché international des blindés lourds et peser véritablement dans le programme MGCS.
B. LA NÉCESSITÉ DE RÉPONDRE AUX NOUVELLES MENACES TOUT EN FINANÇANT LES GRANDS PROGRAMMES STRUCTURANTS DE LA PROCHAINE DÉCENNIE
Si la mise en oeuvre de la LPM devrait respecter en 2025 la trajectoire fixée en 2023, c'est bien cette dernière qui pose aujourd'hui question au regard des objectifs affichés tout comme des nécessités nouvelles apparues postérieurement à son adoption. Comme le rappelle l'état-major des Armées, le P.146 est essentiellement un programme du temps long et la plupart de opérations sont pluriannuelles. Les crédits de paiement d'une année résultent de commandes passées plusieurs années auparavant. Mais le P.146 est aussi un programme du temps court qui doit être capable de manoeuvrer afin de permettre les adaptations et conserver une capacité d'évolution.
Par ailleurs, les rapporteurs ont observé que certaines commandes avaient été retardées du fait de la dissolution de l'Assemblée nationale et qu'il était indispensable qu'elles interviennent d'ici la fin de l'année pour ne pas pénaliser les entreprises qui ont constitué des stocks en prévision de leur réalisation notamment en matière de munitions.
1. Une capacité d'adaptation du P.146 contrainte pour tenir compte des nouveaux besoins
Les crises récentes obligent à réinterroger les choix qui ont pu être réalisés ces dernières années compte tenu des nouvelles menaces. Sur le caractère suffisant des équipements par exemple : est-il raisonnable que les frégates de défense et d'intervention (FDI) françaises soient moins pourvues en missiles que les mêmes frégates vendues à la Grèce ? N'est-il pas devenu urgent de remettre à niveau leur armement pour faire face aux menaces d'engagements de haute intensité ? Concernant toujours l'équipement de nos navires, comment expliquer la faiblesse de leur protection contre les drones près de trois ans après le déclenchement de la guerre en Ukraine ? Si des initiatives ont été prises pour permettre notamment le recomplétement en missiles Aster hors de France, force est de constater que la protection de nos navires doit encore être durcie, ce qui nécessite des moyens qui n'ont pas nécessairement été prévus par le LPM. Cette question de la protection contre les drones se pose de la même façon concernant les unités blindées terrestres.
Dans ces conditions, les rapporteurs regrettent le retard pris dans le développement de certaines munitions (30 mm et 40 mm Airbust) qui pourraient réduire le potentiel des matériels comme la tourelle RapidFire et le Serval LAD. Ils considèrent également dommageable l'absence de crédits pour des budget d'études concernant les nouvelles munitions téléopérées comme le Katana de KNDS qui doit permettre d'améliorer la portée et la précision des canons CAESAR. Les rapporteurs saluent a contrario l'acquisition en juillet dernier de 3 armes laser HELMA-P auprès de Cilas et examineront avec intérêt les résultats de leur mise en oeuvre dans le cadre de la lutte anti-drones.
Dans un autre registre, MBDA vient de présenter une nouvelle version de son missile antinavire pour sous-marins dénommée SM40 dont les performances sont nettement supérieures à son prédécesseur en dotation dans la Marine nationale (portée de 120km contre 50km pour le SM39 B2 Mod 2) mais aucun crédit n'est prévu dans la LPM pour procéder à son acquisition. La situation est un peu différente concernant les bombes AASM de Safran dont les nouvelles versions dotées de portée accrue ont été prises en compte dans la LPM.
Enfin, il convient d'évoquer la « Force d'acquisition rapide » qui a déjà permis l'acquisition de la MTO OSKAR conçue par le duo KNDS/Delair. Ce « drone de contact » devrait commencer à être livré aux forces en 2025.
Quel choix pour l'artillerie à longue portée ?
Alors que la LPM a prévu des crédits pour donner un successeur aux LRU dont la fin de vie est prévue en 2027 et que la guerre en Ukraine a confirmé le caractère essentiel des systèmes d'artillerie longue portée, le Ministère des Armées a tardé à arrêter son choix entre les deux offres conçues respectivement par Safran/MBDA et Thales/ArianeGroup. Lors de son audition le DGA a néanmoins indiqué que les deux groupements avaient reçu commande pour la réalisation d'un démonstrateur et qu'une compétition serait organisée avant la fin de l'année 2025 afin de lancer une commande dans la foulée permettant de pouvoir disposer d'un successeur « souverain » au LRU.
Recommandation n°7 : commander effectivement le successeur du LRU à la fin de l'année 2025 afin de doter dans les meilleurs délais nos forces d'une solution souveraine développée par notre BITD.
2. La nécessité d'appliquer « avec constance »la trajectoire de la LPM
Les auditions des rapporteurs ont mis en évidence que la LPM a été calibrée au plus juste, voire en deçà des besoins réels, pour ce qui concerne plusieurs programmes d'intérêt majeur. C'est le cas notamment du standard F5 du Rafale qui doit permettre de délivrer le futur missile nucléaire ASN4G. Cet avion sera doté d'un nouveau radar, d'un nouveau système de guerre électronique, de nouveaux capteurs optroniques et sera accompagné d'un drone de combat. Pourtant, malgré une prise de poids significative et des besoins accrus en génération électrique, la LPM n'a pas prévu l'enveloppe correspondant à la montée en puissance du moteur M 88 pourtant indispensable.
La motorisation à poussée augmentée T-REX et le Rafale F5
Safran et la DGA ont élaboré conjointement ces dernières années une feuille de route moteur militaire, basée sur une logique incrémentale d'évolution et l'apport des programmes d'études amont (PEA) / projets de technologies de défense (PTD) engagés par la France. Afin d'accompagner l'augmentation de la masse de la charge utile du Rafale ainsi que son développement dans le cadre du standard F5, Safran a proposé un moteur M88 à poussée augmentée (M88 T-REX). Le surcroît de puissance apporté par le M88 T-REX permet une amélioration des performances opérationnelles du Rafale et de sa compétitivité à l'international.
De plus, le développement et la qualification du moteur M88 T-REX permettraient également d'assurer l'indispensable transmission des compétences souveraines de motoriste complet en France, entre la génération d'ingénieurs chargée du développement du M88 et celle en charge du NGF (SCAF). Cette solution aurait également l'avantage de proposer des coûts de développement réduits par rapport à un moteur entièrement nouveau et des coûts de production et de soutien maîtrisés. Le développement du M88 T-REX constituerait, enfin, un jalon essentiel pour le maintien du savoir-faire français dans le cadre du programme SCAF.
Les rapporteurs estiment que le lancement du T-REX doit constituer une priorité de 2025 afin de donner tout son sens au lancement du standard F5 du Rafale.
Recommandation n°8 : engager dès 2025 le développement T-REX du moteur M.88 indispensable au standard F5 du Rafale et au maintien de la composante aérienne stratégique.
L'année 2025 doit également marquer un tournant pour le projet de porte-avions nucléaire de nouvelle génération (PA-NG) avec l'aboutissement de la phase d'avant-projet détaillé et le début de la phase de lancement et de réalisation. Si les travaux ont déjà commencé pour réaliser les chaufferies nucléaires, le bâtiment ne devrait commencer à prendre forme à Saint-Nazaire dans les Chantiers de l'Atlantique qu'en 2031, avec l'installation des deux chaufferies dans la section nucléaire de la coque. Les essais à la mer sont prévus en 2035/2036 tandis que l'entrée en service du bâtiment entier est attendue autour de 2038 pour succéder au Charles-de-Gaulle. Le respect des échéances apparaît d'autant plus crucial que les Chantiers de l'Atlantique ont « réservé » leurs capacités industrielles pour la construction du PA-NG pour une durée donnée en renonçant à construire des bâtiments civils sur ce créneau (« slot »). Le nouveau porte-avions est également conçu pour pouvoir emporter le SCAF, son drone de combat et d'autres drones ce qui implique une étroite coordination des deux projets.
Alors que ce projet constitue la colonne vertébrale de notre industrie navale militaire, les rapporteurs se sont vus rappeler par les industriels concernés qu'il manquait toujours 1 Md€ de crédits de paiement pour financer le début de la réalisation du bâtiment d'ici 2027. Tout comme pour le T-REX, la LPM a sous-estimé le besoin budgétaire de ce programme phare, ce qui interroge quant à la sincérité de certains éléments de la programmation budgétaire.
Lors de son audition par la commission, le DGA a d'ailleurs reconnu que le « T Rex » n'était pas prévu initialement et que le devis n'était pas finalisé sur le porte-avions de nouvelle génération.
Des interrogations similaires concernent d'autres programmes comme les frégates de défense et d'intervention (FDI) dont les numéros 4 et 5 n'ont toujours pas été commandées alors que leur livraison est maintenant prévue à l'horizon 2031/2032. Une réorientation de ces navires à l'export est maintenant envisagée ce qui ne permettra pas de faire remonter le tonnage de la Marine nationale malgré ses besoins importants.
Concernant le programme SCORPION, l'étalement des livraisons de 500 blindés ne devrait pas faire l'objet de nouvelles modifications selon le chef d'état-major de l'Armée de Terre qui envisage plutôt de faire évoluer les spécificités de certains exemplaires commandés pour les adapter aux nouvelles menaces, comme la lutte anti-drones.
Recommandation n°9 : clarifier rapidement les modalités de financement des projets d'intérêt majeurs inscrits dans la LPM dont les crédits n'ont pas été programmés.
Le recours de plus en plus prononcé à des artifices budgétaires comme les reports de charges (dont le montant croit chaque année et dont une partie devra être payée après 2027), les étalements de programmes et in fine la réduction des ambitions technologiques de certains programmes doit nous alerter sur les faiblesses intrinsèques de la LPM. Alors que la guerre en Europe s'étend et s'internationalise avec l'implication de la Corée du Nord en Ukraine, la question du format même de la LPM ne pourra pas être très longtemps ignorée en dépit d'un contexte budgétaire contraint. Dans l'immédiat, il apparaît d'autant plus indispensable de préserver la hausse des moyens prévue par la LPM car comme l'a souligné Emmanuel Chiva lors de son audition devant la commission « sans cette marche de la LPM, on ne pourrait tout simplement pas engager d'opérations nouvelles l'an prochain ».
Dans ces conditions, les rapporteurs rappellent la nécessité que le PLF 2025 soit bien adopté par le Parlement d'ici la fin de l'année afin de préserver la marche de 3,3 Mds€ qui est indispensable à notre effort de défense.
Recommandation n°10 : préserver absolument la marche de 3,3 Mds€ prévue par la LPM en 2025 et inscrite dans le PLF 2025 que le Parlement doit adopter d'ici la fin de l'année.
Le mercredi 27 novembre 2024, sous la présidence de M. Cédric Perrin, président, la commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 146 de la mission défense dans le projet de loi de finances pour 2025, Mme Hélène Conway-Mouret, co-rapporteure, s'étant abstenue.
EXAMEN EN COMMISSION
Au cours de sa réunion du mercredi 27 novembre 2024, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Cédric Perrin, président, a procédé à l'examen des crédits du programmes 146 « Équipement des forces » de la mission « Défense » du projet de loi de finances pour 2025.
M. Cédric Perrin, président. - Nous passons maintenant au programme 146 d'équipement des forces. La parole est à Hélène Conway-Mouret.
Mme Hélène Conway-Mouret, co-rapporteur. - Monsieur le Président, mes chers collègues, le PLF 2025 qui met en oeuvre la deuxième année de la LPM avec sa marche de 3,3 Mds€ constitue un moment de clarification. Le ministère des Armées n'évoque plus, en effet, le passage à l'économie de guerre mais, de manière plus réaliste, la « préparation à l'économie de guerre ».
Vous vous souvenez peut-être que nous avions vivement regretté l'année dernière l'emploi de cette expression qui ne correspondait pas à la réalité. Le rythme de production des munitions et des matériels ne permettait pas, en effet, de répondre à un engagement de haute intensité ni à aider suffisamment l'Ukraine. Qu'en est-il aujourd'hui ? Les déplacements que nous avons effectués sur le terrain au mois de mai à Bourges et en octobre dernier à Roanne ont montré que les choses bougeaient. Les processus de fabrication ont été adaptés afin d'accroître les cadences de production. L'assemblage des blindés du programme Scorpion, par exemple, s'inspire maintenant des lignes de production des grands constructeurs automobiles. Ces mêmes industriels ont pris sur eux pour investir dans des machines-outils ultra-modernes et constituer des stocks de composants.
Cette remontée en puissance de notre BITD permettra de poursuivre en 2025 les livraisons d'équipements prévus par la LPM (une douzaine de CAESAR ; 20 Leclerc rénovés (XLR) ; 282 véhicules SCORPION ; 8 000 fusils HK416 ; 14 Rafale (standards F3 et F4), 5 Caracal et 5 Tigre rénovés ; un A400M Atlas ; une frégate de défense et d'intervention (FDI)). Mais les effets seront également visibles en matière de munitions, la hausse de 27% des crédits permettant de regarnir les stocks d'obus, de bombes et de missiles.
Si nous nous réjouissons de cette remontée en puissance, il convient néanmoins d'être réaliste sur son ampleur. Nous avons, en effet, demandé à l'état-major de nous indiquer ce qu'il entendait par « combat de haute intensité » et celui-ci nous a répondu qu'il avait pris pour référence un engagement de deux mois pour définir ses besoins en matériels, munitions et logistique. Ce délai de 2 mois ne peut que nous interroger après bientôt trois années de guerre en Ukraine. Il est en effet trop bref pour permettre aux industriels de passer en économie de guerre et prendre le relais. C'est la raison pour laquelle notre première recommandation est de porter de 2 à 6 mois la durée du référentiel retenu aujourd'hui par les Armées pour déterminer le niveau des stocks de munitions et de matériels de base nécessaires pour conduire un affrontement de haute intensité. Ce changement de référentiel nécessiterait bien évidemment des moyens supplémentaires que nous souhaitons évaluer précisément dans les mois qui viennent.
Le deuxième sujet important sur lequel je souhaiterais insister concerne le renouvellement des composantes de la dissuasion nucléaire qui sera engagé en 2025. Les autorisations d'engagement augmenteront de presque 700% à près de 26 Mds€ afin de permettre le renouvellement à la fois de la composante aéroportée (ASM4G) et de la composante océanique (M 51.3 et SNLE 3G). Ces équipements s'inscrivent dans le temps long mais ils sont fondamentaux pour garantir la sécurité des générations futures à un moment où le contexte stratégique est redevenu moins prévisible. Notre 2ème recommandation est donc de sanctuariser les moyens nécessaires à notre dissuasion nucléaire.
Si nous estimons nécessaire de rappeler la nécessité de garantir les moyens de la LPM c'est aussi parce que le ministre des Armées a volontairement entretenu le flou sur la gestion de ces crédits. Alors que le délégué général à l'Armement nous a rappelé que 532 M€ de crédits seraient annulés en 2024 sur le programme 146 (après l'annulation de 505 M€ en 2023) pour financer les OPEX, le ministre a ouvert la perspective qu'une part croissante des OPEX pourrait à l'avenir être financée par les crédits de la LPM, en contradiction avec le principe qui avait été réaffirmé lors des débats de 2023.
Compte tenu de l'importance que devraient prendre les missions de réassurance sur le front est-européen dans les années à venir, leur financement par le budget des Armées reviendrait en réalité à ne plus respecter la LPM. C'est la raison pour laquelle notre 3ème recommandation vise à préserver une contribution forfaitaire du ministère des Armées au financement des OPEX mais également à assurer la transparence du coût des OPEX « non combattantes » et des opérations menées sur le territoire national (Nouvelle-Calédonie, Sentinelle, JOP 2024...).
Avant de céder la parole à mon collègue co-rapporteur quelques mots sur le programme SCAF pour lequel l'année 2025 sera une année décisive. La coopération industrielle demeure complexe. Si le recours à la méthode des piliers a permis de répartir le travail en respectant les savoir-faire de Dassault et Safran, des inquiétudes existent. Nous rappelons donc la nécessité pour tous les industriels associés aux programmes allemand et espagnol, notamment sur la partie moteur, d'être au rendez-vous tant en termes d'excellence technologique que de niveaux d'investissement.
Mais le principal sujet d'achoppement concerne toujours la différence d'organisation entre la France et l'Allemagne en matière d'agrément des exportations d'armement. L'accord franco-allemand signé en octobre 2019 n'a en réalité pas permis de lever les incertitudes puisqu'il ne concerne que les exportations pour lesquelles les produits industriels allemands ne comptent que pour moins de 20% du total. L'expérience récente du contrat Eurofighter en Arabie saoudite a mis en évidence que le Bundestag n'entendait pas se dessaisir de cette compétence et qu'elle était un enjeu majeur des contrats de coalition. Le DGA nous a indiqué qu'un sommet organisé le mois prochain consacré au SCAF devrait permettre de clarifier le régime des exportations et les caractéristiques de l'avion qui doit être capable d'aponter et de porter le missile nucléaire. L'absence de restriction à l'export étant une condition sine qua non posée par la France pour engager ce programme, si elle devait ne pas être respectée c'est son avenir même qui serait remis en cause.
Il nous apparaît d'autant plus nécessaire de réaffirmer nos « lignes rouges » qu'on voit émerger outre-rhin l'idée de créer une instance multilatérale qui aurait le pouvoir de s'opposer à un contrat d'exportation négocié par les autorités françaises. Une telle contrainte aurait inévitablement pour conséquence de réduire considérablement les perspectives d'exportation et donc de fragiliser l'équation économique et financière du programme SCAF. C'est la raison pour laquelle notre 4ème recommandation vise à organiser un débat au Parlement en 2025, après les élections allemandes, sur l'avenir du SCAF. De même, notre 5ème recommandation consiste à refuser tout mécanisme de contrôle multilatéral des exportations d'armements ayant fait l'objet d'un programme commun européen. La France doit demeurer souveraine en matière d'exportation d'armements.
Avant de céder la parole à mon collègue co-rapporteur, je souhaitais vous faire part du dilemme auquel nous faisons face. D'un côté, le budget maintient la marche de 3,3 Mds€ et des progrès réels sont constatés sur le terrain. Mais nous devons aussi nous inquiéter des insuffisances persistantes pour nous préparer à la haute intensité et des impasses nombreuses qui effleurent dans ce budget (programmes non financés, reports de charges, référentiel insuffisant sur la haute intensité...). Le compte n'y est pas, il manque pas mal de crédits. C'est pourquoi je propose que la commission donne un avis de sagesse à l'adoption des crédits du programme 146 dans la mission « Défense ». Ce serait un signal lancé par notre commission afin que le ministre des Armées clarifie en séance ses priorités et nous indique quels programmes seront touchés par le manque de crédits. Pour ma part je m'abstiendrai en séance sur le vote des crédits de la mission défense.
M. Hugues Saury, co-rapporteur. - Monsieur le Président, mes chers collègues, il y a certes des interrogations sur les reports de charges, sur l'avenir du programme SCAF et j'ajouterai que le MGCS, l'autre grand programme mené en coopération avec les Allemands, n'est pas dans une meilleure situation depuis l'accord signé entre Rheinmetall et Leonardo en juillet 2024 pour développer le KF-51 Panther. Les armées française et allemande ont beau avoir défini une feuille de route commune pour disposer d'un même matériel, les industriels allemands poursuivent leur stratégie solitaire. Plus ennuyeux encore, KNDS Allemagne fait obstacle à ce que KNDS France propose sa propre solution du canon ASCALON monté sur un châssis allemand afin de ne pas nuire au LEOPARD.
Il faut avoir à l'esprit que notre affaiblissement dans le blindé lourd est directement la conséquence du non-choix fait dans la LPM concernant l'avenir de cette arme dont la guerre en Ukraine a pourtant démontré qu'elle demeurait incontournable. En excluant l'accroissement nos moyens lourds nationaux au-delà de la rénovation en cours des Leclerc existants, notre pays s'est créé une dépendance à l'égard d'un programme plurinational et a pour ainsi dire précipité notre affaiblissement dans le concert européen industriel. Alors que tous les pays de l'Union européenne ont relancé les commandes de chars lourds notre 6ème recommandation vise donc à ne pas exclure de rouvrir ce dossier à compter de 2027 en fonction de l'évolution de la menace et de la clarification des coopérations. La commande d'une évolution du char Leclerc permettrait, en effet, d'accroître le nombre de nos escadrons chenillés, de retrouver une place sur le marché international des blindés lourds et de peser véritablement dans le programme MGCS.
Si le SCAF et le MGCS occupent beaucoup notre attention, les moyens contraints de la LPM ont aussi pour conséquence de réduire notre capacité à adapter nos matériels aux nouvelles menaces. Les frégates FDI, par exemple, n'ont pas été armées pour des combats de haute intensité et nos navires comme nos blindés n'ont pas été prévus nativement pour lutter contre les drones. Il faut donc trouver des moyens pour répondre aux nouvelles menaces ce qui n'est pas simple comme l'illustre le retard pris pour développer de nouvelles munitions 30 mm et 40 mm Airbust pourtant utiles pour lutter contre les drones.
Dans ces conditions, on ne peut que saluer la relance du programme visant à donner un successeur au LRU. Les deux groupements constitués (Safran/MBDA et Thales/ArianeGroup) auront l'année 2025 pour réaliser un démonstrateur et mettre en valeur ses performances avant le lancement de commandes par l'État. Même s'il apparaît maintenant illusoire de pouvoir disposer de ces nouveaux matériels en 2027, date de retrait du service envisagée pour les LRU, le choix d'un matériel souverain constitue une satisfaction et notre 7ème recommandation vise à tenir le délai des commandes fin 2025.
J'en viens maintenant au sujet le plus important de l'année 2025 : le lancement du standard F5 du Rafale. Plus qu'une évolution il s'agira d'un tout nouvel avion doté d'un nouveau radar, de nouveaux capteurs optroniques, d'un nouveau système de guerre électronique et d'un drone de combat. Cet avion devra être capable de délivrer le missile nucléaire ASN4G qui sera plus lourd que le missile actuel. Or malgré les limites du moteur M. 88 et les besoins accrus, la LPM n'a pas prévu les crédits pour financer l'évolution T-REX qui doit porter de 7,5 à 9 tonnes la poussée du moteur M.88. Cette évolution est indispensable pour garantir la manoeuvrabilité de l'avion et donc la sécurité des pilotes. Elle doit aussi assurer la préservation du savoir-faire de Safran au niveau européen. Notre 8ème recommandation consiste donc à lancer le développement T-REX en même temps que le standard F5, dès 2025.
L'année 2025 constituera également un rendez-vous important pour le nouveau porte-avions nucléaire. Et comme pour le moteur du standard F5, les crédits n'ont pas été prévus de manière suffisante par la LPM puisqu'il manque 1 milliard d'euros sur la période 2025-2027 pour lancer sa réalisation. La construction d'un tel bâtiment exige une programmation très précise compte tenu de la disponibilité des chantiers, ce qui exclut la possibilité d'un étalement dans le temps. Et il ne serait pas davantage judicieux de rogner sur les performances techniques. Notre 9ème recommandation vise donc à clarifier rapidement les modalités de financement des projets d'intérêt majeur inscrits dans la LPM dont les crédits n'ont pas été prévus de manière suffisante.
Je terminerai en partageant avec vous mes interrogations concernant l'avenir de cette LPM. Il faut être vigilant car le respect de cette programmation n'est pas acquis dans le contexte budgétaire actuel. On découvre par ailleurs que plusieurs très grands programmes ne sont pas financés. Le ministre des Armées nous fait part de son intention de financer de plus en plus d'OPEX sur les crédits du P.146. On constate, ensuite, un recours croissant aux reports de charges ce qui reviendra à différer le paiement d'une partie des dépenses après 2027. Enfin, les retards pris dans le lancement de certains programmes comme le LRU et le T-REX auront aussi pour effet de ne pas respecter la programmation annuelle.
De telles difficultés sont inhérentes à la mise en oeuvre des lois de programmation militaires. Il reste à s'assurer néanmoins que ces accommodements demeureront dans la limite du raisonnable et ne viendront pas remettre en question les fondements même de la LPM. Ce sera notre mission d'y veiller.
Dans l'immédiat, je rappelle que le respect de la marche des 3,3 Mds€ est indispensable et que celui-ci est subordonné à l'adoption du PLF par le Parlement. Autrement dit, il y aurait tout lieu de s'inquiéter pour la LPM si l'Assemblée nationale n'adoptait pas le budget fin décembre. Notre 10ème et dernière recommandation vise donc l'adoption du PLF dans les délais constitutionnels.
Sous réserve de ces remarques, et compte tenu de la hausse des crédits, je recommande à la commission de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 146 dans la mission « Défense ».
M. Bruno Sido. - Je m'interroge sur les conséquences de la réélection de Donald Trump sur la défense européenne car on connaît nos difficultés à produire des obus et celles que nous aurions à soutenir un engagement de haute intensité. J'aimerais que l'on débatte de l'avenir de l'Europe face aux Etats-Unis et à la Chine et de notre capacité à unir nos forces.
Mme Hélène Conway-Mouret, co-rapporteur. - Nous allons travailler sur la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE) ce qui nous permettra d'examiner notre capacité à nous défendre collectivement. Je reviens sur ma proposition d'envoyer un signal au gouvernement sur le PLF pour obtenir des réponses du ministre à plusieurs sujets laissés dans le flou lors du débat en commission.
M. Alain Cazabonne. - Il y a un problème avec la dissuasion nucléaire. Les Etats-Unis ont mis en oeuvre un système de double clé avec les pays européens auxquels ils fournissent des charges nucléaires. La France et la Grande-Bretagne y sont-elles prêtes ?
M. Hugues Saury, co-rapporteur. - Je rappelle que la France produit entre 60.000 et 100.000 obus par an alors que 15.000 sont consommés par jour en Ukraine. Les Ukrainiens ont utilisé près de 3 millions de drones depuis le début du conflit alors que nous n'en possédons que quelques milliers. Nous aurions beaucoup de difficultés à soutenir un engagement de haute intensité.
M. Pascal Allizard, président. - Nous allons donc examiner maintenant le programme 178.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
Mardi 15 octobre 2024
- SAFRAN : MM. Philippe Errera, directeur international et relations institutionnelles, Fabien Kuzniak, conseiller militaire, Mme Suzanne Kucharekova, directrice des affaires publiques de Safran Group et M. Christophe Bruneau, Safran Aircraft Engines, directeur de la Division Moteurs Militaires ;
- AIRBUS : MM. Fabien Menant, directeur des affaires publiques, Général Guy Girier, conseiller défense, Amiral Olivier Lebas, Conseiller défense, Olivier Masseret, directeur des Relations institutionnelles ;
- Vice-amiral Eric Malbrunot, sous-chef d'état-major « Plans », MM. Nicolas Challon et Pierre Marcellin.
Mardi 22 octobre 2024
- ARQUUS : MM. Emmanuel Levacher, président, Thierry Renaudin, directeur de John Cockerill Défense et Charles Maisonneuve, directeur des affaires publiques et médias ;
- NAVAL GROUP : MM. Guillaume Rochard, directeur Stratégie, Partenariats et Fusions-acquisitions, Arnaud Génin, directeur de l'intelligence stratégique, Amiral Stanislas Gourlez de la Motte, conseiller naval du PDG, Loris Gaudin, directeur adjoint des affaires publiques, Laurence Braunstein, responsable relations publiques.
Mercredi 23 octobre 2024
- KNDS France (ex Nexter) : MM. Nicolas Chamussy, président du Gicat, Alexandre Dupuy, directeur de la Business Unit Systèmes, Key Account Manager France/IE/OTAN, Archibald Bagourd, chargé de mission Affaires publiques.
Mardi 29 octobre 2024
- GICAT : MM. Nicolas Chamussy, président du GICAT, Alexandre Dupuy, directeur de la Business Unit Systèmes et Key Account Manager de KNDS France et Archibald Bagourd.
Mercredi 30 octobre 2024
- GICAN : M. Philippe Missoffe, délégué général.
Mardi 12 novembre 2024
- Dassault-aviation : MM. Bruno Giorgianni, directeur des Affaires Publiques et Sûreté et Thibault Yobouet ;
- Thales : M. Philippe Duhamel, directeur général adjoint, systèmes de mission de défense, Général 2S Bernard Barrera, conseiller défense du groupe et Mme Isabelle Caputo, directrice des relations parlementaires et politiques.
Mardi 19 novembre 2024
- MBDA : M. Jean-René Gourion, directeur général délégué de MBDA France, Amiral (2s) Hervé de Bonnaventure, conseiller défense du CEO, Mmes Anne-Sophie Thierry-Bozetto, responsable des relations politiques et parlementaires et Béatrix Hugot, apprentie, chargée de mission Affaires publiques ;
- MM. Emmanuel Chiva, Délégué général pour l'armement, Nicolas Fournier et Mme Anne-Lise Breton.
LISTE DES DÉPLACEMENTS
Jeudi 24 et vendredi 25 octobre 2024
- Déplacement à Lyon et Roanne.
* 1 Le MINARM évoque cette année la « préparation à l'économie de guerre » plutôt qu'un passage à l'économie de guerre, cette dernière expression ayant été à l'origine d'un malentendu depuis 2022.
* 2 Cet accord a été élargi à l'Espagne en 2021