III. UN EFFORT CONSACRÉ À L'INNOVATION QUI SERA POURSUIVI L'AN PROCHAIN

Le PLF pour 2025 prévoit une progression des crédits consacrés à l'innovation3(*) de 43 M€. 1,3 Mds€ sont ainsi inscrits à ce titre au sein du programme 144, soit un niveau supérieur à ce qui était envisagé dans la loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2024 à 2030.

En Mds€

2024

2025

2026

2027

2028

2029

2030

Total 24-30

Inscrits en LFI 2024, prévus au PLF 2025 et envisagés pour les

années suivantes

1,219

1,262

1,353

1,290

1,408

1,654

1,960

10,146

Prévus en LPM

1,215

1,223

1,308

1,303

1,413

1,681

2,023

10,165

Source : Agence de l'innovation de défense (AID), réponse au questionnaire des rapporteurs

A. DES CRÉDITS CONSACRÉS AUX ÉTUDES AMONT DONT LE MONTANT SERA SUPÉRIEUR AU MILLIARD D'EUROS

Des crédits consacrés aux études amont s'élevant à

Contre

Soit une progression de

 
 
 

En 2025

En 2024

Entre 2024 et 2025

1. Un niveau de crédits d'études amont hors dissuasion légèrement supérieur à ce qui était prévu en LPM

Hors dissuasion, les crédits d'études amont s'établiront à 832 M€ en 2025, soit un montant supérieur de 68 M€ à ce qui était prévu en LPM.

En M€

2024

2025

2026

2027

2028

2029

2030

Total 24-30

Inscrits en LFI 2024, prévus au PLF 2025 et envisagés pour les

années suivantes

795

832

852

820

945

1 181

1 477

6 902

Prévus en LPM

765

764

843

 855

950

1 208

1 540

6 925

Source : Agence de l'innovation de défense (AID), réponse au questionnaire des rapporteurs

Les rapporteurs se félicitent du choix du ministère de consentir un effort supérieur à la trajectoire définie en LPM dès les premières années de sa mise en oeuvre. Celui-ci présente en effet un double avantage : d'une part, il permet de limiter les effets de l'inflation, et d'autre part, il donne de la visibilité aux entreprises, notamment les PME et ETI, en sécurisant d'emblée une partie de leurs financements étatiques.

En audition, plusieurs points de vigilance ont cependant été soulevés par les groupements d'industriels. En particulier, selon le groupement des industries françaises de la défense et de la sécurité terrestres et aéroterrestres (GICAT), la poursuite du développement de certaines munitions de nouvelle génération et le développement de munitions dédiées à la lutte anti-drones, qui ne pourront être financées cette année faute de budgets d'études disponibles, pourraient être menacés.

Aussi, les rapporteurs appellent à ne pas relâcher l'effort engagé au cours des dernières années en matière d'innovation, celle-ci concourant directement au maintien de la supériorité opérationnelle de nos armées.

L'effort en faveur de l'innovation ne doit pas être relâché, celle-ci concourant directement au maintien de la supériorité opérationnelle de nos armées.

2. Une enveloppe consacrée au financement de grands démonstrateurs qui s'élèvera à 118 M€ en 2025

Source : MINARM, réponse au questionnaire des rapporteurs

Les crédits d'études amont permettront notamment le financement des grands démonstrateurs prévus dans le cadre de la LPM 24-30. Les principaux projets qui seront financés en 2025 sont rappelés dans le tableau ci-après.

118 M€ (AE) sont ainsi prévus à ce titre en PLF 2025. Ce montant représente une baisse de 12 M€ par rapport à 2024, qui a vu la livraison de deux démonstrateurs importants : un démonstrateur opérationnel de laser anti-drone déployé pour la protection des Jeux Olympiques de Paris 2024 et un premier démonstrateur d'arme électro-magnétique.

En audition, les groupements d'industriels ont rappelé que certains démonstrateurs avaient été, au moins pour partie, autofinancés. L'exemple du démonstrateur de drone sous-marin (UCUV) de Naval group a par exemple été mentionné (photo ci-contre).

En audition, le directeur de l'AID a indiqué que la participation financière des industriels, notamment les grands groupes, aux premiers stades de développement était encouragée dans la mesure où celle-ci témoignait de l'intérêt porté par ces industriels aux technologies, équipements et matériels qu'ils développent.

Si les rapporteurs estiment que demander un engagement financier des industriels n'est pas anormal, ils relèvent que cette exigence peut être de nature à aggraver les difficultés de financement rencontrées par certaines entreprises (cf. infra).

Ils considèrent en outre que l'autofinancement par les industriels des premiers stades de développement d'une technologie ne doit pas conduire à des difficultés en matière de propriété intellectuelle, en complexifiant ou rendant impossible toute utilisation ou modification de cette technologie par la suite.

Un équilibre entre autofinancement et crédits étatiques est nécessaire afin de ne pas aggraver les difficultés d'accès au financement privé rencontrées par certaines entreprises et de ne pas conduire à rigidifier les dispositions contractuelles relatives à la propriété intellectuelle.

3. Des innovations relatives aux organisations bienvenues
a) 4 « partenariats d'innovation » sont en cours de mise en place

Dans leur avis budgétaire de l'an dernier4(*), les rapporteurs appelaient à faciliter le recours au « partenariat d'innovation » afin de pallier les difficultés structurantes des marchés d'innovation qui imposent une remise en concurrence à l'issue de la phase de recherche et développement pour pouvoir acquérir les travaux qui en résultent. Ce dispositif, qui figure à l'article L. 2172-3 du code de la commande publique, permet en effet à l'acheteur public de mettre en place un partenariat structuré de long terme couvrant à la fois la phase de recherche et de développement ainsi que l'achat ultérieur des produits, services ou travaux en résultant, sans remise en concurrence, sous réserve que ces derniers répondent à un besoin ne pouvant pas être satisfait en ayant recours à l'offre disponible sur le marché.

Les rapporteurs se félicitent que, dans le prolongement de cette recommandation, 4 « partenariats d'innovation » soient en cours de mise en place par l'AID :

- un premier projet baptisé DANAE (drone naval de surface armé), partenariat innovant lancé en septembre 2024, avec l'envoi d'une lettre de candidature à 10 industriels français ciblés et une notification de la première phase prévue mi 2025 ;

- trois autres partenariats d'innovation en cours de rédaction qui ont trait aux cibles sous-marines, à un kit d'adaptation pour protections balistiques dédié aux femmes et à la détection de mines.

Dans le cadre de leurs travaux à venir, les rapporteurs s'attacheront à établir un bilan de la mise en oeuvre de cette facilité prévue par le code de la commande publique, qu'il s'agisse de ses apports mais également, le cas échéant, les difficultés qu'elle peut soulever ou auxquelles elle est confrontée (telles que la durée de mise en place d'un partenariat d'innovation, qui est importante pour la définition des critères et l'analyse du paysage industriel).

b) Perseus, une démarche vertueuse d'expérimentation de technologies en conditions réelles initiée par la marine nationale et reprise par l'État-major des armées dans le cadre d'IDEM

Dans un rapport de 20235(*), la commission relevait le caractère vertueux de la démarche Perseus « engagée par la marine nationale et la DGA, qui vise à rapprocher les industriels, la DGA et les unités, et qui permet de tester en conditions réelles des innovations prometteuses lors d'exercices ou de déploiements » considérant que de telles démarches « devraient être encouragées, dans la mesure où celles-ci contribuent à favoriser l'innovation continue et à en accélérer le déploiement ».

Les rapporteurs constatent avec satisfaction que cette recommandation a été mise en oeuvre par l'état-major des armées, l'exemple de Perseus ayant été repris dans le cadre de la démarche « IDEM » (innovation destinée aux exercices militaires).

La démarche « innovation destinée aux exercices militaires » (IDEM) de l'état-major des armées

L'objectif de cette initiative est de créer des passerelles entre le tissu industriel français, en particulier les petites entreprises et start-ups innovantes, et les forces armées. Ces entreprises, qui développent des solutions à fort potentiel pour la défense, doivent être accompagnées dans leur compréhension des spécificités et des exigences de cet environnement.

Pour répondre à ce besoin, des partenariats pilotés principalement par l'Agence de l'Innovation de Défense (AID) sont mis en oeuvre dans une approche globale et coordonnée par le ministère des armées. Cette démarche mobilise plusieurs entités clés : les états-majors, l'État-Major des Armées (EMA), la direction générale de l'armement (DGA), l'AID et le secrétariat général pour l'administration (SGA).

Processus de sélection et d'évaluation des solutions innovantes

- sélection : les solutions innovantes proposées par les entreprises sont évaluées sur la base de critères prédéfinis, notamment leur degré de maturité technologique.

- test opérationnel : une fois sélectionnée, la solution est testée par une unité des forces armées, désignée comme « sponsor », afin d'évaluer ses performances en conditions réelles.

- test en exercice majeur : si les résultats s'avèrent conformes aux attentes, la solution est intégrée dans un exercice d'envergure pour confirmer son utilité opérationnelle.

- attribution d'un label : en cas de succès, un label de reconnaissance est décerné à l'entreprise, attestant de la valeur de sa solution. Ce label constitue un atout pour sa communication externe et sa stratégie marketing. Il convient toutefois de noter qu'aucune garantie de contractualisation avec le Minarm n'est associée à cette démarche.

Un cadre sans rémunération directe mais gagnant-gagnant

Si les entreprises participantes ne sont pas rémunérées, elles bénéficient néanmoins d'avantages significatifs :

- l'accès à un cadre expérimental et opérationnel unique pour tester et affiner leurs innovations 

- l'accompagnement des experts du minarm et l'accès aux équipements des forces armées ;

- la récupération de données issues des tests pour améliorer leurs produits ;

- le label obtenu peut être valorisé dans leur communication pour renforcer leur crédibilité auprès de clients et partenaires.

Du côté du ministère des armées, cette démarche offre également plusieurs bénéfices :

- le renforcement des liens avec les PME et start-ups innovantes sur tout le territoire, favorisant un maillage efficace ;

- une capacité à détecter en continu des solutions prometteuses, grâce à des partenariats à l'échelle nationale et régionale ;

- un meilleur repérage des innovations de rupture, contribuant à maintenir un avantage stratégique.

Source : état-major des armées, réponses au questionnaire des rapporteurs

c) La mise en place d'un commandement du combat futur au sein de l'état-major de l'armée de Terre : une « innovation » récente mais prometteuse

L'état-major de l'armée de Terre a lancé une initiative originale en 2023 avec la création d'un grand commandement dédié à la préparation de l'avenir : le commandement du combat futur (CCF), qui s'inspire du army futures command américain.

Le CCF assure trois grandes fonctions6(*) :

- assurer la responsabilité de la dynamisation de la transformation des capacités et de la cohérence de la transformation de la doctrine de l'armée de terre. À cet effet, le COMCCF assume les responsabilités de directeur des fonctions opérationnelles de l'armée de terre et tête de chaine de la doctrine et du retour d'expérience (RETEX) ;

- éclairer l'armée de terre et animer les échanges avec les acteurs stratégiques du monde civil et militaire (centres de réflexion, universités, etc.) ;

- capter, concevoir, expérimenter et mettre à disposition de l'armée de terre les innovations et doctrines associées, permettant de s'adapter aux combats futurs.

Le commandant du combat futur (COMCF)7(*) est ainsi officier général innovation de l'armée de Terre et directeur des fonctions opérationnelles. À ce titre, le CCF supervise les processus « innovation » et « opérations futures » de l'armée de Terre tout en jouant un rôle clé dans la prospective.

Le CCF, dans sa partie centrale, est constitué de 136 militaires et civils de la défense. Ses effectifs sont complétés de 63 réservistes et d'une dizaine d'apprentis ou stagiaires permettant notamment de disposer de certaines expertises indispensables (linguistique, IA, etc.). Le CCF intègre en outre la Section technique de l'armée de Terre (STAT), composée de 642 militaires et civils de la défense et 85 réservistes.

Sur le plan budgétaire, le CCF dispose d'un budget « organique » (4 M€ en 2025) et d'un droit de tirage de 60 M€ sur la période 2024-2030 (dont 10 M€ pour 2025) au titre de l'innovation.

Source : état-major de l'armée de terre, réponses au questionnaire des rapporteurs

S'agissant plus spécifiquement de l'innovation, le CCF comprend un « laboratoire du combat futur » (LCF) qui a pour mission : i) de contribuer à l'accélération de l'innovation tactico-opérationnelle prioritairement dans le terme 0-5 ans, ii) de développer des réflexions conceptuelles et doctrinales exploratoires pour en faciliter l'appropriation dans les forces ; iii) d'assurer les expérimentations et les évaluations tactiques nécessaires aux réflexions sur les adaptations capacitaires ; iv) de favoriser l'appropriation par les forces terrestres des innovations et nouvelles opérations d'armement et iv) en tant que référent du domaine pour l'armée de Terre, de diffuser la pratique du jeu de guerre.

Comme il a été rappelé supra, le CCF intègre en outre la STAT, laquelle est en lien direct avec les forces pour traiter de sujets d'expérimentations. Elle coordonne notamment l'innovation capacitaire ouverte au profit de l'armée de Terre et travaille en lien étroit avec l'AID sur les différents projets d'innovation (participatifs ou émanant directement de la STAT).

En 2024, le CCF a remis au chef d'état-major de l'armée de terre une proposition de rééquilibrage du modèle de l'armée de terre à l'horizon 3 ans permettant d'identifier des manques possibles dans certaines fonctions opérationnelles. Le CCF travaille en outre sur le projet ATHENA (accélération de la transformation à hauteur des engagements de l'avenir) qui vise à créer des écosystèmes capables d'accélérer la transformation de l'armée de terre en s'appuyant sur 4 axes : éclairer le besoin, intégrer l'innovation, accélérer l'appropriation par les forces et une armée de terre tournée vers l'avenir.

Les rapporteurs saluent la création du CCF qui devrait se traduire par une prise en compte encore accrue de l'innovation au sein de l'armée de terre. Si l'année écoulée a vu la conception de l'organisation du CCF et sa montée en puissance, rendant l'établissement d'un bilan prématuré, les rapporteurs s'attacheront à évaluer l'action de ce nouveau commandement dans le cadre de leurs travaux futurs.


* 3 Le périmètre est celui du « patch » innovation de la LPM qui inclut les études amont hors dissuasion, les études prospectives et stratégiques, les études technico-opérationnelles hors dissuasion et les subventions des opérateurs (ONERA, Institut de recherches franco-allemand de Saint Louis et écoles sous tutelle de la DGA).

* 4 Projet de loi de finances pour 2024, Défense : Environnement et prospective de la politique de défense, avis n° 130 (2023-2024), tome V, déposé le 23 novembre 2023.

* 5 Renseignement et prospective : garder un temps d'avance, conserver une industrie de défense solide et innovante, rapport d'information n° 637 (2022-2023) fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armée par MM. Pascal ALLIZARD et Yannick VAUGRENARD, 24 mai 2023.

* 6 Instruction n° 506403/ARM/CCF relative à l'organisation et aux attributions du commandement du combat futur.

* 7 Il s'agit, depuis le 1er août 2023, du général de corps d'armée Bruno Baratz.

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