II. L'EXIGENCE D'UNE GESTION RENOUVELÉE DES DÉPENSES DE FONCTIONNEMENT ET DE PERSONNEL, FACE À LA HAUSSE DES FRAIS COURANTS
A. AU SEIN DE LA MISSION « DIRECTION DE L'ACTION DU GOUVERNEMENT », UNE DYNAMIQUE D'OPTIMISATION DES MOYENS ET DE SUIVI PLURIANNUEL DES DÉPENSES À RAVIVER
1. Un besoin de marges supplémentaires en matière de dépenses de fonctionnement
Les dépenses de personnel et celles de fonctionnement constituent une part prépondérante des crédits de la mission, relativement 35 % et 40 % des crédits, avec néanmoins des différences de répartition marquées entre les programmes, comme illustrées ci-dessous. Ce sont également des dépenses évoluant à la hausse, tandis que les dépenses d'investissement diminuent, et ce notamment pour le programme 308 (- 67 % en AE et en CP).
Proportion des dépenses par type pour 2024 (en AE)
Programme 129 |
Programme 308 |
Une partie de cette évolution a trait au coût de la revalorisation du point d'indice de 1,5 % au 1er juillet 2023, estimé à + 2,5 M€ en année pleine pour le programme 129 et à 0,8 M€ pour le programme 308, ainsi qu'au contexte inflationniste.
Les effets prévisionnels de l'inflation ont été initialement estimés pour 2024 à près de 10 M€ pour l'ensemble de la mission budgétaire. Cependant, l'ensemble des demandes portées par les services au seul titre de l'inflation n'ont pas toutes été retenues lors des arbitrages budgétaires. Sur les 8,7 M€ demandés au titre de l'inflation pour le programme 129, 4,5 M€ ont été inscrits dans le PLF 2024. Concernant le programme 308, seuls 0,29 M€ ont été pris en compte au titre de l'inflation pour un besoin total de 0,73 M€. Des économies devront donc être réalisées en gestion par l'ensemble des structures.
Les dépenses pilotables des structures sont également obérées par la hausse des réserves de précaution. Pour 2024, le taux global de mise en réserve est rehaussé de 3,5 % à 4 % hors masse salariale pour l'ensemble du PLF 2024. Le taux applicable aux structures de la mission budgétaire sera potentiellement relevé de 5 à 6 %.
2. Une mutualisation et une programmation des dépenses à conforter, tout en préservant l'indépendance des AAI
Face à des contraintes conjoncturelles enserrant les crédits réellement disponibles, la rapporteure appelle à un pilotage renforcé des dépenses de fonctionnement et de personnel.
Tel est le mouvement engagé en 2015 par le regroupement des services du Premier ministre (Dinum, Diese, SGMer, SIG, CNCDH, CIVS, France Stratégie) et de certaines autorités du programme 308 (Défenseur des droits, Cnil, Cada) sur un site unique, au sein de l'ensemble Ségur-Fontenoy.
Les gains découlant de la mutualisation des fonctions support, pour l'ensemble des entités occupant le site Ségur-Fontenoy, ont été évalués à plus de 7 M€ au total par an (3,5 M€ pour le titre 2 et 3,8 M€ hors titre 2). En matière de masse salariale, l'économie est évaluée à 3,5 M€ avec la suppression, entre 2016 et 2022, de 52 postes6(*).
Sans doute se dissiperait-on dans la recherche d'une mutualisation totale des structures, au regard notamment des considérations parfois contraires en matière de délocalisation et de maintien de l'indépendance des autorités du programme 308. Cependant, dans un souci de rationalisation des dépenses, une prise en compte même partielle de cette problématique demeure nécessaire, alors que plusieurs autorités n'ont pas été concernées par le regroupement Ségur-Fontenoy, dont l'Arcom, le CGLPL, la CCNE et le CSDN ou encore la HATVP. De surcroît, les réflexions sur la mutualisation prennent d'autant plus leur sens dans un environnement où les autorités sont de plus en plus amenées à interagir, à mesure que leurs champs de compétences s'étendent.
La rapporteure regrette, à cet égard, que peu d'autorités rattachées au programme 308 se conforment à l'article 21 de la loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes, qui leur impose de présenter, dans leur rapport annuel d'activité, un schéma pluriannuel d'optimisation de leurs dépenses qui évalue l'impact prévisionnel sur chaque catégorie de dépenses des mesures de mutualisation de leurs services.
Seuls l'Arcom et, dans une moindre mesure, le Défenseur des droits évoquent spécifiquement leurs actions de mutualisation et de maîtrise des dépenses dans leurs rapports d'activité publiés en 2023.
Considérant que nombre des mesures d'économies évoquées par les autorités découlent non pas d'une politique volontariste de maîtrise des dépenses mais bien d'ajustements à la marge, contraints par les arbitrages budgétaires, il est impératif de prévoir une meilleure programmation des dépenses de fonctionnement et notamment immobilière des services de la Première ministre et des autorités relevant du programme 308. La rapporteure salue, en ce sens, la mise en place par la Dila d'une programmation pluriannuelle détaillée au sein du budget annexe associé, dont les modalités sont précisées ci-après.
La gestion des dépenses immobilières de la mission témoigne de ces écueils.
Une stratégie immobilière imprécise et insatisfaisante
Dans une réflexion qu'elle souhaite approfondir l'année suivante, la rapporteure s'est intéressée à la stratégie immobilière adoptée par les entités de la mission budgétaire « Direction de l'action du gouvernement ». Derrière le projet structurant, désormais finalisé, qu'est le site Ségur-Fontenoy, elle constate une agrégation d'opérations immobilières, sans ligne directrice.
Au titre du programme 308, les dépenses immobilières représentent plus de 40 % des dépenses de fonctionnement de la HATVP, de l'Arcom et du CGLPL, dépassant en cela les dépenses allouées au coeur de missions de ces structures. Sur ce point, l'opportunité de recourir à des baux locatifs pour héberger des autorités ayant vocation à perdurer peut être fermement remise en cause. L'absence de locaux domaniaux avait notamment valu au CGLPL de reconduire son bail pour trois ans en 2021, alors même que le site, dans un ancien immeuble des années 1980, n'était ni financièrement attractif ni commode. Il convient également de noter que les autorités concernées ne respectent pas les cibles de mètres carrés par poste de travail de France domaines, fixées, pour les bâtiments de bureaux, à 12 mètres carrés ou 10 mètres carrés en zone tendue par poste de travail.
Arcom |
CGLPL |
HATVP |
CIVEN |
CSDN |
CNCTR |
|
Loyer prévisionnel en 2024 (en €) |
4 157 000 |
317 650 |
1 323 722 |
Sans objet |
Sans objet |
Sans objet |
Surface utile nette (m²) par poste de travail |
13 |
127(*) |
14 |
17 |
30 |
15 |
Implantation du siège |
Tour Mirabeau, Paris (bail locatif) |
16/18 quai de la Loire, Paris (bail locatif) |
98-102 rue de Richelieu (bail contracté par le Conseil d'État) |
101 rue de Grenelle, Paris (locaux domaniaux) |
66 rue de Bellechasse, Paris (locaux domaniaux) |
32 rue de Babylone, Paris (locaux domaniaux) |
Remarques |
Bail non renouvelable prenant fin en 2025 |
Bail prenant fin en février 2024 |
Bail prenant fin en 2027 |
Source : Annexe au projet de loi de finances pour 2024, « rapport sur les autorités administratives te publique indépendantes ».
À l'aune d'un schéma d'emplois particulièrement dynamique, la rapporteure insiste sur la nécessité de repenser la stratégie immobilière de la mission et de rationaliser les baux locatifs en cours. La situation du SGDSN attire particulièrement l'attention, compte tenu de la forte croissance des effectifs, passant de 700 à 1300 ETP entre 2015 et 2024. La portion centrale des Invalides est aujourd'hui saturée. Deux bâtiments sont en cours de travaux mais ne permettront pas d'absorber les évolutions d'effectifs planifiées. Dans une logique de « course après les mètres carrés », le SGDSN a conclu trois baux locatifs à Paris, renforçant un éparpillement géographique incompatible avec la bonne gestion de l'ensemble administratif. L'organisation spatiale actuelle est manifestement vouée à évoluer, alors que l'OSIIC a d'ores et déjà saturé ses locaux, que Viginum est isolé dans un immeuble sous-loué au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives et que l'ANSSI souhaite abandonner son site à la fois coûteux et peu satisfaisant au sein de la Tour Mercure. Sur le plus long terme, le SGDSN a engagé un travail pour proposer au cabinet de la Première ministre une organisation immobilière plus satisfaisante.
La rapporteure se félicite, pour le reste, de la nouvelle implantation de l'Anssi à Rennes, dans des locaux disposant de 200 postes de travail, acquis pour un coût de 24 M€. La rapporteure partage pleinement les constats évoqués par le directeur général de l'Anssi sur l'attractivité croissante pour les agents d'une implantation hors de Paris et les prix modérés de l'immobilier qui y sont associés. À cet égard, elle note avec regret qu'aucune autorité administrative de la mission budgétaire n'a son siège hors de Paris depuis la relocalisation en 2016 du Civen, auparavant basé à La Rochelle.
3. Par extension, penser une organisation rationalisée de la coordination interministérielle
Le décret n° 2017-1063 du 18 mai 2017 relatif aux cabinets ministériels, tel que modifié par le décret n° 2023-950 du 16 octobre 2023, limite à 15 membres les cabinets des ministres, 13 membres ceux des cabinets des ministres délégués, et 8 ceux des secrétaires d'État.
Le cabinet de la Première ministre échappe néanmoins à ces plafonds. Au 1er août 2023, son cabinet8(*) comprend 499 ETP, dont 68 membres de cabinet, pour une dotation annuelle de 6 300 000 euros, représentant ainsi à lui seul un quart de la dotation totale des 41 cabinets du Gouvernement. Si ces effectifs ont été réduits à 53 membres du cabinet en 2012 pour un effectif total de 456 ETP, ils ont dépassé à nouveau les 60 membres à partir de 2016.
Certes c'est à bon droit que la Première ministre bénéficie d'un cabinet fortement renforcé, eu égard aux nécessités de la coordination interministérielle qui lui incombe. Pour autant, force est de s'interroger sur la multiplication et l'éparpillement, en parallèle, des services administratifs de la Première ministre, également consacrés, à leur échelle, à des actions d'impulsion et de coordination :
· de la planification écologique, formalisée par le secrétariat général à la planification écologique (SGPE), créé par un décret du 7 juillet 2022 ;
· de la sécurité et de la défense, soutenues par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et le groupement interministériel de contrôle (GIC) ;
· de la politique européenne, portée par le secrétariat général des affaires européennes (SGAE) ;
· de la politique numérique, sous l'égide de la direction interministérielle du numérique (Dinum), reprenant en 2019 les attributions de la direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication de l'État (DINSIC) ;
· de la réforme de l'État, de la stratégie et de la prospective, orientées par les travaux du haut-commissariat au plan qui assure également le secrétariat général du Conseil national de la refondation, créé en septembre 2022, ainsi que par diverses entités de conseil et d'expertise (France stratégie, le conseil d'analyse économique, le conseil d'orientation des retraites ou encore le Haut conseil pour le climat, etc.) ;
· de la politique des ressources humaines en matière d'encadrement supérieur et dirigeant de l'État, pilotée par la délégation interministérielle à l'encadrement supérieur de l'État (Diese).
Face à cette nébuleuse de secrétariats généraux et de directions interministérielles, marquée par leur diversité organisationnelle, il est impératif d'assurer la coordination de l'ensemble, afin d'optimiser les ressources dédiées à ces services et de renforcer l'impact de leurs actions.
Nombreux sont les services interministériels qui n'ont, en effet, pas encore réussi à trouver leur place dans le fonctionnement global de l'administration gouvernementale, en raison de leur récente création, comme c'est le cas du SGPE, ou en raison d'un périmètre d'action incertain, à l'exemple du Haut-commissariat au plan et du Conseil national de la refondation. Cette dispersion institutionnelle engendre un manque de visibilité. Selon une logique paradoxale, les services regroupés sous le programme « Coordination du travail gouvernemental » souffrent donc, précisément, d'un déficit de coordination entre eux.
Aux yeux de la rapporteure, il apparaît manifeste que, en l'état, le Secrétariat général du gouvernement (SGG) ne peut, à lui seul, se prévaloir du pilotage des actions de la soixantaine d'entités placées auprès de la Première ministre. De manière significative, ces lacunes d'organisation se manifestent dans le défaut d'effectivité des audits internes menés par la mission d'organisation des services du Premier ministre (MOSPM)9(*), après le report sur trois années consécutives de la mission sur « le contrôle interne financier du programme 129 » et la réalisation en 2022 de seulement trois audits sur les six initialement prévus.
À cet égard, il peut être souligné, derrière la réussite purement immobilière du projet du site Ségur-Fontenoy, l'oubli de ses ambitions premières tenant à la formation d'un centre de Gouvernement, qui réunirait les secrétariats généraux et concentrerait, selon le modèle anglo-saxon, les capacités de pilotage interministériel en une seule entité.
Arrêtée au milieu du gué, cette réorganisation optimiserait pourtant les coûts d'insertion dans l'administration centrale des délégations et missions interministérielles, souvent légères et temporaires, qui profiteraient de ce levier centralisé10(*).
Partageant le constat de la Cour des comptes, dans son référé du 14 janvier 2022, la rapporteure recommande ainsi de rouvrir une réflexion sur la formation d'un centre de Gouvernement exerçant les missions du SGG et les missions relatives à la coordination interministérielle menées par d'autres services (Diese, Dinum, SGAE, SGPE, etc.).
* 6 19 postes pour les fonctions immobilière et logistique, 14 postes pour les fonctions financières, 11 postes pour les fonctions documentaires et 8 postes pour les fonctions transverses et d'encadrement supérieur.
* 7 Données pour 2023
* 8 À noter que ces chiffres ne prennent pas en compte les cabinets des ministres et secrétaires d'État rattachés à la Première ministre (porte-parole du gouvernement, Ministre délégué des Relations avec le Parlement, Ministre délégué de l'Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations, Secrétaire d'État de l'Enfance, Secrétaire d'État de la Mer).
* 9 Instituée en 1984 au sein du SGG, la MOSPM résultait précisément de la volonté du secrétaire général du gouvernement, Jacques Fournier, de disposer d'une vision d'ensemble des services du Premier ministre, partant du constat que leur supervision était partie intégrante des missions du SGG. Dépourvue depuis 2013 de ses fonctions de pilotage par la performance des programmes budgétaires au profit de la DAFS, la MOPSM est restreinte à des fonctions générales d'assistance à la coordination des services du Premier ministre, d'audit interne et, enfin, de mise en oeuvre des attributions du haut fonctionnaire de défense et de sécurité auprès de la Première ministre.
* 10 Un exemple concret de cette approche par des structures interministérielles temporaires est la création, en 2014, d'une Mission interministérielle de coordination pour la réforme de l'administration territoriale de l'État, supprimée au début des années 2020 après l'achèvement de diverses réformes administratives territoriales. D'autres exemples récents de création puis suppression de structures similaires incluent la Délégation interministérielle à la mixité sociale dans l'habitat en 2019 et la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires en 2020.