V. UNE DOTATION STABLE POUR LA COUR DE JUSTICE DE LA RÉPUBLIQUE, MALGRÉ LA BAISSE MARQUÉE DE SON ACTIVITÉ
La Cour de justice de la République (CJR) a vu le jour avec la révision constitutionnelle du 27 juillet 1993 dans le contexte d'une tragédie sanitaire, l'affaire du sang contaminé. Elle est compétente pour juger de la responsabilité des ministres et anciens ministres, ou assimilés, pour les crimes et délits commis dans l'exercice de leurs fonctions41(*). Il s'agit d'une juridiction à la composition mixte et à la procédure hybride.
Toutes les plaintes de personnes qui s'estiment lésées par un crime ou délit commis par un membre du Gouvernement dans l'exercice de ses fonctions passent par le filtre de la commission des requêtes, composée de trois magistrats de la Cour de cassation, de deux conseillers d'État et de deux conseillers maîtres à la Cour des comptes. La commission des requêtes analyse les plaintes reçues : elle peut décider du classement de la plainte ou la transmettre au procureur général près la Cour de cassation pour saisine de la CJR. Le procureur général près la Cour de cassation peut également saisir directement la CJR après avis conforme de la commission des requêtes. Une grande partie des plaintes ne dépasse pas le filtre de la commission des requêtes, faute pour la plainte d'identifier nommément le ministre responsable, de faire état d'un préjudice personnel ou encore de dénoncer des infractions en lien avec l'exercice des fonctions.
La commission d'instruction, composée de trois magistrats de la Cour de cassation, procède à l'instruction des dossiers et peut diligenter toute mesure qu'elle estime utile. À l'issue de son instruction, elle peut décider qu'il n'y a pas lieu à poursuivre ou décider le renvoi devant la CJR.
La formation de jugement comprend quinze juges, douze parlementaires et trois magistrats du siège, dont l'un préside la Cour42(*). La Cour délibère par bulletins secrets à la majorité absolue. Les arrêts de la Cour peuvent faire l'objet d'un pourvoi en cassation devant l'assemblée plénière de la Cour de cassation, qui doit statuer dans un délai de trois mois43(*).
Cette juridiction à part entière dans le système de procédure pénale est l'objet de contestations. Il est ainsi reproché que des politiques soient jugés par une juridiction comprenant également des politiques.
A. UNE DOTATION CONSTANTE PAR RAPPORT À L'EXERCICE PRÉCÉDENT, RÉAFFECTÉE POUR PARTIE AUX DÉPENSES DE FONCTIONNEMENT
Malgré la baisse du nombre de requêtes qui lui sont adressées, concomitante à la sortie de la crise sanitaire, le budget de la CJR pour 2024 est stable par rapport à l'année précédente, la dotation sollicitée s'élevant à 984 000 euros. Une part des crédits jusqu'à présent dédiés aux frais de justice et aux frais de procès est désormais affectée aux dépenses de fonctionnement (hors loyer), qui présentent une hausse de 69,04 % par rapport à l'exercice précédent.
Le budget de la Cour de justice de la République
(en euros)
Source : Annexe « Pouvoirs publics » au projet de loi de finances pour 2024
1. Des dépenses de personnel identiques à l'exercice précédent
Les dépenses liées aux indemnités des magistrats s'élèvent à 143 000 euros en 2024, soit un montant équivalent à celui de l'année précédente.
Le président de la Cour de justice, les conseillers à la Cour de cassation titulaires et suppléants, les membres de la commission des requêtes et de la commission d'instruction, de même que les magistrats assurant le ministère public, perçoivent une indemnité dont le montant est fixé par référence au traitement brut moyen des conseillers et avocats généraux de la Cour de cassation, conformément au décret n° 96-692 du 9 mai 199544(*). La revalorisation du traitement brut moyen des conseillers et avocats généraux de la Cour de cassation, corollaire de l'augmentation du point d'indice de la fonction publique à compter du 1er juillet 2023, affecte le montant des indemnités de manière marginale45(*), ce qui explique la stabilité de la somme demandée à ce titre en 2023 et en 2024.
Les autres personnels de la Cour de justice de la République, dont la secrétaire générale, sont mis à sa disposition par la Cour de cassation pour assurer son bon fonctionnement. Ainsi, au 1er janvier 2023, les six agents mis à la disposition de la Cour ne bénéficient d'aucune indemnité semblable à celle que perçoivent les magistrats. De telles mises à disposition ne font pas l'objet de remboursement de la part de la Cour de justice de la République.
2. Des dépenses de loyer quasiment stables, dont le montant représente toutefois plus de la moitié du budget total de la CJR
Les dépenses afférentes au loyer et aux charges locatives s'élèvent à 497 000 euros en 2024, contre 493 000 euros en 2023. Le loyer du siège de la Cour est légèrement inférieur à 482 000 euros, tandis que les charges locatives représentent 15 000 euros environ. Le bail de location est conclu auprès de la société GMF-Covéa.
Si le renouvellement du bail, intervenu au 1er mars 2022 pour une durée de neuf ans sur la base de l'indice en vigueur au troisième trimestre 2021, a permis d'éviter une hausse du loyer au 1er janvier 2022, ces dépenses représentent toutefois plus de la moitié du budget de la Cour. Dans ce contexte, le rapporteur s'interroge sur la pertinence de ce choix immobilier, eu égard notamment au montant cumulé des sommes investies depuis 1993 pour cette location.
Par comparaison, le montant du loyer dont le Conseil constitutionnel s'acquitte depuis 2022 pour la location d'un local situé au 7 rue de l'Opéra et destiné à accueillir dix agents - soit un nombre équivalent au nombre de personnels et de magistrats présents de manière permanente à la CJR - est quasiment cinq fois inférieur à la somme dont s'acquitte la CJR pour la location de ses locaux.
Lors de son entretien avec le rapporteur46(*), le président de la CJR, Dominique Pauthe, a indiqué que les incertitudes récurrentes sur l'avenir de la CJR avaient sans doute exercé une influence sur la solution locative retenue d'une part, et que la disponibilité immobilière sur Paris constituait un obstacle majeur à la recherche d'une alternative moins onéreuse d'autre part.
Il s'est également montré plutôt favorable à un transfert de la CJR vers les anciens locaux de l'ancien tribunal judiciaire situés sur l'île de la Cité, en rappelant toutefois que, d'un point de vue pratique, le bâtiment était moins fonctionnel et que, d'un point de vue plus symbolique, le principe d'indépendance de la CJR ne plaidait pas en faveur de son intégration au sein du Palais de justice. En tout état de cause, ce déménagement, repoussé à plusieurs reprises, ne pourrait intervenir au plus tôt qu'en 202647(*), du fait de la nécessité de réaliser des travaux de mises aux normes en amont du déménagement.
3. Une réaffectation d'une partie des crédits de frais de justice et de frais de procès au profit des dépenses de fonctionnement (hors loyer)
En 2024, les autres dépenses de fonctionnement augmentent de 69,04 %, passant de 135 000 euros en 2023 à 228 200 euros en 2024.
L'ampleur de cette hausse doit toutefois être relativisée, puisqu'elle n'est en réalité que le prolongement d'une tendance d'ores et déjà constatée en exécution sur les exercices 2022 et 2023. Pour l'exercice 2022 par exemple, la sur-exécution des dépenses de fonctionnement (+ 35 000 euros) avait été compensée par une réaffectation des crédits dédiés aux frais de justice et aux frais de procès, qui n'avaient été que partiellement consommés (cf. B infra)48(*).
Cette hausse tendancielle des dépenses de fonctionnement résulte à la fois de :
· l'augmentation du nombre d'agents et de magistrats présents de façon permanente à la Cour depuis 2020 (de 5 à 10) ;
· l'externalisation du nettoyage des locaux, pour un montant annuel évalué à 19 000 euros49(*) ;
· la réalisation de travaux de sécurisation des locaux, pour un montant total de 70 135 euros, cette dépense n'ayant toutefois pas vocation à perdurer sur les exercices à venir.
À compter de 2024, la revalorisation des dépenses de fonctionnement à hauteur des montants effectivement exécutés au cours des deux exercices précédents devrait favoriser la lisibilité et la transparence de l'information budgétaire.
* 41 Article 68-1 de la Constitution du 4 octobre 1958.
* 42 Article 68-2 de la Constitution du 4 octobre 1958.
* 43 Articles 32 et 33 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République.
* 44 Ce décret prévoit que l'indemnité du président de la Cour et du procureur général près la Cour est versée mensuellement (article 2 du décret). En revanche, l'indemnité du président de la commission des requêtes, du président de la commission d'instruction, des membres de ces deux commissions et des autres magistrats du ministère public, à caractère mensuel, est due si, au moins une fois au cours du mois écoulé, ils ont siégé dans la formation à laquelle ils appartiennent ou ont exercé les fonctions du ministère public (article 4 dudit décret).
* 45 Réponse au questionnaire budgétaire.
* 46 Entretien avec Dominique Pauthe, président de la CJR, le 24 octobre 2023.
* 47 Réponse au questionnaire budgétaire.
* 48 Réponse au questionnaire budgétaire.
* 49 Entretien avec Dominique Pauthe, président de la CJR, le 24 octobre 2023.