EXAMEN EN COMMISSION
MERCREDI 22 NOVEMBRE 2023
Mme Karine Daniel, rapporteure pour avis des crédits des programmes Création et Transmission des savoirs et démocratisation de la culture. - Comme le programme « Patrimoines », les deux programmes de la mission « Culture » dont j'ai la charge, le programme « Création » et le programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » devraient enregistrer une progression de leurs crédits en 2024.
Dans le domaine de la création, cette poursuite de l'effort budgétaire de l'État - de l'ordre de 3 % en crédits de paiement -, est accueillie avec soulagement par les acteurs culturels, compte tenu des difficultés financières dans lesquels ils se trouvent plongés avec les crises successives qu'ils traversent depuis plusieurs années. Le niveau de leurs marges artistiques est aujourd'hui très dégradé, ce qui pourrait avoir des conséquences désastreuses sur la création et la diversité culturelle, mais aussi sur l'animation culturelle des territoires et l'accès à la culture de nos concitoyens.
Dans ce contexte, les nouveaux crédits s'orientent autour de plusieurs priorités.
La moitié des nouveaux crédits inscrits en 2024 est consacré au fonctionnement des opérateurs, labels et réseaux du spectacle vivant et des arts visuels, même si leur niveau n'est pas suffisant pour compenser les effets de l'inflation.
Un cinquième des mesures nouvelles devrait financer le déploiement du nouveau programme « Mieux produire, mieux diffuser ». Son but est de réduire le nombre de productions, d'encourager les coproductions et les mutualisations et d'allonger la durée de la diffusion des oeuvres. Sa mise en oeuvre devrait s'accompagner d'une rénovation des dispositifs d'aide, d'une actualisation des cahiers des missions et des charges et de l'élaboration d'un nouveau pacte de financements croisés avec les collectivités territoriales, puisque l'État espère les voir contribuer à sa mise en oeuvre pour une part équivalente à la sienne, soit 10 millions d'euros.
La dernière priorité du budget 2024 est l'emploi, avec près de 10 millions d'euros de nouveaux crédits destinés au financement du Fonpeps et du plan artistes-auteurs. J'ai pu néanmoins percevoir que les établissements culturels étaient très inquiets, au vu de la dégradation de leurs marges artistiques, de leur capacité à endiguer le risque d'hémorragie que l'on constate depuis la crise sanitaire, compte tenu du manque d'attractivité des rémunérations proposées par le secteur. Il s'agit là d'un vrai défi afin d'assurer la poursuite de l'activité culturelle et le bon déploiement de l'offre culturelle dans les zones les plus fragiles.
En ce qui concerne le budget de la création, trois sujets me paraissent appeler une vigilance particulière de notre part.
Le premier concerne les scènes de musiques actuelles, implantées dans beaucoup de nos départements. Elles rencontrent de plus en plus de difficultés pour remplir les missions fixées dans le cahier des charges du label, faute de moyens financiers suffisants. Un certain nombre d'entre elles présente des marges artistiques négatives et envisage de licencier ou d'annuler partiellement ou totalement leur saison artistique afin de faire face à la hausse de leurs charges. La solution consistant à relever le prix des billets à la hauteur des besoins de financement n'apparait pas possible. Elle exigerait une hausse d'une ampleur telle qu'elle porterait atteinte à la fréquentation des SMAC et à leur accessibilité par le plus grand nombre, en contradiction avec leurs cahiers des charges. Reste donc l'hypothèse de la revalorisation de leurs subventions. Les SMAC sont aujourd'hui le label du spectacle vivant qui bénéficie de l'aide moyenne la plus faible de la part de l'État. Au regard de leur importance pour la vie culturelle des territoires, le dynamisme de la filière musicale et le soutien à l'émergence des jeunes artistes au niveau local, je vous proposerai un amendement visant à relever le niveau de leur dotation.
Le deuxième point de vigilance concerne les festivals, comme évoqué la semaine dernière autour des crédits du Centre national de la musique. Sachez que le seul amendement de crédits retenu par le Gouvernement dans le cadre du 49-3 sur l'ensemble de la mission « Culture » a justement pour objet de revaloriser de 2 millions d'euros le fonds festivals en 2024, ainsi porté à 12 millions d'euros. J'ai pu néanmoins constater lors des auditions que de vraies inquiétudes persistent autour de la situation des festivals et de l'impact qu'auront sur eux les Jeux olympiques et paralympiques (JOP). S'il est vrai que des solutions ont généralement été trouvées pour permettre le maintien des éditions, les organisateurs craignent toujours de se voir imposer une annulation de dernière minute pour des motifs de sécurité, dans le cas où il y aurait des réquisitions des moyens de la sécurité civile ou un recours à des opérateurs privés pour la bonne tenue des JOP. Par ailleurs, la programmation simultanée de nombreux festivals suite aux décisions de report, ainsi que la concurrence créée par les JOP, laissent planer des doutes sur le niveau de la fréquentation. Je sais que le ministère de la culture réfléchit à la possibilité de mettre en place un mécanisme d'indemnisation des acteurs culturels qui auront subi une perte de recettes liée aux JOP. Il n'y a rien dans le projet de loi de finances à cet effet, mais le véhicule envisagé est le projet de loi de finances de fin de gestion. C'est un sujet sur lequel il nous faudra rester très vigilants tout au long de l'année au regard de la fragilité budgétaire d'un grand nombre de festivals.
Mon troisième point de vigilance concerne les arts visuels. Malgré l'effort budgétaire en leur faveur en 2024, le niveau du soutien financier de l'État reste en deçà des besoins réels du secteur, compte tenu de la sous-dotation initiale dont pâtit l'action 2.
D'une part, les efforts se concentrent essentiellement sur les grands établissements publics et les labels, laissant de côté les autres structures de diffusion et les professionnels du secteur, qui n'ont qu'une part résiduelle du budget total. La structuration de l'écosystème des arts visuels est également peu accompagnée et nécessiterait de l'être davantage.
D'autre part, les revalorisations de crédits sont insuffisantes pour compenser la hausse générale des coûts subie par les structures des arts visuels. À titre d'exemple, les centres d'art ont évalué à 20 % le déficit de financement du budget de fonctionnement médian d'un centre d'art (450 000 euros). Cette situation contraint un nombre croissant de lieux à diminuer leurs activités, en produisant moins et en organisant moins d'expositions.
Les arts visuels ne bénéficient par ailleurs qu'à la marge ou de manière partielle des politiques mises en place dans le domaine de la création. Nous l'avions déjà constaté pour le programme « Mondes nouveaux », dont le bénéfice en termes de retombées territoriales interroge au regard du budget alloué. Les arts visuels sont une nouvelle fois périphériques dans le programme « Mieux produire, mieux diffuser » dont ils attendaient pourtant beaucoup. C'est pourquoi je vous proposerai un amendement visant à revaloriser les crédits des arts visuels dans le cadre de ce second programme.
Comme la commission l'avait déjà évoqué, il serait crucial de mettre en place une véritable observation du secteur des arts visuels afin de mieux identifier les acteurs concourant à cet écosystème et de définir des politiques publiques qui lui soient véritablement adaptées. Le manque de moyens humains et financiers du Centre national des arts plastiques et du Conseil national des professions des arts visuels restent de réels obstacles qu'il conviendrait au ministère de la culture de lever.
J'en viens maintenant au second programme, le programme 361 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », dont les crédits progressent, au global, de 3,6 %.
Ce sont surtout les crédits des établissements d'enseignement supérieur placés sous la tutelle du ministère de la culture, qui font l'objet d'une attention particulière, avec des efforts relativement importants pour atténuer les effets de l'inflation et soutenir leur fonctionnement et leurs investissements.
Les écoles nationales supérieures d'architecture obtiennent un certain nombre de mesures en leur faveur qui permettent, au moins partiellement, de répondre aux besoins financiers et humains exprimés par les étudiants et le personnel de ces établissements lors des mouvements sociaux survenus début 2023. Même si elles ne devraient pas leur apporter beaucoup de marges de manoeuvre, elles permettent de combler une partie de l'écart qui persiste vis-à-vis des établissements de l'enseignement supérieur qui ne relèvent pas du ministère de la culture. C'est un réel progrès les concernant, même s'il doit encore être complété.
Tel n'est pas le cas, en revanche, des écoles supérieures d'art territoriales, aujourd'hui en situation de fragilité inquiétante du fait de l'augmentation de leurs charges et de la baisse, ne serait-ce qu'à euros constants, des subventions des collectivités territoriales. Ces difficultés financières se conjuguent avec des problèmes plus structurels, déjà évoqués par notre commission ces dernières années : le statut de leurs enseignants, les difficultés de gouvernance découlant de leur transformation en EPCC ou encore la non-exonération des droits d'inscription des étudiants boursiers. Ils se traduisent par une dégradation des conditions d'études proposées aux étudiants et un risque de décrochage de ces écoles, qui pourraient porter atteinte à la fois au maillage territorial et à l'égalité d'accès à l'enseignement supérieur en art entre les territoires. L'école de Valenciennes a annoncé sa fermeture à compter de la rentrée 2025 et plusieurs écoles sont aujourd'hui dans l'incertitude quant à leur avenir - je pense, par exemple, à Besançon ou Angoulême-Poitiers.
La réaction de l'État n'a jusqu'ici pas été à la hauteur de la crise que connaissent ces écoles, qui octroient pourtant le même diplôme que les écoles nationales. Sa part dans leur financement s'établit en moyenne à 12 %, mais varie, selon les écoles entre 2 % à Biarritz et 37 % à Angoulême-Poitiers. Face à l'urgence de la situation, le ministère de la culture a débloqué en mars 2023 une enveloppe de 2 millions d'euros, pérennisé en 2024 sans aucune autre mesure complémentaire, malgré la publication en octobre du rapport de Pierre Oudart, commandé par la ministre de la culture qui formule un certain nombre de préconisations pour mieux accompagner ces écoles. C'est la raison pour laquelle je vous proposerai un amendement destiné à revaloriser leurs crédits.
Je suis convaincue que cette situation mérite toute notre attention. Il me parait en effet incohérent de déployer autant de moyens en faveur de l'accès à la culture des jeunes, au travers du pass Culture, si nous ne pouvons pas ensuite leur proposer, ni une offre suffisamment développée où qu'ils se trouvent, ni de débouchés dans l'enseignement supérieur. J'observe d'ailleurs qu'en dépit de leur situation plus favorable, les écoles nationales supérieures d'art sont également confrontées à d'importantes difficultés de fonctionnement. La réalisation d'une cartographie de l'enseignement supérieur en art me paraît revêtir un caractère d'urgence afin que soient correctement préservés le maillage territorial et la singularité de l'enseignement dispensé par ces écoles.
Ces dernières remarques m'offrent une parfaite transition pour aborder les questions de démocratisation culturelle, aujourd'hui très largement dominées, en termes budgétaires, par le pass Culture.
Même si les évolutions qu'il a connues lui ont permis de gagner en efficacité, j'estime que des progrès restent à accomplir pour que ce dispositif puisse atteindre ses objectifs en matière de démocratisation culturelle. Il est important de rappeler qu'il ne s'agit que d'un outil, et non d'une politique. Des efforts en termes de médiation culturelle restent nécessaires afin de garantir une réelle diversification des pratiques des jeunes et de parvenir à toucher les jeunes sortis du système scolaire.
L'articulation entre le volet collectif du pass Culture et l'éducation artistique et culturelle (EAC) doit être améliorée, compte tenu du poids qu'occupe cet outil dans la politique d'EAC. On peut regretter, de ce point de vue, que les directions régionales des affaires culturelles ne co-président pas, avec les recteurs d'académie, les comités de pilotage mis en place pour le déploiement du volet collectif, au motif qu'il est financé par le ministère de l'éducation nationale. Alors que de nombreux artistes et structures culturelles qui intervenaient dans les établissements scolaires au titre de l'EAC ont fait part de difficultés pour se faire référencer sur l'application du pass Culture, un travail conjoint du ministère de l'éducation nationale et de la culture doit être engagé afin de s'assurer que le volet collectif ne se substitue pas progressivement aux autres actions d'EAC et qu'il ne se traduise pas par une réorientation du contenu de l'EAC vers une vision plus consumériste de la culture, au détriment des pratiques.
Une meilleure association des collectivités territoriales au bon déploiement du pass Culture et à la définition de ses éventuelles évolutions m'apparait tout aussi primordiale au regard du rôle qu'elle joue dans le financement de la culture en France et dans l'organisation de l'offre culturelle dans les territoires. Je suis persuadée que la coordination avec les collectivités est une condition de la réussite du volet individuel comme du volet collectif du pass Culture dans les zones plus éloignées de la culture, où elles ont un rôle clé pour identifier et renforcer l'offre culturelle de proximité.
Enfin, deux derniers sujets relatifs au pass Culture me préoccupent : d'une part, le gaspillage d'argent public qui résulte des réservations effectuées par les jeunes pour des spectacles auxquels ils ne se rendent finalement pas - on parle de « no-show -, qui nécessiterait des mesures permettant de juguler cet effet pervers ; d'autre part, le coût important de fonctionnement de la SAS, qui représente 12 % de son budget total, soit 30 millions d'euros, dont près de la moitié concerne les charges de personnel. Il me semble qu'il serait bénéfique d'intégrer la SAS sur la liste des opérateurs de l'État pour que nous puissions plus facilement contrôler l'évolution de son budget et de ses emplois.
Comparée à l'effort pour l'accès à la culture des jeunes, la politique de démocratisation culturelle dans les territoires me paraît manquer de vision stratégique. Elle est très dispersée et repose, pour beaucoup, sur un empilement de dispositifs créés au fil des années pour répondre à des besoins ou des demandes spécifiques, qu'il s'agisse, par exemple, des micro-folies, du fonds d'innovation territoriale (FIT), de l'été culturel ou du plan fanfare.
Alors que la dotation de la plupart des dispositifs précités ne me parait déjà pas de nature à résorber le déficit d'offre culturelle constaté dans certains de nos territoires, je m'étonne de constater que les crédits destinés à la participation de tous à la vie culturelle ont fait l'objet d'une sous-exécution sur les deux derniers exercices pour lesquels on dispose de chiffres, à savoir 2021 et 2022.
J'estime, dans ces conditions, que ces dispositifs doivent être évalués, à commencer par le fonds d'innovation territoriale, afin de s'assurer qu'ils répondent véritablement aux besoins des collectivités territoriales et que leurs modalités sont pertinentes. Leurs critères sont souvent flous et ils ne sont pas co-construits avec les collectivités territoriales, dont la participation financière est pourtant exigée. J'ajoute qu'ils souffrent sans doute d'être gérés par les conseillers chargés de l'action territoriale en DRAC, alors que leurs bénéficiaires potentiels sont en relation avec les conseillers sectoriels. C'est pourquoi nous devons une nouvelle fois plaider, me semble-t-il pour que les conseils locaux des territoires pour la culture deviennent de vrais outils de co-construction des politiques culturelles à l'échelle des territoires, et non de simples instances d'information. L'État ne peut pas attendre des collectivités qu'elles financent sans décider conjointement avec elles.
Il nous faudra rester très vigilants dans les années à venir sur la répartition territoriale des crédits et des actions en faveur de la culture dans les territoires prioritaires. En principe, le FIT lancé en 2022 est aujourd'hui le principal instrument à disposition du ministère pour soutenir les projets culturels menés dans les territoires jusqu'alors jugés trop modestes pour bénéficier d'aides. Nos collègues Sylvie Robert et Sonia de La Provôté ont inspiré la création de ce dispositif : l'outil est très récent et nous manquons encore de recul pour parvenir à une évaluation précise de son efficacité mais nous devrons y veiller dans les prochains mois. Je note cependant, qu'outre sa faible dotation de 5 millions d'euros, sa philosophie s'écarte de celle imaginée par nos collègues puisque cet outil au lieu d'être partagé avec les collectivités est aujourd'hui géré par les DRAC : les premiers éléments dont je dispose me laissent à penser que le FIT n'est pas à la hauteur du défi que nous souhaitions qu'il relève, c'est-à-dire l'accès à la culture dans les territoires ruraux ou les quartiers prioritaires. Je constate qu'une multiplicité d'objectifs lui ont été assignés : favoriser la participation des habitants, intégrer une dominante écologique ainsi qu'un lien avec l'artisanat ou les métiers d'art ou encore accompagner les projets dans les territoires impactés par les violences urbaines. Tout ceci risque de déboucher davantage sur un saupoudrage qu'une véritable action structurelle. Beaucoup de collectivités et d'acteurs culturels n'ont pas connaissance de ce dispositif et l'Assemblée des départements de France l'a même qualifié de « machin » : le moment venu, une évaluation nous permettra de déterminer s'il mérite ou non d'être maintenu, moyennant d'éventuelles adaptations et j'attire votre attention sur le fait que ce mécanisme ne doit pas exonérer la politique culturelle de réfléchir de façon structurelle à l'amplitude et la répartition territoriale de ses actions.
Au bénéfice de ces observations, et sous réserve de l'adoption des amendements que je vous présenterai dans quelques instants, je vous propose de donner un avis favorable aux crédits des programmes 131 et 361 compte tenu des hausses de crédits qu'ils prévoient.
M. Laurent Lafon, président. - Merci Madame la rapporteure ; je laisse la place aux interventions.
Mme Sonia de La Provôté. - Bravo, tout d'abord, pour cet exposé particulièrement complet qui explore toutes les dimensions de ces deux programmes budgétaires en faveur de la culture. Je souscris intégralement à vos conclusions ainsi qu'à vos propositions en soulignant le fait, qu'à l'instar de ce qui a été évoqué pour les crédits consacrés au Patrimoine, le sujet essentiel est celui de la feuille de route que se donne la politique culturelle. Celle-ci ne saurait se résumer à des discours ou des messages d'un ministère qui aligne des outils dont certains se ramènent à des marottes : je mentionne ici le pass Culture, les Micro-Folies ainsi que d'autres inventions de ce type qui apparaissent un peu comme des petites graines semées en chemin sans constituer une véritable politique.
On retrouve d'année en année plusieurs problématiques portant sur les arts visuels qui sont la portion congrue de ce budget, l'éducation artistique et culturelle dont il faudrait définir les objectifs plutôt que de se focaliser sur des outils et on retrouve également le sujet de la co-construction des politiques publiques. Je rappelle que plus de 60 % des politiques culturelles sont financées par les collectivités territoriales et plus on s'éloigne de Paris plus ce pourcentage augmente : la question de la territorialisation est donc même un vrai sujet de pilotage régalien et le ministère devrait s'emparer de cette question en prenant conscience que la culture dans les territoires ne doit pas dépendre uniquement de la motivation et de la mobilisation des élus locaux mais aussi de celles du ministère de la culture. En témoignent l'utilisation des crédits du FIT, qui reste pour l'instant une boîte noire, et la limitation à 5 millions d'euros de ses crédits, qui soulèvent la question de la co-construction des politiques culturelles dans nos territoires. Le ministère n'a pas assez pris en compte cette question à la hauteur qu'elle mérite. Le secteur des festivals en fournit un exemple symptomatique : ce sont des lieux d'effervescence et d'accès à la culture dans tous les territoires. Certes ils relèvent souvent d'initiatives privées, associatives ou de collectivités locales mais trop peu sont accompagnés par le ministère : ce dernier ne les considère pas comme des éléments essentiels de la politique culturelle et cela remet en question les droits culturels des territoires.
Mme Anne Ventalon. - Ma collègue Else Joseph, retenue par le Congrès des maires, m'a demandé de vous lire son intervention au nom de notre groupe. Nous vous remercions pour votre présentation très argumentée. Votre analyse comporte certaines bonnes nouvelles : le domaine culturel a été lourdement touché par la crise sanitaire et nous saluons l'augmentation des crédits, tout en faisant observer que celle-ci reste affectée par l'inflation et les différents coûts qu'elle entraîne.
Tout d'abord, il faut saluer l'augmentation des crédits du programme portant sur la création. Les perspectives actuelles au niveau du spectacle vivant sont positives. La reprise en 2022 est en effet confirmée cette année ; elle s'établit à 2,5 % pour la fréquentation des spectacles et par exemple 8 % pour l'Opéra de Paris : cela génère une hausse des ressources propres pour les établissements.
Concernant nos festivals, le soutien est affirmé mais dans un contexte difficile de hausse des coûts auxquels s'ajoutent les contraintes budgétaires et de billetterie. Ces difficultés cumulées font peser de véritables risques sur l'ambition artistique du spectacle vivant. Il faut se demander comment aider nos festivals alors que la réflexion sur leur modèle économique s'impose et comment articuler la sanctuarisation des crédits prévue à hauteur de 30 millions d'euros avec cette réflexion indispensable qui s'inscrit dans les états générauxdes festivals ? Ces derniers ne pourront pas éviter des réformes dans leur organisation et leur gestion qui doivent être repensées dans le contexte de digitalisation croissante.
Nous nous réjouissons de la revalorisation de la dotation globale de l'État aux Seines de musiques actuelles (SMAC) de 3,68 millions d'euros que notre commission souhaite apporter. Ce secteur rencontre effectivement des difficultés : les marges artistiques se réduisent, on constate des difficultés à recruter et même des arrêts de programmation pour réduire les risques artistiques. Or c'est notre diversité culturelle qui est compromise à travers cet affaiblissement et on peut craindre la disparition de musique notamment populaire. Ce sont essentiellement les petites salles qui seraient les plus touchées par ces baisses et ceci accroît bien sûr leur vulnérabilité financière.
Toujours dans le domaine de la création, on peut saluer le plan « Mieux produire, mieux diffuser » dont l'objectif est ambitieux mais nous nous interrogeons sur ses implications concrètes.
Nous approuvons également la hausse des crédits du programme 361 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ». Ces crédits financent notamment le pass Culture qui continue à susciter des interrogations : la question des angles morts de ce dispositif reste ainsi posée malgré sa notoriété. Comment faire en sorte que le pass Culture se développe sans se limiter aux seuls initiés qui savent déjà vers quoi ils vont se tourner ? Comment toucher des publics, comme les apprentis, en faveur desquels les efforts sont nécessaires mais limités ? La volonté de sensibiliser les jeunes Français résidant à l'étranger se manifeste et fera l'objet d'une expérimentation en 2024 mais quelles en seront les modalités concrètes et comment faire en sorte que ces jeunes bénéficient également de notre réseau culturel à l'étranger comme les Alliances françaises ? Dans le volet collectif du pass Culture, il faut aussi veiller à une meilleure implication du corps enseignant : comment l'encourager ?
Enfin, la situation de nos Écoles nationales supérieures d'art (ENSA) nous préoccupe également : elles doivent supporter des coûts de fonctionnement croissants et n'ont pas été soutenues par différents dispositifs mis en oeuvre depuis la crise sanitaire. L'État n'est qu'un financeur de second rang pour ces établissements et la hausse des allocations prévues par ce PLF 2024 mérite d'être renforcée. Parallèlement, comment accompagner ces établissements à se réformer en perfectionnant leur fonctionnement ainsi que leur capacité à augmenter leurs ressources propres car le seul soutien de l'État ne saurait, à lui seul, résoudre toutes leurs difficultés structurelles : il s'agit de prévenir le risque de devoir perpétuellement maintenir ces écoles sous perfusion.
En conclusion, notre groupe suivra l'avis de la rapporteure.
Mme Colombe Brossel. - Merci à la rapporteure pour cette présentation. Je m'associe aux propos des deux intervenantes qui ont repris et complété ce rapport. Comme l'a indiqué Sonia de La Provôté, un budget traduit une ambition et une politique publique : or le budget qui nous est proposé ne permet pas suffisamment de les percevoir. Je retiens aussi que Karine Daniel a opportunément rappelé la place des territoires ainsi que la façon dont se construit une politique publique en matière de culture et de démocratie culturelle. Je ne reviens pas sur ces éclairages que nous partageons et qui doivent nous guider.
Si la hausse affichée des crédits du programme « Création » est bien réelle, elle n'est pas à la hauteur des besoins et un certain nombre d'amendements nous sont proposés pour corriger des lacunes : je pense qu'il est raisonnable de les approuver et je crois percevoir que nous partageons cette préoccupation. À travers ces amendements nous pourrons exprimer notre volonté d'améliorer les moyens de mise en oeuvre de la politique culturelle française afin de lui donner le rôle et la place que nous souhaitons pour la culture dans notre pays car il s'agit d'un beau levier qu'il faut actionner pour créer du commun.
Sous réserve d'un petit sentiment d'inachevé et de l'adoption des trois amendements proposés par la rapporteure, il nous semble nécessaire de voter ce rapport et ces crédits.
Je souligne néanmoins que avons de vraies interrogations sur ce qui est mis en oeuvre dans le domaine de l'éducation artistique et culturelle. Je ne reviens pas sur l'analyse de Karine Daniel à propos du pass Culture et des moyens qui lui sont dédiés mais là aussi on est amenés à s'interroger sur les ambitions que se donne le Gouvernement. J'ajoute qu'on ne peut pas se satisfaire des réponses qui nous ont été apportées en commission par la ministre de la culture et par le ministre de l'éducation nationale sur l'EAC. Très honnêtement, on ne peut pas se satisfaire des 2 millions d'euros prévus pour généraliser les actions collectives du pass Culture à tous les élèves de sixième et de cinquièmes dans notre pays : ça n'est pas raisonnable et on ne sait pas ce que souhaitent finalement faire et pas seulement afficher les deux ministères dans ce domaine. C'est un sujet sur lequel nous nous réservons la possibilité de continuer à travailler, y compris par voie d'amendements.
Avis favorable, donc, sur le paquet budgétaire global mais sans pour autant considérer que notre travail d'initiative s'arrêtera à ce stade.
Mme Laure Darcos. - À mon tour de saluer notre rapporteure qui, dès la première année où elle remplit cette fonction, s'est immergée avec beaucoup d'efficacité dans ce sujet. Juste une remarque sur le pass Culture : après avoir assisté aux auditions sur cette thématique, j'avais beaucoup d'espoir sur la composante du pass Culture mutualisée pour les collèges et les lycées. Je rappelle que nous avions initialement été dubitatifs, il y a plusieurs années, sur ce chèque consommation destiné à des jeunes à 18 ans : d'une part, la somme prévue était importante et surtout, à 18 ans, les goûts des uns et des autres sont déjà ancrés - ou pas - en fonction du contexte familial dans lequel on a été bercé et en fonction des contacts que l'on a pu établir avec le monde de la culture. On peut très prosaïquement constater que ce dispositif a généré beaucoup de succès pour les mangas et les groupes de rap : je schématise mais la tendance est bien allée dans ce sens. La mutualisation était donc importante pour tous les jeunes qui peuvent bénéficier d'un élargissement du périmètre du pass Culture mais, à mon avis, les deux tiers des établissements scolaires ne connaissent pas en détail le dispositif. Nous avons interrogé les dirigeants du pass Culture en leur demandant quelles initiatives étaient prises pour faciliter la vie des établissements à travers l'application dédiée. Il en résulte qu'une fois de plus, on se heurte à un problème majeur qui est que l'éducation artistique et culturelle ne relève pas de facto d'une double tutelle entre le ministère de la culture et celui de l'éducation nationale : tout est entre les mains de cette dernière et certains continuent de prendre un peu par-dessus la jambe l'éducation artistique et culturelle - cela dépend vraiment de la motivation des professeurs et des chefs d'établissement. Je suis donc très dubitative et il me parait nécessaire de réactiver une sorte d'alerte, autant côté culture qu'éducation nationale, sur ce sujet majeur.
M. Pierre Ouzoulias. - Merci madame la rapporteure pour la qualité de votre rapport extrêmement détaillé mais je dois avouer que l'on sort de votre exposé un peu étourdi par le foisonnement des dispositifs : j'en connaissais beaucoup et j'en découvre d'autres sans en retirer, comme cela a été dit, le sentiment que tous ces outils s'articulent autour d'une politique nationale clairement établie et revendiquée. Le problème, que vous avez très justement pointé - et auquel le ministère de la culture nous a malheureusement habitués - est celui de l'articulation entre la politique nationale et les politiques territoriales alors même que les collectivités territoriales financent aujourd'hui 60 % des crédits publics de la culture - Sonia de La Provôté l'a rappelé avec force. On a le sentiment qu'au mieux, les relations sont épisodiques et que parfois l'État conduit des politiques culturelles en sens contraire à celles des collectivités. Il faut constater que les DRAC ne sont plus en mesure aujourd'hui d'organiser cette interaction et je pense qu'à un moment donné il faudra soulever la question d'une nouvelle étape de la décentralisation : on l'affirme systématiquement à chaque budget portant sur le Patrimoine mais je crois que la nécessité apparait encore plus criante s'agissant du pass Culture.
Vous ne serez pas surpris de mon opposition à ce dispositif : je la réaffirme chaque année et je regrette encore une fois cette forme d'individualisation de l'aide à la culture. Vous révélez que certains bénéficiaires de pass Culture réservent des spectacles auxquels ils n'assistent pas, ce qui revient à subventionner les scènes privées par ce dispositif, à ceci près que c'est le bénéficiaire lui-même qui choisit le spectacle qui va être financé : cela ne correspond pas tout à fait à ma conception de la politique culturelle.
J'estime important de remettre sur le chantier un thème que le ministère de la culture refuse de traiter, à savoir repenser ses relations avec les collectivités. Le Sénat s'est prononcé dans ce sens à plusieurs reprises à travers des rapports, des missions d'information et des prises de position lors de la discussion budgétaire et je me demande aujourd'hui comment on peut aller plus loin pour avancer sur ce sujet fondamental. Par ailleurs, je ne suis pas partisan d'une répartition des charges par laquelle le ministère de la culture se réserverait la gestion des grosses entreprises parisiennes et ne laisserait que le reste aux collectivités. Il y a donc là un grand chantier sur lequel il faut pousser le ministère de la culture à travailler avec nous car nous atteignons les limites de l'acceptable en termes de compréhension de ces politiques.
Mme Monique de Marco. - Merci pour ce rapport clair et précis. Mon intervention sera brève afin de remonter le niveau d'attention de mes collègues à son maximum. (Rires de protestation)
Je partage le constat et les points de vigilance qui ont été soulevés. En particulier, les SMAC sont en très grande difficulté et chacun a sans doute reçu des alertes. Je rappelle également que nous sommes intervenus à plusieurs reprises dans cette commission pour alerter sur les difficultés prévisibles des festivals pendant les JO 2024 : ce sera sans doute le cas et il faudra en faire le bilan. Concernant les arts visuels, je suis favorable à l'amendement que vous avez annoncé pour remédier à leur sous-dotation dans le PLF pour 2024. Quoiqu'en réel progrès, je ne suis pas certaine que les dotations prévues en faveur des écoles d'architecture vont permettre de satisfaire leurs besoins. Les écoles d'art nous signalent, pour leur part, leurs difficultés à couvrir leurs charges en nette augmentation. Relayant une formule tirée du rapport de notre commission des finances, la presse a indiqué que le pass Culture ne constitue pas un instrument de pluralité culturelle mais une plateforme d'achats de biens et de services. À mon sens une partie des moyens du pass Culture devrait être orientée vers le spectacle vivant dans le cadre d'un rééquilibrage permettant à certains jeunes de se familiariser avec ces secteurs de la culture qu'ils ne connaissent pas et ainsi diversifier leurs pratiques.
Sous réserve de l'adoption des amendements que vous avez annoncés, nous voterons ces crédits.
Mme Karine Daniel, rapporteure pour avis. - Je remercie les intervenants pour leurs remarques qui confortent l'analyse que je vous ai soumise.
S'agissant du pass Culture, je signale que des réflexions en cours visent à en élargir le dispositif et à favoriser son appropriation par les jeunes apprentis, les jeunes Français de l'étranger ainsi que les jeunes qui sont placés en institutions spécialisées : c'est une avancée qui reste à conforter. Sur son aspect consumériste, je partage vos observations et j'ajoute, à propos des places réservées mais inutilisées, qu'elles ne sont évidemment pas « vendues » au prix public à travers le pass Culture et que le barème de remboursement des offreurs sur le pass Culture est par ailleurs dégressif : le niveau de compensation financière n'est donc pas équivalent. J'ajoute que dans certains cas, avant le spectacle, il n'y a plus de place à vendre mais quand les spectateurs arrivent sur place, la salle n'est pas pleine ce qui engendre des situations inconfortables.
Sur la décentralisation, je rejoins les propos de notre collègue Pierre Ouzoulias car le système fonctionne un peu à l'envers de la logique décentralisatrice : en schématisant, plus on s'éloigne de de la capitale, moins les crédits culturels sont importants et plus on sollicite les collectivités territoriales.
Enfin, la diversité des dispositifs culturels est effectivement très excessive. Sur le terrain, les acteurs que j'ai interrogés témoignent de leur profusion et de l'illisibilité globale qui en résultent à travers les initiatives prises par les collectivités, régions, départements communes ou autres fondations : il y a là un vrai sujet d'accessibilité et de compréhension.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
M. Laurent Lafon, président. - Nous examinons à présent les amendements présentés par la rapporteure.
Mme Karine Daniel, rapporteure pour avis. - L'amendement CULT.1 concerne les SMAC. La subvention minimum qui leur est aujourd'hui allouée est d'environ de 96 000 euros. En deçà des demandes qui nous ont été adressées, et après concertation entre les rapporteurs ainsi qu'avec les membres de la commission, l'amendement propose néanmoins un abondement de leurs crédits de 3,68 millions d'euros qui, en pratique, pourrait bénéficier à 92 établissements. Cette dotation permettrait de garantir un soutien minimal avoisinant 175 000 euros de la part de l'État.
L'amendement envisage de compenser cette augmentation par un prélèvement sur les crédits du pass Culture. Les règles d'irrecevabilité financière imposant de compenser toute charge supplémentaire, ce transfert parait être le plus pertinent, dans la mesure où une offre culturelle diversifiée sur les territoires est un préalable nécessaire pour permettre au pass Culture de remplir ses objectifs de démocratisation culturelle et de diversification des pratiques des jeunes.
L'amendement CULT.1 est adopté.
Mme Karine Daniel, rapporteure pour avis. - L'amendement CULT.2 vise à revaloriser d'un million d'euros le montant des crédits destinés à la mise en oeuvre du programme « Mieux produire, mieux diffuser » dans le champ des arts visuels.
Il s'agit de mieux intégrer le secteur des arts visuels dans ce programme budgétaire pour les inciter à mieux se structurer, à réaliser des économies et à mieux valoriser leur offre ainsi que de leur programmation.
Ici encore les crédits du pass Culture sont diminués en conséquence et je précise que les arts visuels ont été un secteur très peu bénéficiaire du pass Culture, parce que son offre est souvent gratuite. Or dans l'imaginaire collectif, ce qui est gratuit est parfois dévalorisé, si bien que les enseignants ainsi que les jeunes se sont plutôt portés vers des manifestations payantes.
L'amendement CULT.2 est adopté.
Mme Karine Daniel, rapporteure pour avis. - L'amendement CULT.3 vise à revaloriser de 16 millions d'euros le montant des crédits alloués par l'État aux écoles supérieures d'art territoriales. Nous avons longuement travaillé sur ce sujet avec les acteurs concernés.
Cette revalorisation des crédits permettrait de financer plusieurs mesures : 7 millions d'euros au titre de la compensation du point d'indice ; 5 millions d'euros afin d'adapter la dotation de fonctionnement à l'accroissement des missions et à l'inflation ; 2 millions d'euros au titre de l'exonération des étudiants boursiers - lesquels ne sont pas favorisés par le système actuel ; et 2 millions d'euros au titre de la réforme du statut des enseignants.
Afin de compenser cette revalorisation, il est proposé de financer cette mesure via un transfert de crédits du programme 224 « Soutien aux politiques du ministère de la culture », vers l'action 1 du programme 361 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ».
L'amendement CULT.3 est adopté.
M. Laurent Lafon, président. - Je vous informe également que nous organiserons une table ronde sur la question des écoles supérieures d'art d'ici la fin de l'année avec Pierre Oudart et des représentants des établissements dont on voit bien qu'ils ont du mal à se faire entendre.
Sous réserve de l'adoption de ses amendements, la commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes Création et Transmission des savoirs et démocratisation de la culture, au sein de la mission Culture du projet de loi de finances pour 2024.
Les sorts des amendements du rapporteur examinés par la commission sont retracés dans le tableau suivant :
Article 35 |
|||
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Mme Karine DANIEL rapporteure |
CULT.1 |
Revalorisation des crédits des scènes de musiques actuelles |
Adopté |
Article 35 |
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Mme Karine DANIEL, rapporteure |
CULT.2 |
Revalorisation des crédits des arts visuels pour la mise en oeuvre du programme « Mieux produire, mieux diffuser » |
Adopté |
Article 35 |
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Mme Karine DANIEL, rapporteure |
CULT.3 |
Revalorisation des crédits des écoles supérieures d'art territoriales |
Adopté |