II. L'ENJEU PRINCIPAL DE 2024 : ACCÉLÉRER LE PASSAGE À L'« ÉCONOMIE DE GUERRE »
L'économie de guerre se caractérise par une forte réactivité, un niveau de stocks suffisant pour assurer la « masse » et une souveraineté dans les capacités de production et les circuits d'approvisionnement en matières premières garantissant une autonomie de décision.
Aucun de ces trois critères n'est aujourd'hui satisfait ce qui rend le recours à l'expression « économie de guerre » abusif. Les délais de production demeurent beaucoup trop longs et les capacités de production trop limitées compte tenu des menaces, les stocks n'ont pas véritablement été reconstitués au niveau des besoins générés par la haute intensité et la dépendance demeure très forte concernant certaines matières premières (poudre noire, titane...).
A. DEUX PRIORITÉS : AUGMENTER LES STOCKS ET SÉCURISER DES CAPACITÉS DE FLUX
L'état-major des armées soutient qu'« un effort important est réalisé dans le domaine des munitions ». La LPM prévoit en effet un effort prioritaire de 16 Mds€ dans le domaine des munitions sur la période 2024-2030 qui se traduit dans le PLF par un effort accru de 35% avec 1,5 Md€ de crédits de paiement. Ces moyens doivent permettre des commandes de missiles Exocet, de missiles air-air (Meteor et Mica), d'obus de tous calibres et de bombes. Cet effort s'inscrira selon l'EMA dans une démarche différenciant les munitions de haute technologie et les munitions de masse afin de permettre à la fois de prendre l'ascendant mais aussi de tenir dans la durée.
Les rapporteurs pour avis constatent que l'ambition affichée par le ministère des armées en matière de munitions demeure très insuffisante au regard des exigences des combats de haute intensité. Concernant les obus de 155 mm par exemple, les livraisons devraient être de 20.000 unités en 2024 soit l'équivalent de quatre jours de consommation des armées ukrainiennes. Un niveau de production si faible traduit une déconnexion des enjeux du moment.
Les travaux menés en 2022 sur l'économie de guerre ont montré que le raccourcissement des durées de production ne pouvait qu'avoir un effet marginal et qu'il était nécessaire de retrouver une capacité souveraine sur l'ensemble des composants, de faire des stocks de produits finis et d'augmenter les capacités industrielles de production. Or, malgré les déclarations du Gouvernement, les volumes d'acquisition des munitions resteront dans les années à venir similaires aux moyennes constatées les années précédentes pour les munitions d'artillerie. Cela place dangereusement la France en décalage par rapport à ses partenaires. Le gouvernement américain a pris la décision de multiplier par six sa production de munitions d'artillerie tandis que le Royaume-Uni a passé plusieurs contrats importants à ses industriels et que l'Allemagne a commandé 150.000 munitions d'artillerie à Rheinmetall. Nexter estime qu'il conviendrait de garantir l'achat de 15.000 obus pour permettre de pérenniser la filière et rendre possible une montée en puissance (« ramp up ») rapide de la production à 40 à 45.000 obus. À plus long terme le groupe KNDS/Nexter vise une capacité de production de 100.000 obus et appelle toujours de ses voeux davantage de perspectives sur les commandes de l'État.
La situation n'est pas très différente concernant les commandes de missiles. Le PLF 2024 devrait permettre l'achat d'un nombre non négligeable d'AKERON MP, de MISTRAL3, d'EXOCET, de MICA NG et de METEOR. Le PLF prévoit aussi les investissements nécessaires à la poursuite du programme de futur missile anti-navire/futur missile de croisière (FNAM/FMC) franco-britannique qui demandera un soutien politique fort dans la durée mais qui demeure crucial pour conserver une capacité de frappe en profondeur.
Pour autant, la question essentielle du dimensionnement des capacités industrielles demeure. Compte tenu de l'évolution du contexte international, MBDA avait pris l'initiative de consacrer des moyens importants à la constitution de stocks de composants, ce qui lui a permis de gagner plusieurs mois dans le cycle de production de ses missiles et de doubler la cadence de production pour l'un d'entre eux. Il est néanmoins délicat pour une entreprise privée d'assumer seule ce type de risque sur le long terme. C'est pourquoi MBDA et l'EMA travaillent sur des modalités de livraisons ultrarapides de missiles que les rapporteurs pour avis considèrent comme indispensables au passage à l'économie de guerre.
Recommandation n°3 : reconstituer des stocks de munitions compatibles avec les standards de consommation observés lors des engagements de haute intensité, en particulier pour l'artillerie.
Recommandation n°4 : sécuriser des capacités de production ultrarapides auprès des industriels en contribuant à leurs investissements ou en garantissant des achats suffisants afin de pouvoir faire face à un conflit de haute intensité.