EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mardi 7 novembre 2023 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a examiné le rapport pour avis de M. Vincent Delahaye sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024.
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2024.
M. Vincent Delahaye, rapporteur pour avis. - Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, a été transmis hier soir au Sénat.
La part de ce texte dans les prélèvements obligatoires et dans les dépenses publiques - plus de 600 milliards d'euros -, et par conséquent son impact macro-économique, justifie la saisine pour avis, comme chaque année, de la commission des finances.
La crise sanitaire a provoqué en 2020 un déficit record de la sécurité sociale de l'ordre de 40 milliards d'euros, alors qu'elle finissait à peine d'absorber les conséquences du choc de la crise financière de 2008-2009.
Depuis, la situation des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) s'est redressée : un déficit de « seulement » 8,8 milliards d'euros est attendu en 2023. Cette résorption du déficit résulte principalement du dynamisme des recettes, lié à la progression de l'emploi et de la masse salariale.
Si l'on peut se réjouir que le déficit se réduise, il est toutefois inquiétant qu'il diminue moins qu'attendu. En effet, les dépenses ont également davantage augmenté que prévu.
Les revalorisations des prestations sociales au regard de la montée de l'inflation ont contribué à la dégradation du solde à hauteur de 3,7 milliards d'euros. Surtout, le sous-objectif « soins de ville » de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) a connu un dépassement de 1,1 milliard d'euros en 2023, principalement du fait du dynamisme des indemnités journalières, qui y contribue à hauteur d'environ 300 millions d'euros, et de la hausse des prix des médicaments, à hauteur d'environ 200 millions d'euros. Au total, l'Ondam connaîtrait un dépassement de 2,8 milliards d'euros en 2023. Le Comité d'alerte sur l'évolution des dépenses de l'assurance maladie (Cadam) s'en est d'ailleurs alarmé à deux reprises cette année.
En revanche - et c'est heureux - les surcoûts imputables à la crise sanitaire se sont considérablement réduits : ils ne représentent plus que 0,9 milliard d'euros en 2023, contre 11 milliards d'euros en 2022. Toutefois, la crise a durablement affecté la trajectoire de l'Ondam, qui s'établit en 2023 à un niveau de 14,2 milliards d'euros supérieur à un scénario sans crise et sans Ségur.
S'agissant de 2024, la dynamique des recettes ralentirait, contrairement à celle des dépenses, qui s'accroîtrait.
En ce qui concerne les recettes, le ralentissement de la hausse de la masse salariale du secteur privé, qui augmenterait de 3,9 % en 2024, contre 6,3 % en 2023, conduirait à une moindre progression des recettes. Ce ralentissement est compensé par le transfert à la branche autonomie de 0,15 point de contribution sociale généralisée (CSG), auparavant affecté à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades). En 2024, la progression des recettes serait ainsi de seulement 4,7 milliards d'euros, contre 5,2 milliards cette année.
Si la progression des recettes ralentit, ce n'est pas le cas de l'objectif de dépenses pour 2024 qui se caractérise, quant à lui, par un véritable rebond.
Les branches accidents du travail - maladies professionnelles (AT-MP), autonomie et famille sont concernées par des mesures nouvelles qui conduisent à une augmentation de leurs dépenses, mais il ne s'agit que de montants relativement faibles. Quant à la branche maladie, ses dépenses seraient en principe modérées, l'Ondam étant fixé pour 2024 à 254,9 milliards d'euros, soit une évolution de 2,95 % par rapport à 2023. Si des mesures nouvelles pourraient accroître quelque peu ses dépenses, il s'agit de mesures de prévention qui devraient, en principe, se traduire par des économies à long terme.
La branche dont les dépenses doivent être le plus soigneusement surveillées est la branche vieillesse. Le report de l'âge d'ouverture des droits n'aura en effet d'impact que progressivement, alors que les mesures d'accompagnement, plus coûteuses, ont un effet immédiat. Le solde de la branche se dégraderait ainsi de 4 milliards d'euros en 2024.
Au total, le déficit de 8,8 milliards d'euros pour 2023 serait aggravé, et s'établirait à 11,1 milliards d'euros en 2024. Il s'agit là d'une situation inquiétante, dans la mesure où les conditions de refinancement et d'amortissement, c'est-à-dire de remboursement de la dette sociale, se sont également dégradées ces dernières années.
D'une part, la remontée des taux d'intérêt pèse sur Urssaf Caisse nationale, qui gère la trésorerie de la sécurité sociale. En conséquence, les intérêts de ses émissions, qui ne peuvent être supérieures à un an, se sont déjà élevés à 113 millions d'euros entre le 1er janvier et le 23 mars 2023.
D'autre part, le taux moyen de refinancement de la Cades a connu une hausse inquiétante, de 0,62 % début 2022 à 1,93 % aujourd'hui - certains taux approchant les 3 %. Dans le même temps, les ressources dont dispose la Cades pour amortir cette dette sociale ont diminué : 0,15 point de CSG lui sera retiré en 2024 et le versement du Fonds de réserve pour les retraites baissera, à partir de 2025, de 2,1 milliards à 1,45 milliard d'euros. Le montant des ressources de la Cades diminuerait ainsi de 8,5 %, passant de 21,1 milliards d'euros en 2023 à 19,3 milliards d'euros en 2024.
Selon les prévisions pluriannuelles, le déficit de la sécurité sociale continuerait à se dégrader, pour s'établir à 15,8 milliards d'euros en 2025 ; 17,1 milliards d'euros en 2026 et 17,5 milliards d'euros en 2027. Pire, ce scénario défavorable repose sur des hypothèses macro-économiques de croissance, et donc de masse salariale et de recettes, qui ont été jugées « optimistes » par le Haut Conseil des finances publiques (HCFP).
Dans la prévision actuelle, la situation des branches famille, AT-MP et autonomie, de même que celle du FSV, demeurerait excédentaire, mais pour des montants assez faibles. En revanche, la situation des branches maladie et vieillesse ne laisse pas d'inquiéter.
Concernant la branche maladie, la progression continue des dépenses et les dépassements réguliers de l'Ondam de ville devraient faire l'objet d'une réflexion. Avant la crise sanitaire, le respect de l'Ondam avait été obtenu par le biais d'une régulation prix-volume pesant principalement, via la tarification à l'activité (T2A), sur les hôpitaux, avec le résultat que l'on sait, en termes d'épuisement et d'endettement. Or le présent projet de loi prévoit la réduction de la part de la T2A dans le financement des hôpitaux, ce qui pourrait, selon la Cour des comptes, rendre plus difficile la régulation des dépenses des établissements de santé. Parallèlement, le Gouvernement se refuse, comme cela a été patent lors de l'examen du projet de loi de programmation des finances publiques, à envisager sérieusement une régulation des soins de ville. L'avenir de la maîtrise des dépenses d'assurance maladie fait donc l'objet d'un impensé de la part du Gouvernement.
Concernant la branche vieillesse, il est inquiétant de constater que l'impact de la réforme des retraites sera vraisemblablement moindre qu'escompté. À l'horizon 2030, l'impact net de la réforme des retraites serait de l'ordre de 7,1 milliards d'euros au lieu des 10 milliards annoncés. Toutefois la situation de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) est de plus en plus préoccupante : son déficit ne cesse en effet de s'aggraver et atteindrait presque 6,5 milliards d'euros en 2030.
La persistance de ces déficits, qui représenteraient un montant cumulé d'environ 60 milliards d'euros en 2027, pourrait conduire à une nouvelle reprise de dette par la Cades, ce qui allongerait la durée de remboursement de la dette sociale au-delà de 2033, date butoir pour le remboursement de la dette et l'extinction de la Cades.
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, vous aurez compris que ma position sur l'équilibre général du texte est réservée - je considère toutefois qu'il peut être amélioré. C'est pourquoi je propose que nous donnions un avis favorable au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, sous réserve des améliorations qui lui seront apportées par la commission des affaires sociales.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je tiens à dire que je partage les inquiétudes du rapporteur. La situation est préoccupante pour la branche maladie, plus préoccupante encore pour la branche vieillesse, avec de nombreux déficits malgré les réformes. L'existence de la Cades a déjà été prolongée il y a plus de dix ans. Or on a le sentiment qu'on ne trouve pas les modalités pour remédier à la situation. Voyez-vous un ou deux axes à prioriser pour réduire les déficits ? Il convient peut-être de concentrer nos efforts de réduction des déficits sur une branche.
M. Pascal Savoldelli. - Pourquoi le montant des exonérations des cotisations sociales n'est-il pas évoqué dans ce rapport ? Les prévisions pour 2024 seraient, selon mes sources, de 87,9 milliards d'euros.
Mme Christine Lavarde. - L'année dernière, la Cour des comptes a refusé de certifier les comptes de la sécurité sociale au regard de trop grandes erreurs de la branche famille. Comment améliorer la situation pour que les comptes soient certifiés l'an prochain ou le suivant ?
Mme Florence Blatrix Contat. - Je partage les réserves du rapporteur. Ce PLFSS se fonde sur des prévisions économiques particulièrement optimistes. La hausse de l'Ondam à 3,2 % est timide et reste en deçà de la hausse naturelle des dépenses qui s'élève à 4,6 %. Comment les exonérations de cotisations sociales sont-elles compensées par l'État ? Je rejoins la remarque de mon collègue Pascal Savoldelli sur leur coût. Nous ne sommes pas favorables à l'adoption de ce PLFSS.
M. Christian Bilhac. - Ma première question porte sur le solde des régimes obligatoires : le déficit a fortement augmenté depuis 2019, c'est-à-dire avant la crise sanitaire. Il s'élève à 8,8 milliards d'euros en 2023. Comment l'expliquer ?
Ma deuxième question concerne la situation alarmante de la CNRACL : de nombreux recrutements sont intervenus après les lois de décentralisation ; nul besoin d'être grand clerc pour imaginer des départs en retraite massifs trente-cinq ans plus tard. Avez-vous une idée des montants prélevés dans la caisse de la CNRACL et savez-vous à combien s'élève aujourd'hui le déficit ?
M. Arnaud Bazin. - L'augmentation du prix des médicaments a été présentée comme l'une des raisons de l'augmentation des dépenses des soins de ville. Or, des millions de Français sont dans l'impossibilité d'accéder aux médicaments qui leur sont prescrits, y compris des médicaments non substituables, en raison de ruptures d'approvisionnement parfois très longues, ou rencontrent de grandes difficultés pour se les procurer. Cette carence s'expliquerait par le prix trop bas des médicaments en France, comparativement à ce qui se pratique à l'étranger, ce qui conduirait les fabricants à s'installer ailleurs. Comment expliquer à la fois l'existence de ces nombreuses carences de médicaments et la hausse du prix des médicaments ? Peut-on également avoir l'ordre de grandeur de cette dépense l'année passée ?
M. Vincent Delahaye, rapporteur pour avis. - Monsieur le rapporteur général, il me semble que les efforts pour réduire les déficits doivent porter sur les branches maladie et retraite, mais je n'ai pas encore d'orientation plus précise à vous donner. La réforme des retraites, accouchée dans la douleur, ne suffira pas à résoudre le financement des retraites.
Monsieur Savoldelli, les exonérations de cotisations sociales sont assez dynamiques, car elles augmentent plus vite que les recettes : elles suivent l'évolution du Smic. Le Smic augmentant plus rapidement que l'évolution générale des recettes, on a une évolution des exonérations de cotisations assez forte.
Madame Lavarde, sur la certification des comptes, je vais poser la question et vous informerai de la réponse.
Madame Blatrix Contat, la compensation par l'État des exonérations de cotisations sociales se fait par l'affectation de la TVA.
Monsieur Bilhac, le déficit est plus élevé, car les effets de la crise sanitaire se font encore sentir. Celle-ci a creusé le déficit à 40 milliards d'euros. En 2023, l'impact est encore important, il sera bien moindre en 2024, de l'ordre de 900 millions d'euros, mais l'augmentation des dépenses sera plus importante que l'augmentation des recettes. C'est une évolution très dangereuse, car on accumule des dettes - 60 milliards en quatre ans. Comment pourra-t-on continuer à assurer le financement avec la hausse des taux ? Qui plus est, est-ce moral de laisser les générations futures payer nos dépenses ? Cela ne me semble pas acceptable. On peut comprendre qu'il y ait des déficits importants en période de crise, mais les comptes devraient revenir à l'équilibre une ou deux années plus tard. Or, malheureusement, ce n'est pas le cas.
Concernant la CNRACL, les départs à la retraite n'ont pas été anticipés. Le déficit prévu pour 2024 est de 3,7 milliards d'euros. Va-t-on augmenter les cotisations des collectivités ?
Monsieur Bazin, on a en effet l'impression de vivre une contradiction avec le prix des médicaments. En réalité, on a maintenu un prix bas en pensant réduire ainsi les remboursements. Simplement, peu de médicaments - ou beaucoup moins qu'auparavant -sont produits en France, car ce n'est pas rentable, les investisseurs préfèrent les fabriquer à l'étranger. Cette année, les prix des médicaments ont augmenté, ce qui a alourdi l'Ondam de ville de 200 millions d'euros. Mais cela n'a d'effet ni sur la production ni sur la disponibilité des médicaments.
Tels sont les éléments de réponse que je peux vous apporter.
La commission a émis un avis favorable sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, sous réserve de l'adoption des amendements de la commission des affaires sociales.