II. EXAMEN EN COMMISSION (13 JUIN 2023)
Réunie le mardi 13 juin 2023 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a examiné le rapport pour avis de M. Dominique de Legge sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.
M. Claude Raynal, président. - Notre commission examine maintenant le rapport pour avis de M. Dominique de Legge sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.
M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - On peut avoir trois lectures de ce projet de loi de programmation militaire.
La première, optimiste, consiste à insister sur la hausse du budget : 400 milliards d'euros sur sept ans pour couvrir la période 2024-2030, à comparer aux 295 milliards d'euros pour les sept années de l'actuelle loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025. Le budget des armées passerait, entre 2018 et 2030, de 34 milliards à près de 70 milliards, soit un doublement en douze ans. Sur le plan capacitaire, la programmation reste fidèle à certains fondamentaux de la politique de défense française : la dissuasion nucléaire et le groupe aéronaval. Ainsi, 5 milliards d'euros seraient notamment consacrés aux travaux de construction du porte-avions de nouvelle génération (PA-ng), qui doit succéder au Charles de Gaulle à compter de 2038.
On peut également souligner l'effort consenti en faveur de notre présence outre-mer, identifiée comme l'une des principales priorités de la programmation, avec 13 milliards d'euros fléchés sur ladite période, répondant ainsi entre autres à la recommandation du rapport que j'avais consacré à ce sujet l'an passé.
Une autre lecture possible est plus pessimiste. On constate en effet une augmentation de la dépense, qui s'accompagne de la diminution des livraisons des armements avec un report de 2030 à 2035 des objectifs capacitaires quantitatifs par rapport à « l'Ambition 2030 », qui avait été posée au moment de l'élaboration de l'actuelle loi de programmation. Ainsi le nombre de Rafale de l'armée de l'Air et de l'Espace à l'horizon 2030 passe de 185 à 137. Le constat est le même s'agissant du programme Scorpion, relatif au renouvellement des blindés de l'armée de Terre : le nombre de Jaguar passe de 300 à 238, le nombre de Griffon de 1 818 à 1 437, le nombre de Serval de 978 à 745. L'ambition de rénovation des chars Leclerc passe de 200 à 160. Les bâtiments de la marine ne sont pas épargnés : le nombre de frégates de défense et d'intervention passe ainsi de 5 à 3, et celui des nouveaux patrouilleurs hauturiers de 10 à 7. Et ce, dans un contexte d'augmentation de la menace illustrée entre autres par la guerre en Ukraine...
Enfin, nous pouvons avoir une lecture nuancée. Sur les 100 milliards supplémentaires par rapport à la précédente LPM, 30 milliards a minima seraient absorbés par l'inflation et 9 milliards étaient déjà prévus au titre des marches initialement « crantées » dans la loi de programmation actuelle. L'effort n'en reste pas moins important.
Mon premier élément d'analyse concerne le contexte budgétaire général, qui laisse peu de marges de manoeuvre.
Notons tout d'abord que notre souveraineté et indépendance ne s'apprécient pas seulement à l'aune de la quantité et de la qualité de nos forces armées, mais également d'un contexte géopolitique avec ses menaces et d'une situation économique qui sont le résultat des politiques conduites depuis plusieurs décennies. Nous en mesurons aujourd'hui les effets et conséquences. Laissant le soin à nos collègues de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées d'aborder les questions stratégiques de nos alliances et des rapports de force sur le plan international, je me bornerai à évoquer le volet économique et financier, même si les deux sujets sont bien souvent liés. J'en veux pour preuve les importants retards pris pour la conduite de programmes d'armement en coopération, imputables notamment à des cultures stratégiques distinctes.
Quelle est la souveraineté d'un pays qui consacre plus d'argent à la charge de sa dette qu'à sa défense ? Quelle est l'indépendance d'un pays dont le déficit commercial est plus de trois fois supérieur au montant qu'il consacre à sa défense et dont une partie est liée à ses approvisionnements alimentaires et en énergie quand ce ne sont pas les matières premières indispensables à notre industrie de défense ? Quelle crédibilité accorder à une loi de programmation militaire quand nous assistons à la multiplication des textes programmatiques comme la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi), la loi de programmation pour la recherche, le projet de loi de programmation du ministère de la justice, sans compter l'affirmation d'ambitions dans la transformation écologique et l'éducation nationale. Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) a bien montré à quel point la conciliation entre la multiplication des lois de programmations sectorielles dépensières et l'atteinte des objectifs affichés de redressement des comptes publics était une gageure. Les respecter impliquerait en effet de concentrer et surtout d'intensifier la recherche d'économies sur un périmètre de dépenses de plus en plus réduit. Lorsque tout devient prioritaire il est urgent de faire des choix.
Mon deuxième angle d'analyse est une question : quelle crédibilité accorder à ce budget ?
Le besoin de financement est estimé à 413,3 milliards d'euros, dont 400 au titre des crédits budgétaires. Si l'actuelle LPM a jusqu'ici pleinement été respectée sur le plan budgétaire, la crédibilité de l'actuelle programmation est rendue plus incertaine compte tenu du contexte de finances publiques dégradé que j'ai rappelé, et d'une charge de la dette qui passerait de 40,5 à 57,5 milliards d'euros entre 2019 et 2025.
S'agissant des 400 milliards d'euros, il est à noter que la progression des crédits sur les années 2024 et 2025 est conforme à l'actuelle LPM et au projet de loi de programmation des finances publiques. En revanche, l'effort supplémentaire est renvoyé à après 2027 ce qui, au regard du calendrier électoral et au débat qui ne manquera pas de s'ouvrir à cette occasion, paraît peu respectueux des échéances démocratiques.
C'est la raison pour laquelle je vous proposerai un nouveau tableau de la progression des crédits qui, tout en étant conforme à l'actuelle LPM et au projet de loi de programmation des finances publiques, intègre les éléments de la nouvelle LPM à partir de 2026, date de fin de l'actuelle loi de programmation.
S'agissant des 13,3 milliards d'euros de recettes exceptionnelles, 5,9 milliards sont documentés et réalistes - cessions et recettes en remboursement des prestations du service de santé des armées (SSA) - ; 6,2 milliards sont aléatoires puisque sont anticipés des coûts moindres et des « marges frictionnelles », c'est-à-dire des retards de livraison et donc de paiement.
L'expérience prouve que les programmes prennent plus souvent du retard que de l'avance et il est rare que les coûts des équipements diminuent au fil du temps. Aussi, afficher en début de LPM comme un moyen de financement des besoins un décalage des livraisons semble en contradiction avec l'ambition capacitaire annoncée, le respect même du calendrier des livraisons et contraire aux principes de l'« économie de guerre » développés par le Président de la République.
Enfin, 1,2 milliard d'euros correspondant à des besoins liés au recomplètement de matériels fournis à l'Ukraine devrait être apporté en gestion par la solidarité interministérielle. Dans la mesure où ces besoins sont d'ores et déjà clairement identifiés, il n'y a pas de raison de ne pas les intégrer à la programmation des crédits.
À l'Assemblée nationale, un amendement a été adopté pour sécuriser ces recettes aléatoires, en prévoyant qu'en cas de non-réalisation elles soient garanties par abondement de crédits. Il nous semble, dans un souci de transparence, impératif de considérer que ces 7,4 milliards font partie intégrante du besoin de financement en crédits budgétaires. Il convient au contraire de les intégrer d'emblée à la trajectoire au risque d'entacher d'insincérité la prochaine loi de programmation des finances publiques. J'ajoute que la clause de revoyure prévue à l'article 7 permettra, le cas échéant, d'ajuster les prévisions actuelles, mais il est vrai que nous avons été échaudés par le fait que le Parlement n'ait pas été associé à l'actualisation de la LPM en cours.
Un troisième élément d'analyse est la question de l'inflation, estimée à 30 milliards d'euros sur l'ensemble de la période. Cette évaluation a été faite en considérant trois types de dépenses L'inflation sur les carburants opérationnels, qui représenterait 2 milliards d'euros, fait l'objet, comme dans l'actuelle LPM, d'un traitement particulier avec le dispositif de garantie prévu par l'article 5. Les dépenses courantes ont été calculées sur l'indice des prix à la consommation et ne sont assorties d'aucune garantie. Enfin, l'inflation d'éléments constitutifs de l'activité militaire proprement dite - les composants des munitions, les matières premières liées à l'industrie - devrait représenter à elle seule 26 milliards d'euros. En revanche, l'affectation annuelle de ces 30 milliards n'est détaillée ni dans le rapport annexé ni dans les réponses au questionnaire que nous avons adressé au ministère. Dans ces conditions, la capacité du Parlement à prendre la mesure réelle de ces évolutions paraît insuffisante. C'est pourquoi je vous proposerai un amendement sur ce point.
Le Gouvernement invoque « le choix de la cohérence » pour justifier sa révision à la baisse de la programmation des équipements et expliquer que l'acquisition de matériels et d'équipements est bien sûr nécessaire, mais n'a pas de sens si nous n'avons pas les moyens de les entretenir et de les utiliser. C'est la raison pour laquelle les crédits nécessaires au maintien en condition opérationnelle (MCO) sont augmentés de 14 milliards d'euros, ceux à l'acquisition de munitions d'environ 7 milliards, ceux des infrastructures de 4 milliards, tout comme ceux des services de soutien. J'accorderai pour ma part une vigilance tout particulière au renforcement du service de santé des armées.
La programmation prévoit également une augmentation nette des effectifs de 6 300 équivalents temps plein (ETP) pour le ministère des armées, devant permettre d'atteindre en 2030 la cible initialement visée pour 2025, soit 275 000 ETP. Cependant, la révision à la baisse des augmentations d'effectifs visées par la précédente LPM pour les deux prochaines années atteste de la forte tension qui pèse actuellement sur les ressources humaines, laquelle est d'ailleurs particulièrement prégnante s'agissant du SSA qui connait les mêmes difficultés rencontrées tant par la médecine de ville que la médecine hospitalière, qu'elle soit privée ou publique. Cette situation met en avant la nécessité de rendre plus attractive la carrière et de fidéliser les personnels, sans que ces objectifs n'aient trouvé à ce stade une traduction budgétaire précise.
Le choix est aussi fait de renforcer le cyber, avec 4 milliards d'euros fléchés sur la période, et les moyens du renseignement, avec 5 milliards d'euros. Ces deux domaines représenteraient à eux seuls 27 % de l'augmentation nette des emplois du ministère.
Cette correction est sans doute bienvenue, mais ne saurait épuiser le sujet du niveau minimum d'équipements et prouve que la précédente LPM n'avait pas suffisamment intégré ces éléments relatifs au développement de nouveaux champs de conflictualité.
Le Président de la République a utilisé la formule d'« économie de guerre » le 13 juin 2022. Le ministre des armées en a donné la traduction : « produire plus, plus vite et moins cher. »
Nous pouvons légitimement nous demander si cette LPM, à l'exception des articles 23 et 24, qui adaptent le régime des réquisitions et de la constitution de stocks, répond à cette définition. Je me bornerai, à cet égard, à proposer des amendements de clarification rédactionnelle et relatifs à l'information du Parlement. Cette LPM, en renvoyant à 2035 les objectifs de 2030, consacre le principe de produire, sinon moins, pas plus, moins vite et plus cher en raison de l'inflation et en ne permettant pas à notre base industrielle et technologique de défense (BITD) par un effet masse et de montée en puissance d'entrer dans une logique de coût marginal.
Cela me paraît d'autant plus regrettable que l'élément nouveau intervenu depuis la dernière LPM est bien sûr le conflit ukrainien, qui nous enseigne deux choses. Un conflit sur le sol européen est toujours possible. La guerre de demain mobilisera sans doute des moyens cyber et de haute technologie, mais, en l'espèce, nous sommes plutôt sur un conflit « traditionnel », qui met en présence deux puissances qui ont autant recours à la masse qu'à la haute technologie De ce point de vue, le décalage de nos livraisons de matériels blindés n'est pas une bonne nouvelle.
Au sujet de la BITD et de « l'économie de guerre », le Gouvernement justifie le report de la montée des crédits de paiement à 2028 au motif que l'industrie serait dans l'incapacité d'augmenter ses capacités de production et qu'il n'est pas nécessaire en conséquence de disposer de crédits de paiement supplémentaires avant cette date.
Cette assertion vient en contradiction avec les principes de l'économie de guerre affichés, mais aussi des dires des industriels, qui affirment avoir seulement besoin d'une visibilité accrue sur le rythme des commandes pour augmenter leurs capacités de production et être au rendez-vous initial de 2030. Et, curieusement, le coût de l'atteinte des cibles d'équipement de l'Ambition 2030 sur les principaux segments capacitaires ayant fait l'objet d'un décalage peut être estimé à environ 7 milliards d'euros de crédits supplémentaires, soit l'équivalent de l'estimation du coût des reports de charges et des « marges frictionnelles ».
En proposant une réécriture de la courbe des crédits à partir de 2026 pour les raisons exposées préalablement, nous invitons le Gouvernement, sur les deux années à venir, à négocier avec les industriels la concrétisation de la volonté présidentielle et la BITD à se mettre en capacité de produire « plus, plus vite et moins cher ». De son côté, le ministère devra sans doute réfléchir à des cahiers des charges qui sauront conjuguer un niveau de technologie « raisonnable » avec une conception des matériels plus facile à produire et donc à exporter.
Mon dernier angle d'analyse concerne les opérations extérieures (Opex) et l'Ukraine.
Les crédits provisionnés pour les Opex, qui avaient très sensiblement augmenté lors de la dernière LPM pour s'approcher de la réalité du surcoût lié à ces opérations enregistrent une baisse sensible, passant de 1,2 milliard d'euros à 700 millions. Notre retrait des théâtres africains peut justifier cette évolution. Notre soutien à l'Ukraine fait l'objet d'une disposition spécifique à l'article 3. Nous considérons qu'elle est bienvenue, mais mérite d'être précisée. C'est le sens de la réécriture que nous proposons.
Dans le même ordre d'esprit, échaudés par le fait que le recomplètement des Rafale prélevés sur le parc de l'armée de l'Air et de l'Espace pour être vendus à la Grèce et à la Croatie ait dû être financé sous enveloppe LPM, nous proposons de faire en sorte que si de nouvelles ventes de cette nature devaient être effectuées aux cours de la prochaine programmation, les recomplètements qui en découleraient ne viennent pas entraver les possibilités d'atteindre les objectifs fixés.
En conclusion, je déplore que nous soyons invités à examiner ce texte dans le cadre de la procédure accélérée, d'autant plus que l'actuelle LPM court jusqu'en 2025.
Cela étant, d'un strict point de vue financier et budgétaire, il apparaît que la dérive de nos dépenses publiques et de nos déficits nous contraint à limiter nos ambitions. Pour autant, l'affirmation de celles-ci dans la présente LPM, sauf à considérer qu'il s'agit d'un affichage, doit avoir une traduction budgétaire fiable et sincère au regard des finances publiques et assortie de garanties pour nos militaires, qui risquent leur vie, et notre industrie de défense qui, outre sa participation à notre économie, contribue à notre crédibilité.
Aussi, sous réserve de l'adoption des amendements de clarification et de sincérisation que je vous soumets, je vous propose de donner un avis favorable à ce projet de loi de programmation militaire.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - M. le rapporteur a réalisé un examen critique en replaçant ce projet de loi dans le contexte actuel, aussi bien le contexte géopolitique, avec le retour de la guerre sur le sol européen, que le contexte budgétaire national, marqué par la multiplication des lois de programmation, faisant perdre du crédit à celles-ci. D'une manière générale, on a tendance à se donner bonne conscience en adoptant plusieurs textes pour montrer qu'on soutient les efforts qui doivent être réalisés au regard du contexte, mais ne perdons pas de vue la réalité des déficits publics et de la dérive de la dépense publique. Un ancien secrétaire d'État à la défense nous avait expliqué quand il était député que notre pays est fragilisé si nous consacrons moins de 3 % du PIB à la défense nationale. Les manques d'effectifs et de matériels constituent une véritable préoccupation au regard de nos capacités d'intervention.
Je souscris aux amendements proposés par le rapporteur. Il importe de concilier la réalité des chiffres avec la volonté de corriger la trajectoire actuelle, pour permettre à notre industrie de produire mieux et plus vite - ce sera difficile de produire moins cher. Cet objectif me semble à la portée de notre ambition politique et de nos capacités financières.
Je remercie le rapporteur d'avoir trouvé un juste équilibre en corrigeant la trajectoire, dans un contexte de menaces et d'instabilité en Europe et dans le monde qui rend les questions de défense incontournables dans l'opinion publique. Comme lui, j'estime qu'il n'était pas indispensable de recourir à la procédure accélérée pour les raisons qu'il a évoquées
M. Claude Raynal, président. - Je suis moi aussi sensible à la question de la multiplication des lois de programmation sectorielles, car cela est de nature à diminuer nos marges de manoeuvre au titre de la politique budgétaire de l'État. On peut penser que cette LPM sera probablement correctement exécutée, à l'instar de la précédente, mais d'autres seront peut-être à l'avenir remises en cause, car on ne peut à la fois multiplier les projets et les lois de programmation et baisser la dépense publique.
M. Jean-Claude Requier. - Je remercie le rapporteur pour son exposé. Je m'interroge sur le montant de ce projet de loi de programmation : pourquoi cette somme considérable de 413 milliards d'euros, à une époque de raréfaction de l'argent public. Qui va payer ?
Pour autant, je suis favorable à cette LPM. Pendant longtemps, des économies ont été faites au détriment de la défense nationale, mais la guerre est aujourd'hui à nos frontières.
Je m'interroge sur le coût du nouveau porte-avions. Par ailleurs, est-il prévu de doter la France d'un plus grand nombre de drones, car on voit qu'ils jouent un rôle crucial dans les opérations militaires en Ukraine ?
M. Rémi Féraud. - La précédente LPM prévoyait déjà de reporter l'effort sur la fin de la programmation, et ce projet de nouvelle LPM reproduit cette méthode.... Le ministre avait annoncé un budget de 413 milliards d'euros, mais, dans la mesure où les deux LPM se chevauchent, quelle sera l'augmentation budgétaire réelle ?
Le président Raynal a souligné la multiplication des lois de programmation, mais s'il est un domaine dans lequel elles se justifient, c'est bien le domaine militaire. Quid de l'inscription de cette LPM dans le projet de loi de programmation des finances publiques ?
Mme Christine Lavarde. - J'ai tout particulièrement apprécié le propos introductif du rapporteur structuré autour de trois visions. La réalité se situera certainement entre ces trois cas de figure.
Je souhaiterais avoir des précisions sur les 13 milliards d'euros qui doivent être financés autrement que par des crédits budgétaires. Vous auriez eu l'assurance que 5,9 milliards d'euros devraient provenir de la vente d'une partie du patrimoine immobilier de l'armée. Connaissez-vous la valeur du patrimoine que le ministère pourrait céder ? Comment pourrons-nous financer les prochaines LPM ? Je pense notamment aux 6,2 milliards d'ajustements de dépenses liés à l'anticipation de reports de charges sur l'année n+1. À terme, le glissement des paiements sera tel que, sur les 413 milliards d'euros, 6,2 milliards ne pourraient être utilisés dans la période courante.
M. Christian Bilhac. - Merci au rapporteur pour toutes ces informations et cette présentation détaillée. Il est difficile de s'opposer à une LPM, car le domaine militaire exige une programmation à long terme, eu égard au temps nécessaire pour fabriquer les sous-marins, les navires, les avions, etc.
Je me réjouis de l'augmentation des crédits destinés aux territoires et départements d'outre-mer, car ils contribuent à faire en sorte que la France reste une puissance majeure. La France jouit de la deuxième plus grande surface maritime au monde et nous avons la chance d'être déjà dotés des multiples « porte-avions » que sont nos territoires ultra-marins. En cas de conflit majeur, un porte-avions a une espérance de vie de vingt minutes. Dès lors, faut-il investir dans un nouveau porte-avions ?
Nous souhaitons tous l'indépendance stratégique de la France. Mais quelle est notre indépendance réelle ? De quelle indépendance jouissons-nous en matière d'acier, de blindage, de composants électroniques, de matériaux nécessaires à la fabrication de l'armement ?
M. Didier Rambaud. - Je partage votre scepticisme concernant la multiplication des lois de programmation, réclamées autant par les ministres que par les parlementaires. Je pense que de tels textes ne devraient porter que sur les questions régaliennes.
L'avis du Haut Conseil des finances publiques indique que l'écart entre les besoins programmés et les crédits identifiés devrait être comblé par des ressources complémentaires. Parmi ces dernières sont mentionnées les recettes de cessions immobilières. Ces cessions immobilières sont-elles encore possibles ? À quoi la cession de matériels renvoie-t-elle ? À quoi correspondent les recettes du service de santé des armées ?
M. Claude Raynal, président. - Ces ressources complémentaires sont estimées à 13 milliards d'euros, ce qui n'est pas négligeable.
M. Stéphane Sautarel. - Je remercie à mon tour le rapporteur pour son esprit d'ouverture, sa précision et la clarté de son rapport.
Quel rôle jouera l'inflation, qui absorbe jusqu'à 30 milliards d'euros sur la période ? Que devient la comparaison avec les LPM précédentes une fois cette inflation prise en compte ?
De plus, cette LMP insiste sur les équipements lourds, mais qu'en est-il des drones ? Ces derniers jouent désormais un rôle majeur dans les stratégies militaires des États et posent également la question de notre souveraineté industrielle, en ce qu'ils soulèvent des interrogations sur l'utilisation des informations qu'ils enregistrent.
M. Jean-Baptiste Blanc. - Je salue la qualité du travail du rapporteur et je rejoins M. Sautarel sur la question des drones. La France semble afficher un retard dans ce domaine, peut-on le rattraper ?
Par ailleurs, je suis souvent interrogé par des élus locaux au sujet des effectifs. Mon département accueille la base aérienne de Saint-Christol. Les maires locaux n'ont aucune information concrète sur les effectifs et les objectifs.
M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - Monsieur Husson, je puis vous préciser que nous consacrons aujourd'hui 1,9 % de notre PIB à la défense nationale. L'objectif est d'atteindre les 2 %, mais cet indicateur n'est pas, en lui-même, porteur de sens, puisque l'effort d'une Nation pour se défendre doit être rapporté à la menace davantage qu'à son PIB. Par exemple, ce rapport au PIB est de 2,3 % au Royaume-Uni, et il augmente plus vite en Allemagne et en Pologne qu'en France.
Vous êtes plusieurs à regretter la multiplication des lois de programmation et M. Rambaud propose de les restreindre aux seules questions régaliennes. Mais, plus encore, c'est la part de l'investissement qui justifie une loi de programmation. La construction d'un parc de Rafale ou d'un porte-avions prend plusieurs années. Je n'ai pas le sentiment que la part de l'investissement soit aussi importante dans les autres lois de programmation que nous votons dans d'autres domaines.
Monsieur Requier, le prix d'un porte-avions s'élève à environ 10 milliards d'euros, sans même y inclure les coûts liés aux travaux nécessaires à l'aménagement de la rade par exemple. La LPM prévoit 5 milliards au titre de ce programme pour la période 2024-2030.
Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur les drones. Mes collègues de la commission des affaires étrangères, la défense et des forces armées seraient plus à même de vous répondre sur ce sujet. Il est cependant certain que le futur porte-avions accueillera des drones. Cependant, les drones ne pourront remplacer nos Rafale, compte tenu de leur capacité d'emport limitée. Je pense notamment à l'arme nucléaire. Nous aurons donc encore besoin à l'avenir de gros-porteurs. Pour autant, le rapport annexé souligne la nécessité de faire un effort, en collaboration avec les industriels français, pour produire un drone français. Je ne puis que déplorer que la France ait pris du retard dans ce domaine, qui n'est pas nouveau.
Madame Lavarde, monsieur Féraud, vous souhaitiez des clarifications sur les ressources supplémentaires et le financement de cette LPM. Il apparaîtrait que les besoins de crédits pour maintenir les ambitions capacitaires initiales seraient de 430 milliards d'euros. La proposition du Gouvernement n'est donc pas suffisante, mais parie sur les retards des programmes. Poser ce principe d'emblée, alors même que l'ambition politique affichée consiste à produire plus et plus vite, me semble malsain. C'est l'une des raisons pour lesquelles je vous propose de réintégrer les 7,4 milliards dans la LPM.
Comment se décomposent les 13 milliards d'euros de ressources complémentaires ?
Les recettes quasi certaines représentent 5,9 milliards d'euros. : 2 à 3 milliards proviennent de la cession de fréquences et de la vente d'immobilier prévue sur la période, soit annuellement des sommes similaires à celles qui sont perçues depuis quelques années ; 3 milliards proviennent du SSA. Ces recettes s'expliquent par le fait qu'une grande partie de la patientèle des hôpitaux militaires est constituée de civils ; les actes médicaux qu'ils reçoivent font donc l'objet de remboursements de la part de la sécurité sociale.
Au titre du solde, 6 milliards de recettes sont aléatoires : ils sont liés à l'anticipation des retards des programmes. Je vous propose de les inscrire dans la trajectoire budgétaire, ne serait-ce que pour prendre date pour la prochaine loi de programmation des finances publiques. Enfin, 1,2 milliard d'euros est lié à l'effort fourni en faveur de l'Ukraine, et notamment la livraison d'équipements ou de munitions. Ils doivent faire l'objet d'un remboursement au ministère de la défense sous forme de solidarité interministérielle. Ce besoin de financement, bien qu'il ne soit pas formellement inclus dans la LPM, est nécessaire et reconnu par le Gouvernement. Je trouve donc plus sécurisant pour les militaires qu'il soit mentionné clairement.
Pour vous répondre, monsieur Bilhac, je tiens à préciser que les pistes d'atterrissage dont nous disposons dans nos territoires d'outre-mer ne sont pas toujours adaptées à l'activité militaire. Surtout, un porte-avions est entouré de nombreuses protections, telles que des sous-marins, et permet de charger de nombreuses munitions, des armes nucléaires parfois, qui le rendent très dissuasif. Nous avons donc fait le choix de lancer un nouveau projet de porte-avions pour remplacer notre porte-avions actuel.
Monsieur Sautarel, M. Lecornu évalue à 30 milliards d'euros les conséquences de l'inflation au cours de la période, a minima, reconnaît-il. En revanche, nous avons officiellement une clause de garantie pour les carburants opérationnels. Le Gouvernement a eu l'honnêteté de calculer l'impact de l'inflation sur plusieurs matières premières nécessaires à l'activité de défense, estimé à 26 milliards d'euros. Je n'ai pas obtenu de réponse lorsque j'ai cherché à savoir si les efforts seraient concentrés sur les trois premières années de la période, dans un scénario de réduction de l'inflation au cours des trois années suivantes. Je pense qu'il s'agit là d'une vision très optimiste.
EXAMEN DES ARTICLES
M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-96 est un amendement rédactionnel qui consiste à rappeler que l'effort de défense n'a réellement débuté qu'en 2018 et de préciser que le Parlement joue un rôle crucial dans le vote des crédits chaque année.
L'amendement COM-96 est adopté.
M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-97 est un amendement rédactionnel, dans le souci d'alléger le style du rapport annexé, que le Gouvernement semble avoir confondu avec un support de communication politique.
L'amendement COM-97 est adopté.
M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - Même sujet s'agissant de l'amendement COM-98. Je propose de supprimer une phrase qui ne sert absolument à rien.
L'amendement COM-98 est adopté.
M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-99 permet de rappeler notamment que, en période de guerre, il est possible de faire un effort sur les normes, dès lors qu'elles ne mettent pas en danger la vie des militaires et de la population. Malgré tout, lorsqu'on appelle de ses voeux une économie de guerre, il faut parfois accélérer les projets.
L'amendement COM-99 est adopté.
M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-100 précise qu'une coordination est nécessaire entre nos forces de souveraineté outre-mer et l'Agence française du développement (AFD), comme je l'avais recommandé dans mon rapport sur le sujet.
L'amendement COM-100 est adopté.
M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - Il apparaît nécessaire de préciser dans le rapport annexé que les programmes d'armement réalisés en coopération ne devront être engagés qu'avec des pays ayant vocation à acquérir les capacités qui en sont issues. Tel est l'objet de l'amendement COM-101.
L'amendement COM-101 est adopté.
M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. -L'amendement COM-102 vise à mentionner l'objectif fixé au SSA de se préparer à un conflit de haute intensité.
L'amendement COM-102 est adopté.
M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-103 rappelle la nécessité pour le SSA de pouvoir fidéliser ses personnels.
L'amendement COM-103 est adopté.
M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. -L'amendement COM-104 indique que des travaux seront lancés en vue du remplacement de l'hôpital militaire Laveran, qui est dans un état épouvantable. Ce projet est en principe acté, mais il ne me paraît pas inutile de le mentionner explicitement au titre de la programmation militaire.
L'amendement COM-104 est adopté.
M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-105 est l'amendement le plus sensible et le plus structurant. Si le besoin de financement des armées s'élève à 413,3 milliards d'euros, son financement doit être sûr, pérenne et intégré aux futures lois de programmation des finances publiques. Je propose donc de retenir le besoin de financement à hauteur de 407,4 milliards d'euros, sachant que la somme manquante correspond aux recettes extrabudgétaires du SSA et qu'elle est aussi liée aux ventes de matériel et d'immobilier auxquelles nous devrions procéder.
Par ailleurs, je propose de maintenir l'augmentation prévue pour 2024 et 2025 à hauteur de 3 milliards d'euros et ce, pour deux raisons. D'abord, la programmation actuelle devait se poursuivre jusqu'en 2025. De plus, ces éléments financiers sont intégrés dans le dernier projet de loi de programmation des finances publiques dans sa version adoptée par notre commission et par le Sénat. Il est important de respecter nos votes et notre programmation.
En revanche, je suggère de ne pas attendre 2028 pour opérer la montée en puissance et d'entamer une progression à partir de 2026. La raison de ce choix est d'abord d'ordre politique : il n'est pas raisonnable de voter une LPM et de reporter l'effort à la période qui viendra après l'élection présidentielle. De plus, l'échéance fixée à 2026 nous donne deux ans pour mettre la pression sur l'industrie de défense, afin qu'elle se mette en situation de produire davantage et à moindre coût.
L'amendement COM-105 est adopté.
M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - Le sous-amendement COM-250 a pour objet de préciser le dispositif, prévu par le texte, de financement par ressources complémentaires des recomplètements rendus nécessaires par des livraisons de matériels au titre du soutien à l'Ukraine au regard des ambitions capacitaires posées dans la LPM.
Le sous-amendement COM-250 est adopté.
M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - Dans la même logique de préservation des ambitions capacités de la LPM, le sous-amendement COM-251 vise à prévoir un dispositif de garantie supplémentaire en cas de prélèvement d'équipements sur les parcs des armées au titre du soutien à l'export, comme ce fut le cas dans le cadre de la vente de 24 Rafale à la Grèce et la Croatie sous l'actuelle programmation. Les recomplètements qui s'imposeraient pour préserver le format des armées devraient être financés par ressources supplémentaires et non sous l'enveloppe LPM, qui n'a pas prévu de telles opérations.
L'amendement COM-251 est adopté.
M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-108 concerne le rapport qui doit être remis par le Gouvernement au Parlement chaque année, pour lui permettre d'apprécier l'exécution de la LPM. Je propose d'ajouter dans la liste des éléments devant être fournis des précisions sur les ressources exceptionnelles notamment.
L'amendement COM-108 est adopté.
M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-109 vise à intégrer à ce même rapport des précisions sur le suivi de l'impact de l'inflation.
L'amendement COM-109 est adopté.
M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - L'article 24 traite de la possibilité pour le Gouvernement de procéder à des réquisitions ou de demander aux entreprises de faire des stocks. L'amendement COM-110 vise à préciser que ces stocks se font de façon proportionnelle à la capacité de l'entreprise à produire et à stocker. On ne peut demander aux entreprises d'engager des dépenses importantes pour satisfaire des stocks qui seraient sans commune mesure avec leur activité habituelle.
L'amendement COM-110 est adopté.
M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-112 a également trait à l'information du Gouvernement. Compte tenu des enjeux soulevés par les dispositifs institués en matière d'économie de défense, je propose qu'un rapport dédié à leur mise en oeuvre soit également remis au Parlement.
L'amendement COM-112 est adopté.
M. Claude Raynal, président. - Les amendements adoptés seront présentés par notre rapporteur à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées pour être, le cas échéant, intégrés dans son texte. Si certains devaient ne pas être retenus, je vous propose d'autoriser Dominique de Legge à les redéposer en vue de la séance publique.
Il en est ainsi décidé.
Les avis sur les amendements examinés par la commission sont retracés dans le tableau suivant :
TABLEAU DES AVIS
Article 2 |
||
Auteur |
N° |
|
M.
DE LEGGE, |
COM-96 |
|
M.
DE LEGGE, |
COM-97 |
|
M.
DE LEGGE, |
COM-98 |
|
M.
DE LEGGE, |
COM-99 |
|
M.
DE LEGGE, |
COM-100 |
|
M.
DE LEGGE, |
COM-101 |
|
M.
DE LEGGE, |
COM-102 |
|
M.
DE LEGGE, |
COM-103 |
|
M.
DE LEGGE, |
COM-104 |
Adopté |
Article 3 |
||
Auteur |
N° |
|
M.
DE LEGGE, |
COM-105 |
|
M.
DE LEGGE, |
COM-250 |
|
M.
DE LEGGE, |
COM-251 |
Adopté |
Article 8 |
||
Auteur |
N° |
|
M.
DE LEGGE, |
COM-108 |
|
M.
DE LEGGE, |
COM-109 |
Adopté |
Article 24 |
||
Auteur |
N° |
|
M.
DE LEGGE, |
COM-110 |
Adopté |
Article additionnel après Article 25 |
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Auteur |
N° |
|
M.
DE LEGGE, |
COM-112 |
Adopté |