IV. LA QUESTION DE L'ÉCONOMIE DE GUERRE : PRODUIRE MOINS, MOINS VITE ET PLUS CHER ?

L'inscription du débat sur la programmation militaire dans son contexte économique et social impose enfin de poser la question de l'« économie de guerre ».

Suite au discours du Président de la République du 13 juin 2023 annonçant l' « économie de guerre », des travaux en ce sens ont été engagés à l'automne 2022 autour de 4 engagements : la simplification de l'expression du besoin militaire aux industriels par le ministère, la simplification des procédures administratives, la mise en place d'un agenda de relocalisation de certaines capacités et un changement d'approche sur la gestion des stocks de matière première pour pouvoir répondre plus rapidement aux besoins exprimés. Le ministre des armées a résumé les objectifs en une formule : « produire plus, plus vite et moins cher ».

À cet égard, le rapporteur pour avis considère notamment que l'adaptation et la simplification des normes applicables aux activités militaires représentent un enjeu important de la préparation de la nation à la perspective d'un engagement majeur, qui constitue l'un des objectifs essentiels de ce projet de loi de programmation militaire. Pour cette raison, l'amendement COM-99 vise à poser cet objectif dans le rapport annexé. À titre d'exemple, le cadre normatif applicable au stockage et à la gestion des munitions, qui se borne souvent à l'application du droit commun sans prise en compte des spécificités militaires, constitue une contrainte forte sur ce segment capacitaire. L'effort de simplification normative est ainsi une condition de l'efficacité de l'investissement important en faveur de l'outil militaire proposé par le présent projet de loi. En tout état de cause, ces adaptations et simplifications ne doivent en aucun cas porter préjudice à la sécurité des civils et des personnels militaires.

Les dispositions relatives à l' « économie de guerre » dans le projet de loi sont prévues aux articles 23 à 25. Dans le détail :

l'article 23 vise à refondre et clarifier le régime des réquisitions, de façon notamment à sécuriser le cadre juridique permettant d'y procéder en cas d'urgence si la sauvegarde des intérêts de la défense nationale le justifie ;

l'article 24 vise à instituer, pour les industriels de la défense, une obligation de constitution de stocks minimaux de matières, composants ou produits semi-finis stratégiques dans l'objectif de garantir la continuité de l'exécution des missions des forces armées ou de sécuriser leur approvisionnement ;

- le même article 24 vise également, pour répondre aux mêmes objectifs, à instituer un dispositif de priorisation des livraisons de prestations afférentes à des marchés de défense passés par la France ou par un États tiers sur tout autre engagement contractuel, sur le modèle du « Defense Priorities and Allocations System Program » (DPAS) mis en oeuvre aux États-Unis ;

l'article 25 vise à faire évoluer le régime d'enquêtes de coûts lors de la passation des marchés publics dans le domaine de la défense.

Si l'on peut pleinement souscrire à la philosophie de ces dispositifs, qui participent de la préparation de la nation à la perspective d'un engagement majeur, il demeure important de veiller à ce qu'ils n'impliquent pas de faire peser une charge excessive sur les industriels. Il en va en particulier de l'article 24, la constitution obligatoire de stocks étant laissée entièrement à la charge des industriels. Outre le souci de ne pas affaiblir le secteur, des coûts de constitution de stocks excessifs risqueraient de se répercuter au moins en partie sur les prix des équipements achetés par les armées, à rebours des objectifs affichés de l'« économie de guerre », d'où l'importance de rappeler les exigences de proportionnalités des mesures prises dans ce cadre. C'est l'objet de l'amendement COM-110. De même, l'amendement COM-112 vise la remise d'un rapport annuel au Parlement sur la mise en oeuvre de ces dispositifs nouveaux, comprenant notamment un bilan de leur impact financier pour l'État comme pour les industriels de la défense.

Au-delà de ces charges nouvelles, les décalages de livraisons d'équipements sur les programmes à effets majeurs (voir deuxième partie) envoient un signal paradoxal aux entreprises de la BITD après l'annonce de l' « économie de guerre ». L'ensemble des entreprises auditionnées par le rapporteur pour avis ont déclaré être prêtes, si l'État le voulait, à accélérer leurs livraisons. La revue à la baisse des commandes n'est en outre pas neutre budgétairement, et est fortement susceptible de se traduire par une hausse des prix unitaires des équipements.

In fine, il est permis de se demander si la programmation physique proposée, en retrait par rapport à « l'Ambition 2030 » dont les jalons avaient pourtant été posés bien avant le déclenchement de la guerre en Ukraine et le lancement de l' « économie de guerre », ne conduira pas en réalité l'État à demander à la BITD de produire « moins, moins vite, et moins cher ».

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