C. LE RECOURS AUX ORDONNANCES, UN MODE DE RÈGLEMENT DU CONTENTIEUX QUI MÉRITE UNE ATTENTION PARTICULIÈRE

Depuis quelques années, les juridictions se sont organisées pour utiliser plus efficacement les possibilités offertes par l'article R. 222-1 du code de justice administrative et recourir aux ordonnances dites de « tri » ou, pour les cours administratives d'appel, celles rejetant les requêtes « manifestement dépourvues de fondement ». Les juridictions administratives ont créé des services d'aide à la décision qui fonctionnent grâce à des agents de greffe, des assistants de justice et des vacataires « aide à la décision ». Parfois, ce sont les greffes centraux qui assument directement la préparation des ordonnances.

En 2021, ces ordonnances ont constitué en moyenne 20 % des sorties devant les TA 4 ( * ) et 39 % devant les CAA . En volume, cela représente plus de 47 000 ordonnances devant les TA et près de 13 000 devant les CAA. Le taux devant les CAA a considérablement augmenté depuis 2017, année d'entrée en vigueur du décret JADE 5 ( * ) permettant aux CAA de rejeter par ordonnances les requêtes manifestement infondées, au cours de laquelle le taux était de 27,5 %.

La CNDA bénéficie également de la possibilité de régler une procédure par ordonnance en application de l'article R. 532-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, soit pour opérer le « tri » des demandes irrecevables 6 ( * ) , soit lorsque le recours ne présente « aucun élément sérieux susceptible de remettre en cause la décision de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides ». Un service dédié chargé de rendre l'ensemble des décisions prises par ordonnances a été créé. Une ordonnance n'est prise qu'après transmission des pièces du dossier au requérant ou son avocat via Télérecours et après examen de la requête par un rapporteur et un président.

En 2021, la part des décisions prises par ordonnance a légèrement baissé, représentant 31 % du nombre total de décisions contre 33 % en 2019 et 2020. Toutefois, en raison de l'augmentation des sorties, leur nombre a augmenté, passant de 13 847 en 2020 à 20 967.

En l'état, le Conseil d'État ne semble exercer sur les ordonnances qu'un contrôle juridictionnel en cas de pourvoi - il vérifie alors qu'il n'y a pas eu usage abusif de la faculté ouverte par l'article R. 222-1 du code de justice administrative - ce qui ne semble pas satisfaisant compte tenu du fait que certains justiciables peuvent y renoncer en raison de la nécessité de prendre un avocat aux conseils.

Compte tenu des volumes de dossiers traités et des conséquences d'une telle orientation pour le justiciable, il semblerait nécessaire que, dans chaque juridiction, une attention particulière soit portée à l'organisation et au fonctionnement aux services chargés de rendre les ordonnances qui reposent souvent sur des assistants de justice et des vacataires. Ces personnels sont en effet fréquemment renouvelés compte tenu de leur statut et un temps important doit être consacré à leur formation.

Une supervision dédiée par un magistrat expérimenté, assisté d'un agent de greffe titulaire de catégorie A, semblerait préférable à un rattachement direct au chef de juridiction nécessairement pris par d'autres tâches, ce qui supposerait une valorisation des fonctions d'encadrement et de formation des magistrats.

Cette question du fonctionnement de ces services est un sujet particulièrement sensible. Elle a d'ailleurs suscité un important mouvement de grève des avocats à la CNDA, d'octobre 2021 à mai 2022, ceux-ci ayant le sentiment, malgré les procédures en place de double contrôle par un rapporteur et un président, que les ordonnances servent de « variable d'ajustement » pour gérer le stock de dossiers .

La CNDA a évoqué une évolution de Télérecours permettant à l'avocat d'être avisé à l'avance d'une orientation d'un dossier vers une ordonnance pour renforcer le contradictoire.


* 4 Au tribunal administratif de Lyon, le taux est de près de 29 % des sorties.

* 5 Décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative, dit décret JADE « Justice administrative de demain ».

* 6 Une ordonnance est alors prise en cas de désistement, d'incompétence de la Cour, de non-lieu, d'irrecevabilité manifeste non susceptible d'être couverte en cours d'instance ou de recours non régularisé à l'expiration du délai imparti.

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