B. LA GESTION PRÉVISIONNELLE DES EFFECTIFS, UN ENJEU MAJEUR DES ANNÉES À VENIR
Si l'année 2020 a été une année atypique en raison de la pandémie avec une baisse de 9 % des requêtes devant les tribunaux et de 15% devant les cours, les juridictions administratives ont été confrontées en 2021 à une forte reprise de l'augmentation des affaires nouvelles : leur niveau dans les tribunaux administratifs a dépassé de près de 4,5 % celui déjà exceptionnellement élevé de l'année 2019 . Au premier semestre 2022, les tribunaux administratifs ont déjà été confrontés à une augmentation de près de 2 % des requêtes.
Dans ce contexte, les affaires en instance de plus de deux ans ont progressé dans les deux niveaux de juridictions (+ 17 % dans les TA et + 46 % dans les CAA en 2021), et le taux de couverture - soit le ratio des affaires traitées par rapport aux affaires enregistrées - était inférieur à 100 % dans les TA, ce qui a entraîné un accroissement du stock des dossiers en première instance de 5 %.
Proportion d'affaires en stock enregistrées depuis plus de deux ans (en %)
Source : commission des lois, sur la base des
réponses au questionnaire budgétaire
(en pointillés,
les valeurs cibles)
Il semble donc justifié que le programme 165 bénéficie, comme le prévoit la programmation pluriannuelle, de la création de 202 emplois entre 2023 et 2027 , comprenant chaque année 25 postes de magistrats et 15 postes d'agents de greffe affectés aux tribunaux administratifs et cours administratives d'appel. Ce renforcement des effectifs contribuera à rendre le pilotage des moyens humains alloués aux juridictions plus souple, en évitant notamment aux juridictions « bons élèves » de subir des baisses d'effectifs pour mieux doter des juridictions en difficulté et en permettant d'anticiper certains changements (par exemple, l'ouverture d'un centre de rétention administrative).
Toutefois, ce renforcement du schéma d'emplois ne peut masquer les difficultés de gestion qui s'annoncent en raison des obligations renforcées de mobilité que l'entrée en vigueur de la réforme de la haute fonction publique impose désormais aux magistrats administratifs 3 ( * ) . Les chefs de juridiction vont être confrontés à la nécessité de remplacer un certain nombre de fonctionnaires à tout moment de l'année et de former les nouveaux entrants venant d'autres corps , ce qui risque d'entraîner une perte de productivité pour les juridictions concernées. Par ailleurs, ce nouveau cadre statutaire pose la question du retour dans leur corps d'origine des magistrats ayant effectué cette mobilité qui pourraient être tentés de rester dans leur administration d'accueil compte tenu des contraintes croissantes de la fonction de magistrat administratif et du décalage de leur grille indiciaire avec celle des administrateurs de l'État .
Selon les représentants des syndicats auditionnés par le rapporteur, les premiers effets de la réforme se sont d'ailleurs fait ressentir dès cette année, certains magistrats ayant anticipé l'entrée en vigueur de l'obligation de mobilité. En septembre 2022, il manquait ainsi une trentaine de magistrats en juridictions . De nouveaux magistrats ont exceptionnellement été recrutés par détachement pour une prise de poste au 1 er septembre 2022 ; ils ont eu une formation en alternance de quatre mois, au lieu d'une formation initiale de six mois, et ont participé aux formations de jugement dès leur arrivée en juridiction, ce qui ne semble pas garantir une véritable collégialité.
Les conséquences des mobilités sur l'activité des juridictions, en particulier les petites, risquent d'être significatives, surtout si le mouvement de mutation au sein des juridictions administratives reste à un rythme annuel. Ces départs seront très difficiles à anticiper et ne pourront faire l'objet que d'un préavis bref (deux mois en moyenne) pour ne pas être bloquant. Cet aléa s'ajoutera aux départs à la retraite qui semblent également difficiles à anticiper et en hausse s'agissant des magistrats des TA et CAA.
Départs en retraite prévus en LFI depuis 2017 et départs réellement constatés
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
|
Prévisions LFI |
60 |
59 |
73 |
29 |
31 |
Départs effectifs |
84 |
84 |
84 |
85 |
101 |
dont membres du CE |
9 |
12 |
11 |
13 |
8 |
dont magistrats |
29 |
25 |
21 |
36 |
40 |
dont agents de greffe |
36 |
42 |
40 |
25 |
40 |
dont agents du CE |
7 |
3 |
11 |
10 |
9 |
dont agents de la CNDA |
3 |
2 |
1 |
1 |
4 |
Source : Réponse au questionnaire budgétaire
La Commission du contentieux du stationnement payant (CCSP) offre un exemple parlant des difficultés qui peuvent être rencontrées du fait des départs et des détachements . Dans la loi de finances initiale pour 2022, trois emplois de magistrats avaient été créés pour porter son effectif de 12 à 15 magistrats, mais des départs imprévus et des difficultés de recrutement ont fait obstacle à la réalisation de cet objectif. La commission fonctionne actuellement avec 12 magistrats administratifs , dont certains, venus en détachement en cours d'année, ont dû être formés pendant un trimestre, alors même que le nombre des requêtes a dépassé 157 000 en 2021 et risque d'atteindre 160 000 requêtes en 2022, voire 200 000 requêtes, selon certaines projections.
* 3 L'ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l'encadrement supérieur de la fonction publique de l'État instaure pour les magistrats entrés dans le corps après le 1 er janvier 2023, une obligation de mobilité statutaire pour accéder au grade de conseiller, transformant ainsi une incitation qui existait déjà en une obligation, et supprime la possibilité d'être dispensé de mobilité au deuxième grade en cas d'affectation pendant trois ans en cour administrative d'appel.