III. LE CINÉMA AU DÉFI DE SON RENOUVELLEMENT
A. FILM CATASTROPHE ?
La baisse de la fréquentation des salles en 2020 et 2021, années marquées successivement par les confinements et les restrictions sanitaires, a été très brutale, mais largement prévisible. Sur ces deux années, les spectateurs ont ainsi été 50 millions de moins que durant la seule année 2019 (213 millions de spectateurs). |
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De spectateurs en moins en 2020 et 2021 par rapport à la seule année 2019 |
Dès lors, 2022 était attendue avec impatience comme celle de la reprise, même si des inquiétudes se sont rapidement exprimées sur l'encombrement des salles à la réouverture ou l'absence de « blockbusters » américains pour dynamiser la fréquentation .
De ce point de vue, les premiers résultats 2022 ont été perçus comme très largement décevants , à peine cachés par le succès au box-office de Top Gun Maverick avec près de sept millions d'entrées .
De fait, la fréquentation affiche un recul de près de 30 % par rapport à 2019. Si la France apparait dans une position plus enviable que les autres pays européens, qui enregistrent des fréquentations en chute de 40 % (Allemagne) à 60 % (Italie), les Français semblent retrouver avec difficulté le chemin des salles, comme l'avait exposé le rapporteur pour avis l'année dernière. |
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Baisse de fréquentation estimée entre 2022 et 2019 |
Ces résultats en demi-teinte ont déclenché un mouvement de panique .
« Crise de la fréquentation des salles : à qui la faute ? », « Panique à bord du cinéma français » , « Le cri d'alarme d'un cinéma en crise » : si l'on en croit la lecture de ces quelques titres de presse parus dans la première quinzaine d'octobre, le cinéma vivrait ses derniers instants et allait incessamment être emporté, victime de la pandémie, des plateformes de streaming, de la crise énergétique, du prix des places ou d'une programmation peu attractive.
Sans nier les difficultés que traverse le secteur et la pertinence de ces explications, le rapporteur pour avis estime utile de procéder à une analyse plus complète , qui s'avère paradoxalement moins alarmiste.
Ø D'une part, le cinéma a déjà connu des crises majeures et des fréquentations plus faibles .
Comme le montre le graphique suivant, la fréquentation des salles fluctue d'une année sur l'autre . De ce point de vue, une comparaison des moyennes sur 10 ans souligne la forte progression du cinéma depuis les années 90.
La fréquentation estimée pour l'année 2022 de 155 millions d'entrées , se situe ainsi à un niveau supérieur à la moyenne des années 90 , particulièrement complexes pour le cinéma, avec un point bas historique de 116 millions d'entrées en 1992. Le CNC prévoit à ce jour 175 millions d'entrées en 2023 et une stabilisation autour de 190 millions d'entrées d'ici 2026. L'ancien président de Disney Bob Iger a cependant accrédité l'idée d'une contraction durable du cinéma en septembre 2022 lors d'une intervention à la Conférence Code 2022 de Vox Media : « Je ne pense pas que les films reviennent un jour, en termes de fréquentation, au niveau qu'ils avaient avant la pandémie . [...] Cela ne signifie pas que la fréquentation des salles de cinéma va disparaître, mais elle ne reviendra pas au niveau d'avant . »
En tout état de cause, l'année 2022 parait atypique sur le nombre de films américains sortis dans les salles. Alors que la proportion est traditionnellement d'un film américain pour 2,5 films français, le rapport est 1 à 6 en 2022. Cela traduit d'une part l'arrêt des tournages aux États-Unis pendant la crise, d'autre part la position encore attentiste des studios, qui préfèrent pour certains décaler la sortie de films fortement pourvoyeurs de publics. Dès lors, dans une vision optimiste, on pourrait estimer que le retour des films américains en 2023 contribuera à relancer la fréquentation .
Ø D'autre part, les fondamentaux demeurent solides
Une étude du CNC rendue publique à l'occasion du Festival de Cannes en mai 2022 a essayé de répondre à la question « Pourquoi les Français vont-ils moins souvent au cinéma ? » Les cinq réponses les plus souvent apportées sont les suivantes :
Pourquoi ne plus aller au cinéma ?
Source : enquête du CNC retraitée par la commission
Les première et troisième raisons sont directement liées à la crise pandémique. Si le port du masque n'est, pour l'heure, plus d'actualité, il est cependant indéniable que de nombreux spectateurs, en particulier parmi les actifs, ont moins qu'auparavant le réflexe d'une sortie au cinéma ; situation renforcée par la possibilité d'un accès facilité aux plateformes de streaming.
La perception du prix est souvent faussée par quelques cas « extrêmes », qui ne concernent qu'un nombre réduit de salles particulièrement bien équipées situées dans les métropoles. L'écrasante majorité des cinémas pratique des tarifs accessibles , y compris pour une soirée en famille. Les abonnements illimités, qui en 2021 concernent 7 % des entrées, ou les tarifs préférentiels des comités d'entreprise contribuent à abaisser le coût pour les plus grands consommateurs. Par ailleurs, la France se situe plutôt dans la moyenne basse de l'Union européenne, avec des tarifs supérieurs en Allemagne ou en Italie.
La question du prix des places est régulièrement évoquée pour accréditer l'idée d'une salle devenue inaccessible. Certains cinémas ont été pris en exemple, avec des tickets pouvant dépasser les 20 euros par personne. Cependant, le prix moyen d'une place est de sept euros, et seuls 15 % sont vendues plus de 10 euros. |
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Prix moyen d'une place en France |
seulement des places vendues plus de 10 euros |
Pour autant, le discours dominant sur le prix des places semble avoir infusé dans une opinion publique légitimement inquiète pour son pouvoir d'achat. Comme annoncé par la ministre lors de son audition devant la commission le 25 octobre suite à une question du rapporteur pour avis, les exploitants de salle et le ministère de la culture ont lancé le 26 octobre une grande campagne « On a tous une bonne raison d'aller au cinéma » afin de contrebalancer une atmosphère encore morose.
Ø La concurrence des plateformes de streaming constitue une explication couramment avancée .
Il est indéniable que la période du confinement a été très favorable à ces services. Netflix est ainsi passée de six millions d'abonnés en France début 2019 à plus de 10 millions en 2021 . Il demeure difficile d'anticiper les comportements des consommateurs et leurs habitudes culturelles, même si on peut arguer que la télévision n'a finalement pas emporté le grand écran, comme cela était couramment avancé dans les années 80. Expérience sociale, le cinéma se prête aussi bien à une sortie entre amis ou en famille qu'à un moment plus solitaire, loin de la présence parfois envahissante des téléphones portables .
Le baromètre SVod Mediametrie/Harris interactive montre cependant que les 15-24 ans se détournent déjà massivement des plateformes, au profit des vidéos courtes en ligne popularisées par TikTok, ou bien de YouTube. Cette tendance s'observe dans tous les pays européens comme aux États-Unis . Cette catégorie de population est également celle qui comparativement est la plus revenue vers le cinéma après la pandémie.
Dès lors, ce pourrait être les plateformes qui, paradoxalement, seraient plus menacées dans le futur que le cinéma, qui propose un produit aux caractéristiques qui ne le rendent pas facilement substituable .