B. MIEUX RÉGULER LES DÉPENSES D'AME
1. L'effet incertain des mesures de régulation des dépenses introduites en 2019
La loi de finances pour 2020 11 ( * ) avait restreint l'accès à l'AME en introduisant :
- l'obligation de justifier d'une durée de résidence en France en situation irrégulière d'au moins trois mois , afin d'empêcher l'ouverture de droits à l'expiration d'un visa touristique ;
- le conditionnement de la prise en charge de certaines prestations programmées et non urgentes des majeurs à un délai d'ancienneté minimale de neuf mois de bénéfice de l'AME , sauf dérogation accordée par l'équipe de soins en cas de conséquences graves ou durables sur l'état de la personne ;
- l'obligation de comparution physique en CPAM pour le dépôt du dossier de demande d'AME pour les primo-demandeurs .
Leur application ayant été largement interrompue par la crise sanitaire liée au covid-19 12 ( * ) , les résultats de ces dispositions sont encore difficiles à mesurer sur les grands indicateurs de la dépense.
En revanche, l'obligation faite aux primo-demandeurs de déposer leur dossier au guichet d'une CPAM a des effets pratiques immédiatement observables : en Seine-Saint-Denis, l'accueil physique des primo-demandeurs mobilise 7 ETP, soit près de 14 % des ETP consacrées par la CPAM à l'accueil de tous les usagers, et il en faudrait le triple pour absorber la charge de travail nouvelle.
Alors que le Gouvernement annonce de nouveaux véhicules législatifs en 2023, dont l'un relatif à l'immigration, la rapporteure pour avis estime opportun de rouvrir la réflexion sur la procédure de dépôt d'un premier dossier de demande d'aide médicale d'État , dont l'instruction pourrait par exemple être assurée par les maisons France services, qui incluent des agents de l'assurance maladie et des autres administrations de l'État et de sécurité sociale, et dont le maillage territorial est beaucoup plus fin que celui des CPAM.
2. Des mesures de lutte contre la fraude encore insuffisantes
Le contrôle du caractère irrégulier du séjour avait également été renforcé en 2020 avec l'accès des caisses primaires d'assurance maladie à la base Visabio, laquelle permet aux caisses de s'assurer que des étrangers, en situation régulière et devant être couverts par leur État d'origine ou une assurance privée, ne bénéficient pas de l'AME ou des soins urgents.
Ce contrôle aboutit à une détection de visa dans 6 % des interrogations de la base Visabio. Le visa pouvant être en cours ou échu, cette détection ne donne pas systématiquement lieu à un refus de droits AME. D'après un sondage mené en juillet 2022 au sein des pôles instruisant les demandes d'AME en métropole, sur 663 dossiers où un visa a été identifié :
- 595 concernaient des visas échus depuis plus de 3 mois, soit 90 % des visas détectés ;
- 45 dossiers ont été rejetés car un droit au séjour était en cours ;
- 22 demandes ont été refusées au motif que la durée de résidence en France en situation irrégulière était inférieure à 3 mois ;
Parmi les dossiers pour lesquels un visa a été détecté, le taux de dossiers refusés s'établit à 10 %, alors qu'il était de 3,6 % lors d'un sondage similaire au printemps 2021, ce que la DSS explique par une meilleure appropriation de l'outil Visabio et de la procédure par les agents.
Reste que peu de mesures nouvelles de renforcement de la lutte contre la fraude sont prévues par le Gouvernement . Un décret en cours d'élaboration prévoit tout au plus de donner aux organismes de sécurité sociale un accès à la base « réseau mondial visa », devenue « France-Visas », qui recense un plus grand nombre de visas, afin de renforcer le contrôle sur les demandes d'AME.
Les caisses ont également accès à l'application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (AGDREF), mais cette base sera progressivement remplacée par la base de l'Administration numérique pour les étrangers en France (Anef), à laquelle les caisses n'ont pas encore accès.
Sur le terrain, la lutte contre la fraude à l'AME repose en outre sur un partenariat opérationnel avec de nombreux acteurs internes et externes à l'assurance maladie . La CPAM de Seine-Saint-Denis, qui a alerté la rapporteure pour avis sur l'ampleur prise récemment par le trafic de médicaments dérivés des opiacés et de médicaments onéreux, reçoit des signalements, outre des administrations de l'État, des hôpitaux de l'AP-HP ou encore des officines de pharmacies. Si la fraude est avérée, elle informe à titre préventif l'ensemble des pharmacies du département par un message d'alerte au moyen du système d'alerte sécurisée aux fausses ordonnances (Asafo), lequel répercute les alertes et met à disposition les informations portant sur les prescripteurs de faux documents, les assurés ayant déjà présenté de fausses prescriptions ou sur le compte desquels des médicaments sont délivrés à partir de faux, et les médicaments pour lesquels des fausses ordonnances ont été détectés.
À terme, le déploiement de la e-prescription sera un moyen de lutte important contre les trafics de produits de santé utilisant des fausses ordonnances .
3. Pour une véritable réforme de l'AME
Compte tenu de la dynamique des dépenses, la commission accueille favorablement l'adoption par la commission des finances, cette année encore, de l'amendement du rapporteur spécial Christian Klinger, qui recentre l'AME, rebaptisée « aide médicale de santé publique », sur un noyau de dépenses comprenant :
- la prophylaxie et le traitement des maladies graves et les soins urgents , alignant ce faisant le périmètre des soins pris en charge sur ceux couverts par le dispositif équivalent en Allemagne. Continueraient ainsi d'être prises en charge d'une part les affections aiguës comme une appendicite, une fracture, ou des blessures graves, et d'autre part la prévention et le traitement de pathologies graves telles que les maladies infectieuses graves - tuberculose, infections sexuellement transmissibles, etc . - mais également les maladies chroniques telles que les cancers, l'insuffisance rénale, ou le diabète ;
- les soins liés à la grossesse et à ses suites ;
- un ensemble de soins de prévention comprenant les vaccinations réglementaires et les examens de médecine préventive . Pourront par exemple entrer dans le périmètre de ces soins les examens de prévention en santé (EPS) mis en oeuvre par les 85 centres d'examen de santé de l'assurance maladie, mais aussi les rendez-vous de prévention récemment portés par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023. Les examens de prévention en santé permettent ainsi de bénéficier de consultations en lien avec des problèmes d'addiction, de santé sexuelle, de troubles cardiovasculaires, de dépistage du cancer, etc .
La rapporteure pour avis voit dans cette redéfinition du périmètre de l'aide médicale d'État le moyen utile de la recentrer sur la poursuite de son triple objectif humanitaire, sanitaire et économique, et de limiter les conséquences, supportées par le ministère de la santé, de l'incapacité du ministère de l'intérieur à remédier au problème de la présence irrégulière prolongée sur le territoire français. En Seine-Saint-Denis, dont la CPAM fait partie, avec celles de Paris et Marseille, des caisses qui centralisent l'instruction des demandes d'AME, 57 % des bénéficiaires ont des droits ouverts depuis moins de deux ans, près de 73 % depuis moins de trois ans ; il en résulte que près de 28 %, donc, ont des droits à l'AME ouverts depuis trois ans et plus, dont près de 20 % depuis quatre ans et plus .
La commission a en outre adopté l'amendement proposé par la rapporteure pour avis, consistant à créer un nouveau programme consacré au financement d'actions d'« aller-vers » conduites par l'État, l'assurance maladie et les associations, notamment dans le cadre de maraudes, d'équipes mobiles de prévention ou encore de barnums de dépistage, destinés à proposer des examens aux personnes en situation irrégulière et à les sensibiliser à la nécessité de solliciter le dispositif de l'aide médicale de santé publique. Ce dispositif est financé à hauteur de dix millions d'euros, issus d'une partie des économies susceptibles de découler de la redéfinition du panier de soins.
* 11 Article 264 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.
* 12 L'obligation de dépôt physique des primo-demandes en CPAM a été suspendue lors du premier état d'urgence sanitaire en application du III de l'article 1 er de l'ordonnance n° 2020-312 du 25 mars 2020 relative à la prolongation de droits sociaux. La suspension a été reconduite et prolongée jusqu'au 1 er juin 2021, puis de nouveau appliquée en janvier et février 2022, en application du 8° de l'article 1 er de l'arrêté du 14 janvier 2022 modifiant l'arrêté du 1 er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire.