N°825
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2021-2022
Enregistré à la Présidence du Sénat le 25 juillet 2022
AVIS
PRÉSENTÉ
au nom de la commission des affaires économiques (1) sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant mesures d' urgence pour la protection du pouvoir d' achat ,
Par M. Daniel GREMILLET,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas , présidente ; M. Alain Chatillon, Mme Dominique Estrosi Sassone, M. Patrick Chaize, Mme Viviane Artigalas, M. Franck Montaugé, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Jean-Pierre Moga, Bernard Buis, Fabien Gay, Henri Cabanel, Franck Menonville, Joël Labbé , vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, MM. Rémi Cardon, Pierre Louault , secrétaires ; MM. Serge Babary, Jean-Pierre Bansard, Mmes Martine Berthet, Florence Blatrix Contat, MM. Michel Bonnus, Denis Bouad, Yves Bouloux, Jean-Marc Boyer, Alain Cadec, Mme Anne Chain-Larché, M. Patrick Chauvet, Mme Marie-Christine Chauvin, M. Pierre Cuypers, Mmes Françoise Férat, Amel Gacquerre, M. Daniel Gremillet, Mme Micheline Jacques, MM. Jean-Marie Janssens, Jean-Baptiste Lemoyne, Mmes Valérie Létard, Marie-Noëlle Lienemann, MM. Claude Malhuret, Serge Mérillou, Jean-Jacques Michau, Mme Guylène Pantel, MM. Sebastien Pla, Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Mme Patricia Schillinger, MM. Laurent Somon, Jean-Claude Tissot .
Voir les numéros :
Assemblée nationale ( 16 ème législ.) : |
19 , 144 et T.A. 3 |
Sénat : |
817 et 822 (2021-2022) |
L'ESSENTIEL
Lundi 25 juillet 2022, la commission des affaires économiques a adopté le volet économique du projet de loi « pouvoir d'achat » dont son rapporteur Daniel Gremillet a été saisi pour avis ; les 21 articles ainsi examinés ont trait à l'énergie, au logement et à la consommation. Déplorant le manque d'anticipation, d'ambition et d'évaluation de ce texte, la commission a souhaité en consolider et en étendre les principaux dispositifs.
Convaincue de la gravité et de l'urgence de la situation, avec de lourdes tensions sur l'approvisionnement énergétique, agricole et industriel, elle a estimé que ce texte n'était pas à la hauteur des enjeux et a entendu mettre les ménages, entreprises et collectivités à l'abri de cette crise inflationniste inédite.
I. UN TEXTE QUI MANQUE D'ANTICIPATION, D'AMBITION ET D'ÉVALUATION AU MILIEU D'UNE CRISE INFLATIONNISTE INÉDITE MAIS PRÉVISIBLE
La commission déplore un texte insuffisamment ambitieux pour résoudre la crise inflationniste, faute d'avoir été suffisamment anticipé et évalué.
A. UN MANQUE D'ANTICIPATION
Le rapporteur déplore le caractère extrêmement tardif du projet de loi, qui témoigne d'un manque d'anticipation de la crise par le Gouvernement. C'est paradoxal car ce texte ambitionne de protéger le niveau de vie ou garantir la souveraineté énergétique. Ainsi, la moitié des articles sur l'énergie ont été présentés en séance publique à l'Assemblée nationale. On s'étonnera que des dispositions aussi structurantes, telles que la régulation du nucléaire ou l'approvisionnement en gaz, n'aient pas fait l'objet d'une réflexion de long terme. On s'étonnera aussi que le Gouvernement revienne aux importations d'hydrocarbures faute d'avoir soutenu les filières nationales, décarbonées, du nucléaire et du renouvelable.
Le caractère précipité de ce texte est également manifeste pour le volet « consommation » qui est loin des enjeux essentiels auxquels sont confrontés nos concitoyens. Que ce soit la création d'un « bouton résiliation » ou le renforcement des pouvoirs de la DGCCRF, aucune de ces dispositions n'était annoncée au préalable, et semblent avoir été inscrites dans le texte au dernier moment. Elles relèvent plus de l'opportunité que d'une stratégie réfléchie sur les déterminants du pouvoir d'achat et sur les moyens de le préserver. Le caractère presque anecdotique des mesures proposées en matière de consommation illustre le fait que les problématiques de pouvoir d'achat sont essentiellement comprises par le Gouvernement comme des questions touchant au niveau de revenus des Français. Elles manquent d'ambition réformatrice sur la formation des prix.
Du reste, le Gouvernement a présenté en séance publique des mesures qu'il entendait initialement prendre par ordonnance : ces mesures n'ont donc pu faire l'objet ni d'une étude d'impact, ni d'un avis du Conseil d'État.
B. UN MANQUE D'ÉVALUATION
Le rapporteur regrette le caractère extrêmement parcellaire de l'étude d'impact, quasiment muette sur les conséquences juridiques et financières du projet de loi. Or, il s'agit ici d'une loi d'urgence, avec de multiples atteintes à la liberté d'entreprendre et au droit de propriété. Ainsi, parmi les articles initiaux sur l'énergie, le rapporteur n'a pu obtenir d'éléments chiffrés que pour un seul : celui sur les stocks de gaz. Or, parce qu'ils modifient les dispositifs de régulation des marchés ou les tarifs d'accès aux réseaux, ils auront forcément des répercussions élevées sur les consommateurs de gaz ou d'électricité.
Ces considérations s'appliquent de même aux dispositions du volet « Consommation », dont les justifications sont très succinctes malgré l'ampleur de certaines d'entre elles (publicité des injonctions de l'administration, création d'un bouton résiliation sans que les frais de développement ne soient évalués). L'étude d'impact précise clairement, à plusieurs moments, qu'aucune consultation préalable n'a été mise en oeuvre. Si le Gouvernement voulait illustrer un changement de méthode et une écoute plus attentive du Parlement, il aurait fallu donner aux commissions parlementaires l'ensemble des données nécessaires pour évaluer les dispositions proposées et un délai moins indécent pour les étudier.
C. UNE INSTABILITÉ CHRONIQUE
Le rapporteur observe que le contexte de crise énergétique et de forte inflation conduit à une multiplication et à une accélération des textes, qui engendre une instabilité législative préjudiciable aux acteurs économiques. Avec le projet de loi pouvoir d'achat sont ainsi remises sur le métier des dispositions de 2021 sur les flexibilités, de 2019 sur le nucléaire, de 2017 sur le stockage, de 2020 sur les pouvoirs de la DGCCRF... Certains articles prévoient d'ailleurs leur propre disparition, tel que celui sur les pouvoirs du ministre chargé de l'énergie. Cette instabilité et cette obsolescence législatives sont inquiétantes car la crise inflationniste nécessite une stratégie claire et des investissements longs pour être surmontée.
II. DES DISPOSITIONS PRÉCISÉES, AMPLIFIÉES ET COMPLÉTÉES À L'ISSUE DE L'EXAMEN DU TEXTE EN COMMISSION
Quel que soit le secteur concerné, les dispositifs proposés sont insuffisants au regard des nombreux risques auxquels sont confrontés les acteurs économiques consommateurs comme producteurs. C'est pourquoi le rapporteur a proposé leur ajustement et des compléments sans pouvoir, dans les délais proposés par le Gouvernement et les limites du pouvoir d'initiative du Parlement, proposer une refonte complète du volet économique de ce texte, qui aurait pu sinon utilement lui permettre de mettre en oeuvre les préconisations de sa commission formulées dans son dernier rapport sur la souveraineté économique de la France.
A. SOUVERAINETÉ ÉNERGÉTIQUE : DES MESURES INÉGALES POUR SORTIR DE LA DÉPENDANCE AUX HYDROCARBURES RUSSES (ARTICLES 10 À 19)
Les articles du volet sur la souveraineté énergétique sont utiles, et même urgents. Le rapporteur salue la consolidation du stockage (article 10), de l'interruptibilité (article 11), des méthaniers (article 13), de l'ajustement et de l'effacement (articles 15 bis et 15 ter ) ou encore du fournisseur de secours (article 17). Il relève que le ministre de l'énergie se voit doter de pouvoirs de suspension, de restriction et de réquisition étoffés (article 12). Si le Gouvernement n'avait proposé qu'une validation législative du décret ayant relevé le plafond de l'Arenh en mars, compte tenu du non-respect par lui des consultations obligatoires (article 19), l'Assemblée nationale a fait adopter un gel du plafond à 120 TWh jusqu'en 2023 et un relèvement de son prix de 46,2 à 49,5 € (articles 18 bis et 18 ter ).
Convaincu de la nécessité de trouver un équilibre entre pouvoir de crise et liberté d'entreprendre, le rapporteur a fait adopter plusieurs amendements pour consolider le rôle de la CRE en matière de stockage, mieux circonscrire et mieux indemniser la réquisition, ou encore prévoir la règlementation et l'évaluation idoines. De plus, il a veillé à associer les collectivités territoriales, en tant qu'autorités organisatrices de la distribution d'énergie (AODE) dans la mise en oeuvre de l'interruptibilité mais aussi des pouvoirs de crise.
S'agissant de la réforme de l'Arenh, le rapporteur a entendu sécuriser le gel du plafond à 120 TWh, car la rédaction adoptée à l'Assemblée nationale, à l'initiative du Gouvernement, aurait eu pour conséquence de supprimer tout plafond dès fin 2023... alors que l'Arenh est applicable jusqu'en 2025 ! En outre, il a proposé d'appliquer le relèvement à 49,5 €/MWh du prix de l'Arenh, à l'ensemble des volumes considérés, pour lever une ambiguïté du texte de l'Assemblée nationale, et dès son approbation par la Commission européenne, pour intégrer le droit de l'Union européenne. La commission partage totalement la nécessité de revaloriser les ressources du groupe EDF ; elle a eu l'occasion de le dire à maintes reprises. Enfin, tout en déplorant la méthode utilisée par le Gouvernement, il a suggéré de valider législativement le recours contre le relèvement de son plafond à 120 TWh sur le plan des consultations, pour protéger les consommateurs : particuliers, entreprises, collectivités.
Enfin, le rapporteur proposera en séance publique de combler les angles morts du volet sur la souveraineté énergétique sur plusieurs plans : les alternatives au gaz fossile, la protection des consommateurs et la décarbonation des carburants.
B. RÉÉVALUATION DES LOYERS ET DES APL : UN COMPROMIS À PRÉSERVER (ARTICLE 6)
La réévaluation annuelle des loyers et des aides personnelles au logement (APL) se fonde pour une large part sur l'évolution de l'indice de référence des loyers (IRL). Or, étant calculé à partir de l'indice des prix à la consommation hors tabac et hors loyers, il pourrait avoir pour conséquence d'entraîner une forte hausse des charges des 7,4 millions de locataires.
Le Gouvernement a donc fait le choix de proposer un plafonnement de la hausse de l'IRL à 3,5 % sur un an, jusqu'au 2 e trimestre 2023, et d'augmenter dans la même proportion, par anticipation dès le 1 er juillet, deux paramètres de calcul des APL (le loyer plafond et le forfait de charge) tout en augmentant, par décret, de 4 % le revenu de référence. Ces réévaluations bénéficieront à environ 90 % des 6,4 millions d'allocataires des APL mais dans des proportions qui varieront en fonction du revenu, du loyer, du lieu d'habitation et de la composition du ménage.
Cette proposition est un compromis équilibré entre ceux qui auraient souhaité un plus fort soutien des locataires par l'État ou au détriment des propriétaires et les propriétaires dont les loyers constituent les revenus. Si les propriétaires renoncent à une partie de la hausse à laquelle ils pourraient prétendre, ils conservent la possibilité d'augmenter les loyers dans le cas d'importants travaux d'économie d'énergie qui sont le gage à moyen terme d'une protection efficace du climat et du pouvoir d'achat. De son côté, l'État prend à sa charge une revalorisation significative des APL sur la base de l'IRL alors qu'il l'avait systématiquement minorée depuis cinq ans.
Enfin, cette solution de compromis reste partielle et temporaire car elle n'apporte ni de solution à augmentation plus importante ou durable de l'inflation ni à l'érosion des APL depuis plus de 20 ans, mais tel n'est pas l'objectif dans une loi d'urgence. Là encore des solutions de long terme notamment sur le secteur de la construction dont les difficultés expliquent très largement les tensions sur les loyers manquent à l'appel.
C. FACILITER LE PROCESSUS DE RÉSILIATION, ALLÉGER LES FRAIS Y AFFÉRANT, RENFORCER LES POUVOIRS DE LA DGCCRF : DES MESURES QUI DOIVENT GAGNER EN PRÉCISION (ARTICLES 7 À 9 BIS )
La faible ampleur des mesures proposées en matière de consommation est doublement regrettable :
- d'une part, elle trahit le fait que les problématiques de pouvoir d'achat ne sont comprises par le Gouvernement que comme des questions touchant au niveau de revenus des Français, et non des prix ;
- d'autre part, compte tenu de l'autorisation constitutionnelle de n'adopter que des dispositions en lien avec le texte initial, la maigreur du texte proposé en matière de consommation limite considérablement le champ des mesures pouvant y être intégrées.
Les quelques mesures introduites dans le projet de loi sont toutefois bienvenues. La création d'un « bouton résiliation » pour les contrats conclus à distance (article 7) et pour les contrats d'assurance conclus par voie électronique (article 8) permettra de simplifier considérablement le processus de résiliation, qui aura désormais lieu en quelques clics, et permettra aux consommateurs de mieux faire jouer la concurrence. Il importe toutefois de s'assurer que les entreprises soient effectivement capables de tels développements numériques. S'il ne fait pas de doute que les assureurs sont en mesure de créer une telle fonctionnalité, il n'en va pas de même pour les petites entreprises (comme les artisans). La commission a donc préféré, pour les contrats autres que ceux d'assurance, circonscrire ce « bouton résiliation » aux seuls contrats conclus « par voie électronique », afin qu'elle ne s'applique pas aux PME qui n'auraient pas les moyens de développer de telles adaptations informatiques. A contrario , elle a élargi cette fonctionnalité de résiliation à tous les contrats d'assurance conclus à distance ou par voie électronique.
De même, le renforcement des sanctions pour pratiques commerciales trompeuses et agressives (article 9) est recommandé par le Sénat de longue date, et encore récemment par la commission des affaires économiques dans un rapport relatif à l'information du consommateur. En outre, cet article 9 élargit les cas dans lesquels la DGCCRF pourra communiquer au sujet des injonctions qu'elle prononce, ce qui est de nature à renforcer leur effet dissuasif.
Par ailleurs, tant la suppression des frais de résiliation (internet, téléphone, télévision) pour les individus en procédure de surendettement (article 7) que l'infliction de pénalités financières pour les banques qui tarderaient trop à rembourser les sommes indûment prélevées lors d'une opération non-autorisée (article 9 bis ) sont utiles et nécessaires. Pour ce dernier article, la commission a toutefois souhaité clarifier le montant exact des pénalités pouvant être infligées aux établissements ne respectant pas leurs obligations de célérité. Elle a donc crée un schéma plus incitatif, qui renforce l'efficacité de la mesure, au sein duquel les sanctions s'alourdissent à mesure que le retard pris en matière de remboursement augmente. Enfin, la commission a également permis aux consommateurs de résilier à tout moment, à compter de la première reconduction, leurs contrats les liant à un fournisseur de services de télévision ou de vidéo à la demande.