N° 122
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022
Enregistré à la Présidence du Sénat le 2 novembre 2021
AVIS
PRÉSENTÉ
au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale , adopté par l'Assemblée nationale, pour 2022 ,
Par M. Christian KLINGER,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .
Voir les numéros :
Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : |
4523 , 4568 , 4572 et T.A. 683 |
Sénat : |
118 (2021-2022) |
L'ESSENTIEL
Le Gouvernement a présenté le 7 octobre dernier le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022. Au regard des effets de ce texte sur nos finances publiques, la commission des finances a souhaité s'en saisir pour avis.
I. LA CRISE SANITAIRE A CONDUIT À UNE DÉTÉRIORATION SANS PRÉCÉDENT DU SOLDE DES COMPTES DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
A. L'EXERCICE 2020 A CONNU UN EFFONDREMENT DES COMPTES SOCIAUX
Le déficit cumulé du régime général de la sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) a connu une très forte dégradation, augmentant de 26,8 milliards d'euros en 2020 pour atteindre 38,7 milliards d'euros. Lors de la crise économique précédente, le déficit agrégé du régime général et du FSV avait atteint 28 milliards d'euros en 2010, en augmentation de 13,9 milliards d'euros par rapport à 2009 .
Les recettes du régime général et du FSV ont diminué de 2,8 %, passant de 402,1 à 390,8 milliards d'euros . En effet, l'augmentation du chômage et le recours à l'activité partielle ont conduit à une diminution de - 5,7 % de la masse salariale du secteur privé. Celle-ci explique la baisse des recettes à hauteur de 2,2 points. Avec une progression de 8,4 % entre 2019 et 2020, les dépenses de la branche maladie sont la principale cause de l'augmentation des prestations légales . Une grande part de la majoration de l'Ondam en 2020 est liée aux coûts induits par la crise sanitaire. 15 milliards d'euros de dépenses supplémentaires ont ainsi été intégrés dans la construction de l'objectif pour 2020.
B. L'EXERCICE 2021 EST PRIS ENTRE DEUX TENDANCES CONTRAIRES : LA POURSUITE DE LA CRISE SANITAIRE ET LA REPRISE ÉCONOMIQUE
La crise sanitaire et économique résultant de la pandémie et des mesures de confinement se traduit par un déficit agrégé du régime général et du FSV établi à 34,6 milliards d'euros à la fin de l'exercice 2021 , soit une diminution de 4,2 milliards d'euros par rapport à 2020. Ce déficit est moins élevé que celui que prévoyait la LFSS pour 2021, qui tablait sur un solde négatif de 35,8 milliards d'euros.
Ce déficit moins élevé que prévu s'explique principalement par l'amélioration de la prévision de recettes en 2021, qui passe de 407,9 milliards dans la LFSS pour 2021 à 421,7 milliards d'euros dans le PLFSS pour 2022, soit une augmentation de 3,4 %. Les indicateurs macroéconomiques révisés au mois de septembre sont en effet plus favorables que ce qui était prévu dans la LFSS pour 2021 : le taux d'évolution effectif de la masse salariale privée devrait être de 6,2 % en 2021, contre 4,8 % dans les prévisions pour 2021.
Ces recettes meilleures que prévues ne doivent toutefois pas masquer l'augmentation structurelle des dépenses de la sécurité sociale en 2021 . D'après la LFSS pour 2022, les dépenses agrégées du régime général et du FSV devraient atteindre 456,3 milliards d'euros à la fin de l'exercice 2021, soit une augmentation de 6,3 % par rapport à 2020 . Parmi les facteurs d'augmentation, les revalorisations dans le cadre du Ségur augmentent les dépenses de 8,3 milliards d'euros en 2021, ce qui est d'autant plus notable qu'il s'agit de dépenses qui ont vocation pour leur majorité à être pérennes.
II. LES PRÉVISIONS POUR 2022 ET LES EXERCICES SUIVANTS : UN DÉFICIT PERMANENT IMPORTANT DES COMPTES DE LA SÉCURITÉ SOCIALE QUI NE SERA PAS RÉSORBÉ FAUTE DE RÉFORMES STRUCTURELLES
A. SANS MESURE NOUVELLE, LE DÉFICIT DU RÉGIME GÉNÉRAL ET DU FONDS DE SOLIDARITÉ VIEILLESSE S'ÉTABLIRAIT À 13 MILLIARDS D'EUROS À L'HORIZON 2024
Le présent projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoit que le déficit agrégé du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse soit ramené à 21,6 milliards d'euros en 2022, soit une réduction de 37,5 % par rapport à l'exercice précédent . Dans les prévisions, cette réduction du déficit est justifiée par une nette progression des recettes (en augmentation de 3,9 % pour atteindre 438,2 milliards d'euros, ce qui correspond à 16,5 milliards d'euros supplémentaires), tandis que les dépenses progresseraient à un niveau moins rapide (0,8 %, pour atteindre 459,8 milliards d'euros).
Cependant, alors que l'on peut espérer que l'essentiel de la crise sanitaire est derrière nous, il faut s'interroger davantage sur la trajectoire des comptes sociaux, et leurs risques de dérive . En effet, il est estimé à l'horizon 2024 un déficit « permanent » , pour reprendre le terme utilisé par la Cour des comptes, de 13 milliards d'euros pour le régime général et le FSV, et de 15 milliards d'euros pour l'ensemble des régimes de base et le FSV.
Ce déficit serait principalement porté par la branche maladie, pour 14,8 milliards d'euros, et par la branche vieillesse pour 7,6 milliards d'euros. En revanche, il est prévu que les autres branches, autonomie, famille et AT-MP, soient en excédent.
Évolution du solde du régime général de la sécurité sociale 2019 - 2025
(en milliards d'euros)
B. LE PROJET DE LOI DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE NE COMPREND PAS DE MESURES STRUCTURELLES SIGNIFICATIVES
Le Gouvernement a, en effet, fait le choix de ne pas inscrire dans le texte de mesures fortes de redressement des comptes sociaux pour l'exercice à venir , afin, comme l'année dernière, de ne pas contrarier la relance de l'économie. En effet, les réformes plus délicates à mettre en oeuvre, comme la réforme des retraites ou la loi « grand âge et autonomie » sont reportées .
Il n'y a rien de notable non plus dans la loi de financement de la sécurité sociale concernant les arrêts de travail, et il n'y a qu'une seule mesure pour la lutte contre la fraude sociale : l'article 15 du PLFSS relatif à la fraude sociale prévoit que les échanges avec un tiers sollicité peuvent être dématérialisés à la demande de l'agent chargé du contrôle et du recouvrement des organismes de sécurité sociale. Si cette disposition apporte une souplesse bienvenue dans les modalités opérationnelles de la lutte contre la fraude sociale, son impact financier devrait rester limité. Il est ainsi estimé dans l'annexe 9 du PLFSS pour 2022 que la mesure devrait apporter un gain de 6 millions d'euros.
Ce sont pourtant des réformes qui auraient pu être menées sans limiter la reprise économique .
L'évolution du solde est particulièrement inquiétante pour la branche vieillesse . D'après les prévisions inscrites en annexe B du PLFSS pour 2022, le solde de la branche vieillesse se dégrade continuellement à partir de 2022. Il est prévu que ce solde soit déficitaire de 2,5 milliards d'euros en 2022, que ce déficit s'aggrave à 4,2 milliards d'euros en 2023, pour atteindre 7,6 milliards d'euros en 2025, soit plus qu'un triplement du déficit par rapport à 2022. Il s'agit, en taux, de la dégradation la plus importante du déficit parmi les branches de la sécurité sociale sur la période 2022-2025.
L'absence de réforme du système de retraites conduit non seulement à éloigner la perspective du retour à l'équilibre de la branche vieillesse, mais elle contribue aussi à aggraver son déficit. Or, plus les réformes seront repoussées dans le temps, plus il sera difficile d'inverser la tendance .
Évolution du solde de la branche vieillesse 2016 - 2025
(en milliards d'euros)
III. LA REMISE EN CAUSE DE LA PERSPECTIVE D'EXTINCTION DE LA CADES FAUTE D'UN RETOUR À L'ÉQUILIBRE DES COMPTES DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Avant la crise de la Covid-19, il était prévu que Cades s'éteigne en 2024. La crise sanitaire a remis en cause cette perspective. La loi organique et la loi du 7 août 2020 relatives à la dette sociale et à l'autonomie ont ainsi prévu le transfert à la Cades de 136 milliards d'euros de dette sociale d'ici à 2023. La date d'extinction de la Cades est ainsi repoussée, dans les prévisions de l'administration, aux alentours de 2033 .
Le présent projet de loi de financement met en avant des déficits cumulés du régime général et du FSV supérieurs à 92 milliards d'euros pour la période 2020-2023. Le déficit cumulé atteindrait en effet 109,5 milliards d'euros fin 2023, un déficit de 13,0 milliards d'euros est attendu pour l'exercice 2024, et il est prévu un déficit de 13,3 milliards d'euros à la fin de l'année 2025. Cette trajectoire affecte fortement la perspective, déjà pour partie irréaliste, d'un effacement de la dette sociale à moyen terme, retenue lors de l'adoption de la loi du 7 août 2020, et cela malgré l'amélioration des indicateurs macroéconomiques en 2021. Elle remet en question la soutenabilité même du système .
Évolution de la dette reprise par la CADES 2019 - 2023
(en milliards d'euros)
Réunie le mardi 2 novembre 2021, la commission des finances a émis un avis défavorable sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022.