I. II. AIRES PROTÉGÉES : UNE PRIORITÉ DANS LES PAROLES, MAIS PAS DANS LES MOYENS
A. UNE STRATÉGIE « D'AIRES PROTÉGÉES DE PAPIER » ?
1. L'échec d'une politique qui n'a pas su enrayer le déclin de la biodiversité
« L'érosion de la biodiversité, que ce soit à l'échelle locale ou mondiale, constitue l'une des principales menaces auxquelles est confrontée l'humanité » 58 ( * ) .
Alors que, comme l'a rappelé l'évaluation mondiale de la biodiversité réalisée par les chercheurs de l'IPBES du 6 mai 2019, les écosystèmes dont nous dépendons se dégradent plus vite que jamais, les politiques jusqu'ici mises en place à tous les échelons pour protéger la biodiversité n'ont pas permis de ralentir ce phénomène.
Au niveau européen , la Commission a établi, dans son récent rapport sur l'état de la nature du 15 octobre 2020 59 ( * ) , que « l'Union européenne n'a pas encore réussi à enrayer le déclin des espèces et des types d'habitats protégés dont l'état de conservation est préoccupant dans l'Union » .
Au niveau national , la stratégie de création des aires protégées (SCAP) et la stratégie nationale de création et de gestion des aires marines protégées (SCAMP) arrivent à échéance en 2020. Pour rappel, cette politique s'était donné pour objectif, après le Grenelle de l'environnement, de parvenir à 2 % du territoire terrestre métropolitain sous protection « forte » (contre 1,2 % en 2009).
Les bilans et évaluations de ces deux stratégies françaises montrent que cet objectif n'a malheureusement pas été atteint , notamment en raison d'un engagement politique défaillant, d'un défaut de pilotage et d'articulation avec les stratégies régionales, mais surtout d'une absence de moyens spécifiques pour les aires protégées nouvelles.
2. Quels moyens pour l'ambitieuse nouvelle stratégie 2020-2030 ?
« Pour être pérenne, une aire protégée doit avoir un modèle économique stable (...) Elle doit pour cela bénéficier de moyens humains stabilisés facilitant la médiation avec les parties prenantes et d'une trésorerie suffisante pour solliciter des subventions et s'impliquer dans des projets européens » 60 ( * ) .
Dans la perspective du Congrès mondial de la nature qui doit se tenir à Marseille en 2021, et de la conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique (COP 15), qui se tiendra ensuite en Chine, une nouvelle stratégie nationale pour les aires protégées à 10 ans (2020-2030) , associant de manière inédite terre et mer, métropole et outre-mer, est actuellement en phase finale d'élaboration 61 ( * ) , avec, d'après les informations transmises au rapporteur, un objectif de publication en décembre après un dernier arbitrage interministériel en novembre.
Le Président de la République a assigné à cette nouvelle stratégie des objectifs particulièrement ambitieux lors de la création de l'Office français de la biodiversité à Chamonix le 13 février 2020 : « protéger 30 % du territoire national, terrestre et maritime, dont un tiers à un niveau élevé de protection d'ici la fin du quinquennat ».
Cette stratégie inclusive, qui devrait comporter 6 grands objectifs et 17 mesures , ne se focalise plus sur les protections fortes comme les stratégies précédentes, mais prend en compte l'ensemble des aires protégées (parcs naturels régionaux, zones Natura 2000, outils fonciers, conservatoire du littoral, conservatoires d'espaces naturels, espaces naturels sensibles...).
D'un point de vue opérationnel, la stratégie sera accompagnée par 3 plans d'action triennaux construits de manière itérative avec les acteurs et les territoires. Le premier plan d'action national (2021-2023), qui doit être lancé en janvier, liste des actions opérationnelles à mettre en oeuvre.
Cette stratégie doit constituer le volet « aires protégées » de la nouvelle stratégie nationale pour la biodiversité, qui sera révisée en 2021 et qui devra intégrer les engagements internationaux résultant de la COP 15.
Mais d'ores et déjà, au regard du flou entourant les moyens destinés aux aires protégées tant dans le budget pour 2021 que dans le projet de nouvelle stratégie, il est permis d'émettre des doutes sur la volonté politique de dépasser les paroles pour parvenir à la mise en oeuvre d'une politique concrète, efficace et pérenne.
Comment parvenir en effet à 10 % d'espaces sous protection forte d'ici 2022 alors que 10 ans n'ont pas suffi à parvenir à 2 %, sans le déploiement massif de moyens à la hauteur des enjeux ? On rappellera à titre d'exemple que les sites Natura 2000 en mer disposent aujourd'hui en moyenne de 1/2 ETP par site !
Les avis émis cet automne par le Comité national de la biodiversité (CNB) et le Conseil national de protection de la nature (CNPN) sur la nouvelle stratégie 2020-2030 pour les aires protégées sont, de ce point de vue, préoccupants.
Dans son avis, le CNB pointe ainsi un certain nombre de faiblesses de la nouvelle stratégie (sur laquelle il a émis un avis favorable à condition que soient levées toutes ses réserves tandis qu'il a émis un avis défavorable sur le premier plan triennal 2020-2022 qui l'accompagne) :
- manque de moyens et de dispositifs de financement 62 ( * ) des aires nouvelles ; pour lui, « le financement de la stratégie et des outils et actions qui permettront son succès est déterminant (...) ce point sera in fine le marqueur de la réalité de l'ambition du Gouvernement pour cette stratégie et son premier plan d'action » ;
- absence d'un volet relatif à l'adhésion et à l'association des acteurs locaux dans les territoires ;
- flou autour des définitions retenues pour les aires protégées et, en particulier, pour les aires « sous protection forte » (quelle ambition pour cette définition ? Les catégories de l'UICN seront-elles retenues ? Quelle marge pour les activités économiques au sein de ces territoires ?) ;
- insuffisance d'un cadre d'animation globale ;
- manque de priorisation des mesures.
Les acteurs entendus par le rapporteur pour avis s'inquiètent aussi du niveau de volonté politique qui sera mis dans la définition de cette nouvelle stratégie, et la tentation de baisser le niveau d'ambition pour atteindre les objectifs alors que les priorités devront concerner toutes les écorégions, les bassins océaniques, en outre-mer et en métropole.
Le CNB appelle ainsi à éviter à tout prix « le syndrome des aires protégées de papier, comme on en a connu et connaît encore, notamment pour les milieux marins » .
Le rapporteur estime que de ce point de vue, le projet de budget et le plan de relance devraient porter le marqueur de cette rupture, en prévoyant pour cette stratégie un robuste volet dédié au financement et aux moyens.
* 58 Avis du Comité national de la biodiversité (CNB) sur la Stratégie nationale pour les aires protégées 2020-2030, publié le 16 octobre 2020.
* 59 Rapport de la Commission au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social européen - « État de conservation de la nature dans l'Union européenne », COM(2020) 635 final - 15.10.2020.
* 60 Avis du Comité national de la biodiversité (CNB) sur la Stratégie nationale pour les aires protégées 2020-2030, publié le 16 octobre 2020.
* 61 Le processus d'élaboration de cette nouvelle stratégie s'est appuyé dans un premier temps sur le bilan des deux précédentes stratégies SCAP et SCAMP, des recommandations du Comité national de la biodiversité et du Conseil national de protection de la nature. Une consultation des différents acteurs du monde des aires protégées a également été effectuée, dans le cadre d'ateliers et de tables rondes organisés fin 2019 puis d'un comité de pilotage qui a mis en place des groupes thématiques associant les différentes parties prenantes.
* 62 Le CNB évoque des pistes comme un socle minimum sur le budget propre de l'État, une redevance sur l'artificialisation perçue par les agences de l'eau ou encore un élargissement de l'exonération de TFNB au titre de Natura 2000 à l'ensemble des aires protégées sous condition d'engagements, etc.