EXAMEN DES ARTICLES

Article 2
Précisions apportées au champ du décret du Premier ministre
en matière de quarantaine et d'isolement

Cet article apporte plusieurs modifications aux mesures pouvant être décidées par le Premier ministre en cas d'urgence sanitaire. Y figurent notamment d'importantes restrictions apportées à la mise en quarantaine et au placement à l'isolement des cas atteints ou potentiellement atteints.

I - Le dispositif proposé : une adaptation des prérogatives d'urgence sanitaire du Premier ministre en matière de mise en quarantaine et de mise à l'isolement

Dans sa rédaction résultant de la loi d'urgence du 23 mars 2020 1 ( * ) , l'article L. 3131-15 du code de la santé publique (CSP) prévoit la compétence exclusive du Premier ministre pour la définition de toute mesure consécutive à la déclaration de l'état d'urgence sanitaire visant à :

- restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules ;

- interdire aux personnes, sous certaines réserves, de sortir de leur domicile ;

- ordonner des mesures ayant pour objet la mise en quarantaine 2 ( * ) des personnes susceptibles d'être affectées ;

- ordonner des mesures de placement et maintien en isolement , à domicile ou dans tout autre lieu d'hébergement adapté, des personnes affectées ;

- ordonner la fermeture provisoire d'une ou plusieurs catégories d'établissements recevant du public (ERP) ainsi que des lieux de réunion ;

- limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique ;

- ordonner la réquisition de tous biens et services nécessaires ainsi que de toute personne nécessaire au fonctionnement de ces services ou à l'usage de ces biens ;

- prendre des mesures de contrôle des prix ;

- prendre toute mesure permettant la mise à disposition de médicaments appropriés ;

- prendre toute mesure limitant la liberté d'entreprendre.

Le présent article 2 du projet de loi vise à préciser le champ de plusieurs de ces prérogatives .

Le réajuste le périmètre de la restriction de la liberté de circulation des personnes et des véhicules, en lui ajoutant « l'accès aux moyens de transport et les conditions de leur usage ». D'après l'avis du Conseil d'État, l'insertion de cette disposition fournira la base légale nécessaire à l'obligation annoncée du port du masque dans les transports en commun.

Le apporte quelques détails à la compétence de fermeture provisoire des ERP et des lieux de réunion, en substituant à cette dernière catégorie celle, à vocation plus large, des « lieux de regroupement de personnes ».

Pour sa part, le reformule de façon plus large le pouvoir de réquisition.

C'est au que sont apportées les modifications les plus substantielles. Il vise à circonscrire la nature et la portée des mesures de mise en quarantaine et de placement et de maintien à l'isolement que le Premier ministre est seul à pouvoir autoriser. Deux précisions cumulatives portées à ces mesures seraient désormais prescrites par la loi :

- une précision géographique : ne pourraient faire l'objet de mesures de mise en quarantaine ou d'isolement que les personnes qui, après avoir séjourné dans une zone de circulation de l'infection, dans un premier cas général , arriveraient sur le territoire national et, dans un second cas particulier , arriveraient ou proviendraient de Corse ou d'une des collectivités ultramarines . En plus de la condition d'extranéité , s'ajouterait une condition de discontinuité territoriale (la République française comprenant un territoire continental et des territoires insulaires) au déclenchement des mesures de quarantaine et d'isolement. Par ailleurs, la liste des zones de circulation de l'infection fera l'objet d'une information publique ;

- une précision substantielle : le décret du Premier ministre ne se limiterait désormais plus à la simple autorisation de mesures de quarantaine et d'isolement mais devrait préciser leur durée , les lieux dans lesquels elles peuvent se dérouler , les conditions dans lesquelles elles permettent la poursuite de la vie familiale, la prise en compte de la situation des mineurs et le suivi médical des personnes concernées et, enfin, les conditions particulières dans lesquelles les déplacements ponctuels leur seraient autorisés . Ces nouvelles mesures figureraient dans le décret après avoir recueilli l'avis du comité de scientifiques nommé après la déclaration de l'état d'urgence sanitaire.

Le opère une coordination.

II - La position de la commission des affaires sociales : la nécessité d'élargir les mesures contraignantes d'isolement prophylactique pour réussir la levée du confinement

Ainsi que l'a relevé le Conseil d'État dans son avis, « avec la levée progressive de la mesure d'interdiction générale faite aux personnes de sortir de leur domicile, la lutte contre l'épidémie reposera principalement sur la responsabilisation citoyenne avec la recommandation faite aux personnes malades de s'isoler ».

De cette option privilégiée par le Gouvernement, qui tient légitimement compte des effets délétères d'un confinement prolongé et de l'importance politique d'emprunter désormais des voies décisionnelles moins coercitives, découle logiquement une restriction importante des cas d'enclenchement de la mise en quarantaine et de l'isolement .

Consciente de la nécessité de privilégier, à des fins d'adhésion, l'incitation à la contrainte dans le suivi sanitaire des patients atteints ou susceptibles d'être atteints du covid-19 et dont l'état ne requiert pas d'hospitalisation, la commission des affaires sociales ne s'en montre pas moins extrêmement sensible aux avertissements formulés par de nombreux professionnels sur le risque d'un rebond des hospitalisations dans le cas où la levée du confinement ne s'accompagnait pas d'un changement réel des comportements sanitaires .

Il paraît en conséquence excessif de définir une limite aussi importante aux restrictions individuelles de liberté d'aller et de venir autorisées par le Premier ministre en cas d'urgence sanitaire. Outre son caractère excessif, on pourrait abusivement déduire de cette limite que l'essentiel des risques à venir liés au covid-10 est désormais circonscrit aux mouvements de population transfrontaliers ou interinsulaires, ce qui n'est pas le cas.

Ainsi, aux yeux de la commission des affaires sociales, la réussite de la levée du confinement reste conditionnée, entre autres, au respect scrupuleux par les personnes atteintes et par les personnes contacts d'un isolement prophylactique , à domicile ou à l'hôtel selon le risque de reconstitution de « clusters ». Restreindre l'isolement prophylactique à une simple recommandation médicale, dénuée de tout effet contraignant, ne prémunira absolument pas le pays contre le surgissement d'une « seconde vague », légitimement redoutée et que notre système hospitalier ne pourrait absorber.

C'est pourquoi elle a adopté, sur proposition du rapporteur pour avis, un amendement COM-168 visant à étoffer les cas d'autorisation par le décret du Premier ministre de mesures individuelles de mise en quarantaine et d'isolement, en y ajoutant celui d' un refus réitéré d'une mesure médicale et individuelle d'isolement prophylactique . Il a semblé à la commission que cette possibilité de mise en quarantaine ou d'isolement était conditionnée par un nombre suffisant de facteurs (caractère réitéré du refus, caractère explicite et individualisée de la prescription médicale d'isolement) pour ne concerner que le public restreint pour lequel elle s'imposerait. La commission a par ailleurs veillé à ce que les précisions substantielles du droit de quarantaine et de l'isolement apportées par le présent article 2 lui soient également applicables.

Sous réserve de l'adoption de ses amendements, la commission a émis un avis favorable à l'adoption de cet article.

Article 3
Précisions apportées à l'application individuelle
des mesures de quarantaine et d'isolement par le préfet

Cet article apporte plusieurs précisions sur l'application individuelle par le préfet de mesures de quarantaine et d'isolement. Outre une précision sur les garanties de communication assurées à la personne concernée, il crée une exception à la compétence du juge administratif au profit du juge des libertés et de la détention dans le cas où la mesure serait privative de liberté.

I - Le dispositif proposé : des garanties supplémentaires entourant la prise de mesures individuelles de quarantaine ou d'isolement par le préfet

L'article L. 3131-17 du code de la santé publique (CSP) traite de la compétence du représentant de l'État territorialement compétent à prendre, à l'échelle de ce territoire, toutes les mesures générales et individuelles d'application des dispositions énoncées par le décret du Premier ministre (article L. 3131-15) et par l'arrêté du ministre chargé de la santé (article L. 3131-16).

A. Les mesures individuelles de quarantaine et isolement : une compétence liée du préfet

Le a) du présent article 3 procède à une coordination.

Le b) du présent article 3, en conséquence des précisions apportées au champ du décret du Premier ministre à l'article 2 du présent projet de loi, vise des objectifs similaires pour la décision individuelle matérialisant la mise en quarantaine ou la mise en l'isolement , dont le texte entend faire une compétence exclusive du préfet 3 ( * ) .

Outre les restrictions apportées par l'article 2 du présent projet de loi, la compétence du préfet en matière d'isolement sera également liée par la « constatation médicale de l'infection de la personne concernée » et par la production d'un « certificat médical ». Le préfet ne pourra donc arrêter de mesure d'isolement d'une personne atteinte de covid-19 que dans les cas géographiques précédemment évoqués et si l'infection de cette dernière a fait l'objet d'un avis médical et de la production d'un document en attestant, ce dernier pouvant être, dans le silence du texte, de source étrangère.

B. Un régime juridique spécifique pour une mesure administrative privative de liberté

La suite du présent article 3 précise les cas où la mesure individuelle de mise en quarantaine ou d'isolement interdit « toute sortie de l'intéressé hors du lieu où la quarantaine et l'isolement se déroulent ».

De nouveau, la compétence du préfet en la matière se trouve liée par les précisions substantielles apportées par l'article 2, qui contraint le décret du Premier ministre à définir les garanties assurées aux personnes pour lesquelles un isolement prophylactique aussi contraint serait nécessaire. Le présent article 3 précise, par ailleurs, que le préfet devra s'assurer que la personne « dispose de moyens de communication téléphonique ou électronique lui permettant de communiquer librement avec l'extérieur » .

Considérant le caractère particulièrement contraignant d'une quarantaine ou d'un isolement sans autorisation de sortie , le présent article 3 a jugé bon de lui attraire, par exception à toute autre mesure prise en application de l'état d'urgence sanitaire relevant logiquement de la compétence du juge administratif, la compétence juridictionnelle du juge des libertés et de la détention (JLD) . Ainsi, la personne faisait l'objet d'une telle mesure peut en contester le bien-fondé devant le JLD, contraint de statuer dans un délai de 72 heures. Ce dernier dispose également de la possibilité de se saisir d'office à tout moment.

Par ailleurs, sauf consentement de l'intéressé et indépendamment de tout recours contentieux, l'intervention du JLD, sur saisine du préfet, est requise à l'issue du quatorzième jour , la durée totale de la mesure ne pouvant excéder un mois .

Le présent article 3 prévoit enfin que les conditions d'application de ce régime juridique spécifique soient précisées par un décret en Conseil d'État.

II - La position de la commission des affaires sociales : un accord de principe assorti d'une précision sur le cadre de transmission des données médicales

La commission des affaires sociales accueille favorablement le présent article 3, dont le dispositif est cohérent avec les précisions apportées par la nouvelle version de l'article 2 issu de ses travaux.

Elle tient toutefois à apporter une précision relative à la transmission au préfet du certificat médical sur la base duquel ce dernier prendra la décision de la mise à l'isolement. Ce circuit particulier d'information ne doit en effet pas être confondu avec la mise en place d'un fichier spécifique aux infections au covid-19, dont traite l'article 6 du présent projet de loi. Il s'agit bel et bien d'un mode de transmission de données médicales qui a vocation à être mobilisé à chaque occurrence d'urgence sanitaire, et non uniquement pour celle que nous traversons. Il a donc paru important de rattacher cette procédure de transmission à celle applicable aux maladies à déclaration obligatoire, qui garantit la stricte confidentialité des données médicales considérées. Sur proposition du rapporteur pour avis, la commission des affaires sociales a adopté un amendement COM-169 en ce sens.

Sous réserve de l'adoption de son amendement, la commission a émis un avis favorable à l'adoption de cet article.

Article additionnel après l'article 3 (nouveau)
Garanties apportées à la personne concernée
par une mise en quarantaine au regard du droit du travail

Cet article, issu d'un amendement adopté par la commission à l'initiative du rapporteur pour avis, entend consolider les garanties juridiques ouvertes à la personne visée par une mesure de quarantaine, notamment au regard de sa situation vis-à-vis de son employeur.

À l'heure actuelle, l'éviction professionnelle d'un salarié pour cause de situation sanitaire exceptionnelle ne se présente en droit que comme l'une des formes que peut prendre l' incapacité de travail résultant d'une maladie . Ainsi, pour pouvoir être indemnisé au titre de son arrêt de travail et pour être assuré de la protection de son contrat de travail, l'employé faisant l'objet d'une mesure de quarantaine doit être effectivement atteint de la pathologie justifiant la mesure.

Or la mesure de quarantaine se distingue précisément de l'isolement en ce qu'elle ne vise que les personnes potentiellement exposées au virus, et non effectivement infectées. La personne contact, qui n'est pas considérée comme atteinte, se trouve donc potentiellement exposée à une insécurité juridique importante au regard de sa situation professionnelle .

Le Gouvernement a déjà, par ordonnance, pris plusieurs mesures visant à apporter certaines garanties au salarié en cas d'isolement prophylactique . Ainsi, l'ordonnance du 25 mars 2020 4 ( * ) prévoit notamment que l'indemnité complémentaire à l'indemnité journalière d'arrêt maladie est versée par l'employeur, sans condition d'ancienneté et y compris pour les salariés appartenant à des catégories qui en sont en principe exclues, aux salariés bénéficiant d'un arrêt maladie en application des dispositions prises sur la base de l'article L. 16-10-1 du CSS, c'est-à-dire aux « assurés qui font l'objet d'une mesure d'isolement, d'éviction ou de maintien à domicile ainsi que ceux qui sont parents d'un enfant de moins de seize ans ou d'enfant en situation de handicap faisant lui-même l'objet d'une telle mesure et qui se trouvent, pour l'un de ces motifs, dans l'impossibilité de continuer à travailler ».

Contraint de tenir compte des règles entourant sa recevabilité financière, l' amendement COM-170 du rapporteur pour avis entend néanmoins combler deux autres lacunes susceptibles de fragiliser la situation professionnelle d'une personne mise en quarantaine et non couvertes par le champ des ordonnances :

- la protection de son contrat de travail par l'interdiction de sa suspension en cas de quarantaine ;

- le maintien de sa participation et de ses intéressements.

La commission propose d'adopter cet article additionnel ainsi rédigé.

Article 6
Fichier de données de santé relatives aux patients atteints
ou susceptibles d'être atteints de covid-19

Cet article définit le cadre juridique nécessaire à l'élaboration de fichiers susceptibles de contenir des données de santé, dont l'alimentation serait dérogatoire au droit commun du secret médical et du recueil du consentement du patient. Son objectif est de permettre la mise en oeuvre d'un suivi réactif et exhaustif des patients atteints ou potentiellement atteints de covid-19, dont la prise en charge ne nécessite pas d'hospitalisation.

I - Plusieurs obstacles à l'efficacité du suivi sanitaire des patients non hospitalisés atteints ou potentiellement du covid-19

A. À l'heure de la levée du confinement, l'impératif d'un suivi sanitaire au long cours des cas probables et des cas contacts

À moins de quinze jours de la levée du confinement, et alors que le nombre de patients atteints de covid-19 nécessitant des soins hospitaliers connaît une diminution progressive depuis le début de la deuxième quinzaine d'avril 2020, tous les efforts des pouvoirs publics doivent être dirigés vers un unique objectif : éviter un rebond du nombre des hospitalisations, qui précipiterait la saturation de ressources hospitalières très fragilisées .

Cet objectif passe, selon l'avis du 20 avril 2020 du conseil scientifique covid-19 5 ( * ) , par un « programme extrêmement ambitieux de contrôle de l'épidémie [qui] doit permettre d'identifier très rapidement et de façon aussi exhaustive que possible les cas probables sur le territoire national afin de les tester et de les isoler s'ils sont positifs ». Les points saillants d'une telle stratégie sont aujourd'hui connus, et ont été érigés en triptyque par le Premier ministre au cours de sa déclaration devant l'Assemblée nationale le 27 avril dernier :

- la protection de la population générale , assurée par son équipement en dispositifs médicaux adaptés, notamment en masques ;

- le test virologique et sérologique massif des personnes à risques et des personnes désignées comme « cas probables » ainsi que leurs contacts, sans attendre le déclenchement des symptômes ;

- l' isolement volontaire des personnes dont les tests virologiques indiquent un résultat positif ainsi que des personnes contacts ou suspectes le temps nécessaire à la potentielle incubation du virus et jusqu'à ce qu'elles-mêmes soient testées.

L'atteinte de ces objectifs, toujours d'après l'avis du conseil scientifique, est subordonnée à deux conditions : l' identification exhaustive des cas probables et de leurs contacts et la mise en place d'une infrastructure étoffée dédiée à leur suivi .

Pour la première condition, le conseil scientifique rappelle dans son avis précité qu'en raison de la transmissibilité élevée et potentiellement asymptomatique du virus, il est nécessaire de susciter un « haut niveau de couverture, de réactivité et d'adhésion des personnes concernées ». L'amorce de cette couverture passe par la déclaration volontaire auprès de tout référent sanitaire (médecin généraliste, laboratoire d'analyse médicale, système numérisé d'aide au diagnostic) de tout cas suspect et, en cas de diagnostic positif, par l'identification la plus précoce possible de ses contacts.

La compilation des cas répertoriés et de leurs contacts nécessite la mobilisation de personnels dédiés, désignés par le conseil scientifique comme des « plateformes professionnalisées territoriales », plus prosaïquement baptisées « brigades sanitaires » par le Premier ministre. Le regroupement et le traitement de données de santé spécifiques par ces équipes dédiées soulèvera alors d'importants « enjeux de protection de l'identité des personnes et de confidentialité des données les concernant ».

Pour la seconde condition, le conseil scientifique ne manque pas de souligner que la vitesse de propagation du virus appelle un effort inédit de recrutement pour le suivi sanitaire des personnes non hospitalisées atteintes ou susceptibles de l'être . Cet effort devra porter bien au-delà des services habituellement chargés du suivi épidémiologique, composés des veilles sanitaires des agences régionales de santé (ARS) et des antennes régionales de l'Agence nationale de santé publique (ANSP), et devra également mobiliser tant les collectivités territoriales que les acteurs paramédicaux, associatifs et plus largement volontaires.

Au cours de son audition le 30 avril 2020 par votre commission des affaires sociales, M. Jean-François Delfraissy, président du conseil scientifique, avait évalué ces besoins entre 15 et 20 000 personnes , et avait rappelé que la Corée du Sud, dont il est admis que la stratégie d'endiguement de l'épidémie doit beaucoup au suivi sanitaire des cas contacts, y avait consacré plus de 18 500 personnes.

Ces objectifs se heurtent actuellement à plusieurs obstacles du droit existant, relatifs au suivi épidémiologique des cas contacts et à la collecte des données de santé, que le conseil scientifique appelle donc à lever.

B. Les limites du droit existant

1. L'écueil de la procédure de signalement : l'absence de données nominatives des cas contacts

La surveillance épidémiologique associée à certaines pathologies spécifiques est actuellement possible dans les cas des maladies dites à « déclaration obligatoire » (MDO) , visées par l'article L. 3113-1 du code de la santé publique (CSP).

Y est décrit le cadre juridique de la transmission des données personnelles de santé relatives aux personnes atteintes de ces maladies. Les médecins et les responsables des services et laboratoires de biologie médicale ont l'obligation de transmettre à l'ARS les « données individuelles » de tout cas, d'une part, de maladie nécessitant une intervention urgente locale, nationale ou internationale et, d'autre part, de maladie dont la surveillance est nécessaire à la conduite et à l'évaluation de la politique de santé publique . Les maladies en question, listées par les articles D. 3113-6 et D. 3113-6-1, sont pour la plupart des maladies transmissibles hautement contagieuses .

Pour la grande majorité d'entre elles, leur déclaration obéit à une procédure de signalement décrite à l'article R. 3113-4, qui contraint le médecin déclarant à indiquer sans délai au médecin de l'ARS l'identité et l'adresse du patient, ainsi que l'urgence d'un plan de prévention individuelle et collective.

A priori adaptée au contexte épidémique que nous traversons actuellement et susceptible de satisfaire le besoin de suivi décrit par le conseil scientifique covid-19, la procédure de signalement souffre en réalité de deux écueils principaux, déjà identifiés par votre commission à l'occasion de l'examen récent d'un texte relatif à la sécurité sanitaire 6 ( * ) :

- la déclaration obligatoire ne vaut que pour une liste limitée de maladies énumérées par décret , ce qui empêche d'y intégrer de façon plus réactive des maladies émergentes et évolutives (à l'instar du covid-19, dont on ne connaît pas encore exactement le degré de mutation) ;

- malgré la mention d'un plan de prévention collective, la procédure de signalement ne prévoit que la transmission de l'identité du patient atteint par la maladie, et non celle des cas contacts potentiellement exposés .

Cette lacune relative à la collecte des données relatives aux personnes contacts a fait l'objet d'une préoccupation particulièrement vive des pouvoirs publics lors la menace de la propagation des maladies à virus Ébola (MVE) . Un avis du Haut Conseil de santé publique (HCSP) avait indiqué, en 2014, la « conduite à tenir concernant l'identification et le suivi des personnes contacts d'un cas possible ou confirmé d'infection par le virus Ébola » 7 ( * ) .

Selon cet avis, le dispositif de suivi des personnes contacts est coordonné par l'Agence nationale de santé publique (ANSP) et réalisé par une cellule de coordination régionale associant la cellule d'intervention régionale (CIRE) de l'ANSP et l'ARS, en lien avec les médecins de ville et les associations de permanence des soins. Cette cellule est placée sous la responsabilité d'un médecin afin de garantir le secret médical .

L'identification des personnes est alors effectuée auprès du cas possible ou confirmé ou de sa famille ou de la personne de confiance . Ces personnes font ensuite l'objet d'un suivi actif, selon des modalités localement définies et qui peuvent comprendre la tenue d'un registre.

Les recommandations du HCSP, reprises par une instruction ministérielle 8 ( * ) , ont ainsi pu organiser la tenue d'un traitement spécifique des données de santé des personnes contacts de personnes potentiellement atteintes de MVE, mais se sont rapidement heurtées aux insuffisances de leur base légale : la tenue d'un registre des données de santé des personnes contacts est, comme pour tout patient, conditionnée au consentement préalable de ces derniers à y figurer .

2. Les principes généraux de la diffusion des données de santé : droit au secret et partage restreint

a) En circonstances normales : une circulation des données de santé extrêmement limitée

L'accès et le partage des données de santé à caractère personnel par les personnes qui en sont les destinataires habituels sont étroitement encadrés par plusieurs dispositions du code de la santé publique (CSP), notamment son article L. 1110-4 . Deux principes fondateurs s'en dégagent, consacrés par la loi du 4 mars 2002 9 ( * ) , assortis de plusieurs exceptions :

- premièrement , le droit de chaque personne prise en charge par un professionnel de santé, un professionnel social ou médico-social, un établissement ou service concourant à la prévention ou aux soins (comprenant les structures sanitaires, sociales et médico-sociales) de voir appliquer le secret aux informations qui la concernent, a fortiori celles relatives à sa santé . L'obligation du secret opposable à l'ensemble des professionnels et établissements dont la personne a à connaître n'a d'exception dans le champ matériel des informations concernées que celles qui sont expressément prévues par la loi : autrement dit, seule une disposition légale peut désigner, par exception, une ou plusieurs informations pour lesquelles la personne ne pourra faire valoir son droit au secret ;

- deuxièmement , en corollaire du premier principe, le droit de chaque personne de consentir expressément à ce que les informations couvertes par le secret la concernant fassent l'objet d'un partage entre plusieurs professionnels de santé, sociaux ou médico-sociaux. Par exception, ce consentement n'est pas requis lorsque les professionnels intervenant auprès de la personne « appartiennent à la même équipe de soins », la communication de l'information étant alors réputée faite à l'égard de l'ensemble de l'équipe : le partage d'informations entre ces professionnels ne peut alors que concerner les informations « strictement nécessaires à la coordination ou à la continuité des soins ou à son suivi médico-social et social ».

À ce titre, l'équipe de soins s'entend de façon stricte , au sens des articles L. 1110-2 et R. 1110-2 du CSP, comme un ensemble de professionnels :

- participant directement au profit d'un même patient à la réalisation d'un acte diagnostique, thérapeutique, de compensation du handicap, de soulagement de la douleur ou de prévention de perte d'autonomie ;

- pouvant comprendre, par principe, des professionnels de santé et, par exception, des non-professionnels de santé par ailleurs travailleurs sociaux ou salariés d'établissements et de services médico-sociaux ou chargés du suivi médico-social de la personne. L'article R. 1110-3 du CSP prévoit par ailleurs qu'au sein d'une même équipe de soins, la transmission d'une information entre un professionnel de santé et un non-professionnel de santé est conditionnée à l'information préalable de la personne concernée.

Ces dispositions dessinent ainsi, en temps normal, un cadre juridique très restreint de la transmission des données personnelles de santé, soumises, sauf exception législative, au secret et dont la circulation, soumise à l'accord de l'intéressé, reste essentiellement limitée aux professionnels de santé.

b) En circonstances exceptionnelles : la possibilité d'un système d'informations dérogatoire limité au suivi hospitalier des victimes

Ce cadre ne connaît pour l'heure qu'un aménagement spécifique aux cas de « situation sanitaire exceptionnelle ou tout événement de nature à impliquer de nombreuses victimes », décrit à l' article L. 3131-9-1 du CSP . En effet, en cas de circonstances exceptionnelles, un système d'identification unique des victimes est mis en place, à des fins de recueillir les informations strictement nécessaires à leur identification et à leur suivi.

Créé à la suite des attentats commis à Paris en novembre 2015 afin d'assister le plus efficacement possible les victimes, ce système d'identification et de suivi des victimes d'attentats et de situations sanitaires exceptionnelles (Sivic) s'inscrit dans un cadre dérogatoire aux principes généraux décrits précédemment - secret opposable aux destinataires des données de santé et consentement préalable de la personne à leur transmission.

Ses modalités d'alimentation sont très strictement définies par les articles R. 3131-10-1 et R. 3131-10-2 du CSP. Les données qui y sont enregistrées sont limitées, pour les personnes prises en charge, à celles permettant leur identification, à leur prise en charge sanitaire et à la recherche des personnes de leur entourage à contacter. Par ailleurs, le renseignement de ce système est réservé aux personnels des établissements de santé où sont accueillies les victimes, ainsi qu'aux personnels des services de premier secours.

L'accès à Sivic est réservé, outre les professionnels de santé chargés de son alimentation, aux agents des agences régionales de santé (ARS), du ministère de la santé et d'autres ministères nommément désignés et habilités.

Les conditions d'établissement et de mise en oeuvre d'un tel système n'ont pas vocation, en circonstances exceptionnelles, à se substituer à celles qui régissent le suivi sanitaire de la personne en temps normal par son équipe de soins, mais à fournir aux pouvoirs publics gestionnaires de la crise un ensemble de données susceptibles de les éclairer dans le pilotage sanitaire de l'épisode .

Quant à la présence de données nominatives (et donc « identifiantes ») dans ce système d'informations, elle a pour seule vocation de permettre le rassemblement dans une base unique, dont l'existence est prolongeable à l'issue de la gestion de crise le temps du suivi des victimes, de l'ensemble des données relatives à ce suivi.

En raison de son caractère temporaire et circonscrit , son interopérabilité avec les données de santé détenues en temps normal par les professionnels de santé n'est nulle part mentionnée.

Par conséquent, et bien qu'il ait été conçu pour une mise en oeuvre dans des circonstances exceptionnelles et pour assurer le suivi hospitalier de victimes de crises, ce défaut d'interopérabilité de Sivic avec les systèmes d'information usuels des professionnels de santé l'empêche de fournir un suivi sanitaire au long cours des victimes de crise .

C. Des perspectives intéressantes en attente de consolidation juridique

1. Le dispositif Covisan mis en oeuvre par l'AP-HP

Avant même que le conseil scientifique covid-19 n'ait publié son avis sur la nécessité d'anticiper le suivi non hospitalier des patients atteints ou potentiellement atteints, l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) a lancé au début du mois d'avril l' initiative Covisan , qui désigne un large partenariat entre hôpitaux, professionnels de santé libéraux et structures hôtelières.

Le dispositif Covisan :
pour un bon isolement prophylactique du patient covid-19

L'objectif de cette initiative, aujourd'hui piloté par quatre hôpitaux franciliens (La Pitié Salpêtrière, Avicenne, Bichat-Claude Bernard, Louis-Mourier) est d'organiser l'isolement prophylactique d'un patient atteint de covid-19, dont la forme ne requiert pas d'hospitalisation.

Une fois le signalement de la maladie effectué dans un service d'urgences, soit par un médecin généraliste partenaire, et si le degré des symptômes le permet, le patient est dirigé vers un binôme composé d'un personnel paramédical et d'un travailleur social afin d'anticiper les conditions de son isolement. Une visite à domicile lui est ensuite proposée afin de sensibiliser son entourage aux paramètres de l'isolement, de lui délivrer des équipements de protection individuelle et de procéder à son dépistage virologique.

Si les conditions d'un isolement prophylactique efficace ne sont pas réunies, il peut être proposé au patient d'être logé dans une chambre d'hôtel, dont le financement sera assuré par l'AP-HP.

Au bout de trois semaines de montée en charge du dispositif, l'hôpital La Pitié-Salpêtrière, principal pilote du dispositif, a indiqué à votre rapporteur pour avis que 239 patients y étaient actuellement suivis au titre de Covisan .

À ce stade, et bien qu'il ait partiellement anticipé les besoins liés à la levée du confinement dont le conseil scientifique s'est fait l'écho, plusieurs acteurs du dispositif Covisan ont fait part de limites qui, pour certaines, sont directement conséquentes des obstacles évoqués plus haut par votre rapporteur pour avis :

- le suivi proposé par Covisan se limite au patient diagnostiqué et aux membres de son foyer. Les équipes chargées de l'accompagnement de son isolement prophylactique ne sont pas outillées pour obtenir les coordonnées de toutes les personnes ayant été en contact avec lui ;

- ces équipes sont insuffisamment étoffées et nécessiteraient le concours de personnels non professionnels de santé qui pourraient endosser le rôle de retraçage des cas contacts mais qui se verraient alors opposer le secret médical.

2. Un plan de « tracing » élaboré par l'assurance maladie

Pour pallier ces manques dans la recherche des cas contacts, la direction générale de la caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) a fait parvenir à l'ensemble des médecins de ville, le 30 avril dernier, un courrier descriptif d'un futur plan de repérage (communément désigné sous le nom de « tracing ») distinguant trois niveaux :

- au premier niveau, le médecin généraliste se voit investi, comme c'est déjà le cas, de la prise en charge de ses patients atteints du covid-19. S'y ajoute néanmoins une mission de recherche active des cas contacts. L'identification et le dépistage des membres du foyer lui incomberont ; il s'efforcera par ailleurs d'identifier les cas contacts extérieurs au foyer, dont le retraçage pourra être déléguée à une plateforme spécialisée (la fameuse « brigade sanitaire » évoquée par le Premier ministre). Le médecin peut également conserver la recherche des cas contacts extérieurs au foyer, et perçoit alors une rémunération forfaitaire située entre 2 et 4 euros par contact ;

- le transfert des informations fournies par le médecin généraliste à la plateforme spécialisée , qui constitue de deuxième niveau, sera conditionné à la réalisation et au résultat positif d'un test virologique. La plateforme, dont la composition exacte n'est pas précisée mais dont on sait qu'elle comprendra des agents des caisses d'assurance maladie et des personnels médicaux extérieurs, sera alors chargée de finaliser la recherche des cas contacts au cas où des informations seraient incomplètes. Elle aura aussi pour mission de prendre contact dans les 24 heures avec chacune des personnes contacts, afin de les inviter à rester confinées à leur domicile, de réaliser un test dans un certain délai au regard de la date du contact avec le patient malade, de leur délivrer directement un arrêt de travail si cela est nécessaire et d'évaluer les éventuels besoins d'accompagnement social de ces personnes au cours de leur période d'isolement. Son rôle est déterminant ;

- un troisième niveau de « tracing » pourra être assuré par les ARS pour la gestion des chaînes de contamination complexe (patients résidents en foyer, en établissement médico-social etc.).

Ce plan ambitieux, qui positionne de nouvelles plateformes au coeur de la collecte de données de santé afin de combler les lacunes actuelles de la procédure de signalement et de l'exclusivité de transmission de ces données aux équipes de soins, doit, pour être opérationnel, être doté d'une base légale spécifique .

II - Le dispositif proposé : définir a minima le cadre préalable à l'élaboration d'un système d'informations ad hoc

Comme le souligne le Conseil d'État dans son avis sur le présent projet de loi, il était nécessaire, bien que la création d'un système d'informations ne relève pas en principe de la compétence du législateur, que figure dans le texte une disposition spécifique dans la mesure où le traitement de données envisagé ne peut être mis en oeuvre sans déroger à la loi , en l'occurrence à l'article L. 1110-4 du CSP relatif à la protection des données de santé par le secret médical.

Le présent article 6, tributaire de cette obligation, se contente donc d'inscrire dans la loi une possibilité de dérogation aux dispositions législatives concernées, limitant ainsi l'intervention du législateur à une sorte d'autorisation préalable à la création d'un système d'informations , et réserve au pouvoir réglementaire l'essentiel des mesures relatives à son contenu et à ses accès.

A. Le cadre d'exercice : une dérogation à l'article L. 1110-4 du CSP

Le I du présent article 6 prévoit la possibilité, aux fins de lutte contre la propagation de l'épidémie de covid-19, de procéder au partage de données relatives aux personnes atteintes par ce virus et aux personnes ayant été en contact avec elles , cette possibilité étant ouverte dans un cadre dérogatoire à l'article L. 1110-4 du CSP .

Cette dérogation spécifique entraîne trois conséquences :

- la levée du secret médical sur les informations considérées et la possibilité ouverte au médecin de les communiquer à des tiers non professionnels de santé ;

- cette communication pourra se faire, « le cas échéant », sans recueil du consentement préalable du patient , ce dernier étant normalement requis lorsque la communication des données excède le périmètre de l'équipe de soins ;

- enfin, la suspension du droit que détient la personne de s'opposer à tout moment à l'échange et au partage de ses données de santé.

Se trouveront ainsi levés les verrous précédemment exposés.

Le présent article 6 ouvre très largement le champ de cette dérogation en spécifiant qu'elle pourra autant permettre la création d'un nouveau système d'informations ad hoc par décret en Conseil d'État que l' adaptation de systèmes d'informations existants 10 ( * ) . Ces derniers sont désignés, sans restriction particulière, comme l'ensemble des fichiers mis en oeuvre par le ministre de la santé, l'Agence nationale de santé publique (ANSP), une caisse d'assurance maladie ou une ARS.

Le I traite par ailleurs de la durée d'exploitation du ou des systèmes d'informations auxquels cette dérogation sera ouverte, qui ne devra pas dépasser une durée strictement nécessaire à la lutte contre la propagation de l'épidémie ou, au plus tard, un an à compter de la publication de la loi. À l'issue de cette période, aucune donnée recueillie et traitée dans le cadre de cette dérogation ne pourra être conservée.

B. Les finalités du système d'informations

Le I du présent article s'étant contenté de définir le cadre juridique d'exercice du fichier covid-19, le II détermine les finalités de son exploitation qui, conformément à l'article 4 de la loi du 6 janvier 1978 11 ( * ) , doivent être « déterminées, explicites et légitimes » 12 ( * ) . Ces dernières, limitativement énumérées, sont au nombre de quatre :

- l' identification des personnes infectées , cette dernière ne pouvant être réalisée qu'à l'issue d'un examen de biologie médicale de dépistage et de la collecte de son résultat ;

- l' identification des personnes présentant un risque d'infection, cette dernière pouvant être réalisée à partir de la collecte d'informations relatives aux contacts des personnes infectées et, le cas échéant, par la réalisation d'enquêtes sanitaires ;

- l' orientation des personnes infectées et des personnes susceptibles de l'être vers des mesures médicales d'isolement prophylactiques ainsi que, plus largement, tout élément constitutif de leur suivi médical et de leur accompagnement ;

- la surveillance épidémiologique nationale et locale ainsi que la recherche sur le virus.

Tirant les conséquences de ces finalités, et bien que le présent article ait renvoyé l'éventuelle création d'un nouveau fichier au pouvoir réglementaire, le II qualifie très légèrement les données qui pourront y figurer , en indiquant qu'elles pourront « notamment comporter des données de santé et d'identification ».

C. Un accès élargi aux données

En complément du I du présent article, qui désigne les gestionnaires éventuels des fichiers mettant en oeuvre la dérogation à l'article L. 1110-4 du CSP, le III livre la liste des personnes qui pourront disposer d'un accès à ces données , dans la stricte mesure où elles participent à la « mise en oeuvre de ces systèmes d'informations ».

Ces personnes, également limitativement énumérées, se composent :

- du service de santé des armées ;

- des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), que l'article L. 1434-12 du CSP désigne comme une structure rassemblant des professionnels de santé et, le cas échéant, des acteurs sociaux et médico-sociaux et concourant ensemble, à l'échelle d'un territoire d'action déterminé, la réalisation du projet régional de santé défini par l'ARS ;

- des établissements de santé ;

- des structures sanitaires de proximité , regroupant centres de santé et maisons de santé ;

- des médecins prenant en charge les personnes concernées (infectées ou susceptibles de l'être) ;

- enfin, des laboratoires autorisés à réaliser les examens de biologie médicale de dépistage .

Au regard des objectifs décrits par le plan de « tracing » annoncé par la direction générale de la CNAM, le III du présent article a vocation à fournir la base légale nécessaire aux fameuses « brigades sanitaires » qui assureront l'essentiel du suivi sanitaire des personnes infectées ou susceptibles de l'être.

À en croire son énumération, et contrairement à ce que préconisait l'avis du 20 avril 2020 du conseil scientifique covid-19 qui appelait à un recrutement fort large de ces brigades, le présent article 6 choisit d'en limiter la composition, outre les personnels des personnes morales gestionnaires du fichier (ministère, Santé publique France, caisses d'assurance maladie et ARS), à des professionnels de santé .

D. Un très large renvoi au décret en Conseil d'État

Le IV du présent article renvoie les modalités d'application du présent article au décret en Conseil d'État évoqué au I en cas de création d'un nouveau fichier covid-19. Conformément aux prescriptions du règlement général de protection des données (RGPD), ce décret en Conseil d'État, désigné par l'article comme le véritable acte instrumentant tout nouveau « fichier covid-19 » 13 ( * ) , sera pris après avis de la commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) .

Dans les matières visées par ce décret sont explicitement prévues par la loi :

- la désignation des services et personnels, au sein des autorités gestionnaires et des personnes titulaires d'un droit d'accès, qui pourront effectivement intervenir sur les données contenues ;

- la désignation d'organismes extérieurs auxquels ils pourront faire appel, pour leur compte et sous leur responsabilité, cette externalisation n'étant ouverte que pour le cas restreint où l'identification des personnes contacts le nécessiterait .

E. Une habilitation à légiférer par ordonnance

Enfin, le V du présent article prévoit l' habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnances , dans un délai de trois mois après la promulgation du présent projet de loi, toute mesure relevant du domaine de la loi ayant pour objet de préciser ou de compléter l'organisation et les conditions de mise en oeuvre des systèmes d'informations dont le cadre et les finalités ont été définis aux I et II . Le dépôt du projet de loi de ratification est prévu dans un délai de deux mois suivant la publication de l'ordonnance.

III - La position de la commission des affaires sociales : un accompagnement raisonné des fichiers destinés au suivi sanitaire des patients covid-19

A. La levée du secret médical : une mesure proportionnée aux circonstances exceptionnelles à condition d'être mieux calibrée

1. La restriction du périmètre des données concernées

Compte tenu de la nécessité absolue, dès la levée du confinement, d'éviter toute nouvelle vague d'hospitalisations susceptible de mettre à mal les capacités hospitalières du pays, votre commission des affaires sociales accueille favorablement l'initiative du Gouvernement de mise en place d'un fichier spécifique au suivi sanitaire des patients infectés ou contacts et considère que l'objectif d'intérêt général justifie pleinement la levée du secret médical entourant les données de santé ainsi que du consentement préalable du patient à leur transmission .

Cet assentiment ne vaut néanmoins que dans la mesure où les données de santé concernées par ces dérogations se limitent à celles strictement nécessaires au suivi sanitaire des patients atteints de covid-19. Ainsi que l'a rappelé la CNIL à votre rapporteur pour avis, toute création ou adaptation de fichier doit effectivement obéir à un principe de « minimisation des données » , énoncé à l'article 5 du RGPD, qui prévoit que la collecte de ces données doit être limitée à ce qui est nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées.

Malgré ces assurances, votre commission ne peut que se prévaloir du précédent malheureux du système d'informations Sivic , évoqué ci-dessus, dont l'insuffisante qualification du périmètre par la loi et son décret d'application a été à l'origine de plusieurs entorses à ce principe de minimisation. En effet, bien que l'article L. 3131-9-1 du CSP précise bien que Sivic ne doive comporter que des « informations strictement nécessaires à l'identification des victimes et à leur suivi, notamment pour la prise en charge de leurs frais de santé », les modalités opérationnelles de remplissage de ce fichier, insuffisamment balisées, ont pu permettre le renseignement d'informations strictement médicales qui n'avaient pas vocation à y figurer.

Ces dérives ont justifié que le conseil national de l'ordre des médecins saisisse la CNIL, le 19 avril 2019, de l'utilisation faite de Sivic dans le cadre de manifestations particulières. Aucune publication de la CNIL n'a pour l'heure suivi cette saisine.

Ainsi, votre commission estime nécessaire que les données de santé contenues dans ce nouveau fichier, très vaguement qualifiées par le présent article, soient précisées et limitées aux données relatives au statut virologique du patient ainsi qu'à certains éléments probants du diagnostic clinique, à l'exclusion de toute donnée relative, par exemple, aux comorbidités . Sur proposition du rapporteur pour avis, elle a adopté un amendement COM-171 en ce sens.

2. L'élargissement des personnes titulaires d'un accès

A contrario , la restriction suffisante des données de santé intégrées dans un fichier de suivi covid-19 les revêt d'une protection suffisante pour autoriser le législateur à élargir l'accès de ces données à tout acteur susceptible de participer efficacement au « tracing » de ces patients.

Bien que votre commission se satisfasse de la rédaction du présent article, qui limite la composition des futures « brigades sanitaires » aux personnels des gestionnaires de fichiers ainsi qu'à des professionnels de santé, elle estime indispensable que ces accès soient également ouverts aux établissements sociaux et médico-sociaux , au nombre desquels figurent notamment les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et les établissements accompagnant les personnes handicapées. Elle a également souhaité, à des fins d'exhaustivité, y ajouter les équipes de soins primaires qui, aux côtés des maisons de santé et des centres de santé, totalisent les formes de structures collectives chargées de prodiguer des soins de premier ou de second recours.

Sur proposition de votre rapporteur pour avis, elle a adopté un amendement COM-173 visant ces modifications. Elle y a par ailleurs précisé que l'accès des « brigades sanitaires » aux données de santé contenues dans les fichiers dédiés sera strictement limité aux finalités définies au II du présent article.

B. Des finalités d'identification à préciser

1. Le cas des personnes infectées : une entrée dans le dispositif soumise à des conditions trop restrictives

Votre rapporteur pour avis souhaite insister sur les risques d'insuffisance présentés par les solutions de dépistage fondées sur des examens de biologie médicale , qui sont les seules retenues pour permettre l'identification des personnes infectées au sein du fichier et le lancement de la procédure de « tracing ».

En effet , la fiabilité du test virologique peut être remise en cause selon le stade de propagation du virus, l'absence de ce dernier dans les prélèvements nasopharyngés ne préjugeant pas de son absence au niveau pulmonaire, même chez des patients peu ou pas symptomatiques (ce qui peut engendrer des « faux-négatifs »). Les scanners pulmonaires donnent, en cas de doute, un indice de l'infection plus fiable.

La proportion de ces faux-négatifs au dépistage virologique a été évaluée par certains professionnels autour de 30 % , ce qui est considérable. Un autre écueil de ce recours exclusif au dépistage virologique réside dans ses délais : déroulé sur plusieurs jours (consultation, prescription d'un test, prélèvement, analyse, rendu de l'analyse au médecin avant d'inclure le patient et d'envisager de remonter vers les contacts pour les dépister et éventuellement les isoler), ce processus expose le « tracing » au risque de retards dans une prise en charge dont l'efficacité dépend principalement de sa précocité.

Les responsables du dispositif Covisan auditionnés ont fait valoir que certains éléments d'un diagnostic clinique de cas (notamment la perte du goût et de l'odorat) avaient une valeur probatoire plus certaine et plus rapide qu'un dépistage virologique de biologie médicale . C'est pourquoi votre commission, sur proposition de votre rapporteur pour avis, a adopté un amendement COM-172 prévoyant que l'identification des personnes infectées au sein du fichier pourrait également se fonder sur des éléments probants de diagnostic clinique .

2. Le cas des personnes contacts : la question délicate de la constitution d'un fichier de données de santé à l'insu de la personne concernée

Il a paru important à votre commission de relever que les modalités d'alimentation du fichier envisagé diffèrent fondamentalement selon que les données personnelles sont recueillies à l'issue d'une démarche volontaire de la personne ou bien à l'issue de sa désignation comme personne contact . Bien que le cadre d'exercice ait juridiquement, dans les deux cas, suspendu l'obligation préalable de recueil du consentement du patient au partage de ses données de santé, les libertés de ce dernier paraissent mieux garanties dans le premier cas, où l'identification est le fruit d'une démarche autonome, que dans le second, où elle est la conséquence d'une désignation par un tiers .

On doit à cet égard rappeler que, malgré la suspension du droit d'opposition au traitement de ses données de santé, le présent article 6 ne porte aucune atteinte au droit d'information et au droit d'accès , du reste garantis par les articles 14 et 15 du RGPD, dont continuera de disposer la personne.

Les droits d'une personne
dont les données ont été collectées auprès d'un tiers

Les dispositions conjointes des articles 14 et 15 du RGPD détaillent les garanties assurées à la personne dont les données n'ont pas directement été collectées d'elle. L'article 14 lui attribue un droit d'information sur la mise en oeuvre d'un traitement de ses données, directement opposable au responsable de traitement, qui comprend notamment l' identification de la source d'où proviennent ces données .

L'article 15 décrit quant à lui le droit d'accès de la personne à ses données et, le cas échéant, le droit de demander une rectification de ces dernières.

Bien que votre commission se montrera particulièrement attentive à ce que les droits d'information, d'accès et de demande de rectification soient assurés aux personnes contacts, elle tient à avertir le Gouvernement sur les risques (notamment désincitatifs) que ferait courir pour l'efficacité du dispositif la possibilité pour la personne contact d'être informée de l'identité de la personne l'ayant désignée . Il paraît nécessaire de maintenir à cet égard l'option d'anonymat de la personne à l'origine de la désignation, sauf accord explicite de sa part.

Le plan de « tracing » communiqué par l'assurance maladie fait explicitement mention de cette disposition, en prévoyant que « l'identité de la personne malade ne sera révélée à la personne contact que si son consentement a été recueilli par le médecin au moment de l'enregistrement des données initiales ». Votre commission se réjouit de cette précaution, mais formule tout de même une alerte quant à sa compatibilité avec le RGPD, dont les termes en la matière ne permettent aucune exception (f) du 2 de l'article 14).

Sous réserve de l'adoption de ses amendements, la commission a émis un avis favorable à l'adoption de cet article.


* 1 Loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19.

* 2 Le Règlement sanitaire international de 2005 définit la mise en quarantaine comme la « restriction des activités et/ou la mise à l'écart des personnes suspectes qui ne sont pas malades ».

* 3 En matière d'urgence sanitaire, le préfet n'est pas le seul agent de l'État habilité à prendre des mesures individuelles, le ministre chargé de la santé l'étant également au titre de l'article L. 3131-16 du CSP, d'où la nécessité d'expliciter l'exclusivité de la compétence.

* 4 Ordonnance n° 2020-322 du 25 mars 2020 adaptant temporairement les conditions et modalités d'attribution de l'indemnité complémentaire prévue à l'article L. 1226-1 du code du travail et modifiant, à titre exceptionnel, les dates limites et les modalités de versement des sommes versées au titre de l'intéressement et de la participation.

* 5 Avis n° 6 du conseil scientifique covid-19 du 20 avril 2020, « Sortie progressive de confinement - prérequis et mesures phares ».

* 6 Proposition de loi n° 180 (2019-2020) relative à la sécurité sanitaire, déposée par M. Michel Amiel.

* 7 HCSP, avis du 24 octobre 2014.

* 8 Instruction DGOS/DIR/PF2/DGS/DUS/BOP/2014/306 du 7 novembre 2014 relative aux actions à conduire au sein de chaque établissement de santé (hors établissement de santé de référence habilité) dans le cadre de la préparation à l'accueil inopiné d'un patient cas suspect de maladie à virus Ébola.

* 9 Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

* 10 Votre rapporteur pour avis relève, à cet égard, une ambiguïté du texte dont il estime qu'elle pourra être éclaircie par la commission saisie au fond : le renvoi aux précisions réglementaires ne semble valoir que pour le cas de création d'un nouveau fichier et non pour celui d'une adaptation de fichiers existants, que les seules dispositions du I et du II pourraient suffire à couvrir.

* 11 Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

* 12 Votre rapporteur pour avis note cependant que l'explicitation de ces finalités, pour obligatoire qu'elle est, n'est pas une compétence obligatoire du législateur et que le choix de les faire figurer dans la loi relève d'un arbitrage en opportunité, dont on ne peut pour le cas présent que se féliciter.

* 13 En cohérence avec l'ambiguïté précédemment relevée par votre rapporteur pour avis, cette intervention du décret en Conseil d'État (et l'avis de la CNIL qui l'accompagne) ne semble pas explicitement obligatoire pour une simple adaptation des systèmes d'informations existants.

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