TRAVAUX DE LA COMMISSION
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I. AUDITION DE MME MURIEL
PÉNICAUD,
MINISTRE DU TRAVAIL
M. Alain Milon , président . - Je suis heureux d'accueillir cet après-midi Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail, pour la présentation des crédits de la mission « Travail et emploi » dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020. Je rappelle que ces crédits seront examinés par notre commission sur le rapport pour avis de notre collègue Michel Forissier et qu'ils seront examinés en séance publique dans l'après-midi du lundi 2 décembre.
Les crédits de la mission « Travail et emploi » représentent 12,6 milliards d'euros et traduisent, après la réforme du marché du travail et de la formation professionnelle conduite par le Gouvernement, les orientations données à la politique de l'emploi : baisse des contrats aidés, diminution des exonérations ciblées, investissement dans les compétences, mais maintien de dispositifs d'aides directes comme les « territoires zéro chômeur » ou les emplois francs. Cette audition nous donnera l'occasion de faire le point sur les politiques de l'emploi, mais aussi sur la réforme de l'assurance chômage que notre commission suit avec attention.
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail . - Je suis ravie de vous retrouver pour répondre à vos questions sur la mission « Travail et emploi ». Je rappellerai tout d'abord en quelques mots la philosophie générale de notre action que porte ce budget.
Comme vous le savez, au cours des deux dernières années, nous avons posé les fondations d'une nouvelle politique de l'emploi fondée sur les compétences et la liberté donnée aux acteurs, au travers notamment des ordonnances révisant le code du travail, la réforme de l'apprentissage et de la formation, le plan d'investissement dans les compétences (PIC) et la réforme de l'assurance chômage.
La clé de voûte de notre politique est l'émancipation par le travail et la formation. L'année 2020 sera l'année de l'approfondissement de la mise en oeuvre opérationnelle de la transformation de la politique de l'emploi et de la montée en charge des dispositifs issus de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
C'est dans cet esprit de transformation, en multipliant les déplacements sur le terrain et en favorisant le dialogue avec les acteurs, que j'ai construit le budget de l'emploi et de la formation professionnelle. En 2020, le budget global de la mission « Travail et emploi » s'élève à 13,7 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 13 milliards d'euros en crédit de paiement (CP).
Il progresse par rapport à 2019, avec une stabilisation des AE et une progression de 210 millions d'euros des CP, marquant la volonté du Gouvernement de poursuivre les efforts de transformation et de les voir s'inscrire de façon concrète dans la vie de nos concitoyens.
Nous donnons la priorité à l'inclusion dans l'emploi. L'insertion par l'activité économique (IAE) constitue le premier volet de cette politique. Au moment où la croissance repart et que le chômage recule, il est primordial que les personnes les plus vulnérables soient replacées au coeur des politiques d'inclusion en cohérence avec l'objectif d'émancipation porté par la Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté. Cette stratégie trouve son aboutissement dans le Pacte d'ambition pour l'insertion par l'activité économique. Il est le fruit d'une concertation de plus de six mois avec les représentants du secteur et a été présenté au Président de la République le 10 septembre dernier, à Bonneuil-sur-Marne. Ainsi, le budget pour 2020 prévoit une augmentation historique du financement des aides au poste dans les structures de l'insertion par l'activité économique : 83 000 équivalents temps plein (ETP) seront financés dans le cadre du Fonds d'inclusion dans l'emploi, soit environ 7 000 ETP de plus que dans la loi de finances initiale pour 2019. Notre objectif est que 15 000 à 20 000 personnes de plus puissent accéder à l'insertion par l'activité économique dès 2020, car elle donne de très bons résultats avec un taux d'insertion de plus de 60 %. Pour cela, le budget est augmenté de 120 millions d'euros, dépassant pour la première fois la barre symbolique du milliard d'euros. À l'horizon de 2022, nous espérons que 100 000 personnes auront bénéficié de ce dispositif.
Le deuxième volet repose sur le développement des entreprises adaptées. En cette semaine pour l'emploi des personnes handicapées, permettez-moi de rappeler l'engagement fort du Gouvernement en faveur de l'inclusion dans l'emploi des personnes handicapées. J'ai d'ailleurs installé lundi, avec mes collègues Sophie Cluzel et Olivier Dussopt, le comité de suivi et d'évaluation de la réforme de la politique d'emploi des personnes handicapées. Le projet de loi de finances réaffirme l'engagement du Gouvernement en faveur des entreprises adaptées qui jouent un rôle essentiel pour l'insertion des personnes handicapées les plus éloignées de l'emploi, comme j'ai pu le constater à plusieurs reprises, sur le terrain, à l'invitation du président de l'Union nationale des entreprises adaptées (UNEA), Cyril Gayssot, tant, le 26 avril, dans l'Entreprise FMS, à Saint-Geours-de-Maremne dans les Landes, que le 10 octobre dernier, lors du lancement à Pau, de l'Inclusive tour. J'ai aussi pu mesurer à nouveau, à ces occasions, la nécessité d'une transformation et les attentes du secteur. C'est précisément le sens de l'engagement national « Cap vers l'entreprise inclusive 2018-2022 », que nous avions signé avec Sophie Cluzel, le 12 juillet 2018, avec l'UNEA, l'APF France Handicap et l'Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (Unapei). Son ambition, sans précédent, est de changer d'échelle et de doubler, d'ici à 2022, le nombre de personnes en situation de handicap en emploi grâce aux entreprises adaptées, soit de passer de 40 000 à 80 000 personnes.
L'appui financier de l'État à la transformation des entreprises adaptées se poursuit donc, en 2020, avec un budget de 403 millions d'euros, en augmentation de 7 millions par rapport à 2019. Au total, nous voulons, grâce à ce budget et à la contribution de l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (l'Agefiph), que 6 000 à 10 000 personnes supplémentaires accèdent aux entreprises adaptées dès 2020. Parallèlement, le PIC crée un système d'incitation à la formation des travailleurs handicapés - 8 % des formations leur sont réservées - pendant la durée de leur CDD tremplin ou contrat de mission.
Ces efforts sont complétés par 100 000 nouveaux parcours emploi compétences (PEC), qui remplacent les contrats aidés. Dès l'été 2017, le Gouvernement a décidé, en effet, de recentrer les contrats aidés afin d'en faire de véritables outils d'insertion durable dans l'emploi, avec un accent mis sur la qualité de la formation plutôt que sur la quantité. Les premiers résultats sont là : le taux d'insertion dans l'emploi durable à l'issue d'un contrat aidé a progressé de cinq points entre fin 2017 et fin 2018. L'effort de transformation de ces contrats s'est poursuivi, avec le déploiement des PEC qui renforcent davantage encore les engagements des employeurs, ainsi que la formation et l'accompagnement des salariés pendant la durée des contrats.
L'expérimentation des emplois francs, lancée le 1 er avril 2018, se poursuit et sera généralisée, début 2020, à l'ensemble des quartiers relevant de la politique de la ville (QPV). L'enjeu est de lutter contre les discriminations à l'embauche dont sont victimes les habitants de ces quartiers. Le budget prévoit une enveloppe de 233,6 millions d'euros en AE et 80 millions d'euros en CP pour financer ce dispositif. Nous visons 40 000 personnes en contrat fin 2020.
L'expérimentation « Territoire zéro chômeur de longue durée » bénéficiera d'un budget de 28,5 millions d'euros, en progression de 6 millions par rapport à l'an dernier. J'ai rencontré Laurent Grandguillaume, président de l'association « Territoires zéro chômeur de longue durée », Michel de Virville et Louis Gallois. Nous avons eu un échange très constructif. Nous partageons la conviction qu'il s'agit d'un dispositif innovant, qu'il faut soutenir et développer. Lundi prochain, l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), d'une part, et le comité scientifique d'autre part, nous remettront chacun un rapport d'évaluation à mi-parcours sur la base desquels nous engagerons une discussion avec les acteurs pour améliorer l'expérimentation, la prolonger et la développer. Cette évaluation, qui, d'après la loi, n'aurait dû être réalisée que l'année prochaine, a été anticipée à la demande des acteurs.
J'en viens aux acteurs de l'accompagnement. Opérateurs essentiels de l'accompagnement et de l'insertion des jeunes, les missions locales bénéficieront d'une inscription de crédits à hauteur de 371,94 millions d'euros en 2020, soit une hausse de 21 millions d'euros par rapport à l'an dernier. Ces financements assurent la mise en oeuvre de la stratégie pluriannuelle de performance des missions locales. Ils sont désormais globalisés en gestion et couvrent à la fois la convention pluriannuelle d'objectifs et l'accompagnement des jeunes qui bénéficient de la Garantie jeunes.
Cette globalisation des crédits introduit plus de souplesse et favorise une approche décloisonnée des dispositifs. Le montant prévu en 2020 intègre aussi le financement de la mise en oeuvre de l'obligation de formation, instaurée par la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance. Je rencontrerai d'ailleurs vendredi prochain, à Metz, les responsables de la mission locale, qui m'est chère, et les jeunes bénéficiaires des actions de la mission.
S'agissant de la subvention pour charges de service public versée à Pôle emploi, le budget prévoit un montant de 1 235,9 millions d'euros, soit une baisse de 136,8 millions d'euros par rapport à l'an dernier. Cependant, cette baisse est plus que compensée par l'augmentation de la contribution de l'Unédic, qui progresse sous l'effet conjugué du dynamisme de la masse salariale et du passage de 10 % à 11 % des contributions d'assurance chômage qui lui sont affectées. Pôle emploi disposera de 622 millions d'euros de ressources supplémentaires en 2020. Celles-ci lui permettront de mettre en oeuvre les évolutions issues de la loi du 5 septembre 2018 et surtout de transformer ses modalités d'accompagnement, conformément à la convention tripartite entre l'État, l'Unédic et Pôle emploi, signée à l'issue d'une large concertation avec les partenaires sociaux.
S'agissant des maisons de l'emploi, nous avons échangé avec le réseau Alliance Villes Emploi, présidé par Nathalie Delattre, sur la nécessité de poursuivre l'effort de transformation du réseau. Aussi, comme je l'avais indiqué dès mon audition par la commission des affaires sociales à l'Assemblée nationale, j'ai donné un avis favorable à un amendement autorisant un financement à hauteur de 5 millions d'euros pour 2020, soit au même niveau qu'en 2019. Il permettra d'accompagner l'évolution des maisons de l'emploi, en leur donnant une meilleure visibilité et une capacité accrue pour candidater à des appels à projets dans le cadre du PIC pour développer des projets innovants.
Nous poursuivrons aussi la montée en puissance du PIC, avec un nouvel engagement de près de 3 milliards d'euros, financé, à parts égales, par des crédits budgétaires et par la contribution des entreprises, via France compétences. L'année 2020 doit ainsi constituer l'année du plein déploiement des actions.
Les crédits seront mobilisés dans quatre directions. Tout d'abord pour mettre en oeuvre des parcours de formation qui seront déployés dans le cadre des pactes régionaux sur la période 2019-2022, 1,7 milliard d'euros sont ainsi provisionnés pour la seule année 2020.
Il s'agit aussi de consolider les mesures d'accompagnement des jeunes du Parcours contractualisé d'accompagnement vers l'autonomie et l'emploi (Pacea) et d'atteindre l'objectif de 100 000 jeunes bénéficiant de la Garantie jeunes. Ces mesures représenteront environ 575 millions d'euros en 2020. Le PIC permettra également de renforcer les capacités d'accueil dans les écoles de la deuxième chance (E2C) et les établissements pour l'insertion dans l'emploi (Epide).
Les crédits permettront également de repérer les invisibles, les jeunes sans emploi ni formation, qui ne sont pas suivis par le service public de l'emploi, pour mieux les accompagner et les former : près de 60 millions d'euros seront investis en 2020 pour financer la mise en place d'actions de repérage de ces jeunes décrocheurs dans le cadre d'un appel à projets « Repérage ».
Enfin, il s'agit de promouvoir les expérimentations portant des approches innovantes sur des problématiques ciblées, telles que la remobilisation et le retour à l'emploi dans les QPV par l'appel à projets « 100 % inclusion » ou la préparation à l'apprentissage. L'expérimentation du parcours intégré d'insertion « hébergement, orientation et parcours vers l'emploi » (HOPE) se poursuivra au profit de 1 500 réfugiés bénéficiaires d'une protection internationale, avec un taux d'embauche de 90 %.
La mise en oeuvre de la réforme de la formation professionnelle et de l'apprentissage se poursuivra en 2020. L'année 2019 aura été une année de profonde transition, avec la mise en place de France Compétences ou encore la création de onze nouveaux opérateurs de compétences (OPCO), à la place des 20 organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) préexistants, avec des missions recentrées sur le développement de l'apprentissage et l'appui aux TPE. L'année dernière a aussi vu le déploiement du nouveau compte personnel de formation, « Mon Compte Formation », qui trouvera son aboutissement demain, avec le lancement d'une application mobile dédiée. Cette application sera un élément clé du mouvement de transformation de la formation professionnelle que nous avons initié, donnant accès à 26 millions d'actifs à leurs droits et au choix de leur formation.
Les crédits du programme 111 augmentent sensiblement pour pouvoir financer l'organisation des élections syndicales visant à déterminer l'audience syndicale dans les petites entreprises.
Au-delà, mon ministère poursuit ses efforts dans le cadre de l'objectif gouvernemental global de réduction des effectifs. En 2020, la baisse sera de 226 emplois soit un taux d'effort de 2,6 %, identique à celui de 2019.
Cet effort s'inscrit plus largement dans le cadre de la réorganisation des services territoriaux de l'État initiée cette année par le Premier ministre. Un nouveau service public de l'insertion, sous l'autorité des préfets, regroupera l'ensemble des compétences contribuant à l'accompagnement, de l'hébergement d'urgence à l'insertion par l'activité économique jusqu'à l'emploi.
Enfin, le ministère relèvera le défi du numérique par le biais de la modernisation des systèmes d'information du ministère et surtout le lancement du code du travail numérique au 1 er janvier 2020.
Un mot pour conclure sur les articles rattachés. La réforme de l'aide à la création ou à la reprise d'une entreprise (Acre) s'inscrit dans la même volonté de recentrer les crédits vers les personnes les plus éloignées de l'emploi. L'Acre est une exonération totale de cotisations de sécurité sociale, hors CSG et CRDS, pour la première année d'activité. Initialement réservée aux demandeurs d'emploi qui créent leur activité, elle bénéficie, depuis le 1 er janvier dernier, à tous les créateurs d'entreprise, quelle que soit leur situation, y compris pour la création d'une micro-entreprise. Le projet de loi de finances prévoit un ajustement du dispositif pour réduire les effets d'aubaine identifiés, et ainsi maîtriser le montant de l'exonération de début d'activité, recentrer le mécanisme sur le public initialement visé, c'est-à-dire les créateurs et repreneurs d'entreprise donnant lieu à une activité économique nouvelle, et enfin rétablir l'équité entre les travailleurs indépendants, en alignant le niveau d'exonération pour les micro-entrepreneurs sur celui des travailleurs indépendants. L'exonération sera également limitée à un an pour tout le monde. Ces deux mesures sont prévues par un décret qui entrera en vigueur au 1 er janvier 2020. Le PLF réserve par ailleurs l'exonération pour les micro-entrepreneurs aux chômeurs créateurs d'entreprises à compter de 2020 afin de cibler l'aide sur les publics les plus éloignés de l'emploi. Les crédits prévus pour financer cette mesure s'élèvent à 743 millions d'euros, soit une progression conséquente de 216 millions d'euros par rapport à l'an passé, malgré la réforme.
Ensuite, comme vous le savez, nous avons décidé de stabiliser les exonérations de charges pour les services à la personne pour les personnes de 70 ans et plus, quel que soit leur niveau de revenu, que ces personnes soient dépendantes ou non. Pour financer cette stabilisation, nous avons recherché des économies de l'ordre de 120 millions d'euros. En effet, la suppression envisagée de ces exonérations entraînait un coût pour la sécurité sociale à hauteur du report sur les allègements généraux de charges sociales estimé à 125 millions d'euros, ramenant l'économie à 198 millions d'euros. Après prise en compte du crédit d'impôt, qui aurait été plus élevé puisque les bénéficiaires de l'exonération auraient payé plus cher la prestation après suppression de l'exonération et auraient donc bénéficié d'un crédit d'impôt supérieur, l'économie pour l'ensemble des administrations publiques était estimée à 101 millions d'euros au titre de 2020. À compter de 2021, l'économie nette totale toutes administrations publiques confondues et après prise en compte de l'effet sur le crédit d'impôt, était estimée à environ 120 millions d'euros par an.
Ce sont ainsi 120 millions d'euros d'économies qui ont été recherchées sur le budget de la mission « Travail emploi », et que nous pouvons intégrer sur le PIC, en raison de son caractère pluriannuel. Le léger retard pris sur certains projets permet de décaler le lancement de certaines formations du dernier trimestre 2020 au premier trimestre 2021, permettant ainsi de réaliser les économies, sans pénaliser les demandeurs d'emploi. C'est le sens des amendements déposés par le Gouvernement et votés par l'Assemblée nationale le 6 novembre dernier.
En conclusion, ce budget porte deux grandes ambitions : intensifier l'effort d'inclusion et d'émancipation par l'emploi, d'une part, et stimuler la création d'emplois, grâce à la réforme de l'alternance et de la formation professionnelle, d'autre part.
- Présidence de M. René-Paul Savary, vice-président -
M. René-Paul Savary , président. - Vous l'aurez compris, nous sommes très attentifs à la question des exonérations à cause de ses effets sur le projet de loi de finances de sécurité sociale, de même qu'aux mesures visant les cotisations retraite des micro-entrepreneurs.
M. Michel Forissier , rapporteur pour avis . - Le budget de la mission « Travail et emploi » avait connu une baisse très importante l'an dernier, mais cette baisse résultait largement d'effets de périmètre et de mesures décidées au cours des exercices précédents. En 2020, le budget serait stable, et progresserait même légèrement, dans un contexte où le chômage reste élevé. Je note d'ailleurs que les derniers chiffres de l'Insee font apparaître une légère hausse du taux de chômage.
J'approuve globalement la philosophie qui vous a conduit à resserrer le recours aux contrats aidés et à promouvoir les structures d'insertion par l'activité économique et la formation des demandeurs d'emploi. Je m'interroge toutefois sur votre insistance, qui pourrait passer pour de l'obstination, à essayer de faire décoller les emplois francs. Vous ne cessez d'élargir le dispositif pour tenter d'atteindre les cibles que vous vous fixez, au risque de créer des effets d'aubaine. Or, il me semble que les décisions d'embauche des entreprises dépendent essentiellement de leurs besoins et des compétences qu'elles trouvent, et non d'une aide temporaire de quelques milliers d'euros. N'est-il donc pas temps d'arrêter les frais, et d'admettre que les emplois francs, même s'ils sont une idée du président de la République, sont un échec ?
L'année dernière, vous avez largement ouvert les vannes de l'Acre. Vous constatez cette année que son coût explose. N'était-ce pas prévisible ? Vous souhaitez resserrer le dispositif, mais cela vous conduit à retirer le bénéfice de cette aide au-delà de la première année à des entrepreneurs qui comptaient dessus. N'est-ce pas contraire au principe d'espérance légitime ?
Comme l'année dernière, le projet de loi de finances ne prévoyait pas de crédit en faveur des maisons de l'emploi. Comme l'année dernière, l'Assemblée nationale a prévu une enveloppe de 5 millions d'euros. Il me semble que cette enveloppe est insuffisante. Seriez-vous disposée à accepter un amendement qui la porterait à 10 millions d'euros ?
Ma dernière question porte sur un article qui n'est pas rattaché à la mission, mais qui intéresse la commission des affaires sociales. L'article 51 met en oeuvre la taxation des CDD d'usage annoncée dans le cadre de la réforme de l'assurance chômage. L'Assemblée nationale a adopté un amendement aux termes duquel seuls les secteurs qui n'ont pas conclu un accord visant à lutter contre les contrats courts seront concernés. Avez-vous étudié les conséquences financières de cet amendement ? Un nombre important de secteurs font valoir que les contrats à durée déterminée d'usage (CDDU), sont nécessaires en raison de la nature de leur activité. Êtes-vous prête à épargner certains secteurs de cette taxation, comme c'est d'ailleurs le cas pour le système de bonus-malus ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre . - Je tiens à rappeler, tout d'abord, que le taux de chômage a baissé de 0,5 % et 150 000 demandeurs d'emploi ont retrouvé un travail depuis un an, qui s'ajoutent aux 300 000 personnes qui en avaient déjà retrouvé un depuis le début du quinquennat.
Les emplois francs ont mis du temps à décoller, mais durant le précédent quinquennat, seuls 300 contrats ont été signés au total, même si le dispositif était un peu différent. Le dispositif est maintenant bien lancé : entre 15 000 et 18 000 contrats devraient avoir été signés avant la fin de l'année. Le décollage a été lent, car l'expérimentation était initialement limitée à certains quartiers et nous avons eu du mal à faire connaître le dispositif, tant aux entreprises qu'aux personnes visées. L'élargissement à des départements entiers lui a donné un nouveau souffle. Dans un monde idéal, un tel mécanisme ne devrait pas exister, je vous l'accorde, car on ne devrait recruter qu'en se fondant sur la compétence, mais la réalité est qu'à qualification ou expérience égales, les personnes des quartiers prioritaires de la ville ont 2,5 fois moins de chances d'être embauchées. Il est un peu étrange de devoir intéresser financièrement les entreprises, mais si cela permet de casser des stéréotypes et de faciliter l'accès à l'emploi, pourquoi pas ! D'ailleurs, les retours sur les premières cohortes montrent un taux de 80 % de CDI ; une fois passée la barrière de l'embauche, la carrière se poursuit avec succès. J'espère qu'un jour les discriminations auront cessé et qu'un tel dispositif n'aura plus de raisons d'être.
En ce qui concerne l'Acre, nous avions expérimenté le passage à trois ans : on a constaté des effets d'aubaine et des effets de distorsion importants, relevés par les artisans, car des salariés devenaient micro-entrepreneurs pour baisser le coût du travail. Donc nous avons réduit l'aide à la première année d'installation, où les coûts sont les plus importants, pour soutenir vraiment le démarrage, et on a aligné les régimes des micro-entrepreneurs et des indépendants pour supprimer les formes de concurrence déloyale, comme celles observées dans le bâtiment.
Les maisons de l'emploi doivent évoluer, elles avaient été créées à une époque où le service public de l'emploi et Pôle emploi n'existaient pas. Elles offrent une palette de services différents d'un lieu à l'autre, ce qui est très bien, car elles répondent à des initiatives locales. Leur diversité constitue leur richesse et je ne crois pas qu'il faille faire un jardin à la française en la matière. Mais le réseau reconnaît que des évolutions sont nécessaires pour mieux s'insérer dans tous les dispositifs. Le montant de 5 millions d'euros paraît adapté à cet égard. De plus, nouveauté, des maisons de l'emploi ont remporté des appels d'offres dans le cadre du PIC, ce qui leur fournira des ressources supplémentaires.
Les CDD d'usage ont été créés pour des secteurs où l'activité est très fluctuante, difficile à prévoir, mais il y a eu une dérive. Alors que le décret ne vise que treize secteurs, ils sont plus du double à y recourir. De plus, ces CDD sont devenus une solution de facilité pour certaines entreprises qui se dispensent de mener une vraie gestion de ressources humaines, si vous me permettez de rappeler un épisode de ma vie professionnelle, préférant recruter des personnes dans le cadre de CDD d'usage, sans prime de précarité ni priorité à l'embauche et sans délai de carence. Certaines entreprises embauchent pendant 100 jours, voire davantage, la même personne en CDD d'une journée ou de plusieurs demi-journées ! Il y a des abus manifestes. C'est pour cela que nous avons décidé d'instaurer une taxe de 10 euros par contrat. Cela n'aura guère d'incidence pour un contrat de six mois, mais cela sera dissuasif pour ceux qui embauchent la même personne en multipliant les contrats à la journée. Il est vrai que cette mesure peut soulever des difficultés dans certains secteurs, comme le transport. C'est pourquoi l'amendement adopté à l'Assemblée nationale prévoit que les secteurs qui auront négocié un accord paritaire, comme l'ont fait les déménageurs, pour éviter les abus, en garantissant un minimum d'heures ou en prévoyant une proposition de CDI si la durée de travail s'allonge, seront exonérés de la taxe. C'est donc un encouragement à la négociation collective, en alliant sécurité et flexibilité.
M. Philippe Mouiller . - Je veux tout d'abord saluer l'effort en faveur des entreprises adaptées. Mais certaines rencontrent des difficultés de trésorerie à cause du décalage dans le temps du versement des aides. Je voulais aussi vous faire part d'une difficulté dans l'application de la réforme de l'obligation d'emploi de travailleurs handicapés (OETH), notamment concernant les personnes lourdement handicapées. Un certain nombre d'entreprises ont mis en place des contrats de travail prévoyant le télétravail à domicile pour profiter de la bonification en cas d'embauche d'une personne handicapée. La suppression de la bonification met en péril de nombreux emplois, car les entreprises préfèrent travailler différemment. Il s'agit de publics déjà très défavorisés qui avaient pu bénéficier parfois de 5 heures ou 10 heures de travail par semaine et qui risquent de perdre leur emploi.
En ce qui concerne la réforme de l'assurance chômage, avez-vous pu évaluer le nombre des personnes qui, n'ayant plus droit à indemnité, quitteront le champ de l'assurance chômage et glisseront vers les dispositifs relevant de la solidarité nationale ? L'impact de cette réforme n'est pas chiffré dans la mission « Solidarité, insertion et égalité ».
Le budget consacré à la prime d'activité augmente. Comment appréciez-vous l'efficacité de ce dispositif ?
Je suis membre du conseil d'administration du Fonds d'expérimentation contre le chômage de longue durée présidé par Louis Gallois. Nous attendons avec impatience votre analyse, après lecture des rapports d'évaluation de l'expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée ». Le Président de la République avait annoncé une extension de l'expérimentation à 40 nouveaux territoires. Avez-vous anticipé cette extension sur le plan budgétaire ?
Mme Frédérique Puissat . - Lorsque nous avons commencé l'examen du projet de loi de finances la convention tripartite entre l'État, l'Unédic et Pôle emploi n'avait pas encore été signée. Pourriez-vous nous donner des précisions sur son contenu et les indicateurs retenus ? Vous annoncez une progression de 1 000 emplois, sur trois ans, à Pôle emploi, mais la loi de finances initiale pour 2019 prévoyait une suppression de 400 emplois. Quel sera donc le nombre d'emplois créés ? Ces emplois auront un coût et ce n'est pas la subvention pour charges de service public, qui baisse de 136 millions d'euros, qui permettra de l'assurer... L'Unédic sera donc mise à contribution. Cette dépendance accrue à l'égard des ressources de l'assurance chômage ne risque-t-elle pas de fragiliser Pôle emploi : en cas de retournement de conjoncture, l'organisme devra accompagner plus de demandeurs d'emploi tandis que ces moyens diminueront du fait de la chute des ressources de l'Unédic. Je crains un effet ciseaux.
J'en viens à la gouvernance des organisations syndicales. L'année 2020 sera marquée par la préparation du nouveau cycle de mesures concernant la représentation des organisations syndicales et patronales. Nous avons été saisis de demandes visant à modifier les règles de la représentation patronale. Envisagez-vous des évolutions à cet égard ?
Chacun a constaté les dérives auxquelles donnait lieu le CDD d'usage. Ne faudrait-il pas remettre à plat ce dispositif ? La taxe de 10 euros peut sembler anecdotique pour certains contrats. Vous avez accepté un amendement à l'Assemblée nationale. Certains syndicats trouvent qu'il manque de précision. Accepteriez-vous qu'on le retravaille au Sénat, notamment pour éviter le risque d'applications très différentes d'un territoire à l'autre ?
Mme Nadine Grelet-Certenais . - Votre priorité est l'inclusion dans l'emploi et l'insertion par l'activité économique. Les statistiques du chômage sont à prendre avec beaucoup de précautions à cause de la hausse des emplois précaires, liée aux politiques de flexibilisation de l'emploi. Je rappelle, par exemple, que la part des CDD de moins d'un mois s'est établie, en 2017, à 83 %.
Parallèlement, on note une baisse constante des effectifs du ministère du travail et une baisse des moyens alloués à l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), qui avait su pourtant combiner quantité et qualité en matière de formations, avec un taux d'entrée en emploi supérieur à la moyenne des organismes de formation.
Je suis attachée à l'expérimentation « Territoire zéro chômeur », qui a suscité énormément d'espoirs dans nos territoires et notamment les territoires ruraux. Les acteurs que j'ai rencontrés, lors d'un déplacement dans la Nièvre, par exemple, ou ailleurs, m'ont témoigné que l'expérience avait un effet positif sur les territoires et aboutissait à la création d'emplois locaux. Le projet de loi de finances prévoit une enveloppe de 6 millions, c'est sans doute insuffisant au regard des attentes. Ces crédits sont fléchés principalement vers l'association gestionnaire du fonds d'expérimentation. Le taux de prise en charge par l'État a baissé, ce qui compromet l'équilibre fragile de certaines expérimentations en cours. Le nombre d'expérimentations devait être multiplié par dix. Le Gouvernement entend-il étendre l'expérimentation à d'autres territoires ? Que puis-je répondre à tous ceux qui, dans la Sarthe notamment, attendent avec fébrilité vos annonces ?
Mme Catherine Fournier . - Mes questions porteront sur l'enveloppe qui sera affectée aux régions pour l'apprentissage, la formation et l'orientation. La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a permis aux régions de contribuer, pour des besoins d'aménagement du territoire, au financement de certains centres de formation des apprentis, à la fois en termes de fonctionnement et d'investissement. Lors du congrès des régions de France, le Premier ministre a confirmé trois enveloppes : la première, destinée à la compensation du transfert de la compétence apprentissage, était de 220 millions d'euros, alors que le Gouvernement avait promis 280 millions initialement ; nous voulons la porter à 230 millions ; une deuxième enveloppe, dotée de 138 millions d'euros, très importante, contribue à financer le passage des coûts préfectoraux aux coûts au contrat ; et, enfin, une enveloppe de 180 millions d'euros pour les investissements. Il n'appartiendrait plus à l'État de répartir les enveloppes, mais à France compétences. Après le rapport de la mission d'inspection, l'engagement avait été pris que le fonctionnement relèverait de contrats de trois ans et l'investissement de contrats de cinq ans. Cet engagement de l'État sera-t-il tenu par France compétences ?
Ensuite quand les régions connaîtront-elles leurs compensations financières pour mettre en place leurs nouvelles compétences en matière d'orientation ? La région Hauts-de-France ne connaît pas encore le montant exact des participations, surtout pour l'investissement, et nous sommes en train de préparer le budget ? Quand aurons-nous cette information ? Enfin, avec qui les régions pourront-elles discuter des montants qui leur seront alloués ?
Mme Corinne Féret . - Un amendement adopté à l'Assemblée nationale octroie 5 millions d'euros aux maisons de l'emploi, puisque le texte initial ne prévoyait aucun crédit. Cela reste toutefois insuffisant, au regard du rôle essentiel des maisons de l'emploi en matière de gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences. Nous déposerons un amendement pour doubler ce montant.
Vous avez insisté sur le rôle des maisons de l'emploi, essentielles dans nos territoires.
Le plan d'investissement dans les compétences reprend certains dispositifs existants, comme la Garantie jeunes, mais ses crédits sont en forte diminution, à 120 millions d'euros. C'est un mauvais signal. Je pensais que la formation des chômeurs était une des priorités du Gouvernement...
Il y a certes une hausse des effectifs à Pôle emploi. C'est grâce à l'Unédic, dont la contribution augmente d'un point. Il y aura un renforcement de l'accompagnement des entreprises. C'est nécessaire. Encore faut-il que cet accompagnement ne soit pas uniquement centré sur les publics les plus éloignés de l'emploi. Avec la réforme de l'assurance chômage, nombre de personnes seront en grande difficulté, ce qui mériterait un accompagnement renforcé.
Le Calvados est concerné par le dispositif « Territoires zéro chômeur de longue durée ». À Colombelles, l'intérêt de ce dispositif pour les chômeurs éloignés de l'emploi se manifeste chaque jour. Quid pour la centaine de territoires qui sont prêts et attendent de s'inscrire dans ce dispositif ? Le montant envisagé dans le PLF semble insuffisant pour répondre à ces attentes.
Je relaie enfin une demande des organisations syndicales, qui concerne la suppression d'un certain nombre de commissions et d'instances consultatives et délibératives dans l'annexe du PLF. Je pense au Haut Conseil du dialogue social et à la Commission des accords de retraite et de prévoyance (Comarep). Supprimer ces instances de consultation et de délibération ne va pas dans le sens d'un développement du dialogue social avec les organisations syndicales, alors que sont organisées des élections dans les TPE. Il faut revenir sur cette suppression pour permettre aux représentants des salariés d'exercer leur mission.
Mme Muriel Pénicaud, ministre . - Plusieurs questions concernent Pôle emploi. La convention tripartite est désormais signée, et nous pouvons vous communiquer les indicateurs qui ont été choisis.
Oui, nous avions prévu une trajectoire de baisse des effectifs de Pôle Emploi, pour contribuer à la baisse générale des effectifs dans le secteur public. Pour 2020, 400 emplois devaient être supprimés et 4 000 sur cinq ans. Nous avons changé d'avis sur ce sujet, car nous sommes convaincus que l'un des leviers de la réforme est un accompagnement renforcé.
Au fond, la réforme de l'assurance chômage repose sur trois piliers.
D'abord, la responsabilisation des employeurs, pour éviter un recours excessif aux contrats courts. C'est le bonus-malus et le CDDU.
Deuxième pilier, il faut rendre l'indemnisation du chômage juste - tout euro gagné doit donner droit à la même indemnisation - et incitative au retour à l'emploi, pour corriger certaines situations.
Enfin, tous les pays qui ont réussi à faire baisser le chômage de façon durable ont un accompagnement beaucoup plus proactif et rapide des demandeurs d'emploi. On le comprend bien : au bout de quatre, six ou huit mois, on se décourage, le CV n'a pas tout à fait la même allure, et le retour à l'emploi est d'autant plus difficile qu'il est tardif. Nous avons donc prévu d'augmenter les effectifs, pour un accompagnement beaucoup plus précoce. Actuellement, il y a en moyenne un rendez-vous de 45 minutes dans les deux premiers mois pour un nouveau demandeur d'emploi. Et encore, on y parle d'indemnisation ! Nous aurons désormais deux demi-journées de véritable coaching individuel et collectif. Donc, au lieu de moins 400, ce sera plus 1 000.
Et nous offrons trois accompagnements de nature nouvelle, qui améliorent et transforment l'offre de Pôle emploi.
Pour tous les nouveaux demandeurs d'emploi, il y aura ces deux demi-journées, dont on m'a dit à Nice, dans l'une des agences pilotes, que cela changeait tout et avait des effets très positifs.
Deuxièmement, toute entreprise qui, au bout de trente jours, n'aura pas eu de réponse à son offre d'emploi, sera contactée par Pôle Emploi, soit pour l'aider à reformuler son offre, parce qu'elle ne correspond pas au marché ou n'est pas attractive, soit pour remobiliser des moyens afin de trouver des ressources qui correspondent aux besoins de l'entreprise.
Troisièmement, une offre particulière sera mise en place pour ceux qui alternent les contrats très courts - intérim ou CDD très courts - et qui, de fait, ne bénéficient guère de l'accompagnement de Pôle emploi, car il faut pour cela être disponible en journée. Nous prévoyons pour ces personnes un accompagnement en soirée et en week-end.
Nous augmentons donc les effectifs, à un moment où l'emploi repart, mais où 300 000 ou 400 000 emplois ne sont pas pourvus, faute de trouver les compétences ou les bonnes personnes.
D'autre part, le financement de Pôle emploi augmente fortement. Grâce à la baisse du chômage et à l'augmentation des cotisations, nous enregistrons une hausse de plus 622 millions d'euros. Nous sommes dans une phase dynamique. S'il y a une crise dans dix ans, il faudra s'adapter. Actuellement, la priorité est l'accompagnement et le désendettement : la réforme de l'assurance-chômage a pour objectifs premiers d'accroître l'emploi et de réduire la précarité, mais n'oublions pas que l'assurance chômage est endettée à hauteur de 35 milliards d'euros... Si l'on ne commence pas à la désendetter quand cela va mieux, nous n'aurions pas de capacité de rebond en cas de crise.
Mme Frédérique Puissat . - Y a-t-il une hausse de 1 000 emplois, ou de 600 ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre . - Il y aura 1 000 personnes physiques de plus à Pôle emploi. La numérisation fait aussi gagner beaucoup d'emplois administratifs. Au lieu de les supprimer, nous les transformons en emplois de conseil des entreprises. La capacité d'action supplémentaire dépasse donc les 1 000 personnes.
On entend tout un discours sur le risque qu'un nombre important de demandeurs d'emploi aillent vers les minima sociaux au lieu de l'assurance chômage. Nous créons pourtant des droits nouveaux pour les démissionnaires, c'est-à-dire les salariés qui ont travaillé cinq ans au moins, et veulent se reconvertir. Deuxièmement, nous créons un nouveau droit pour les indépendants. Actuellement, un agriculteur, un artisan ou un petit commerçant qui fait faillite n'a rien ! Avec la réforme de l'assurance chômage, depuis le 1er novembre, il touche pendant six mois une aide, certes modeste, puisqu'il n'y a pas de cotisation supplémentaire. Pour les demandeurs d'emploi qui gagnaient plus de 4 500 euros brut par mois, nous baissons les indemnités de 30 % au bout de six mois. Ils seront toujours à l'assurance chômage pendant deux ans, à un niveau élevé - l'un des plus hauts d'Europe, et pendant la plus longue durée. Mais le taux de chômage des cadres est aujourd'hui de 2,8 %, il n'y en a plus que chez les seniors, qui sont protégés dans la réforme.
Il faudra de nouveau, comme il y a dix ans, avoir travaillé six mois dans les deux dernières années pour entrer à l'assurance chômage au lieu de quatre mois. Mais les personnes qui ont déjà quatre mois de contrat ne sont pas les plus vulnérables. On revient, en somme, aux règles d'avant la crise, telles que les avaient définies les partenaires sociaux. C'est, aussi, un des systèmes les plus protecteurs d'Europe. Vu l'offre d'emplois actuelle, très peu de personnes seront en difficulté : beaucoup pourront trouver le mois de plus qu'il leur faut. Ce matin, par exemple, il y a 705 963 offres d'emplois disponibles à Pôle emploi. Ce n'est donc pas une précarisation.
Enfin, en avril seront adoptées des règles pour ceux qui alternent les contrats très courts et l'assurance chômage. Le but sera - et c'est une règle de bon sens - qu'on ne puisse jamais gagner plus à l'assurance chômage que la moyenne de ce qu'on a gagné en étant salarié. Cela ne concerne qu'un demandeur d'emploi sur cinq. Leur capital de droits ne diminue pas, puisqu'ils seront indemnisés plus longtemps.
Il faut donc être précis, car il y a un vrai halo, mais si l'on regarde la réalité de la réforme, on a une vision différente.
Il a été convenu que certains secteurs puissent être exonérés de CDDU, s'il y a un accord conventionnel. Il ne faut pas tout écrire dans la loi, afin de trouver le bon équilibre entre le conventionnel et le législatif sur ce sujet. L'amendement qui a été adopté à l'Assemblée nationale fixe deux critères : une durée minimale du CDDU - un tiers des CDD en France couvrent moins d'une journée - et, au-delà d'une certaine durée, l'employeur sera tenu de proposer un CDI. La durée sera définie conventionnellement. Le but est de responsabiliser les partenaires sociaux. Et il y aura un avantage significatif pour les salariés, tout en correspondant à la réalité du terrain. J'ai tendance à faire confiance aux acteurs de la négociation sociale.
Sur la trésorerie des entreprises adaptées, je n'ai pas été alertée.
Sur l'OETH, nous n'avons pas fini le travail d'explication. La réforme responsabilise davantage les employeurs. Il y a toujours autant de sous-traitance, mais les entreprises sont responsabilisées sur les signatures de contrats à l'intérieur de l'entreprise. Beaucoup de chefs d'entreprises ne savaient pas qu'ils n'embauchaient aucun handicapé et pensaient qu'ils étaient en règle. Lorsque c'est entièrement sous-traité, ce n'est pas la société inclusive. Et entièrement à l'intérieur, quasiment aucune entreprise ne le fait. Il y a un équilibre à trouver, et un travail d'explication à conduire.
La loi d'urgence que vous avez votée le 24 décembre dernier a révélé l'existence de la prime d'activité à beaucoup de gens, ce qui a amélioré le pouvoir d'achat de beaucoup de travailleurs modestes. La forte augmentation de la prime d'activité résulte donc de deux effets : un effet de recours au droit des personnes qui avaient droit et ne le savaient pas, et un effet d'augmentation du pouvoir d'achat des travailleurs les plus modestes. Il faut tenir le coût du travail : on ne peut pas augmenter de 10 % les salaires les plus bas sans mettre en péril l'emploi. Et en même temps, il y a la question du pouvoir d'achat. La France a un système mixte, avec une économie de marché, mais régulée par un accompagnement social. Une prime d'activité, de retour à l'emploi, vaut toujours beaucoup mieux qu'une logique d'assistance, même si cette dernière est toujours nécessaire par défaut, car la prime d'activité relie le social et l'économique.
Sur le programme « Territoires zéro chômeur de longue durée », je suis allée sur le terrain, à Pipriac. La loi de 2016 limite l'expérimentation à cinq ans et à dix sites. Il y a beaucoup de demandes pour de nouveaux sites : il faut changer la loi ! Une loi pour élargir l'expérimentation ne peut se faire que si nous avons un diagnostic partagé sur la réussite du dispositif. L'essentiel du financement de ce programme repose sur le budget de mon ministère - à 90 %. Or nous parlons de 17 000 euros par ETP, auxquels s'ajoutent 5 000 euros pour contribuer à la structure. Un coût de 22 000 euros par ETP représente un investissement social important de la Nation.
Avec l'association, nous voulions d'abord un diagnostic partagé. Nous aurons le rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) et de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), et celui du comité scientifique indépendant, ainsi que l'auto-évaluation de l'association. Sur ces bases, nous verrons ce qui doit être amélioré, ce qui est précieux, ce qu'il faut amplifier. Le but est de proposer une feuille de route commune. En particulier, l'activation des dépenses passives fonctionne-t-elle ? La mobilisation territoriale, elle, fonctionne très bien, notamment dans les zones rurales. Quel est le taux de réinsertion dans l'emploi ordinaire ? Il y a donc des questions. Il faut aussi être sûr que nous ne faisons pas de concurrence aux artisans et aux TPE. Il n'y a que 811 salariés concernés, en tout. Nous avions prévu un budget pour 1 000 salariés. Je ne suis pas sûr que nous les trouvions. La loi avait prévu d'aller jusqu'à 1 700 ETP. Nous prévoyons 1 750 dès 2020.
Nous ne supprimons rien, madame Féret, nous fusionnons plusieurs instances, qui se recoupaient largement dans leur objet. Le Haut Conseil du dialogue social existait parallèlement à la Commission nationale de la négociation collective, de l'emploi et de la formation professionnelle. Souvent, les mêmes personnes y siégeaient - en tout cas, les mêmes organisations. Nous les fusionnons, mais leurs missions seront reprises intégralement.
L'apprentissage est un sujet qui me tient à coeur. Le Premier ministre a annoncé aux régions que trois enveloppes, pour un total de plus de 500 millions d'euros, seraient transférées chaque année aux régions.
D'abord, une enveloppe de 180 millions d'euros, au titre de l'investissement. C'est ce qui existait déjà. Comme les régions ont également la compétence des investissements dans les lycées, il nous a paru important que ce soit le même décideur public qui soit aux commandes.
Une deuxième enveloppe de 138 millions d'euros sera déléguée aux régions. Le coût au contrat, qui est le nouveau système de financement, est plus favorable de 8 % à ce que faisaient les régions. Certains réseaux, qui étaient inquiets de la réforme, ont même demandé qu'on l'anticipe, tant elle est favorable ! Le résultat est une hausse de 8,4 % du nombre d'apprentis au premier semestre. Tous les CFA bénéficient de la réforme et peuvent se développer sans contrainte. Dans certains départements, la hausse atteint 50 %... En zone rurale, il peut y avoir de petits CFA utiles à maintenir parce que le prochain CFA est à 50 ou 100 kilomètres. L'enveloppe de 138 millions d'euros a été conçue à partir d'une analyse complète de tous les comptes d'exploitation de tous les CFA en France.
Enfin, 200 millions d'euros seront versés au titre de la compensation des régions qui n'utilisaient pas toute la taxe d'apprentissage pour l'apprentissage, mais pour un autre objet, comme prévu par la loi de décentralisation. Nous avons proposé que ce soit l'Assemblée des régions de France qui propose une clé de répartition. Nous attendons ses propositions.
Ces enveloppes figureront dans la discussion du budget chaque année. Ce que fait France compétences, c'est uniquement la discussion détaillée de la répartition de l'enveloppe. À son conseil d'administration siègent l'État, les régions et les partenaires sociaux.
Mme Michelle Meunier . - Le 12 novembre dernier, un contrôle policier visant des livreurs à vélo a été effectué à Nantes en coordination avec la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) et la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal). Des procédures pour travail illégal ont été engagées pour six sous-traitants de comptes, sur les huit livreurs contrôlés.
Qu'est-il prévu dans le PLF pour 2020 comme mesures de sanction et de protection des livreurs compte tenu des engagements de la France contre la traite des êtres humains ?
Par ailleurs, nous célébrons aujourd'hui le trentième anniversaire de la signature par la France de la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE). Madame la ministre, je vous avais interpellée en octobre 2018 sur le cas des enfants utilisés dans des vidéos à portée publicitaire sur internet. Vous m'aviez dit que vous demanderiez une expertise à vos services sur ce sujet.
En l'absence de réponse de M. le secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique, je vous sollicite de nouveau sur ce point. Serait-il possible selon vous d'intégrer au code du travail un moyen de régulation du travail numérique pour les enfants ?
M. Yves Daudigny . - Madame la ministre, vous avez souligné l'augmentation du nombre de créations d'emplois, dont nous nous félicitons. Pourriez-vous nous fournir une photographie de la durée moyenne de ces emplois et du niveau de rémunération moyen associé pour le premier semestre de 2019 ?
Faut-il considérer par ailleurs que le Smic, et plus largement le niveau des salaires, ont atteint un plafond qui risquerait s'il était dépassé de mettre en danger la compétitivité de nos entreprises ? En effet, dans le public comme dans le privé, les compléments de pouvoir d'achat se font sous forme de primes. Et le terme de « niveau de salaire » comme le Smic semble avoir disparu du débat public.
Mme Victoire Jasmin . - Madame la ministre, tenez-vous compte dans vos chiffres des besoins des territoires d'outre-mer (TOM) où les filières ne sont pas organisées en branches professionnelles ?
Par ailleurs, plusieurs dispositifs ont été mis en place par les gouvernements successifs en faveur de l'emploi des personnes en situation de handicap. Mais leur niveau d'embauche n'est pas satisfaisant. Il faudrait mobiliser des moyens pour y remédier, en particulier dans les services de l'État.
Enfin, j'ai eu l'agréable surprise d'être invitée récemment à une réunion de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) de Guadeloupe consacrée notamment aux emplois francs. Les chefs d'entreprise présents ont demandé pourquoi la généralisation de ces derniers ne concernerait que les quartiers prioritaires de la politique de la ville, alors que nos territoires sont marqués par un taux de chômage important. Je souhaiterais donc savoir s'il serait possible de revoir les critères de généralisation des emplois francs.
M. Guillaume Arnell . - Les créations d'entreprises innovantes sont de plus en plus nombreuses dans les TOM, les jeunes ultramarins ayant compris qu'ils ne pourraient pas tous être salariés. Les mesures d'exonération prévues au titre de l'Acre s'adressent-elles à l'ensemble des territoires, TOM compris ?
Les jeunes créateurs d'entreprise d'outre-mer sont confrontés à de nombreuses difficultés pour concrétiser leurs projets, notamment les créateurs de start-up. Ainsi, ceux d'entre eux qui sont susceptibles d'être éligibles au réseau Initiative France se voient refuser l'accès à ce réseau localement pour des raisons de domiciliation, et au niveau hexagonal, car leur projet concerne principalement un territoire ultramarin. Or ces aides sont nécessaires pour permettre aux jeunes créateurs d'entreprise de se lancer avant de pouvoir émarger à BpiFrance.
Il faudrait donc encourager davantage les créations d'entreprises dans les territoires ultramarins, car les opportunités y sont nombreuses.
M. Martin Lévrier . - Madame la ministre, dans le cadre du pacte d'ambition pour l'IAE, vous avez annoncé la création, par le biais d'une start-up d'État, d'un « portail de l'inclusion ». Quels seront les services ou fonctionnalités proposés dans cette plate-forme ? Quand ce portail sera-t-il opérationnel ?
Je souhaiterais également connaître la différence entre le contrat de professionnalisation « inclusion » et le contrat de professionnalisation simple.
Par ailleurs, dans le cadre du PIC, vous avez mentionné le repérage des invisibles. Certains invisibles sont des élèves qui ont quitté le radar de l'Éducation nationale avant seize ans et que personne ne connaît. Envisagez-vous de travailler avec l'Éducation nationale pour créer des fichiers qui permettraient d'anticiper leur repérage ou est-il illusoire de le penser ?
Les CFA interbranches étaient très inquiets de la réforme de l'apprentissage. Comment s'en sont-ils sortis ? De même, les branches qui ne fonctionnaient pas ou très peu ont-elles réussi à se réformer ?
Je relaie enfin une question de Mme Patricia Schillinger : « Madame la ministre, pouvez-vous nous détailler les mesures envisagées au titre du PLF pour 2020 par la mission « Travail et emploi » pour accompagner vers et dans l'emploi les personnes en situation de handicap afin d'amplifier les efforts déjà entrepris sous le Gouvernement avec la réforme de de 2019 de l'OETH et celle des entreprises adaptées ? »
Mme Monique Lubin . - Madame la ministre, la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel prévoyait le lancement d'une expérimentation visant à rendre possible la création d'entreprises d'insertion par le travail indépendant.
Quoique militante de l'IAE à titre personnel, je m'interroge sur les conséquences potentielles d'un tel système, à l'heure où de nombreuses personnes, notamment des jeunes, se laissent séduire par le miroir aux alouettes du travail indépendant et par son apparente liberté et subissent presque une forme d'esclavage moderne de la part d'entreprises de livraison ou d'autres sociétés du même type.
Favoriser la création d'entreprises d'insertion par le travail indépendant revient à inciter, par le biais de l'insertion, les personnes les plus démunies à se tourner vers cette forme de travail, ce qui ne me semble pas sans danger. Cette expérimentation a-t-elle démarré et quels en sont les résultats ? Est-il prévu de pérenniser ce système dans la loi ?
Par ailleurs, je me suis laissé dire que les crédits destinés aux associations d'insertion diminuaient. Qu'en est-il en réalité dans le PLF pour 2020 ?
Mme Cathy Apourceau-Poly . - Madame la ministre, nous pensons évidemment que le budget n'est pas à la hauteur des besoins. Plusieurs coupes claires ont en effet été réalisées : baisse des crédits de Pôle emploi, abandon de la subvention accordée aux maisons de l'emploi en 2020, réduction drastique des emplois aidés - un coup dur pour les associations -, etc. La réforme de l'assurance chômage entraînera en outre une économie d'environ 4,5 milliards d'euros d'ici à 2022, sur le dos des chômeurs.
Par ailleurs, sont prévues également s'agissant de l'administration du travail la suppression de 256 postes dans les ministères et dans les Direccte en 2019 et la suppression de 734 postes sur trois ans.
Madame la ministre, vous avez annoncé la création de 1 000 postes supplémentaires pour Pôle emploi. En réalité, il s'agit de 950 emplois à temps plein en 2020, après les diminutions successives de 2018 (297 postes) et de 2019 (400 postes). Pouvez-vous nous donner plus de précisions sur la mise en oeuvre de ce dispositif de recréation d'emplois ? Quelle sera la nature de ces emplois, des CDI ou des CDD ? Quelles missions seront-elles confiées aux agents concernés ?
L'Inspection du travail traverse une crise depuis plusieurs années. Vous annoncez la diminution annuelle de 2,5 % de ses effectifs jusqu'en 2022, alors que 2 000 départs à la retraite sont attendus cette même année. Quels moyens comptez-vous apporter pour répondre aux besoins des contrôleurs et inspecteurs du travail qui se retrouveront en sous-effectif ?
Enfin, vous devez présenter un projet de loi visant à assouplir le recours au travail après 21 heures dans les commerces alimentaires. Il serait désormais possible de travailler jusqu'à minuit sans que les heures effectuées par les salariés soient considérées comme du travail de nuit.
Actuellement, le travail de nuit après 21 heures fait l'objet de règles protectrices dans le code du travail. Cette situation concerne beaucoup de femmes, dont la vie de famille risquerait de se trouver bouleversée si elles devaient travailler jusqu'à minuit. Pensez-vous vraiment qu'il est nécessaire de porter un tel projet ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre . - Le budget pour 2020 ne comporte pas de mesures relatives aux travailleurs de plates-formes. En revanche, la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel en comporte certaines.
Plus de 90 % de ces travailleurs veulent conserver un statut de travailleurs indépendants. Mais cela ne signifie pas qu'ils ne veulent pas de protection. Je mets la nuance !
Le projet de loi d'orientation des mobilités (LOM) porté par Mme la ministre de la transition écologique et solidaire comporte une partie relative à l'amélioration de la protection de ces travailleurs. La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel contient pour sa part des dispositions relatives au droit à la formation. En effet, de nombreux travailleurs de plates-formes ont eu peu d'autres opportunités professionnelles et sont souvent peu diplômés. De plus, ils ne veulent pas forcément rester travailleurs de plates-formes toute leur vie. Dans le cadre du compte personnel de formation (CPF), directement accessible à l'ensemble des salariés à partir d'un smartphone dès le 22 novembre, ils disposeront de 500 euros par an, comme tous les travailleurs, ainsi que de 500 euros supplémentaires fournis à notre demande par les plates-formes, soit 1 000 euros par an de financement possible pour des formations.
Ces travailleurs bénéficient déjà de l'assurance accident du travail, payée par les plates-formes. En ce qui concerne l'assurance chômage, ils font partie des auto-entrepreneurs ou indépendants dont je disais plus haut qu'ils pourraient bénéficier d'une protection minimale.
Le fait de mettre en place dans la loi des possibilités de chartes définissant des sujets comme le droit à la déconnexion ou le droit de refuser des courses me semble également important. Nous ne sommes pas au bout de ce sujet.
Nous devons aussi le traiter au niveau européen. Nous avons d'ailleurs commencé à le faire. Les plates-formes sont mondiales. Pour peser dans ce dossier, il faut être fort. Or si l'Europe définit des règles, elles auront un impact dans le monde entier. Nous faisons donc notre part du travail en France, mais cela fait partie du projet européen.
Il s'agit d'une nouvelle forme de travail, qui intéresse de nombreuses personnes, notamment des jeunes. Un système de protection adapté, digne, et similaire à celui appliqué aux autres catégories professionnelles doit donc être mis en place en conséquence.
En ce qui concerne les entreprises d'insertion par le travail indépendant, leur création répond à la demande de certains secteurs d'insertion pour les personnes les plus éloignées de l'emploi, qui ne sont pas en mesure d'accepter le salariat, car elles ne peuvent assumer une responsabilité, même pour quelques jours. Je pense notamment à Lulu dans ma rue, qui travaille beaucoup avec des chômeurs de très longue durée et des SDF et qui souhaite pouvoir lancer une entreprise de travail temporaire d'insertion (ETTI) afin de leur proposer des « petits boulots » d'une à deux heures. L'idée est de mener cette démarche dans un but d'insertion, afin de les conduire progressivement, en augmentant petit à petit le nombre d'heures travaillées, vers l'emploi ordinaire et le salariat, par le biais d'une formule sur mesure adaptée à leurs besoins. Jusqu'à présent, de telles démarches étaient tolérées, mais le droit actuel ne permettait pas réellement ce genre d'expérimentation, même sous la forme de contrats courts, compte tenu du risque de licenciement auquel ces personnes s'exposent au moindre refus d'accomplir une tâche. Cette formule est réservée à ce type d'association, sous contrôle de l'État.
Par ailleurs, l'absence d'organisation des branches professionnelles en outre-mer a bien été prise en compte dans le travail mené avec les parlementaires pour l'adaptation de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel aux spécificités des outre-mer. Ainsi, toutes les branches doivent être représentées dans les opérateurs de compétences (OPCO), mais un opérateur peut représenter plusieurs branches.
L'ordonnance du 28 août 2019 portant adaptation des dispositions de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel aux collectivités d'outre-mer régies par l'article 73 de la Constitution et à Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon est publique. Le projet de loi de ratification a été adopté en conseil des ministres le 13 novembre et vous sera présenté courant 2020.
Cette adaptation, que nous avons bâtie ensemble, me semble pertinente et réaliste.
S'agissant des emplois francs, tous les territoires d'outre-mer sont éligibles à leur généralisation depuis le 1 er avril 2019. De plus, ces emplois sont effectivement destinés aux habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville, qui subissent une discrimination à l'embauche, mais ils ne sont pas censés être situés dans ces mêmes quartiers. Leurs bénéficiaires peuvent donc être embauchés partout, en métropole comme en outre-mer.
M. René-Paul Savary , président . - Cela ne règle peut-être pas le problème de Mme Jasmin !
Mme Muriel Pénicaud, ministre . - Nous avons également annoncé le lancement du plan Priorités et rassemblement pour l'emploi local (Petrel) avec le Président de la République à La Réunion le 23 octobre dernier. Cela n'interdit pas d'inventer ou d'adapter des mesures en outre-mer. Mais cela devrait à mon sens bien fonctionner.
Les mesures d'exonération prévues au titre de l'Acre concernent par ailleurs l'intégralité du territoire français, quels que soient le lieu de création de l'entreprise concernée et sa vocation - d'outre-mer vers la métropole ou d'outre-mer vers l'outre-mer.
Les crédits destinés à l'IAE ne diminuent pas quant à eux, mais augmentent. Le PLF pour 2020 prévoit en effet plus d'un milliard d'euros pour ce secteur, qui n'a jamais bénéficié d'un tel budget en France. Cette mesure contribuera à l'augmentation du nombre de bénéficiaires, qui passera de 140 000 à 240 000 d'ici à 2022. Jamais nous n'avons autant cru ni autant investi dans l'IAE. Pour ma part, j'y crois beaucoup.
Le portail de l'inclusion est en cours de développement. Les premiers résultats sont attendus à la fin du premier trimestre de 2020. Ils prendront la forme d'une maquette que nous pourrons tester. Le but est de favoriser la rencontre entre l'offre et la demande, entre l'entreprise et le prescripteur. Nous y croyons beaucoup, car les mises en relation multiplient les capacités d'innovation.
Je le constate particulièrement à travers les clubs d'entreprises que le Président de la République nous a incités à créer dans les départements dans le cadre de l'initiative « La France, une chance. Les entreprises s'engagent ! » En six mois, 90 clubs ont déjà été créés. Et 7 000 entreprises sont prêtes à s'engager - sur le handicap, l'IAE, les réfugiés, les seniors, ou d'autre thématique. Notre tissu de PME est donc prêt à s'engager.
Nous nous efforçons donc par ce biais de favoriser la rencontre entre l'offre et la demande, notamment dans les politiques d'achat. Les entreprises veulent bien faire, mais ne savent pas, souvent, à qui s'adresser. Les clubs pourraient constituer une réponse à ce problème.
En ce qui concerne les invisibles, nous travaillons avec l'Éducation nationale sur les listes des élèves décrocheurs. Le service national universel (SNU) pourra également représenter un levier dans ce domaine. Les premières expérimentations du SNU ont en effet permis de constater que de jeunes décrocheurs y voyaient un moyen de « raccrocher ». Nous travaillons sur ce point avec M. le secrétaire d'État auprès du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, pour voir comment nous pourrions engager le contact avec eux au cours de leur service.
L'appel à projets « 100 % Inclusion - La fabrique de la remobilisation », du PIC comporte par ailleurs de nombreuses mesures pertinentes - par le sport, la culture, etc. Il faut aller chercher les jeunes invisibles là où ils sont, en zone rurale, au bas des immeubles - au moyen par exemple de bus itinérants - et ne pas attendre qu'ils viennent de leur propre initiative.
Par ailleurs, les CFA interbranches inquiets de la réforme de l'apprentissage ne sont plus très nombreux. En revanche, des inquiétudes ont été exprimées en fin d'année 2018 du fait de la baisse drastique des budgets décidée par de nombreuses régions sous prétexte que le pouvoir de régulation de l'apprentissage leur serait retiré l'année suivante. Nous avons dû venir secourir certains établissements. Je trouve cette absence de continuité de l'action publique assez choquante.
S'agissant de l'emploi des personnes en situation de handicap, nous disposons de quatre leviers. Les premiers sont le développement des entreprises adaptées et la réforme de l'OETH, qui permettra de créer 100 000 emplois supplémentaires dans les entreprises, l'obligation d'emploi de 6 % n'étant plus calculée par établissement mais par entreprise, ce qui aura une incidence importante sur les entreprises en réseau. Je souhaite évoquer également le travail que nous menons avec Mme la secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées en matière d'apprentissage. Dans la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, nous avons exigé la nomination d'un référent handicap dans chacun des CFA, alors que les apprentis en situation de handicap ne représentent que 1 % des effectifs globaux d'apprentis. Nous visons les 6 %. Par ailleurs, 8 % du public du PIC est composé de personnes en situation de handicap.
Monsieur Daudigny, le Smic continue d'augmenter chaque année, selon la règle d'indexation en vigueur, du fait de l'inflation et de la moyenne de l'augmentation des salaires des ouvriers et des employés. À titre d'exemple, le Smic est passé de 9,88 euros à 10,03 euros de l'heure au 1 er janvier 2019. Nous ne connaissons pas encore les chiffres pour 2020.
Nous avons diminué le coût du travail en supprimant une bonne partie des charges patronales, ce qui favorise l'accès à l'emploi. Il faut cependant toujours trouver l'équilibre entre le salaire et l'emploi. Je pense qu'il faut que le Smic continue à évoluer en fonction des indicateurs que j'évoquais plus haut. Et nous devons aller plus loin.
Le salaire minimum est plus élevé en France que dans d'autres pays d'Europe. Nous nous efforçons d'inciter les autres pays à rehausser leurs standards en la matière pour ne pas mettre en péril la compétitivité et l'emploi tout en augmentant les conditions sociales dans toute l'Europe. C'est pourquoi nous avons milité dans la feuille de route européenne en faveur de l'instauration d'un Smic dans chaque pays - à travail égal, salaire égal dans le travail détaché.
Il faut également, surtout, que les branches fassent entièrement leur travail. Certaines l'ont fait, mais d'autres doivent encore le faire. Une fois le Smic augmenté, il convient en effet de relever tous les niveaux supérieurs de rémunération, afin d'éviter un « écrasement » global des salaires au niveau du Smic. Un travail important est à mener sur ce point, notamment dans les conventions collectives des secteurs où de nombreuses femmes sont embauchées.
Ce sujet a occupé une place importante dans la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Je rappelle que l'index de l'égalité salariale femmes-hommes et l'obligation de résultat sont en oeuvre pour 7 000 entreprises de plus de 250 salariés. Au 1 er mars prochain, cet index concernera 40 000 entreprises - toutes les entreprises de plus de 50 salariés. Cela concerne 4,5 millions de femmes qui verront potentiellement leurs perspectives de carrière et de rémunération augmenter.
La question du Smic contient donc à mon sens la question plus large des bas salaires, qui concerne particulièrement les femmes. L'index permettra d'agir dans ce domaine dans les secteurs les plus touchés.
La question portant sur le travail numérique des enfants est importante. Il existe un régime spécifique d'autorisation et de contrôle du travail des enfants dans le monde du spectacle. Ce régime est très protecteur et très exigeant, mais bien équilibré. La question qui se pose est la suivante : comment caractériser toutefois l'activité numérique ? S'agit-il d'une activité de travail ? Comment caractériser en ce cas la quantité du travail effectué ? Qu'en est-il du respect des obligations ? Et du rôle des parents ? Une autorisation parentale est en effet requise dans le monde du spectacle, ainsi qu'une autorisation spécifique délivrée notamment par la Direccte. Un travail est en cours entre le ministère du travail, le ministère de la justice et le ministère de la culture sur ce sujet.
Mais il est vrai que le droit ne s'est pas encore prononcé sur cette question. Il serait bon d'y remédier pour éviter les dérives.
Mme Michelle Meunier . - Les pratiques existent, mais pas la loi.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - En effet. Je vous signale aussi que la France vient de prendre la présidence de l'Alliance 8.7, qui correspond à la cible 8.7 des objectifs de développement durable de l'Organisation des Nations unies (ONU) contre le travail des enfants et le travail forcé. J'ai présidé une table ronde le 12 novembre dernier au forum de Paris pour la paix. Il existe 150 millions d'enfants qui travaillent dans le monde. C'est un sujet majeur.
Le travail des enfants n'existe pas nos pays, sauf dans ces zones d'ombre que nous nous devons de vérifier et où nous devrons nous montrer tranchants dans l'exécution de notre position une fois qu'elle aura été clarifiée. Reste à voir comment caractériser le droit dans ce domaine.
Par ailleurs, nous avons également des responsabilités sur ce point au vu des difficultés de contrôle des sous-traitants de sous-traitants de sous-traitants de grandes entreprises internationales. Nous avons pris des engagements avec les grandes entreprises sur ce sujet, qui nous tient tous à coeur.
Enfin, s'agissant des services, je vois beaucoup d'agents Pôle emploi sur le terrain. Je tiens à saluer leur action, leur engagement et leur professionnalisme, d'autant plus impressionnants compte tenu de la difficulté de leur métier.
L'annonce des emplois supplémentaires a été saluée, d'autant que cela n'était pas arrivé depuis longtemps. Les nouvelles offres l'ont été également. Tout ce qui donne du sens au travail est un élément de motivation.
Enfin, tous les services contribuent à la baisse des dépenses de l'État. Concernant l'inspection du travail, cette contribution porte moins sur les effectifs de contrôleurs et d'inspecteurs que sur les emplois administratifs. En effet, nous sommes en train de rationaliser ces emplois, notamment par le regroupement de plusieurs services. Le nombre d'inspecteurs du travail par rapport au nombre de salariés d'entreprises est pour sa part supérieur aux normes de l'Organisation internationale du travail (OIT) et doit le rester.
Nos quatre priorités sont la lutte contre le travail illégal, la lutte contre la fraude au travail détaché, les sujets relatifs à la santé au travail - accidents du travail, chutes de hauteur, etc. - et l'index sur l'égalité hommes-femmes.
M. René-Paul Savary , président . -Merci beaucoup.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .