III. DES DÉPENSES D'INCLUSION EN FORTE CROISSANCE, UNE EFFICACITÉ AMÉLIORÉE

Le programme 304 (« Inclusion sociale et protection des personnes ») finance divers dispositifs concourant à la lutte contre la pauvreté et l'exclusion. 83 % des crédits du programme sont dédiés au financement de la prime d'activité.

A. LA PRIME D'ACTIVITÉ EST DEVENUE L'OUTIL PRIVILÉGIÉ DE SOUTIEN DU POUVOIR D'ACHAT DES TRAVAILLEURS MODESTES

La prime d'activité a été introduite par la loi dite « Rebsamen » du 17 août 2015 46 ( * ) , en remplacement de deux dispositifs dont elle est censée remplir simultanément les objectifs : le « RSA-activité » et la prime pour l'emploi. La prime d'activité fut initialement saluée comme mettant fin aux difficultés suscitées par la concurrence de ces deux prestations, dont on déplorait, pour le premier, des taux de recours insuffisants et, pour la seconde, un effet de saupoudrage préjudiciable à son efficacité.

Dans ses nouvelles modalités, la prime d'activité se donne simultanément pour mission de lutter efficacement contre la pauvreté et de fournir une incitation financière au retour à l'emploi des bénéficiaires que pourraient menacer les « trappes à inactivité » 47 ( * ) .

La prime d'activité s'est ainsi utilement éloignée de certains défauts du RSA-activité en s'ouvrant aux jeunes dès leurs dix-huit ans et en entérinant la non prise en compte du patrimoine non producteur de revenus ou encore le principe des « effets figés » 48 ( * ) .

1. Un changement d'échelle accéléré
a) Les mesures intervenues en 2019 : une revalorisation exceptionnelle en réponse à la crise sociale

Les évolutions les plus notables intervenues en 2019 au titre de la prime d'activité sont :

- la revalorisation exceptionnelle de 90 euros , à compter du 1 er janvier 2019 , du montant maximal de la bonification individuelle , passé de 70,49 euros à 160,49 euros 49 ( * ) .

Versé à chaque membre du foyer dont les revenus sont supérieurs à 0,5 smic, le montant du bonus est croissant jusqu'à 1 smic (contre 0,8 smic précédemment) où il atteint son point maximal ; il reste stable au-delà ;

- l'élargissement en conséquence du public éligible et l'amélioration du taux de recours (désormais supérieur à 80 %). Le nombre de foyers allocataires s'élève ainsi à 4,1 millions en mars 2019, soit une hausse de près de 52 % en un an .

En revanche, la prime d'activité n'a pas été revalorisée au 1 er avril à la hauteur de l'inflation, par dérogation à l'article L. 842-3 du code de la sécurité sociale.

Pour mémoire, le montant forfaitaire de la prime d'activité avait été revalorisé de 20 euros et porté à 551,51 euros à compter du 1 er août 2018 . Simultanément, la fraction des revenus professionnels du foyer prise en compte pour le calcul de la prestation est passée de 62 % à 61 % 50 ( * ) .

La création d'une seconde bonification individuelle d'un montant maximal de 30 euros, prévue à l'article 265 de la loi de finances pour 2019, n'a finalement pas été réalisée 51 ( * ) . En effet, à la suite de la crise des « gilets jaunes » et de la promesse du Président de la République d'augmenter le revenu net mensuel des travailleurs rémunérés au niveau du smic de 100 euros, il a été jugé plus efficace d'augmenter le montant maximal de la bonification existante.

De même, il a été décidé de suspendre la suppression de la prise en compte des rentes AT-MP et des pensions d'invalidité comme revenus professionnels dans le calcul du droit à la prime d'activité, initialement prévue dans la loi de finances pour 2018. Cette dernière mesure avait semblé à votre rapporteur pour avis particulièrement contestable 52 ( * ) .

La prime d'activité au croisement de deux logiques d'attribution

La formule de calcul de la prime d'activité emprunte aux deux logiques d'attribution des prestations sociales : la logique familiale et la logique individuelle .

Elle est initialement fondée sur un revenu minimal garanti , égal à un montant forfaitaire individuel dont le montant a été réévalué à 551,51 euros par un décret du 3 octobre 2018, augmenté d'une proportion des revenus professionnels du foyer, fixée par ce même décret à 61 % . Les ressources du foyer sont soustraites à ce revenu minimal garanti, et donnent ainsi le montant de la part familialisée de la prime d'activité .

S'y ajoute le montant de la bonification individuelle définie à l'article D. 843-2 du code de la sécurité sociale. Elle est versée à partir d'un revenu professionnel net égal à 0,5 smic, et croît proportionnellement à ce revenu jusqu'à atteindre un plafond de 160,49 euros à 1 smic net. Elle est constante au-delà.

La formule de la prime d'activité s'établit donc schématiquement comme suit :

Source : Commission des affaires sociales

Cette double logique d'attribution est la conséquence de la double mission initialement conférée à la prime d'activité. Cette prestation est donc au croisement de deux grands types de politique publique, dont la distinction tend à s'estomper : les politiques de lutte contre la pauvreté et les politiques de l'emploi . Traditionnellement, en effet, les politiques de lutte contre la pauvreté s'appuient sur le niveau de vie des foyers alors que les politiques de l'emploi s'intéressent aux situations individuelles.

b) Un calibrage insuffisant en 2020

Pour 2020, l'article 67 du projet de loi de finances prévoit une sous-revalorisation de plusieurs prestations sociales, parmi lesquelles la prime d'activité . Par dérogation à l'article L. 842-3 du code de la sécurité sociale, qui prévoit leur indexation sur l'inflation, le montant forfaitaire de la prime d'activité et le montant maximal de la bonification principale seront ainsi revalorisés de 0,3 % au 1 er avril 2020 , ce qui portera :

- le montant forfaitaire à 553,16 euros ;

- le montant maximal de la bonification individuelle à 160,97 euros.

Au 1 er avril 2020, la formule de calcul de la prime d'activité s'établira donc schématiquement comme suit :

L'évolution des crédits demandés au titre de la prime d'activité est retracée dans le tableau ci-dessous.

(en millions d'euros)

LFI
pour 2018

Exécution

2018

LFI
pour 2019

PLFR pour 2019

PLF
pour 2020

Crédits au titre de la prime d'activité

5 140 M€

5 600 M€

8 800 M€

9 560 M€

9 500 M€

Initialement prévus à 6 milliards d'euros dans le PLF pour 2019, les crédits alloués à la prime d'activité avaient été portés à 8,8 milliards d'euros en nouvelle lecture afin de permettre la revalorisation exceptionnelle du montant maximal de la bonification individuelle. Le montant prévu pour 2020 représente ainsi une hausse de 70 % par rapport aux dépenses de 2018 . Il vaut plus du double des dépenses constatées en 2016 , année du lancement de la prestation.

En outre, une ouverture de crédits supplémentaires de 758 millions d'euros est demandée dans le projet de loi de finances rectificative pour 2019, ce qui porterait le total ouvert pour cette année à près de 9,6 milliards d'euros ... soit un montant supérieur à celui anticipé dans le présent PLF. Il faut donc s'attendre à des dépenses encore nettement plus élevées en 2020.

c) L'évolution de la prime d'activité entre 2018 et 2019 : un effet maximal pour les bénéficiaires proches du smic, des incitations améliorées pour les couples

L'effet de la revalorisation de la prime d'activité au 1 er janvier 2019 diffère selon la composition du foyer bénéficiaire.

Pour une personne seule, l'impact de la revalorisation du montant maximal du bonus est très nettement concentré sur les revenus situés entre 1 et 1,2 smic , comme le montre le graphique ci-après. Cet impact est calculé, toutes choses égales par ailleurs, par la différence entre le montant de la prime d'activité après et avant la revalorisation du bonus, calculé en fonction des paramètres de 2019.

Note : Le smic net mensuel vaut 1 203 euros.

Source : Commission des affaires sociales

L'effort est ainsi porté sur les zones de rémunération considérées comme les plus touchées par le risque de « trappe à inactivité ».

La revalorisation du bonus amortit plus généralement la chute du montant de la prime d'activité au-delà d'un revenu de 0,5 smic, le maximum étant atteint à 0,4 smic, et prolonge son effet jusqu'à 1,4 smic. Dans le cas-type considéré ci-dessous, on prend en compte les allocations logement perçues par le bénéficiaires dans la limite d'un « forfait logement », celui-ci étant déduit du montant de la prime.

Source : Commission des affaires sociales

L'impact de la revalorisation a pu être encore plus marqué pour un couple. Dans le cas type ci-dessous, qui montre la variation de la prime d'activité en fonction de l'évolution du revenu de l'un des membres du couple, lorsque son conjoint est rémunéré au smic, l'effet est maximal autour d'un revenu de 0,7 smic (l'écart dépassant alors 100 euros) et se prolonge jusqu'à 1,2 smic. En effet, à partir de 0,5 smic, le couple perçoit deux bonifications individuelles. Le caractère incitatif de la prime d'activité est, dans ce cas, nettement amélioré.

Source : Commission des affaires sociales

Selon le rapport d'évaluation de la revalorisation exceptionnelle de la prime d'activité remis par le Gouvernement au Parlement en octobre 2019 53 ( * ) , 11 % des foyers bénéficiaires de la prime d'activité percevaient deux bonifications individuelles en mars 2019, contre 7 % en mars 2018.

2. Étude de cas : des incitations variables selon la composition du ménage et la répartition des revenus au sein du foyer

Depuis plusieurs années, la commission des affaires sociales poursuit une analyse de l'efficacité de la prime d'activité au regard de ses différents objectifs (lutte contre la pauvreté, incitation financière à l'exercice d'une activité professionnelle). Ce travail s'avère d'autant plus important au regard de la croissance très importante des dépenses consacrées à cet instrument.

Votre rapporteur avait eu, les années précédentes, l'occasion de s'interroger sur la compatibilité des deux objectifs assignés à la prime d'activité. Les doutes qu'il avait émis concernant l'atteinte conjointe d'un objectif de lutte contre la pauvreté et d'un objectif d'incitation financière à l'activité semblaient confirmés à l'issue des trois premières années d'existence de la prime.

Afin d'illustrer cette ambiguïté, votre rapporteur a choisi de se pencher à nouveau sur quatre cas types de bénéficiaires de la prime d'activité : les célibataires sans enfants , les familles monoparentales , les couples sans enfants et les couples avec deux enfants .

Méthodologie de l'étude

Compte tenu de l'objectif poursuivi - définir la finalité de la prime d'activité et déterminer s'il s'agit surtout d'un minimum social ou d'une incitation financière au retour à l'emploi - l'étude se limite aux revenus corrélés à l'activité du ménage qui les perçoit. Sont ainsi pris en compte les revenus d'activité et les revenus de remplacement dont la détermination intègre pour partie ces revenus d'activité. Ne sont donc pas prises en compte les prestations sociales dont l'attribution n'est pas directement corrélée à l'activité.

La base de ressources servant à l'attribution des revenus de remplacement se compose des revenus d'activité (exprimés en proportion du smic net) et de certaines prestations sociales assimilées à des revenus professionnels. Il s'agit, pour les ménages qui sont locataires de leur logement, d'un forfait sur l'aide personnalisée au logement (APL) perçue, ainsi que d'un forfait sur le complément familial (CF) majoré pour les ménages ayant charge d'enfant et d'un forfait sur l'allocation de soutien familial (ASF) pour les parents isolés. Ces forfaits sont décrits aux articles R. 844-3 et R. 844-4 du code de la sécurité sociale.

Le revenu de solidarité active (RSA) est calculé en tenant compte des différentes majorations de l'article R. 262-1 du code de l'action sociale et des familles en fonction de la composition du foyer. Quant à la prime d'activité (PA) , sa formule de calcul intègre la revalorisation de la bonification individuelle au 1 er janvier 2019. Les montants forfaitaires sont ceux en vigueur au 1 er avril 2019.

Les revenus consolidés , somme de la base de ressources et des revenus de remplacement, intègrent le facteur fiscal, dont les effets sont de deux natures :

- l'application du quotient familial, majoré dans le cas d'une famille monoparentale, et qui permet d'exonérer d'impôt sur le revenu (IR) la plupart des bénéficiaires de la prime d'activité concernés ;

- pour les bénéficiaires célibataires, l'entrée dans la première tranche de l'impôt sur le revenu (au taux d'imposition de 14 %) à partir d'un revenu mensuel net supérieur à 1 217 euros 54 ( * ) .

La comparaison de ces différents montants permet de déterminer l'impact de la prime d'activité, selon l'échelle de revenu sur laquelle son action est la plus forte.

a) Les bénéficiaires célibataires : un soutien au pouvoir d'achat des petits salaires

Le premier cas est celui d'un bénéficiaire célibataire sans enfants de la prime d'activité. Sa base de ressources, en plus de ses revenus d'activité, est augmentée d'un montant forfaitaire au titre des APL perçues. Il est par ailleurs assujetti à l'IR à partir d'un revenu égal à 1,1 smic net.

Source : Commission des affaires sociales

Un premier constat s'impose : les bénéficiaires célibataires, qui constituent la cible majoritaire de la prime d'activité, connaissent grâce à elle une augmentation significative de leur niveau de vie . Une prime d'activité de 130 euros peut ainsi être perçue par un bénéficiaire percevant un revenu équivalant à 1,1 smic, soit nettement supérieur au plafond de revenus du RSA.

Le montant de la prime d'activité est le plus important dans les zones de rémunération où elle assure le relai du RSA. Elle présente ainsi ses niveaux les plus élevés dans la zone comprise entre 0,3 et 0,7 smic, ce qui permet de lisser la sortie du RSA pour les bénéficiaires ayant augmenté leurs revenus professionnels.

C'est toutefois dans la zone comprise entre 0,8 et 1 smic que le gain marginal en termes de revenu disponible s'approche le plus de l'accroissement des revenus professionnels : dans le graphique ci-après, la courbe du revenu disponible est alors presque parallèle à celle des revenus professionnels. À l'intérieur de cette zone, on peut considérer que les travailleurs sont incités à trouver un emploi plus rémunérateur.

En revanche, l'effet incitatif de la prime d'activité se tasse nettement après 1,1 smic, comme l'indique le graphique. Sous l'effet de la ponction subie au titre de l'IR, le gain marginal est ainsi très faible à 1,2 et 1,3 smic , avant de se redresser et de se rapprocher de l'accroissement des revenus professionnels à 1,5 smic.

b) Les familles monoparentales avec un enfant : une prime d'activité légèrement plus incitative, un soutien plus marqué du pouvoir d'achat

Le deuxième cas est celui d'une famille monoparentale avec un enfant . La base de ressources inclut un montant plus important de revenus professionnels assimilés, composés de deux forfaits au titre de l'APL et de l'ASF.

Par rapport à la situation précédente, la prime d'activité d'une famille monoparentale connaît une décélération par rapport aux revenus d'activité plus tardive et atténuée , comme le montre le graphique ci-dessous. Le « point de sortie » de la prime d'activité est, en outre, déplacé après 1,7 smic.

Surtout, la prime d'activité apporte dans ce cas un soutien nettement plus marqué au pouvoir d'achat des petits salaires , avec un montant pouvant dépasser 420 euros pour un revenu professionnel équivalant à 0,6 smic (soit 722 euros net), au-delà du point de sortie du RSA.

Source : Commission des affaires sociales

c) Les couples sans enfants : la prime incite-t-elle à la biactivité ?

Le troisième cas est celui d'un couple sans enfants . Dans ce cas, les montants forfaitaires servant au calcul des revenus minimum garantis ne sont majorés que de 50 %, conformément au postulat des économies d'échelle engendrées par la conjugalité des bénéficiaires de minima sociaux. Cette modalité de calcul peut avoir d'importants effets, dès lors qu'un mécanisme d'incitation financière au retour à l'emploi est arrimé à une base calculée d'après les règles des minima sociaux.

Surtout, du fait de l'importance croissante prise par la bonification individuelle de la prime, son impact varie fortement en fonction de la situation de chacun des membres du couple.

Soit par exemple un couple sans enfants dont aucun des membres ne perçoit de revenus d'activité. Sous l'effet de la prime d'activité, l'incitation est alors nettement plus forte pour l'un des membres du couple à prendre un emploi rémunéré jusqu'à 1 smic qu'en l'absence de prime (et compte tenu du RSA), comme l'indique le graphique ci-dessous (c-1). Le soutien au pouvoir d'achat du couple est en outre important autour de 0,6 smic.

Source : Commission des affaires sociales

L'allure de la courbe est très différente si l'on fait varier les revenus d'un travailleur dont le conjoint est rémunéré au niveau du smic. Le montant de la prime d'activité perçue diminue alors lorsque les revenus professionnels du second travailleur augmentent ( cf . graphique ci-après, c-2) et le complément de revenu apporté par ce dernier s'avère inférieur en présence de la prime d'activité qu'en l'absence de prime. L'effet incitatif de la prime d'activité est alors très faible .

Source : Commission des affaires sociales

Cet effet faiblement incitatif, voire potentiellement désincitatif, s'explique en grande partie par les effets contradictoires de la formule de calcul de la prime d'activité, dont la composante individualisée ne compense pas la diminution de la composante familialisée au-delà d'un revenu d'activité total de 1,1 smic. Cet effet a toutefois été atténué par la revalorisation du bonus au 1 er janvier 2019 ( cf. supra ).

d) Les couples avec deux enfants : la taille du foyer restitue l'effet incitatif de la prime d'activité

Le quatrième cas est celui d'un couple biactif avec deux enfants. Les effets précédemment évoqués dans le cas d'un couple sans enfant s'y trouvent fortement atténués par l'augmentation de la base de ressources sous le double impact de revenus professionnels assimilés plus élevés et de revenus de remplacement majorés ( cf . graphique ci-après).

Source : Commission des affaires sociales

On observe, pour le cas des couples biactifs avec enfants, plusieurs différences par rapport aux couples biactifs sans enfant. La première est un décalage important des effets de la prime vers des niveaux plus importants de rémunération (jusqu'à 1,6 smic pour le travailleur dont le conjoint est rémunéré au smic).

La seconde est un écart plus important entre la courbe de revenu avec et sans prime d'activité. On constate ainsi l' effet plus incitatif de la prime pour une famille avec enfants .

En effet, les couples avec deux enfants bénéficiant d'un montant forfaitaire plus élevé (1 158,17 euros, contre 827,27 euros pour un couple sans enfants), l'effet des deux bonifications individuelles devient alors pleinement opérant. Un couple avec deux smic peut ainsi percevoir une prime d'activité de 277 euros, représentant 10 % de ses revenus consolidés.

Il convient également de mentionner l'application du quotient familial aux revenus fiscaux d'un couple biactif avec enfants. Ce dernier empêche l'entrée dans la première tranche de l'imposition sur les revenus de neutraliser les gains liés à la prime.

e) Conclusions : une amélioration de la compatibilité entre les objectifs de la prime d'activité

La prime d'activité semble être devenue pour le Gouvernement l'un des outils privilégiés de soutien du pouvoir d'achat des travailleurs les plus modestes. Par ailleurs, elle vise plus que jamais à inciter à l'activité de chacun des membres du foyer au moyen d'une bonification individuelle fortement revalorisée en 2019.

Par rapport aux premières années de fonctionnement de la prime d'activité, cette revalorisation semble avoir eu pour effet d'améliorer la compatibilité entre les deux objectifs de lutte contre la pauvreté et d'incitation à l'activité professionnelle. S'agissant du premier objectif, l'impact de la prime d'activité a bien été documenté : en 2016, le taux de pauvreté a ainsi baissé de 0,2 point par rapport à 2015 du fait principalement de la mise en place de cette prestation, selon l'Insee. En pratique, les associations remarquent que la prime touche bien les personnes proches du seuil de pauvreté mais non les personnes qui en sont les plus éloignées. Quant à l'objectif d'incitation à l'activité, l'effet réel sur l'emploi de la prime d'activité reste difficile à quantifier, faute de recul sur cette prestation.

Toutefois, certaines conclusions esquissées les années précédentes demeurent, notamment l' effet plus incitatif de la prime pour les familles monoparentales et les couples avec enfants sous le triple effet multiplicateur de l'augmentation de la base de ressources, du quotient familial et de la majoration du montant forfaitaire. Pour ces familles, il faut cependant prendre en compte un coût du retour à l'emploi qui peut s'avérer élevé (garde d'enfants).

S'agissant des couples, votre rapporteur souligne l' importance de la répartition des revenus au sein du foyer , compte tenu du poids croissant de la bonification individuelle.

Ces facteurs expliquent que la prime d'activité ait un effet faiblement incitatif pour certains couples sans enfant, bien que celui-ci ait été amélioré par la revalorisation du bonus. Quant aux célibataires sans enfants, l'étude révèle un net tassement de l'effet incitatif de la prime au-delà de 1,1 smic.

Une interrogation demeure donc quant à l'incitation de la prime à la biactivité , bien que la situation se soit améliorée en 2019. Selon l'évaluation par le Gouvernement de la revalorisation exceptionnelle de la prime d'activité, les couples biactifs percevaient un montant moyen de prime d'activité de 164 euros en mars 2019, alors que le montant moyen versé à l'ensemble des foyers bénéficiaires était de 186 euros.

Enfin, l'articulation entre les deux principales prestations financées par la mission « Solidarité » doit être examinée dans la perspective de la refonte des minima sociaux, les personnes concernées par le cumul de l'AAH et de la prime d'activité étant très peu rétribuées si leur salaire augmente après six mois en milieu ordinaire ( cf. supra , II).

Le rapport du Gouvernement précité fait état d'un recours amélioré à la prime d'activité, y compris pour des montants réduits. Ainsi, parmi les 1,25 million de foyers allocataires supplémentaires estimés en mars 2019, 550 000 sont des nouveaux éligibles, qui n'avaient pas de droits versables à la prime avant la réforme ; pour 57 % de ces foyers nouvellement éligibles, les revenus d'activité nets sont supérieurs à 1 500 euros par unité de consommation du foyer, alors que ce n'était le cas que pour 5 % des allocataires avant la réforme. Ceci a entraîné une modification du profil des bénéficiaires de la prime d'activité . Entre mars 2018 et mars 2019, la part de foyers bénéficiaires dont les revenus sont compris entre 1 250 et 2 000 euros par mois a augmenté de 39 % à 55 %. Les couples sont également plus représentés parmi les nouveaux recourants nouvellement éligibles.

Au prix d'un effort budgétaire élevé, la prime d'activité est devenue une prestation majeure. La poursuite de l'amélioration du taux de recours permettra à la fois de mieux anticiper son impact financier et d'en mesurer plus exactement les effets.


* 46 Loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi.

* 47 Cf. art. L. 841-1 du code de la sécurité sociale : « La prime d'activité a pour objet d'inciter les travailleurs aux ressources modestes, qu'ils soient salariés ou non-salariés, à l'exercice ou à la reprise d'une activité professionnelle et de soutenir leur pouvoir d'achat ».

* 48 Le montant de la prime d'activité étant réévalué chaque trimestre, les effets figés consistent à reporter, au trimestre suivant, l'impact sur le montant de la prime de tout changement de situation du foyer (variation des ressources, changement de situation professionnelle, etc.).

* 49 Décret n° 2018-1197 du 21 décembre 2018 relatif à la revalorisation exceptionnelle de la prime d'activité.

* 50 Décret n° 2018-836 du 3 octobre 2018 portant revalorisation du montant forfaitaire de la prime d'activité et réduction de l'abattement appliqué aux revenus professionnels.

* 51 Ce second bonus individuel, croissant entre 0,5 smic et 1 smic puis décroissant jusqu'à 1,2 smic, aurait dû être revalorisé par tranches de 20 euros en 2020 et en 2021 jusqu'à atteindre un montant maximal de 70 euros.

* 52 Un amendement adopté par l'Assemblée nationale en première lecture du projet de loi de finances pour 2019 a rétabli, jusqu'au 31 décembre 2024, cette modalité de détermination de la prime d'activité pour les seules personnes en ayant bénéficié au moins une fois entre le 31 décembre 2017 et le 31 décembre 2018. Elle est cependant supprimée pour les nouveaux allocataires à compter du 1 er janvier 2019.

* 53 En application de l'article 4 de la loi n° 2018-1213 du 24 décembre 2018 portant mesures d'urgence économiques et sociales. Rapport d'évaluation de la revalorisation exceptionnelle de la prime d'activité, juillet 2019, DGCS, Drees, Cnaf, CCMSA.

* 54 Seuil d'exonération de l'impôt sur le revenu pour un contribuable célibataire en 2019.

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