EXAMEN EN COMMISSION
Au cours de sa réunion du 6 novembre 2019, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, a procédé à l'examen des crédits des programmes 110 - Aide économique et financière au développement - et 209 - Solidarité à l'égard des pays en développement - de la mission « Aide publique au développement » du projet de loi de finances pour 2020.
M. Jean-Pierre Vial, corapporteur pour avis des programmes 110 et 209 . - Sur la trajectoire budgétaire, les crédits de la mission « Aide publique au développement » (APD) progressent depuis plusieurs années et devraient atteindre 3,27 milliards d'euros en 2020, contre 3,06 milliards d'euros en loi de finances 2019, soit une progression d'environ 6,5 %.
Parallèlement, les engagements de l'Agence française de développement (AFD) continuent à croître, celle-ci devant générer en 2020 près de 2 milliards d'euros d'aide à elle seule grâce à ses prêts concessionnels.
Au total, l'APD, qui comprend beaucoup d'autres crédits comme l'aide aux réfugiés, passera de 10,6 milliards d'euros en 2019 à près de 12 milliards en 2020, soit une progression de 0,43 % à 0,46 % du revenu national brut (RNB). Cette progression sera essentiellement due à une hausse de 150 millions d'euros de la mission APD, à une augmentation de 100 millions d'euros des dépenses de la prise en charge des réfugiés, mais surtout à un accroissement de 600 millions d'euros de l'APD générée par les prêts de l'AFD, alors que cette hausse n'a été que de 240 millions d'euros entre 2018 et 2019.
Mieux encore, pour atteindre les 0,55 % du RNB souhaités par le Président de la République d'ici à 2022, il faudra des augmentations encore nettement plus fortes des crédits budgétaires.
À vrai dire, cet objectif paraît difficile à atteindre en 2022. Le Gouvernement évoque d'ailleurs désormais l'annulation de la dette d'un pays africain pour l'atteindre, ce qui par définition ne fonctionnera qu'une seule année. Selon nous, l'important est surtout de disposer d'une programmation budgétaire solide et détaillée pour les années à venir, afin de savoir exactement où nous allons. Nous le répétons, il est nécessaire qu'une telle programmation figure au sein de la future loi d'orientation. Nous devrons aussi être attentifs à ce que cette montée en charge de l'APD française respecte les orientations définies par le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID), qui elles-mêmes tenaient compte des souhaits du Parlement : priorité Afrique, renforcement des dons et de la composante bilatérale de l'APD française afin de cibler plus efficacement les pays prioritaires.
J'en viens au renforcement du pilotage politique de l'APD. Avec près de 3,27 milliards d'euros pour la mission APD en 2020, dont 2,1 milliards d'euros sur les 5 milliards d'euros gérés par le ministère des affaires étrangères tous programmes confondus, il n'est pas acceptable que nous restions dans le flou entretenu par la séparation en deux ministères et un opérateur très puissant, l'AFD. Au-delà de la création d'un ministère de plein exercice, nous appelons à un raffermissement du pilotage par le renforcement des structures existantes : le CICID bien sûr, mais aussi le Conseil national pour le développement et la solidarité internationale (CNDSI) et le Conseil d'orientation stratégique de l'AFD. Il faut aussi un exercice plus efficace de la tutelle des ministères des affaires étrangères et des finances. Ce message, que nous martelons depuis des mois, commence à porter : le ministre et le directeur général de l'AFD lui-même évoquent régulièrement ce nécessaire renforcement du pilotage.
Troisième point essentiel, la concrétisation de la priorité Afrique, que le Président de la République a érigée au début de son mandat et que nous partageons.
À cet égard, le milliard d'euros de subventions supplémentaires reçus par l'AFD en 2019 devrait enfin permettre d'accroître les sommes effectivement disponibles pour les pays les plus pauvres.
On observe toutefois déjà un tassement des autorisations d'engagement en dons de l'AFD, qui passent d'environ 1,5 milliard d'euros à 900 millions d'euros dans le PLF 2020. Cela reste un montant élevé par rapport aux années précédentes, mais cela signifie que les décaissements risquent de cesser d'augmenter au cours des exercices suivants.
Au sein de l'Afrique subsaharienne, le Sahel, « dernière frontière du développement », comme l'a nommé Jean-Marc Châtaignier, l'envoyé spécial du Président de la République, est encore plus prioritaire.
C'est donc dans cette région marquée par le terrorisme, où l'aide publique au développement n'a fait qu'accompagner jusqu'à présent la croissance démographique, qu'il nous faut réussir cette « approche globale » tant évoquée. Du côté de l'aide au développement, l'une des réponses a été de confier à l'AFD un fonds appelé Minka, doté de 100 millions d'euros à l'origine et de 200 millions d'euros à partir de 2020. L'idée était de pouvoir intervenir rapidement au bénéfice des populations pour stabiliser les zones de crise.
Or cet objectif n'avait pas été vraiment atteint. Selon l'AFD, les raisons en sont multiples : les délais de décaissements peuvent rester longs s'agissant de recours aux maitrises d'ouvrage publiques souvent faibles dans ces zones. Un autre défi vient des exigences règlementaires auxquelles l'AFD est soumise en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
En outre, plusieurs acteurs du développement (collectivités territoriales engagées dans la coopération décentralisée, militaires engagés au Sahel...) soulignent les difficultés qu'ils ont parfois à coopérer avec l'agence, notamment parce que celle-ci soutient en priorité des projets de grande ampleur, complexes, longs à instruire et à mettre en oeuvre.
La contraction du réseau des coopérants nous a également fait perdre une certaine influence. Il est parfois plus aisé pour les acteurs français de coopérer avec les organismes issus d'autres pays. Ainsi, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) est certes soutenue par l'AFD, mais doit constater le caractère incontournable de la coopération allemande (GIZ) sur les normes des pays où elle intervient, en particulier autour de la Méditerranée.
De même, Expertise France, relais naturel de l'expertise française, devrait pouvoir s'appuyer davantage sur l'AFD pour projeter cette expertise en Afrique subsaharienne. Il est impératif que le rapprochement des deux agences permette de progresser sur ce point.
Devant ces difficultés, il est positif que l'AFD ait décidé de devenir une plateforme de l'aide publique au développement, comme elle l'affirme désormais. De même, selon Jean-Marc Châtaigner, les relations et la coopération entre l'AFD et Barkhane se sont quelque peu améliorées. Un conseiller de l'AFD est ainsi placé auprès de Barkhane. En outre, s'agissant de l'intervention dans les pays en crise, l'AFD a adopté en mai 2019 des nouvelles procédures plus collaboratives. Il faut poursuivre cet effort.
Un autre aspect important sur lequel il faut selon nous insister est le rôle du Centre de crise et de soutien (CDCS) du Quai d'Orsay, dont le PLF 2020 prévoit un renforcement des moyens, toutefois encore insuffisant.
Les modes opératoires du CDCS sont en effet bien adaptés au contexte de crise, bien plus que ceux de l'AFD : financements rapidement mobilisables en phase avec le rythme de l'action militaire et les besoins des ONG, capacité à instruire des microprojets dans des zones circonscrites, capacité à prendre des risques. Le principal outil dont dispose le CDCS est le Fonds d'urgence humanitaire (FUH). En 2019, le CDCS a pu mettre en oeuvre 43,4 millions d'euros du FUH. Pour 2020, le FUH va bénéficier d'une hausse substantielle, passant à 80,7 millions d'euros.
Toutefois, ces sommes restent très inférieures à celles consacrées par nos partenaires aux mêmes missions : l'Allemagne consacre environ 1,85 milliard d'euros à l'aide humanitaire et à la stabilisation ; le Royaume-Uni, 2,4 milliards d'euros.
En outre, l'attribution du fonds Minka à l'AFD et non au CDCS rend nécessaire une meilleure formalisation de l'articulation des missions des deux organismes. Cette meilleure coordination suppose un renforcement supplémentaire des moyens du CDCS.
Le dernier point essentiel s'agissant de la priorité sahélienne concerne l'Alliance Sahel, qui est censée améliorer la coordination et l'efficacité de l'aide. Nous avons entendu Jean-Marc Gravellini, responsable de l'unité de coordination de l'Alliance Sahel, que nous avons interrogé sur la dégradation de la situation sécuritaire au Sahel malgré les efforts de l'Alliance. Il nous a fait valoir a contrario l'exemple de la Mauritanie, qui a su, grâce à une action résolue des autorités centrales, retrouver la stabilité et la sécurité. Il estime que cette volonté politique n'existe pas au même degré, pour le moment, dans l'ensemble des pays du Sahel, ce qui soulève la question difficile de l'introduction d'une certaine dose de conditionnalité dans notre aide. Plusieurs éléments rendent cependant difficile une telle évolution, notamment la nature même des banques de développement qui cherchent avant tout à placer leurs prêts.
En conclusion, je vous propose de donner un avis favorable aux crédits de la mission APD pour 2020, en attendant l'inscription de la loi d'orientation qui devra nous permettre de nous prononcer de manière plus précise et plus exigeante sur cette politique de solidarité internationale.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, corapporteure pour avis des programmes 110 et 209 . - Je commencerai par faire le point sur la situation d'Expertise France au regard des données du PLF 2020 et du rapprochement prévu avec l'AFD. Le PLF 2020 prévoit une double subvention pour Expertise France, en provenance, d'une part, du programme 110, d'autre part, du programme 209.
Le programme 110 attribue à l'opérateur une dotation de seulement 5,35 millions d'euros en 2020, contre 5,85 millions d'euros en 2019, ce qui correspond à un maintien de la commande publique à un niveau assez bas de 3,85 millions d'euros et à une subvention de transformation qui perd 500 000 euros pour s'établir à 1,5 million d'euros. Il est toutefois prévu un nouveau financement additionnel en 2020 : 6 millions d'euros seront attribués à l'AFD et à Expertise France dans le cadre d'un renforcement des administrations fiscales de pays d'Afrique subsaharienne.
Parallèlement, le programme 209 prévoit le maintien de la subvention de soutien à l'opérateur de 3,7 millions d'euros, qui seront consacrés à la consolidation de l'établissement ainsi qu'à un soutien des activités de service public réalisées par l'agence, notamment sur financement communautaire. Comme l'année dernière, le programme prévoit également des crédits d'intervention santé pour 3,2 millions d'euros. Enfin, le gros du financement de l'agence par le ministère des affaires étrangères provient de la compensation du transfert à Expertise France des experts techniques internationaux, soit 30 millions d'euros.
L'initiative 5 %, mise en place par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE) dans le cadre du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, représente par ailleurs 32 millions d'euros de commande passée à Expertise France en 2019, pour un niveau d'exécution de 20,4 millions d'euros, ce qui représente 9 % du chiffre d'affaires de l'opérateur. La trajectoire de cette commande pour la période 2020-2022 sera définie prochainement en fonction des résultats de la conférence de reconstitution du Fonds Mondial qui s'est tenue les 9 et 10 octobre dernier.
Au total, en 2019, si l'on omet l'initiative 5 %, la commande publique devrait représenter 11 % du chiffre d'affaires de l'opérateur, soit 25,9 millions d'euros mis en oeuvre par Expertise France. La part du MEAE s'élève à 82 % de cette commande publique et celle de la DGT à 15 %, le reste venant pour l'essentiel du ministère des solidarités et de la santé. Ces chiffres devraient peu évoluer en 2020. Le financement ministériel de l'agence est donc encore assez peu diversifié, ce qui reflète en creux la persistance de l'éclatement des opérateurs d'expertise internationale.
Or il est important que l'agence bénéficie d'une commande publique stable et diversifiée afin de renforcer son modèle économique. Rappelons en effet que la croissance de l'agence s'est fondée principalement sur la recherche de financements européens, peu rémunérateurs, tandis que la commande publique est restée relativement faible. Or les principaux concurrents européens d'Expertise France s'appuient en général sur un socle de commande publique élevé qui garantit un modèle économique pérenne.
Ainsi, si l'adossement à l'Agence française de développement a été présenté comme une solution miracle pour la viabilité économique d'Expertise France et si les financements en provenance de l'AFD ont bien progressé au cours des deux dernières années, il ne peut s'agir en réalité que d'une partie de la réponse. Il faut notamment éviter que s'installe une relation exclusive avec l'agence, qui priverait progressivement Expertise France de son accès à l'expertise des ministères et la ferait dépendre exclusivement d'un opérateur dont la culture reste encore très éloignée de la sienne.
Le modèle économique d'Expertise France doit donc être consolidé à l'aune des exemples étrangers et avec un soutien renouvelé de l'État pour compenser les dépenses liées aux missions de service public.
Nous devrons en conséquence être particulièrement attentifs au nouveau contrat d'objectifs et de moyens (COM) pour la période 2020-2022, sur lequel nous serons appelés à nous prononcer. Il serait souhaitable que ce COM nous soit présenté très rapidement par le Gouvernement.
La question d'une amélioration de l'évaluation de l'aide publique au développement est fondamentale, compte tenu de la progression rapide des moyens consacrés à cette politique.
Au sein du PLF 2020, les crédits consacrés à l'évaluation de l'APD restent modestes. Le programme 110 comporte une ligne Évaluation des opérations relevant de l'aide au développement de 0,57 million d'euros en 2020, contre 0,53 million d'euros en 2019 et 0,48 million d'euros en 2018. Les crédits du MEAE disponibles au sein du programme 185 pour l'évaluation, qui peuvent bénéficier aux actions menées dans le cadre du programme 209 de la mission « Aide publique au développement », se montent à 0,47 million d'euros en 2020, contre 0,54 en 2019 et 0,46 en 2017.
En revanche, il faut souligner que les crédits consacrés à l'évaluation par l'AFD augmentent régulièrement. Ils se montent désormais à environ 5 millions d'euros.
Nous observons par ailleurs qu'aucune enveloppe spécifique n'est prévue au sein du budget pour 2020 pour le fonctionnement de la nouvelle commission d'évaluation qui pourrait être créée par la future loi d'orientation, laquelle aura besoin de crédits de fonctionnement pour passer les marchés d'études nécessaires à ses évaluations.
À ce propos, mon collègue Jean-Pierre Vial et moi-même nous sommes rendus à Londres en juillet dernier pour étudier le système britannique d'évaluation de l'aide au développement. Rappelons que, en 2015, le Royaume-Uni a adopté une loi fixant à 0,7 % la part du revenu national brut consacrée à l'aide publique au développement. Parallèlement a été créé un dispositif d'évaluation original, avec un organisme dédié, l'Independant Commission on Aid Impact (ICAI). L'ICAI a explicitement été créée en contrepartie de la fixation de l'objectif des 0,7 % du RNB dans la loi. Il s'est agi de garantir aux citoyens que chaque livre investie le serait sous le regard d'un organisme indépendant à même d'en vérifier le bon usage et l'efficacité.
L'ICAI est ainsi conçue comme un organisme indépendant du Gouvernement, dont la mission est de rendre des comptes à la commission parlementaire chargée du développement (International Development select Committee, IDSC). Elle est dirigée par trois commissaires, dispose d'un secrétariat de dix membres et fait appel à des consultants externes pour conduire les évaluations. Aspect important, les sujets de contrôle de l'ICAI sont choisis avec l'accord de la commission parlementaire.
Les rapports de la commission sont estampillés « verts » lorsqu'ils sont satisfaisants, « orange » lorsqu'ils sont satisfaisants et « rouges » lorsqu'ils sont moins que satisfaisants, ce qui est le cas d'environ un tiers d'entre eux. C'est extrêmement pédagogique. Ces rapports sont présentés devant la commission parlementaire chargée du développement, qui auditionne simultanément l'ICAI et le ministre environ une fois par mois. Les recommandations des rapports doivent donner lieu à une réponse du ministère détaillant les mesures prises. L'ICAI peut exiger de nouvelles réponses tant qu'elle n'est pas satisfaite.
Selon les parlementaires membres de la commission du développement international que nous avons pu interroger, l'ICAI constitue une ressource extraordinaire. En particulier, le fait qu'une discussion ait lieu entre l'ICAI et le ministère devant la commission permet d'aller beaucoup plus loin dans le suivi de la politique d'aide publique au développement, les parlementaires ne pouvant le faire dans l'exercice ordinaire de leur contrôle.
Au total, le dispositif d'évaluation britannique, dont l'ICAI est la pièce maîtresse, constitue selon nous une référence valable pour penser le nouveau dispositif d'évaluation qui doit être inscrit dans le futur projet de loi d'orientation relatif à la politique de solidarité internationale. Nous devrons donc veiller à ce que ce dispositif comporte les mêmes garanties d'efficacité que le dispositif britannique : une indépendance des membres de la commission d'évaluation vis-à-vis du ministère et un budget de fonctionnement suffisant pour celle-ci ; une obligation pour la commission d'évaluation de rendre compte devant l'Assemblée nationale et le Sénat, en présence d'un représentant du ou des ministères de tutelle ; la possibilité pour les commissions du Parlement de valider le programme d'évaluation de l'instance ou d'avoir un droit de tirage.
En conclusion, je vous propose de donner un avis favorable aux crédits de la mission APD, tout en formulant différentes réserves. Nous avons hésité, au sein de notre groupe, à nous abstenir, compte tenu de certains choix qui ont été faits et que nous ne validons pas. Néanmoins, l'augmentation des crédits étant significative, nous voterons ces crédits, tout en demeurant vigilants.
Mme Isabelle Raimond-Pavero . - Le rapprochement entre Expertise France et l'AFD n'a pas suffi pour le moment pour consolider le modèle économique d'Expertise France. Le Gouvernement aurait été bien inspiré de suivre vos différentes préconisations et d'intégrer tous les opérateurs indépendants.
M. Joël Guerriau . - Le microcrédit ne sert-il pas à financer le terrorisme ?
M. Ronan Le Gleut . - La France finance des projets en Chine pour la préservation de la biodiversité, l'égalité entre les hommes et les femmes, par exemple. Sachant que, selon le Fonds monétaire international (FMI), le PIB de la Chine s'élève à 25 270 milliards de dollars internationaux et qu'il est donc plus élevé que celui de l'Union européenne, qui est de 22 milliards de dollars, sachant en outre que le PIB de la France est de 2 900 milliards, soit dix fois moins que la Chine, le financement de ces projets est-il une priorité ?
M. Pierre Laurent . - Nous sommes loin d'atteindre le taux de 0,55 %, et encore moins celui 0,7 %, qui devrait être notre objectif. Une fois de plus, le budget n'est pas à la hauteur. En outre, nous ne savons toujours pas quand nous serons saisis du projet de loi de programmation envisagé. La loi de programmation militaire est à la hauteur, nous avons renforcé nos opérations extérieures et, c'est un corollaire, nos exportations d'armements. En revanche, les moyens de notre diplomatie sont faibles, en recul et menacés. Enfin, nous avons un retard persistant en matière d'aide publique au développement. Au total, la présence de la France à l'international est disproportionnée par rapport à l'effort politique, culturel, économique qui devrait être le nôtre.
Nous voterons donc contre ce budget, et contre le budget précédent.
Mme Christine Prunaud . - L'un des buts de l'aide publique au développement est d'aider l'Europe à maintenir des réfugiés en Turquie, moyennant monnaie. Qu'en est-il ? Pour nous, l'aide publique au développement, ce n'est pas cela.
M. Ladislas Poniatowski . - Alors que le budget de l'AFD s'élève à 14 milliards d'euros, contre 5 milliards d'euros pour celui du ministère des affaires étrangères, cela signifie-t-il que le directeur de l'AFD est plus important que le ministre des affaires étrangères ?
Au Royaume-Uni, un dialogue a lieu entre une commission indépendante, les parlementaires et le ministre, ce qui n'est pas le cas en France. Ne devrions-nous pas nous interroger à cet égard et contrôler davantage la rigueur de la gestion de l'AFD ?
M. Jean-Pierre Vial, corapporteur pour avis . - Si nous avons manifesté notre désappointement concernant les reports successifs du projet de loi d'orientation, c'est bien parce que nous attendons de pouvoir poser un certain nombre de questions lors de son examen, notamment celle que soulève notre collègue Ladislas Poniatowski.
Cela étant, il faut comparer ce qui comparable. Une part essentielle des 14 milliards d'euros du budget de l'AFD correspond à son activité de banquier et ce sont donc des prêts. Cela n'ôte rien à notre devoir de vigilance. Concernant la Chine, de gros investissements en dons ne seraient plus possibles aujourd'hui. Cela montre bien le recentrage de l'activité et le rôle de prêteur de l'AFD. On peut considérer au total que les deux tiers des 14 milliards d'euros relèvent de l'activité de banquier de l'AFD, le budget propre de l'agence étant plutôt de l'ordre de 2 milliards d'euros.
Se pose effectivement la question du contrôle politique. Entre le modèle allemand, sur lequel l'AFD s'est calé, et le modèle britannique - soyons clairs : nous n'épouserons ni l'un ni l'autre -, n'y aurait-il pas une solution intermédiaire, un modèle français en matière d'orientation politique et d'évaluation ?
Au sujet du terrorisme et du microcrédit, l'AFD, en tant que banquier, est soumis à des procédures classiques de traçabilité. Pour les fonds d'urgence, c'est moins évident : des procédures de suivi rigoureuses s'imposent donc.
Force est de constater que la trajectoire n'est pas respectée. Pour 2020, la perspective d'intégrer l'annulation de la dette d'un pays africain est un moyen détourné de satisfaire cette obligation, nous l'avons dit. Il revient au Gouvernement de montrer que objectif de 2022 sera respecté, mais nous pouvons sincèrement en douter.
En matière d'aide au développement, il y a l'enveloppe financière, mais aussi la nature, le contrôle et l'efficacité de l'aide, d'où la nécessaire coordination entre les acteurs. Ainsi, le centre de crise du Quai d'Orsay intervient au Sahel, où il y a beaucoup de coopération décentralisée avec les pays limitrophes. Nous avons constaté que le manque de coordination pouvait entraîner des contradictions dans les politiques mises en oeuvre.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, corapporteure pour avis. - Nous partageons les interrogations qui émergent ; nous avons d'ailleurs hésité à nous abstenir.
La remarque d'Isabelle Raimond-Pavero est tout à fait juste. Il ne s'agissait nullement de brimer les ministères concernés, mais de respecter la logique de la loi de 2014. Une deuxième vague de fusions était nécessaire. La question du rapprochement avec Expertise France ne venait en principe qu'après. Nous avons fait passer la charrue avant les boeufs, ce qui nuit à l'efficacité. Il faut faire avec.
Concernant l'intervention de Ronan Le Gleut sur la Chine, je précise qu'il s'agit de prêts aux taux du marché et non de dons. Il y a donc un retour sur investissements.
Pierre Laurent a évoqué la soutenabilité de la trajectoire. À l'évidence, après le tour de passe-passe éventuel des annulations de dettes, nous nous retrouverons face à la dure réalité. La soutenabilité est donc sujette à caution. Il n'en reste pas moins une hausse inédite de plus de 128 millions d'euros des crédits de paiement. C'est la raison pour laquelle nous vous proposons de voter ces crédits.
Pour conclure sur le modèle, il n'est pas convenable d'attendre ainsi la loi d'orientation. C'est à se demander si elle verra le jour avant le renouvellement sénatorial, voire la fin du quinquennat ! Il nous faudra rester extrêmement attentifs et disposer d'un modèle d'évaluation qui se situe entre les modèles britannique et allemand. En prenant les idées les plus pertinentes des deux, le Parlement pourrait revenir dans le jeu.
M. Jean-Pierre Vial, corapporteur pour avis . - La question des réfugiés, que je n'ai pas abordée, comporte deux volets. Les financements proviennent de différentes sources, notamment européenne, comme nous le voyons en Turquie. Selon les pays se superposent en outre des aides dédiées directement aux réfugiés, des politiques antiterroristes ou d'accompagnement d'actions militaires. On nous demande plus de clarté. Il nous faudra donc identifier les aides spécifiquement dédiées aux réfugiés, mais également les interactions. Nous auditionnerons prochainement l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII). L'accompagnement des populations de migrants doit être lié aux actions de développement.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, corapporteure pour avis . - Pour répondre à Ladislas Poniatowski, il est nécessaire que le ministre reprenne toute sa place pour le pilotage de l'AFD. C'est ce que permet le modèle anglais.
M. Christian Cambon, président . - À l'occasion de l'examen de la loi d'orientation, nous devrons être extrêmement clairs et convaincants sur ces sujets. L'absence de contrôle politique, l'insuffisance de l'évaluation posent problème, d'autant que les sommes sont considérables.
Je vous rappelle que les 76 rapporteurs budgétaires disposeront de trois minutes de temps de parole. Je vous invite donc, groupe par groupe, à défendre nos idées.
La commission donne un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Aide publique au développement ».