EXAMEN EN COMMISSION
Au cours de sa réunion du mercredi 13 novembre 2019, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, a procédé à l'examen des crédits du programme 185 - Diplomatie culturelle et d'influence - de la mission « Action extérieure de l'Etat » inscrits dans le projet de loi de finances pour 2020.
M. André Vallini , co-rapporteur. - Je m'exprimerai tout d'abord au nom de notre collègue Robert del Picchia, co-rapporteur du programme 185.
Au sein de la mission « Action extérieure de l'État », les crédits consacrés à la diplomatie culturelle et d'influence s'élèvent à 718 M€, en légère augmentation, de 2,6 %, ce qui est la conséquence d'une hausse de la subvention à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE).
Les réseaux de la diplomatie culturelle et d'influence sont touchés, comme l'ensemble du ministère, par la réforme des réseaux de l'État à l'étranger dans le cadre du programme « Action publique 2022 ». Une réduction de 5,5 % de la masse salariale est visée, plus raisonnable que la cible de 10 % envisagée l'an dernier.
Malgré ces restrictions budgétaires, des orientations majeures ont été fixées à la diplomatie culturelle et d'influence, posant la question de l'adéquation des moyens aux ambitions.
Dans un contexte d'intense concurrence, au niveau international, une dynamique nouvelle a été impulsée par le plan pour la langue française et le plurilinguisme présenté par le Président de la République le 20 mars 2018.
Il s'agit d'accroître l'attractivité de notre pays sur les plans tant éducatif que culturel, linguistique et universitaire. La diplomatie économique et la promotion des activités touristiques demeurent, par ailleurs, des priorités.
Le développement des réseaux d'établissements d'enseignement français à l'étranger est au coeur de cette dynamique.
La subvention à l'AEFE augmente de 24,6 M€ (+6%). Cette augmentation devrait être pérenne, c'est-à-dire qu'il s'agit d'un rebasage de la subvention, non d'une augmentation ponctuelle. Pour la première année, elle ne fait toutefois que compenser, et encore partiellement, l'annulation de crédits que l'agence avait connu en 2017. La baisse des emplois sous plafond de l'agence se poursuit (-9 % depuis 2014).
Dans ce contexte, que penser de l'objectif de doubler les effectifs d'élèves scolarisés dans ces établissements d'ici 2030 ? - En premier lieu, on note une lente érosion de la part des enfants français scolarisés dans le réseau, qui est passée en cinq ans de 38 % à 35 %.
L'accès de nos compatriotes au réseau est essentiel au maintien du lien avec la France. Il facilite le retour des familles dans le système scolaire français ainsi que la transmission de la langue française aux nouvelles générations, y compris dans les familles qui ne reviendront pas s'installer en France.
Afin de faciliter l'accès des familles françaises à cet enseignement, il faudra privilégier les régions d'implantation de ces familles et mener une politique d'aides à la scolarité qui soit à la hauteur de la dynamique de progression du réseau et des effectifs. Ce n'est pas le cas dans ce budget 2020 puisque les aides à la scolarité stagnent (105 M€ inscrits au programme 151). Les droits d'inscription sont, eux, en constante augmentation. L'extension du réseau ne doit pas reposer sur un modèle purement privé, ce qui équivaudrait à un processus de labellisation. Il y aurait probablement une demande pour des écoles de ce type, mais au risque d'exclure une partie des familles françaises.
En deuxième lieu, le plan de développement de l'enseignement français à l'étranger comporte l'annonce de 1000 détachements supplémentaires de personnels titulaires de l'éducation nationale dans le réseau à l'horizon 2030. Est-ce le nouveau départ, tant attendu, dans les relations entre les ministères de l'éducation nationale et des affaires étrangères ? Il est permis d'en douter.
Cet effort est, tout d'abord, insuffisant puisque l'on vise un doublement du nombre d'élèves avec seulement 11 % de détachements supplémentaires.
Ces détachements devront, par ailleurs, être optimisés grâce à un pilotage conjoint par les deux ministères concernés. Il faut sortir d'une gestion « au fil de l'eau » pour mener, au contraire, une véritable politique de ressources humaines, cohérente avec les priorités qui seront identifiées pour l'extension du réseau.
La croissance du réseau reposera essentiellement sur l'emploi de recrutés locaux, formés au sein de 16 nouveaux instituts régionaux de formation.
Une véritable transformation de la nature de l'enseignement français à l'étranger est donc en cours. Il faudra veiller à ne pas dénaturer profondément un réseau aujourd'hui reconnu dans le monde entier, qui est un vecteur majeur d'influence pour la France. Le maintien de la qualité de cet enseignement doit être une priorité.
Enfin, en troisième lieu, le développement du réseau, sur le plan immobilier, est freiné par des obstacles à l'emprunt qui doivent être levés.
En tant qu' « organisme divers d'administration centrale », l'AEFE ne peut pas emprunter à long terme. Cette limitation du recours à l'emprunt est une mesure de portée générale qui vise à limiter le gonflement de la dette publique.
L'AEFE fait donc appel à des avances de l'agence France Trésor, ce qui présente de nombreux inconvénients : ces avances sont irrégulières, doivent être consommées dans l'année, et sont remboursées sur des durées plus courtes que ce qui pourrait être obtenu par emprunt. C'est pourquoi il serait souhaitable que l'AEFE puisse recourir à l'emprunt auprès d'établissements de crédits.
Par ailleurs, un dispositif alternatif à l'association nationale pour les écoles françaises à l'étranger, l'ANEFE, doit être mis en place dans les meilleurs délais, pour permettre le recours des établissements à la garantie de l'État.
Lors de son audition, M. François Delattre, Secrétaire général du Quai d'Orsay, a fait part d'avancées récentes dans les discussions avec Bercy à ce sujet.
Jusqu'à l'été 2018, les établissements conventionnés et partenaires pouvaient en effet bénéficier d'un emprunt garanti par l'État par l'intermédiaire de l'ANEFE pour financer leurs travaux immobiliers. 160 projets ont ainsi été garantis dans 110 établissements en 40 ans. La suspension du dispositif par Bercy empêche actuellement une quinzaine de projets d'être financés.
En définitive, s'agissant de l'enseignement français à l'étranger, un nouvel élan est perceptible : un service d'accompagnement au développement du réseau a été mis en place au sein de l'AEFE, les critères et procédures d'homologation ont été simplifiés, la formation initiale des enseignants est en voie d'être améliorée, tant en formation initiale qu'en formation continue.
La croissance du réseau est déjà effective, avec 30 nouveaux établissements homologués à la rentrée 2019.
Le programme 185 est donc sous forte tension : réaliser les objectifs fixés, avec les moyens disponibles, constituera un défi.
Mais les orientations sont bonnes et méritent d'être encouragées. C'est pourquoi, avec Robert del Picchia, nous sommes favorables au budget de ce programme.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je souhaiterais vous féliciter pour ce rapport et ajouter un point, concernant l'ANEFE. Il est extrêmement regrettable que le blocage de l'ANEFE empêche la création de nouvelles écoles. C'est en contradiction totale avec les ambitions du Président de la République, sur le doublement des effectifs des écoles françaises à l'étranger. Ce n'est pas un sujet récent. Nous en avons déjà parlé. J'ai adressé un courrier au directeur du Trésor et au ministre Bruno Lemaire, sans succès. Nous devons être très fermes à ce sujet. Il n'y a aucune raison objective au blocage de ce dossier.
M. Olivier Cadic. - Nous sommes nombreux à nous réjouir de l'objectif de doublement du nombre d'élèves dans l'enseignement français à l'étranger, même si l'échéance de 2030 est lointaine. D'ici là, deux élections présidentielles auront eu lieu... L'élan actuel perdurera-t-il ?
L'AEFE a vraiment tout pouvoir sur l'enseignement français à l'étranger. L'argent public va en priorité à un réseau de 70 établissements en gestion directe. Plus de la moitié des 520 écoles du réseau ne perçoivent aucun financement sur ce budget. Vous n'avez pas évoqué le fait que, dans le schéma actuel, l'AEFE peut bloquer la création de concurrents. C'est ce qui aurait pu se passer à Bruxelles ou à Bucarest, en septembre dernier. Le fait que l'AEFE soit chargée de l'extension du réseau a des effets pervers.
Enfin, je suis totalement en accord avec le propos de notre collègue Joëlle Garriaud-Maylam sur l'ANEFE.
Mme Sylvie Goy-Chavent. - Je souhaiterais bien comprendre la clef de répartition des crédits de ce budget. Quelle est la part de financement des instituts français, qui dispensent des cours de français à l'étranger, mais aussi des cours de la langue du pays d'accueil à nos étudiants français en mobilité ?
Mme Hélène Conway-Mouret. - Merci aux rapporteurs. Sur l'ANEFE, en effet, il est regrettable que l'on ait supprimé les garanties qu'elle apportait, sans mettre en place une autre entité pour jouer ce rôle.
Je ne comprends pas l'observation de notre collègue Olivier Cadic : il me paraît normal que l'AEFE s'assure de la pérennité de son réseau. Elle n'a pas vocation à soutenir un réseau parallèle concurrent.
Vous avez parlé de 30 nouveaux établissements homologués. Comment cela va-t-il se traduire sur l'enveloppe des bourses ? L'homologation d'un nouvel établissement implique que les enfants qui y sont scolarisés ont droit à ces bourses. Peut-on se satisfaire, dans ces conditions, de la stabilité d'une enveloppe qui devrait augmenter proportionnellement au nombre de bénéficiaires potentiels ?
M. Richard Yung. - Le projet est ambitieux : faire passer le nombre d'élèves de 350 000 à 700 000. Nous nous en réjouissons. Mais rappelons-nous que le système anglo-américain scolarise près de 9 millions d'élèves... Le rapport est donc de 1 à 10 entre les systèmes français et anglo-saxon. La compétition est très rude.
M. André Vallini, co-rapporteur. - La concurrence est, en effet, exacerbée. L'extension du réseau est bienvenue. Elle devra bien sûr être pérennisée et renforcée.
Je partage l'observation de notre collègue Hélène Conway-Mouret, concernant le hiatus entre l'augmentation du nombre d'établissements homologués et la stagnation des bourses attribuées aux élèves. C'est un vrai problème que nous soulignons dans notre rapport. Les bourses ne suivent pas la tendance à l'augmentation des effectifs.
S'agissant du réseau culturel et de l'Institut français, nous traitons ce point dans notre rapport écrit. La subvention à l'Institut français diminue de 6 %. Les relations avec les alliances françaises s'améliorent toutefois. Le conflit portant sur les bâtiments du boulevard Raspail est en voie de résolution.
Sur l'AEFE, je partage la réponse d'Hélène Conway-Mouret à Olivier Cadic.
Enfin, concernant l'ANEFE, François Delattre, secrétaire général du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, nous a récemment assuré que les discussions avec Bercy étaient en bonne voie. Restons toutefois prudents, car, comme cela a été dit, le problème perdure.
Je poursuivrai maintenant avec mon propre rapport, pour compléter les propos que j'ai tenus au nom de notre collègue Robert del Picchia.
La diplomatie d'influence est l'un des piliers nécessaires de toute stratégie diplomatique au 21 ème siècle, comme elle l'a d'ailleurs été auparavant dans l'Histoire.
Toutes les grandes puissances ont une stratégie d'influence. C'est plus que jamais nécessaire, à l'ère de la mondialisation et de la médiatisation de tous les enjeux internationaux. La langue et la culture sont non seulement des vecteurs de croissance économique mais aussi un moyen de diffuser nos valeurs, de faire connaître notre vision du monde et de lutter contre les manipulations et la désinformation.
Malgré l'insuffisance des moyens mis en oeuvre, la stratégie déployée par le gouvernement témoigne d'une conscience de ces enjeux.
L'un de nos points d'attention porte, au sein de ce programme 185, sur la nouvelle stratégie nationale d'accueil et d'attractivité des étudiants internationaux, intitulée « Bienvenue en France ».
La France est aujourd'hui le cinquième pays d'accueil des étudiants internationaux, après les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Australie et l'Allemagne (qui fait jeu égal avec nous). Nous sommes suivis de près par la Russie et le Canada, qui ont des stratégies très offensives, de même que la Turquie dont le nombre d'étudiants internationaux a progressé de + 180 % en 5 ans (et la Malaisie : + 79 %, l'Arabie saoudite : +63 %).
Dans ce contexte, la stratégie « Bienvenue en France » vise à améliorer les conditions d'accueil et à renforcer notre attractivité auprès des pays émergents d'Asie et anglophones, tout en maintenant des liens forts avec les pays francophones, en particulier en Afrique.
Cette stratégie est notamment marquée par la mise en place de frais d'inscription différenciés pour les étudiants extra-communautaires, qui pourrait être remis en cause, à la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 11 octobre 2019. La portée de cette décision dépasse la seule question de l'accueil des étudiants étrangers, mais il nous faudra attendre son interprétation par le Conseil d'Etat pour être fixés quant à ses conséquences.
La stratégie d'attractivité des étudiants internationaux est fragile à de multiples autres titres :
D'une part, les moyens qui lui sont consacrés sont insuffisants.
Une politique d'exonération a permis de limiter les effets de la hausse des droits d'inscription. Ces exonérations sont toutefois supportées par le système universitaire, dans la limite de 10 % des effectifs (limite qui pourrait être rapidement atteinte). Par ailleurs, pour 2020, les crédits des bourses du programme 185 sont stables à 64,6 M€.
En dix ans (2008-2017), les crédits des bourses du gouvernement français (BGF) ont diminué de 43 %. Cette baisse s'est traduite, d'une part, par une réduction du nombre de bénéficiaires de bourses de 30 % et, d'autre part, par une baisse du montant unitaire des bourses de 18 %.
Par ailleurs, les crédits votés en loi de finances ne sont pas tous consommés. Ainsi, en 2019, les programmes 185 et 209 comportaient à eux deux 73,6 M€ de bourses destinés à être gérés par Campus France mais seuls 56,3 M€ ont été réellement confiés en gestion à l'opérateur, soit 76 %. Compte tenu de l'évolution déjà défavorable des crédits des bourses, il est impératif que les crédits inscrits en lois de finances à ce titre soient effectivement consommés. - D'autre part, comme l'a souligné un rapport récent de la Cour des comptes, le système de gouvernance de l'accueil des étudiants en mobilité est insatisfaisant : il relève de plusieurs administrations, dont les deux agences, Campus France et Erasmus+, les établissements d'enseignement supérieur ainsi que les postes diplomatiques. Il y a un manque de stratégie d'ensemble.
Cette politique des bourses doit être recentralisée et mieux pilotée, grâce à une articulation repensée entre les différents acteurs. Un rapprochement des deux agences doit être étudié. La politique des bourses doit devenir globalement plus visible, au plan international, par l'instauration d'une « marque » (autre que « bourse du gouvernement français ») avec des appels à candidatures mondiaux et un recrutement selon des critères unifiés.
Les questions de visas doivent être résolues. Il semble en effet qu'un certain nombre d'étudiants étrangers ratent la rentrée universitaire, en raison de retards dans l'attribution de ces visas. Ces retards constituent un obstacle à la réussite de ces étudiants et un facteur défavorable à l'image et à l'attractivité de la France.
Je terminerai en évoquant les moyens de la promotion du tourisme qui sont en baisse. Le 4ème Conseil interministériel du tourisme du 17 mai 2019 a demandé à Atout France d'importantes économies sur ses coûts de fonctionnement, c'est-à-dire principalement en termes de ressources humaines et d'immobilier.
Ces économies doivent s'élever, en 2020, à 4,4 M€ ce qui vient se cumuler avec une baisse de 10 ETPT du plafond d'emploi. Le déménagement du siège d'Atout France, ainsi que les relocalisations envisagées à New York, Sao Paulo et Tokyo, doivent générer à terme des économies de l'ordre d'1,8 M€.
La subvention pour charges de service public de l'opérateur passe de 32,7 M€ en 2019 à 30,9 M€ en 2020 (-6 %).
Mais le dynamisme du secteur touristique reste fragile.
Avec 90 millions de touristes internationaux en 2018, la cible de 100 millions en 2020 paraît difficilement atteignable.
Le premier trimestre 2019 a connu un repli, en partie en raison du climat social. Par ailleurs, le Brexit semble jouer négativement sur la fréquentation touristique britannique.
L'activité touristique est toutefois repartie à la hausse à compter d'avril.
Dans un contexte international très concurrentiel, la mise en oeuvre d'une politique de compétitivité spécifique est indispensable. Des rapprochements avec Business France peuvent créer des synergies positives. Des expérimentations sont menées en ce sens dans deux bureaux d'Atout France.
Mais la politique touristique doit continuer à être menée par un opérateur implanté à la fois au plan national et à l'étranger, bien identifié et reconnu par le secteur. C'est d'autant plus nécessaire qu'aucun ministre ou secrétaire d'Etat ne porte aujourd'hui cette mission dans l'intitulé de ses fonctions. Pour mémoire, le secteur touristique dans son ensemble représente près de 8 % du PIB et 2 millions d'emplois directs et indirects en France.
En conclusion, les orientations de la diplomatie d'influence devront être confirmées dans le temps. Une accélération sera nécessaire dans certains domaines. Les moyens sont pour l'heure insuffisants, mais je vous propose néanmoins aussi d'encourager les évolutions en cours en émettant un avis favorable aux crédits 2020 de la diplomatie culturelle et d'influence.
M. Christian Cambon, président. - Je remercie les rapporteurs.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Action extérieure de l'État », le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste votant contre, le groupe socialiste et républicain s'abstenant.