LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
Mardi 2 octobre 2018
M. Laurent BILI , Directeur général de la mondialisation (DGM), M. Guillaume POTTIER , Rédacteur chargé du suivi de l'AFD à la sous-direction du développement.
Mardi 16 octobre 2018
M. Guillaume CHABERT , Chef du Service des affaires multilatérales et du développement à la Direction générale du Trésor, M. Pierre GAUDIN , Chef du bureau MF5, M. Antoine MALANDAIN , adjoint au chef de bureau MF2.
Mercredi 17 octobre 2018
M. Rémy RIOUX , Directeur général de l'Agence française de développement (AFD), chargé du développement des pays du Sud et de l'outre-mer, M. Yves GUICQUERO , Directeur Adjoint de la Direction Stratégie, Partenariats et Communication, Mme Zolika BOUABDALLAH , Chargée de mission, Division des relations avec les élus et les acteurs économiques.
ANNEXE - AUDITION DE M. RÉMY RIOUX, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'AGENCE FRANÇAISE DE DÉVELOPPEMENT, LE 31 OCTOBRE 2018
M. Christian Cambon, président. - Mes chers collègues, nous accueillons à présent Rémy Rioux, directeur général de l'agence française de développement (AFD), ce qui nous permettra de clore notre cycle d'auditions budgétaires en évoquant l'aide publique au développement et la mission budgétaire qui lui est consacrée.
Monsieur le directeur général, l'agence française de développement, qui est à la fois une banque et une agence de coopération, est l'un des principaux acteurs, si ce n'est le principal acteur, de la politique d'aide au développement française. Elle pèse aujourd'hui 40 milliards d'euros de bilan, et environ 10 milliards d'engagements nouveaux en 2017, contre seulement 7 milliards en 2012. Le Président de la République ayant annoncé que l'APD française passerait à 0,55% du revenu national brut (RNB) en 2022, l'AFD devra encore accroître son activité, pour atteindre près de 18 milliards d'euros à cette date, soit une hausse de 80% en 5 ans !
Vous connaissez la « doctrine » de la commission : concentration de l'aide sur l'Afrique subsaharienne et singulièrement francophone, participation à l'approche globale qui doit faire converger les « 3D » - diplomatie, défense et développement -, contribution à l'influence française dans le monde, lutte contre les causes profondes des migrations subies, notamment dans les domaines de l'éducation et de la santé.
J'aurai d'emblée trois interrogations : l'AFD intervient à la fois par des prêts et par des dons, à la fois dans des pays grands émergents et dans les pays les plus pauvres, à la fois pour financer des infrastructures et des programmes sociaux. Qu'est-ce qui fait aujourd'hui l'unité et l'identité de l'AFD ? Quelle est votre vision de l'agence pour les années à venir ?
2019 sera un bon « cru » budgétaire pour l'aide au développement : 130 millions d'euros supplémentaires en crédits de paiement pour la mission APD et surtout plus d'un milliard supplémentaire d'autorisations d'engagement : quelle sera la traduction concrète de ces augmentations pour l'AFD en 2019 ?
Outre les évaluations pilotées par les agences locales pour tel ou tel projet, l'AFD est dotée d'un département « Évaluation et apprentissage » qui regroupe quatorze personnes et qui doit réaliser des évaluations thématiques et stratégiques approfondies. Le département fait appel à des prestataires externes pour réaliser ces évaluations, ce qui me paraît une très bonne pratique. Nous souhaiterions même aller plus loin encore, à l'instar du modèle anglo-saxon qui confie à certains opérateurs des missions importantes. Pourriez-vous nous donner des exemples d'évaluations effectuées, nous dire qui sont ces partenaires externes et, surtout, nous dire si ces évaluations vous ont conduit à changer vos pratiques pour rendre les projets plus efficaces ? Les changements ne suivent en effet pas toujours les recommandations des évaluations, notamment celles produites par la Cour des comptes. L'objectif est d'aller vers un pilotage par les résultats, comme y avait invité le Président de la République, lors de la dernière conférence des ambassadeurs ; s'en rapproche-t-on ?
M. Rémy Rioux, directeur général de l'agence française de développement (AFD).- Je débuterai mon propos en vous présentant deux projets, choisis parmi les quelques huit cents conduits par l'Agence. Le premier, où l'AFD intervient en prêts, est d'ordre macro-économique et vise à faire du Burkina Faso le nouveau hub des énergies renouvelables. Située au sud-ouest de Ouagadougou, la centrale solaire de Zagtouli est la plus grande d'Afrique de l'Ouest. Ainsi, ce sont près de quatre cents ouvriers qui ont travaillé simultanément à la construction des structures et à la mise en place des 130 000 panneaux solaires. Cette centrale va fournir 55 GWh d'électricité chaque année, soit 4% de la consommation annuelle du pays et va améliorer l'accès à l'électricité pour de nombreuses personnes, tout en limitant les émissions de gaz à effet de serre. Le Burkina Faso entend désormais lancer une production électrique de plus en plus tournée vers l'énergie solaire, plus accessible et moins polluante, avec comme objectif que 30% de la consommation électrique nationale provienne de l'énergie solaire à l'horizon 2025.
L'autre projet, d'ordre plus micro-économique, concerne la formation professionnelle au Liban, dans le contexte de la crise syrienne et est abondé par cinq millions d'euros de dons. Suite à la crise migratoire et sociale qui sévit au Liban, l'ONG française IECD et son partenaire Semeurs d'avenir ont développé, avec l'appui de l'AFD, des formations courtes et qualifiantes dans divers domaines. Les formations proposées sont ciblées sur des métiers offrant des débouchés sur le marché du travail. Le projet inclut également la formation de 70 enseignants. Ce programme facilitera, au total, l'insertion professionnelle ou la reprise d'études de 1 600 jeunes dont de jeunes migrants d'origine syrienne qui pourront, en temps voulu, participer à la reconstruction de la Syrie.
J'en viens, à présent, au chemin parcouru depuis mon audition en mai 2016. L'AFD constitue un réseau technique de taille mondiale, qui compte désormais 2 500 collaborateurs de quatre-vingt nationalités, répartis dans 85 agences actives dans cent-dix pays. Des strates régionales ont également étoffé ce réseau. L'AFD accompagne 3 600 projets et est en mesure d'en générer près de 700 par an. La trajectoire de forte croissance doit impliquer des gains d'efficacité que l'examen de la prochaine loi d'orientation permettra d'évaluer dans une perspective pluriannuelle. Notre trajectoire a débuté, en 2014, avec 7 milliards d'euros, pour atteindre 11 milliards en 2018, soit une augmentation annuelle d'un milliard d'euros. Notre objectif est d'atteindre 14 milliards d'euros en 2019, voire 18 milliards en 2020, afin de respecter l'objectif présidentiel de 0,55% du RNB. D'ailleurs, le projet de loi de finances pour 2019 constitue une première étape en ce sens : l'AFD va disposer de moyens exceptionnels d'engagement, autant pour ses prêts que pour ses dons, avec deux milliards d'euros de subventions ; ce montant prenant en compte non seulement le budget voté en loi de finances, mais aussi l'apport des différents fonds qu'elle obtient soit à Bruxelles soit auprès d'autres instances multilatérales. Si ses ressources budgétaires françaises vont être multipliées par quatre, les fonds que l'AFD obtient auprès des organismes multilatéraux ont doublé. Ainsi, elle vient d'obtenir 240 millions de dollars du Fonds vert pour le climat en soutien d'un programme d'adaptation des pays les plus pauvres au changement climatique.
Alors que la politique de développement avait perdu 40% de ses crédits depuis la fin du mandat de Jacques Chirac, l'inversion de cette trajectoire n'a été possible qu'à la condition du renforcement de notre pilotage politique. S'inspirant du fonctionnement des conseils de défense, cette nouvelle forme de pilotage implique des réunions périodiques avec le Président de la République et une loi de programmation. Le Premier ministre est impliqué régulièrement dans le cadre des travaux du Comité interministériel de la coopération et du développement (CICID) et l'Agence est sous la tutelle de trois ministères : économie et finances, Europe et Affaires étrangères, ainsi que le ministère des Outre-mer.
Toutes les administrations, avec d'autres parties prenantes, dont les parlementaires, sont réunies et approuvent les projets de l'AFD. Nous sommes très attentifs à répondre à vos sollicitations et à vous rendre des comptes sur nos travaux, comme je le ferai prochainement devant la section du Sénat de l'Assemblée parlementaire de la francophonie. La Cour des comptes vient d'ailleurs de rendre un rapport positif sur la gestion et la stratégie de l'AFD.
Les moyens budgétaires votés sont concentrés dans les pays prioritaires : les trois-quarts des subventions doivent être employés dans les dix-neuf pays prioritaires de l'aide française, dont le Sénégal, le Mali, le Burkina Faso. Les prêts concessionnels sont destinés aux pays émergents de l'Afrique, comme la Côte d'Ivoire, le Kenya, le Congo-Brazzaville, le Nigéria et le Maroc. Il s'agit, pour l'Agence, d'y obtenir des résultats plus importants en volume en consentant à ces prêts.
En outre, avec quarante-deux milliards d'euros de bilan, l'Agence est aussi une banque qui peut accorder des prêts non concessionnels aux taux du marché, notamment à nos territoires ultramarins, de plus en plus reliés à leur environnement régional, et à d'autres pays émergents, comme la Colombie, le Brésil et le Kenya, où la France a des intérêts.
M. Christian Cambon, président. - Quel est le statut de la Turquie ? Pourquoi est-elle incluse dans la liste des pays prioritaires, alors qu'elle vient, par ailleurs, d'inaugurer le plus grand aéroport du monde ?
M. Rémy Rioux. - La Turquie figure parmi les huit premiers pays bénéficiaires de crédits de l'AFD d'origine européenne. Elle ne figure pas dans la liste de nos pays prioritaires ; c'est une coquille dans le tableau.
L'AFD intervient également dans l'ensemble des territoires ultramarins. Notre stratégie pour l'Outremer a évolué : nous y promouvons désormais le développement durable et l'intégration régionale en travaillant avec les États voisins, comme les Comores et Mayotte, Haïti et la Guyane.
Nous nous transformons en plateforme de la politique de développement. Outre le portage politique de l'exécutif, l'examen de la future loi d'orientation et de programmation pour le développement permettra de fixer les orientations et la trajectoire de l'Agence.
Le monde est divisé en deux groupes de pays : ceux qui ont un indice de développement très faible mais qui dégradent très peu l'environnement et ceux qui présentent, à l'inverse, un indice de développement très élevé avec une trajectoire environnementale insoutenable. Tous les États doivent atteindre un indice de développement humain élevé avec une empreinte écologique soutenable.
Il ne faut pas que les pays les plus pauvres nous rattrapent en termes de mode de développement, au risque d'être dans une situation globale catastrophique. Ils peuvent d'ailleurs nous inspirer, en matière de technologie frugale, pour que nous assurions notre propre transition en faveur du développement durable dont les objectifs sont notre guide depuis 2015.
L'AFD divise désormais le monde en quatre régions : la première région concerne l'ensemble de l'Afrique, confrontée à des problèmes de dimension continentale. Une seconde région « Orient » part des Balkans et inclut la Chine. Outre l'Amérique du Sud et centrale, une quatrième zone comprend les trois océans où sont implantés les territoires ultramarins et leurs voisins.
Parmi les cinq engagements de notre plan stratégique, deux vous concernent directement : le développement en 3-D dans les territoires en crise, avec les diplomates et les militaires pour mobiliser les instruments pertinents, comme au Sahel, dans le cadre de l'initiative Minka, avec le soutien de l'Alliance Sahel. La priorité est également accordée aux acteurs non souverains, comme la société civile, les collectivités locales, les établissements financiers, lorsque certains gouvernements se trouvent dans l'incapacité de recourir aux prêts. Il s'agit ainsi de toucher plus directement la population.
L'AFD est un groupe avec deux filiales : aux côtés de l'AFD, qui est la maison-mère qui s'adresse aux clients publics, se trouve, d'une part, la société Proparco, qui est devenue le point d'entrée unique du secteur privé et, d'autre part, Expertise France, que le Gouvernement a décidé d'intégrer au sein du groupe AFD en février dernier. Il faudra sans doute attendre la prochaine loi d'orientation pour que cette intégration soit menée à son terme. Une telle perspective conduit à mettre de l'expertise dans nos services financiers et à améliorer l'ensemble de notre offre, tout en respectant le métier et l'identité juridique d'Expertise France. Que l'AFD soit devenue une plateforme indique sa capacité accrue de mobilisation des acteurs français et européens, ainsi que l'extension de sa présence dans le monde, au moment où l'influence des Britanniques, auparavant premiers opérateurs de développement, tend à décroître. Il y a donc une place à prendre pour l'AFD.
Dans cette perspective, je préside l'International Development Finance Club (IDFC), qui rassemble les 24 plus grandes banques de développement du monde. Ce cadre permet, depuis sept ans, de réaliser conjointement des projets. Avec 850 milliards de dollars de capacité financière, dont 200 sont orientés vers le climat, cette instance représente un levier d'influence pour la France qui permet également d'orienter les marchés vers le développement durable.
Enfin, je reviendrai sur la responsabilité qui pèse sur notre agence, qui bénéficie d'un budget exceptionnel. Notre redevabilité doit nécessairement s'en trouver accrue. C'est pourquoi notre dispositif d'évaluation comprend désormais trois niveaux : le premier, impliquant des évaluateurs externes, concerne les projets conduits par les agences. Nous allons d'ailleurs travailler à la systématisation de ces évaluations. Le second niveau, qui comprend des évaluations plus approfondies, concerne un ensemble de programmes dans la durée, comme l'aide au développement de la France au Vietnam. Nous y associons des cabinets de conseil. Enfin, l'AFD conduit des évaluations scientifiques d'impact, conduits avec des centres de recherche comme l'Institut de recherche pour le développement (IRD) ou le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), comme au Congo, où les critères de biodiversité et de développement durable sont pris en compte.
Des évaluations plus partenariales, comme avec la Kreditanstalt für Wiederaufbau (KFW), et, au sein du réseau IDFC, entre organismes bancaires, constituent autant de facteurs de progrès. Nous allons changer ainsi nos méthodes. Il nous faut augmenter le nombre de nos évaluations. Je m'engage devant vous à les rendre publiques dans leur totalité. Ainsi, au printemps prochain, nous publierons l'ensemble de nos évaluations dans un rapport public, afin d'en tirer les leçons, avec un focus sur la biodiversité. Cette publication pourrait d'ailleurs faire l'objet d'une audition. L'AFD est favorable à inclure des expertises extérieures dans ses évaluations, comme celle des parlementaires, à l'instar de la contribution de M. le sénateur Yvon Collin sur l'évaluation de l'action de l'AFD au Vietnam. Ces engagements ne manqueront pas de se matérialiser, à un moment ou un autre, au niveau législatif, à l'occasion des débats sur la loi d'orientation.
M. Christian Cambon, président. - Merci, Monsieur le directeur général, d'avoir tracé ces perspectives, d'être revenu sur l'évaluation qui reste l'une de nos priorités et d'avoir donné la mesure de l'accroissement spectaculaire de vos moyens, avec toutes les obligations afférentes.
M. Jean-Pierre Vial. - Ma première question portera sur l'aspect financier et notamment la montée en puissance correspondant aux engagements du Président de la République. Selon quel rythme les autorisations d'engagement doivent-elles se transformer en crédits de paiement au cours des prochaines années ? Si les choses se passent comme prévues, combien de crédits de paiement seront prévus au programme 209 à l'horizon 2022 ? Ma seconde question concernera la stratégie de l'AFD en Afrique : outre l'enjeu rural, pour le maintien des populations, les villes africaines ont un rôle à jouer. Sur quelle expertise sur ces questions urbaines s'appuie l'AFD ? Comment votre agence prend-elle en compte la coopération décentralisée conduite par les collectivités locales françaises ?
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - L'année dernière, votre agence avait bénéficié d'un apport de 270 millions d'euros issus de la taxe sur les transactions financières. Dans le cadre du PLF 2019, ces montants ont été réaffectés au budget général. Des crédits d'un montant équivalent sont certes venus abonder la mission aide publique au développement, mais l'AFD, elle-même, ne bénéficiera que d'une partie de ces crédits. Est-ce un problème pour l'Agence ou cette disposition vous permet-elle, en définitive, une meilleure gestion des flux de projets et de leur financement ? Par ailleurs, l'Agence se positionne comme le leader de la lutte contre le changement climatique, conformément à l'accord de Paris et au CICID du 8 février dernier. Comment s'oriente la réalisation des deux objectifs annoncés dans le contrat d'objectifs et de moyens que nous allons examiner à l'issue de votre audition ; à savoir obtenir, d'une part, 50% de cofinancement climat et être, d'autre part, la première agence 100% en phase avec l'Accord de Paris ? Par ailleurs, l'architecture des financements en faveur du climat se caractérise par une réelle complexité. Comment l'AFD articule-t-elle son action avec celles des autres organes multilatéraux, comme le Fonds vert ou le Fonds pour l'environnement mondial ?
M. Rémy Rioux. - Des travaux antérieurs au CICID du 8 février dernier ont arrêté des trajectoires de crédits de paiement et d'autorisations d'engagement sous-jacentes à celle de l'aide publique au développement qui doit atteindre à terme 0,55% du RIB. Au-delà de son examen du projet de loi de finances pour 2019, la Représentation nationale est appelée à se prononcer sur ces éléments à l'occasion de son examen de la future loi d'orientation.
S'agissant des subventions, les projets de développement impliquent des autorisations d'engagement à l'année n ; les décaissements s'étalant en moyenne sur cinq ans, en commençant par moins de 10% la première année. Les demandes, qui vous présentées en loi de finance, sont ainsi fondées sur des règles d'écoulement des dons et de l'octroi de bonification de prêts ; le milliard d'euros d'autorisations d'engagement se traduira bien, dans les cinq années suivantes, en un milliard d'euros de crédits de paiement, avec une pression assez forte pour décaisser le plus rapidement possible, notamment dans les zones en crise, tout en demeurant dans une optique de développement à moyen et long terme.
Créée il y a soixante-dix-sept ans, l'AFD est la plus vieille institution de développement au monde.
L'Afrique connaît, de manière inouïe, une croissance simultanée de sa population rurale et urbaine. Le développement urbain représente entre 10 et 15% de notre activité annuelle, soit 1,5 milliard d'euros. L'AFD est également très présente dans les villes émergentes où l'expérience acquise est également intégrée dans les modèles de développement urbain.
La rebudgétisation de la taxe sur les transactions financières est parfaitement conforme à l'engagement souscrit, comme en témoigne le total des autorisations d'engagement soumis à votre vote. Ma perception de cette question s'avère différente cette année : alors que l'année passée, le produit de la taxe sur les transactions financières conditionnait notre capacité à fournir des dons aux produits en crise, le contexte a évolué. Néanmoins, je demeure très attaché au fait qu'une partie du produit de la taxe sur la transaction financière soit affectée au développement. Un moment viendra où les grandes banques internationales auront clarifié leur implantation et sera peut-être instaurée une taxe sur les transactions financières européennes, à laquelle la France s'est engagée, à l'inverse, pour le moment, de l'Allemagne. A cette occasion, un débat pourrait s'emparer de la question de l'usage de ces ressources : doivent-elles financer le développement de la zone Euro ou contribuer plutôt à l'aide au développement ?
La lutte contre le réchauffement climatique est notre signature internationale depuis près d'une quinzaine d'année. Tout comme l'AFD, le rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) confirme la synergie entre les objectifs de développement durable et ceux de lutte contre la pauvreté. Il faut ainsi trouver des compromis dynamiques ; tous nos projets comprennent en ce sens un bilan carbone préliminaire à notre engagement. La moitié de nos projets présente ainsi un bénéfice dans la lutte contre le changement climatique. Nos homologues ont suivi cette méthode. Lors du One Planet Summit, l'AFD a ouvert une nouvelle frontière stratégique en se revendiquant totalement en phase avec l'Accord de Paris : toutes les actions de l'AFD appuieront les trajectoires de développement bas carbone et durables, conformément à l'article 2 de l'Accord de Paris, que tous les pays du monde doivent déclarer à l'Organisation des nations unies d'ici à 2020. Au-delà de la diversité des microprojets, il nous faut désormais entrer dans un dialogue avec les pays sur les trajectoires de développement qu'ils élaborent dans leurs politiques publiques. L'AFD mobilise ainsi son expertise pour aider les pays les plus pauvres et leurs acteurs moteurs dans la lutte contre le changement climatique, comme les ministères de l'environnement et du plan, pour que les trajectoires à court terme ou à l'horizon 2050 visent la neutralité carbone. L'AFD peut ainsi concilier des activités micro, conduites par des ingénieurs, et des activités macro, où l'expertise économique permet d'influer sur le contenu des politiques publiques. Notre nouvelle architecture internationale correspond à cette double approche : nos actions impliquent de plus en plus les grands acteurs multilatéraux, comme le Fonds vert pour le climat ou encore l'IDFC qui est en mesure d'aller du global au local. Cette architecture assure la connexion de la sphère internationale à la sphère locale et domestique. L'AFD n'est ni une organisation internationale ni en compétition avec la banque mondiale : elle travaille avec le système international et apporte à la France un savoir-faire, notamment en matière de lutte contre le changement climatique.
M. André Vallini. - Je me réjouis du renforcement de cette trajectoire financière amorcée dès la fin du dernier quinquennat. Quel est le pourcentage des ONG parmi les acteurs non souverains avec lesquels l'AFD travaille ? Quelles sont vos relations actuelles avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC) ?
M. Raymond Vall. - Si la France est très active en matière de déploiement des forces contre le terrorisme, elle dispose également en Afrique de vecteurs d'influence comme Rfi et France 24. Or, ces opérateurs connaissent de réelles restrictions budgétaires. Une contribution de l'AFD au déploiement de leurs stations et de leurs réseaux serait-elle envisageable ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Notre audiovisuel extérieur - France Media Monde et TV5 Monde - connaît en effet une baisse continue de ses financements. Or, ces canaux réalisent des émissions de formations essentielles au développement, à l'éducation et à la francophonie, hors des grandes villes. L'action de ces médias correspond, en outre, parfaitement aux principes du CICID et nous avons besoin de votre aide pour faire rentrer l'audiovisuel dans les mécanismes de projet de développement.
Mme Christine Prunaud. - La Turquie figure parmi les pays prioritaires de votre action. Les versements de l'Union européenne, au titre du pacte UE-Turquie sur les migrants couvrent-ils l'aide publique au développement ? Par ailleurs, quel est le rôle du Franc CFA dans le développement en Afrique ? N'obère-t-il pas la capacité des pays à être authentiquement indépendants ?
M. Hugues Saury. - Nous avons pu voir l'accompagnement très important de l'AFD au Burkina Faso, en complément des différentes actions conduites par les collectivités territoriales. Existe-t-il au sein de l'AFD une structure qui coordonne et évalue l'ensemble de ces actions ?
M. Jean-Marie Bockel. - Je salue votre engagement et celui de vos équipes. Votre impulsion a restitué sa crédibilité et son ambition à l'AFD. Si la création d'Expertise France a constitué un progrès, quelle va être son évolution au sein de l'AFD ? L'Agence peut-elle également déployer son expertise auprès des pays d'origine des migrants, tant l'examen de ce sujet, pourtant à l'agenda politique, ne semble guère donner de résultats probants.
M. Gilbert Bouchet. - Nous siégeons, avec mon collègue Jean-Marie Bockel, au conseil d'administration de l'AFD. J'ai pu constater la transparence de votre fonctionnement. Quel est le devenir d'Expertise France au sein de votre agence ?
Mme Hélène Conway-Mouret. - Vous allez abonder d'un milliard d'euros l'aide apportée aux PME. Quelle place comptez-vous accorder aux micro-projets qui s'adressent avant tout à des populations en très grande précarité ? Les relations de vos équipes, sur le terrain, ont-elles évolué avec les forces de sécurité et de défense? Enfin, la Chine continue-t-elle à bénéficier d'une aide au développement ?
M. Joël Guerriau. - L'Union européenne est un acteur important de l'aide au développement. Comment coordonnez-vous vos actions avec les délégations européennes sur le terrain ?
M. Gilbert Roger. - Comptez-vous ainsi dénoncer les acteurs du développement - je pense aux États-Unis - qui octroient des financements incompatibles avec l'Accord de Paris ? Par ailleurs, l'importance grandissante des projets conduits par l'AFD n'est-elle pas de nature à occulter les micro-projets ?
M. Olivier Cadic. - Quelle est la situation de l'AFD dans les Balkans ? Comme j'ai pu le constater au Mozambique - où l'AFD intervient en prenant pour base l'Ile de la Réunion -, cette nouvelle démarche permet de mettre fin à la logique de silos qui prévalait précédemment. Comment comptez-vous la généraliser ?
M. Richard Yung. - Il est toujours important de visiter l'antenne de l'AFD pour mieux connaître un pays. Quelles sont les actions du fonds d'investissement que l'AFD a créé avec la Caisse des dépôts ? L'AFD s'est-elle également intéressée aux importants flux financiers émis par les diasporas africaines, évoqués dans le rapport présenté par notre collègue de l'Assemblée nationale Hervé Berville ?
Mme Gisèle Jourda. - Le 20 juin 1990, François Mitterrand conditionnait, dans son discours de la Baule, l'aide au développement au progrès démocratique. Le 28 novembre 2017, le Président Macron déclare, à Ouagadougou : « je suis d'une génération qui ne vient pas dire à l'Afrique ce qu'elle doit faire et quelles sont les règles de l'État de droit. » En ce qui me concerne, je suis d'une génération qui ne comprend pas les accommodements qui conduisent l'AFD à octroyer un prêt au gouvernement gabonais pour rembourser sa dette intérieure. Cet argent ne contribue nullement au développement du pays ! Il conviendrait de repositionner l'aide au développement en fonction du respect élémentaire des droits de l'homme !
Mme Isabelle Raimond-Pavero. - J'interviendrai en tant que suppléante de ma collègue, Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, au sein du conseil d'administration d'Expertise France. Si le rapprochement avec cet organisme est acté, encore faut-il faire oeuvre de prudence, en développant une relation de confiance avec ses personnels et en conservant distincte son identité juridique. Quelle méthode allez-vous mettre en oeuvre pour assurer l'intégration d'Expertise France au sein de votre groupe et tirer parti de son savoir-faire ?
M. Ladislas Poniatowski. - Aucune des « routes de la soie » n'est innocente. Elles relèvent toutes d'une démarche pragmatique. L'AFD a-t-elle la même approche et, au gré de vos évaluations stratégiques, êtes-vous amené à revenir sur des engagements antérieurs ?
M. Christian Cambon, président. - A ce sujet, j'aurai une pensée pour notre collègue Pascal Allizard, qui se trouve actuellement au Pakistan, et qui, suite aux manifestations de fondamentalistes en réaction contre l'acquittement d'Asia Bibi, a dû être placé en zone de sécurité. En outre, nous venons d'inscrire la Colombie, où l'AFD s'est engagée notamment à Medellin, parmi nos thèmes d'étude pour l'année prochaine.
M. Rémy Rioux. - En Colombie, l'AFD est intervenue dans la réforme du foncier mentionnée dans les accords de paix. Nous veillons ainsi à ce que l'engagement du gouvernement colombien à réaliser cet accord soit pérennisé.
L'Agence est engagée dans une transformation très profonde. Dotée de la force d'une banque, elle devient davantage une agence. L'importance des procédures s'y est accrue comme en témoigne la nouvelle place accordée à l'évaluation. Notre positionnement et notre responsabilité vis-à-vis des autres acteurs ont évolué : après avoir été l'opérateur pivot de l'aide au développement, l'Agence est devenue la plateforme bilatérale et opérationnelle de la politique de développement. Il nous faut tourner vers le Sud un maximum d'acteurs et de créer du lien de la France avec les autres pays.
La COP21 a été un catalyseur, en débutant par le climat avant que le développement n'en renforce la dynamique. Je n'oublie pas le Président François Hollande qui est à l'origine de la recapitalisation de l'AFD et de son rapprochement avec la CDC.
En 2009, le guichet de financement de la société civile française nous a été transféré. Sa dotation, pour le moment de 80 millions d'euros, devrait être augmentée. Tout l'enjeu avec la société civile est également de sortir de la logique du guichet en réalisant des projets, comme en Jordanie, en partenariat avec elle.
Nous faisons le même métier que la Caisse des dépôts. Nous restons dans le cadre de l'alliance stratégique du 6 décembre 2015. Des échanges de personnels ont lieu : la Caisse des dépôts va trouver de l'international dans les territoires. Avec BPI France et l'AFD, ce nouveau groupe est appelé à monter en puissance. Le fonds d'investissement STOA, qui représente au total 600 millions d'euros - 500 en provenance de la CDC et 100 en provenance de l'AFD - a déjà investi, avec Engie, en Inde dans les énergies renouvelables, et s'apprête à le faire dans une dizaine de projets dans les domaines des transports et des énergies renouvelables, dont six sont en Afrique.
Être une plateforme implique de mobiliser d'autres acteurs publics en faveur du développement. Ainsi, l'AFD peut avoir besoin des experts de l'ADEME pour des projets internationaux dans le secteur énergétique. S'il n'est pas question de compenser des efforts demandés par le Gouvernement à d'autres établissements publics, il nous semble, en revanche, envisageable d'acheter, à nos conditions, du développement à d'autres acteurs.
Les médias contribuent évidemment au développement et nos collègues allemands et britanniques ont des liens avec leurs opérateurs nationaux. Dans le cadre de l'Alliance Sahel, nous soutenons des radios locales, en langue locale. Notre plateforme ne s'adresse pas qu'à France Médias Monde, mais à l'ensemble des acteurs dont les réseaux présentent de réelles potentialités de développement, et les compétences sont distinctes des nôtres. Dans le cadre des objectifs du développement durable, il importe également de repérer des innovations conduites dans les pays du Sud pour les incorporer dans nos propres pratiques.
La Turquie est reconnue comme un pays en développement par l'OCDE. Les transferts qu'elle perçoit de l'AFD sont comptabilisés à Bruxelles comme relevant de l'aide au développement. En revanche, nos prêts sont bloqués en raison des risques macroéconomiques que traverse ce pays. Nos produits n'y sont pas concessionnels.
Les trois francs CFA sont des monnaies africaines gouvernées par des Africains. Le choix de la parité fixe relève d'un choix souverain auquel la France apporte une garantie. Personne n'a jamais réellement démontré si l'appartenance à la Zone Franc représentait un avantage ou un inconvénient. Le Président, dans son discours de Ouagadougou, l'a d'ailleurs rappelé. D'ailleurs, en Europe, nous avons fait le choix d'une union monétaire ! Comparaison ne vaut certes pas raison, mais l'échange d'expériences avec nos collègues africains est toujours profitable.
L'AFD, en tant que plateforme, accueille les collectivités locales françaises. Notre guichet - la facilité de financement des collectivités locales, la FICOL - finance pour le moment une cinquantaine de projets et devrait en financer prochainement jusqu'à 150.
Le calendrier de l'intégration d'Expertise France relève de la loi d'orientation. La décision vous en incombe. Ma conviction est qu'Expertise France va davantage bénéficier de financements sur une base bilatérale française et pourra ainsi davantage se projeter vers l'extérieur. L'AFD va ainsi lui apporter une capacité de financement renouvelée. Ma crainte est plutôt qu'Expertise France ne pourra pas répondre aux demandes que le soutien de l'AFD va générer... En outre, l'entrée d'Expertise France, qui dispose d'une maîtrise d'ouvrage directe et a vocation à garder son autonomie juridique, sera bénéfique à l'AFD. D'un point de vue stratégique, il est indéniable que l'intégration d'Expertise France est positive.
L'AFD est également un instrument européen qui obtient de Bruxelles jusqu'à 500 millions d'euros de financement. Ce positionnement va donc bien au-delà d'un simple partenariat : nos chefs de projet discutent systématiquement de leurs projets avec la Commission européenne. Elle travaille également avec ses homologues européens. Je rêve d'ailleurs que chaque État membre dispose de leur propre agence de développement ; initiative que soutient la Commission européenne à notre demande. Au-delà du débat politique, les Européens s'accordent sur l'importance d'un investissement massif en Afrique. Faisons-le ! Je suis prêt, en tant que directeur général de l'AFD, à envisager avec les États membres les modalités d'une coopération européenne plus forte en Afrique.
Nous réfléchissons avec les réseaux de la Caisse des dépôts pour tourner les livrets, que détiennent notamment les membres des diasporas africaines, vers l'investissement.
Je serai heureux de revenir vous parler de migrations. L'AFD contribue au renforcement de la capacité des États africains à gérer leur population, comme au Nigéria, où le Gouvernement met en oeuvre un dispositif d'identification numérique de ses citoyens. Les États limitrophes sont toujours la première destination des migrants, et notamment la zone d'Afrique australe qui est désormais plus prospère que l'Afrique du nord. Il importe d'aider ces pays à disposer de plus de capacité d'actions pour gérer ces populations.
Les petits projets sont également importants. L'AFD en a l'expérience : il faut que nos ambassadeurs, avec l'appui des directeurs de l'AFD, puisse décider de manière déconcentrée en fonction de l'intérêt local.
M. Christian Cambon, président. - C'est là un vrai sujet, comme nous l'ont indiqué nos représentations diplomatiques !
M. Rémy Rioux. - Il serait impossible d'inventer des instruments plus petits à la disposition des postes diplomatiques. D'ailleurs, nos directeurs appartiennent, dans les faits, aux équipes diplomatiques !
Les Balkans sont la seule région du monde où nos diplomates ne disposent pas d'opérateur de référence. Si notre engagement y a d'abord été retardé, nous allons plutôt y oeuvrer en cofinancement et notre réseau, avec les ministères techniques et les collectivités locales, y est complémentaire de celui de l'ambassadeur qui s'adresse plutôt aux autorités régaliennes et politiques.
L'équation chinoise est complexe : il faut à la fois dialoguer avec la Chine et l'associer à un projet collectif. Pour preuve, la China Development Bank participe à l'IDFC. Mais le système chinois n'est nullement monolithique ! Nous sommes à l'écoute des messages et pouvons modifier le périmètre de nos actions au gré de l'évolution des relations bilatérales. C'est la raison pour laquelle j'ai tenu à être le premier directeur d'une agence de développement à me rendre au Zimbabwe après les dernières élections.
L'AFD a une solide expérience en matière de gouvernance. Si nos aides ne sont pas conditionnées, nous ne délaissons nullement cet aspect. Les innovations dans ce domaine, comme la mission constitutionnelle du ministre du plan indonésien qui doit rappeler les enjeux de long terme à l'ensemble des candidats lors de chaque élection présidentielle, suscite d'ailleurs notre plus grand intérêt.
Le Gabon est dans un cadre international classique qui vise à stabiliser son économie avec le soutien de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. A la demande du Trésor français, la France prend sa part à cet effort de stabilisation macroéconomique du Gabon.
M. Christian Cambon, président. - La conditionnalité de l'aide au développement au progrès de la démocratie est un sujet éternel. La mettre totalement en oeuvre ne manquerait pas de pénaliser de nombreuses populations !
M. Rémy Rioux. - Ce n'est cependant pas pour autant que nous occultons totalement ce sujet de nos préoccupations. Pour 50% de son activité, l'AFD travaille en partenariat avec la société civile, le secteur privé et les collectivités locales. Le but est d'améliorer la situation des populations, sans forcément passer par l'Etat.
M. Christian Cambon, président. - Merci, Monsieur le directeur général, pour votre intervention. N'hésitez pas à nous informer sur les différents projets que vous conduisez et dont l'ampleur va grandissante. L'évaluation est essentielle. Sur Expertise France, nous avons été quelque peu irrités par la forme prise par son absorption. D'ailleurs, un dirigeant de l'un des organismes qui résistent à leur intégration à Expertise France a contesté les assertions de nos deux rapporteurs. Le Parlement est dans son droit, puisque nous avons voté une loi de programme à cet effet. Si l'idée d'un rapprochement pouvait s'avérer pertinente, les modalités peuvent, en revanche, se révéler contestables.